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L’administrativisation du contrat à caractère public détachable de sa nature

Section II. Le rapprochement des caractéristiques publiques et internationales du

A. L’administrativisation du contrat à caractère public détachable de sa nature

145. Si la nature administrative d’un contrat à caractère public au Canada est parfois difficilement observable, il semblerait que le juge s’attache de plus en plus à la révéler. Si elle n’est pas directement liée à un phénomène d’internationalisation du droit (1), elle n’est pas incompatible avec elle (2).

1. L’émancipation de la nature administrative du contrat à caractère public

146. Les notions de « contrat A » et « contrat B » dégagées par la Cour suprême. Un nombre important de litiges en matière de contrats canadiens à caractère public n’est pas tranché par le Tribunal Canadien du Commerce Extérieur. La notion de « contrat administratif » s’est aussi développée au Canada en dehors de toute référence à des textes internationaux ou de tout lien

avec un quelconque élément d’extranéité.Les cours et tribunaux (hors Québec) ont joué un rôle non négligeable dans le processus d’administrativisation du contrat à caractère public. Dans sa décision de 1981 Ontario c. Ron Engineering & Construction (Eastern) Ltd.409 (« Ron

Engineering »), la Cour suprême du Canada, suite à un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, a

précisé les règles applicables en matière d’appel d’offres en dénommant « Contrat A » la réponse du soumissionnaire à l'offre d'un acheteur. Cette notion de « Contrat A », utilisée par la Cour suprême, a eu un impact important sur le « droit des appels d’offres » au Canada410.

Dans Ron Engineering la Cour explique que les documents de sollicitation des soumissions constituent une « invitation à traiter ». Si le fournisseur dépose une offre, il est considéré comme ayant passé une forme de « contrat unilatéral » en s’engageant envers l’acheteur ; le contrat (« Contrat A ») est créé à ce moment-là, donnant lieu à des obligations contraignantes pour les deux parties411. Le « Contrat B » est formé, dans un second temps, entre l'acheteur et

le fournisseur retenu. À noter que durant ce processus, le comportement des parties est régi par les termes explicites de l'appel d'offres et par certains termes implicites de la common law.412.

Il est important de préciser que dans l’arrêt Ron Engineering il ne s’agit pas de « common law » au sens strict du terme. En effet, bien que la Cour suprême se soit prononcée sur un cas jugé en amont par la Cour d’appel de l’Ontario, juridiction dite de « common law », il serait inexact de présenter Ron Engineering comme un « arrêt de common law ». Dans cette affaire la Cour suprême dégage les notions de « contract A and B » à partir de l’interprétation de certaines clauses du cahier des charges. La Cour suprême ne crée ici aucune règle de droit nouvelle et contraignante et ne se réfère pas non plus à un précédent. A ce titre, il ne s’agit pas d’un « arrêt de common law » bien qu’il s’agisse d’un arrêt de principe dont la solution peut être mobilisée par les juridictions québécoises.

147. Les évolutions de la notion de « contrat A ». Suite à Ron Engineering, une incertitude s’installa quant aux obligations dues entre les parties à travers le paradigme du « Contrat A ».

409 [1981] S.C.J. No. 13, [1981] 1 S.C.R. 111, 119 D.L.R. (3d) 267 (S.C.C.).

410 Voir à ce propos : EMANUELLI P., op.cit., p. 232 ; « The Contract A paradigm created by the Supreme Court

to has since had a revolutionary impact on the law of tendering in Canada ».

411 Ibid., l’auteur décrit clairement cette idée de contrat unilatéral « […] it was understood that bid solicitation

documents constitued an invitation to treat and that a contract was formed only for tenders is issued, this constitutes an offer and when a bid is submitted by a potential supplier, this constitutes acceptance and a unilateral contract (Contract A) is created at that moment - giving rise to binding obligations on both parties ». En tant que

tel, l'offre d'un fournisseur devient irrévocable - et le soumissionnaire n'a pas la capacité de négocier ou de modifier les termes des documents d'appel d'offres. En soumettant une offre, le fournisseur potentiel accepte les termes des documents d'appel d'offres.

412 Voir à ce propos EMANUELLI P., op. cit. p. 232; « During this process, the conduct of the parties is governed

En 1999, 2000 et 2001, la Cour suprême du Canada établissait le cadre analytique moderne des « Contrats A et B »413. Tout d’abord dans M.J.B. Entreprises Ltd. v. Defence Construction

(1951) Ltd414, la Cour Suprême a établi un cadre analytique du « Contrat A » en quatre étapes

afin de déterminer la responsabilité découlant des litiges d'appel d’offres. Ensuite dans Martel

Building Ltd v. Canada415, la Cour Suprême a appliqué le cadre analytique du « Contrat A » en

rejetant l'application d'un « devoir de diligence » des contrats négociés. Enfin, dans Naylor

Group Inc, v. Ellis-Don Construction Ltd.416, la Cour suprême a appliqué le paradigme du « Contrat A » à une chaîne d'approvisionnement s’inscrivant dans une relation entre le soumissionnaire et ses sous-traitants lors d'un processus formel de dépôt d’offres.

2. La cohabitation de la nature administrative et internationale du contrat à caractère public

148. Un exemple de « cohabitation ». Bien que la plupart des accords commerciaux internationaux signés par le Canada ne s’appliquent ni aux provinces ni aux municipalités, rien n’empêche ces dernières de contracter avec une entreprise étrangère. A priori, aucune difficulté ne se posera non plus si le cocontractant entretient des liens commerciaux avec d’autres pays, quand bien même ces derniers auraient une influence sur le contrat d’origine. Pourtant, la Cour Suprême du Canada a dû se prononcer sur un tel cas de figure en 1994 dans l’arrêt Shell Canada

Product Ltd. v. Vancouver417. La nationalité de l’entreprise cocontractante ne posait guère de

problème ici. Si l’entreprise Shell Royal-Dutch est une multinationale anglo-hollandaise, le contrat avait été, en l’espèce, conclu avec sa filiale canadienne. Il n’y avait pas non plus de problème en matière de « territorialité » car le contrat s’exécutait à Vancouver. L’élément d’extranéité du contrat était relativement ténu. Il consistait à fournir à la ville de Vancouver des produits pétroliers dont une partie provenait d’Afrique du Sud, pays dans lequel Shell Royal-

Dutch était implanté. Le conseil municipal de Vancouver a adopté une résolution imposant

l’arrêt de l’approvisionnement chez le fournisseur anglo-hollandais. Pour le conseil municipal, une telle résolution se justifiait par opposition au régime de l’apartheid alors en vigueur. Pour

413 Ces décisions fournissent un certain nombre de développements importants qui aident à informer la loi moderne sur les appels d'offres et les pratiques d'approvisionnement modernes. En 1999, la Cour suprême du Canada avait résolu près de 20 ans d'incertitude juridique lorsqu'elle a confirmé que tous les appels d'offres ne créaient pas forcément un Contrat A. MARTEL et NAYLOR ont rapidement suivi et réaffirmé la proposition selon laquelle la création du contrat A dépendra de l'intention des parties et les termes spécifiques du contrat A varieront selon les modalités établies dans les documents d'appel d'offres.

414 [1999] S.C.J. No. 17, [1999] 1 S.C.R. 619 (S.C.C.). 415 [2000] S.C.J. No. 60 [2000] 2 S.C.R. 860 (S.C.C.). 416 [2001] S.C.J. No. 56, [2001] 2 S.C.R. 943 (S.C.C.).

417 Shell Canada Products Ltd. v. Vancouver (City), 1994, CarswellBC 115, 1994 CarswellBC 1234, [1994] 1 S.C.R. 231 (S.C.C.)

lui, une telle activité commerciale revenait à cautionner ce régime politique. La Cour suprême du Canada a annulé les résolutions au motif qu'elles excédaient la compétence de la municipalité418. Pour les juges LA FOREST, SOPINKA, CORY, IACOBUCCI et MAJOR « la

ville de Vancouver cherchait à utiliser ses pouvoirs de « faire des affaires » pour exercer une influence dans une autre partie du monde, un objectif qui touche à des situations existant en dehors des limites territoriales de la ville ». On notera cependant que le juge en chef LAMER

et les juges L’HEUREUX-DUBÉ, GONTHIER et McLACHLI ont proposé une opinion dissidente. Pour eux « bien que les résolutions puissent comporter un aspect international, elles

constituent, de par leur caractère véritable, des mesures législatives municipales et sont donc constitutionnelles ». Dans cet arrêt, les natures administrative et internationale du contrat

municipal cohabitent a priori. Pourtant, son objet va se détacher de sa prétendue « nature internationale » qui n’est alors plus qu’une conséquence. Dans ce cas, l’expression « contrat public à caractère international » sera plus appropriée que celle de « contrat international à caractère public ». Nous assistons ici à un glissement notionnel dont l’élément central serait désormais la nature publique du contrat (impulsée par son administrativisation), relayant son élément d’extranéité à une « simple » caractéristique.

149. L’opinion dissidente. Le juge McLACHLIN, dans son opinion dissidente, est largement revenu sur la « publicisation » de certains contrats d’approvisionnement des municipalités, les différenciant des contrats entre personnes privées419. Le juge explique que les « contrats

publics » doivent faire l’objet d’un traitement différencié des contrats privés au regard de leurs conséquences qui peuvent dépasser la seule sphère du contrat. Elle poursuit en indiquant qu’au regard de certains principes comme celui de l'égalité d'accès aux marchés publics ou de l'intégrité dans la conduite des affaires gouvernementales, la pratique et le droit des marchés

418La Cour suprême du Canada a confirmé la soumission des actes détachables du contrat de la municipalité à un contrôle judiciaire. Le Conseil municipal a désapprouvé les transactions que Shell aurait pu passer avec d’autres filiales du groupe (Shell Royal-Dutch) en Afrique du Sud au regard de l’apartheid en place à cette époque. Pour autant, le juge Sopinka ne manquera pas de rappeler que si la municipalité de Vancouver a cessé de s’approvisionner chez la compagnie Shell, elle s’est tournée vers la compagnie Chevron qui s’est avérée avoir également une filiale sud-africaine. Shell a soutenu que la ville faisait preuve de discrimination à son égard sur la base de considérations s’inscrivant dans le cadre d'un gouvernement local. La Cour suprême, a la majorité, a annulé les résolutions du conseil municipal.

419 GARETH MORLEY J., « Sovereign Promises : Does Canada have a Law of Administrative Contracts ? »,

Canadian Journal of Administrative Law & Practice, mars 2003, p. 212 ; « Madam Justice McLachlin, for the dissenters, would have given more leeway to the council in the objectives it might fulfill, but she agreed that municipal contracting decisions were subject to judicial review. Indeed, she provided an eloquent statement for why public contracts are different from those involving only private parties ».

publics doivent être distingués du domaine purement privé du droit des contrats420. Enfin, elle

donne un crédit certain à ce phénomène d’administrativité du contrat public en précisant que « les membres du conseil municipal doivent exercer leurs pouvoirs contractuels dans l'intérêt

public »421 qui se rapprocherait, dans une certaine mesure, de la notion française d’« intérêt

général ». Cette opinion dissidente est particulièrement intéressante en ce qu’elle met en lumière la distinction entre les contrats publics et privés dans un contexte international, sans pour autant que ce dernier influence l’administrativité du contrat. La nature internationale du contrat sera plutôt perçue, en l’espèce, comme un révélateur de l’administrativité du contrat.

B. L’administrativisation du contrat à caractère public influencée par sa nature

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