• Aucun résultat trouvé

L’absence de limitation spatiale du droit public

Section II. Le rapprochement des caractéristiques publiques et internationales du

B. Le principe du caractère spatialement illimité du droit public

1. L’absence de limitation spatiale du droit public

127. Le principe d’« absence de limitation spatiale du droit public » (a) se justifierait par l’absence de territorialité en droit public (b).

a) Les fondements du principe

128. La soumission au droit public. Si la compétence suit le fond, encore faut-il s’assurer que le contrat est bien soumis au droit public. Il est possible de s'en assurer de deux manières. La première consiste à soumettre le contrat au droit public en raison de la compétence de l’ordre juridique français pour régir le contrat. La seconde consiste à soumettre le contrat qu’à certaines dispositions du droit public français laissant échapper les autres dispositions à un autre ordre juridique étranger apparaissant compétent pour régir le contrat. Si l’on s’en tient au raisonnement de l’arrêt Tegos, le contrat échappera à la qualification de contrat administratif si aucun des deux raisonnements présentés n’est retenu, car le contrat n’est alors « en aucune

372 AUDIT M., note sous CE, 30 mars 2005, préc., p. 1885. Un constat de même nature, mais de formulation inversée, avait déjà été formulée par le professeur Sophie Lemaire qui évoque, pour la critiquer, la possibilité que « le Conseil d’État ait entendu élevé […] la soumission d’un contrat conclu par l’administration française au

« seul » droit étranger, au rang de critère de compétence de la juridiction administrative » (LEMAIRE S., note

façon régi par le droit français »373. Échappant au droit public français, le contrat pourrait ne

peut pas être qualifié de contrat administratif alors même que les critères d’une telle catégorie sont remplis374. Cependant, au regard du principe d’absence de limitation spatiale du droit

public, une telle probabilité est quasi inexistante, car, en principe, il existe toujours une règlementation de droit public susceptible de régir le « contrat administratif »375. Une même

situation, qu’elle naisse sur le territoire français ou sur un territoire étranger, pourra être régie par le droit public français sans que l’élément d’extranéité interfère.

129. La justification du principe. Si le degré de rattachement avec une situation juridique française est suffisamment observable, ce qui est forcément le cas dans un contrat administratif comportant un élément d’extranéité puisqu’il répond aux critères de ladite catégorie, le droit public français s’appliquera. Pour le professeur Pierre MAYER, la réponse se trouve principalement dans le droit public international : « Compétence est attribuée à l'Etat en raison

de son implication dans la situation juridique ; elle ne peut être subordonnée à aucune autre exigence, étant non seulement exclusive, mais nécessaire. Si éloignée dans l'espace qu'elle soit de l’État qu'elle implique, la situation ne saurait en effet ni être réglée par un autre État, ni être abandonnée au néant juridique »376. Cette idée découle du principe selon lequel l’État

français est compétent pour édicter son droit public. L’État français dispose en effet d’une compétence normative pour édicter les règles relatives aux contrats administratifs. De ce fait, c’est sur le plan des règles que se justifie l’indifférence des considérations spatiales dans la détermination de la compétence normative de l’État en droit public377.

373 CE, Sect., 19 novembre 1999, Tegos, préc. ; CE, 30 mars 2005, préc.

374 Voir à ce propos LAAZOUZY M., « Il existerait en quelque sorte une lacune : alors que le même contrat aurait

été qualifié de contrat administratif sans hésitation dans une situation purement interne, cette qualification lui est refusée dans une situation internationale faute de droit public applicable. », thèse, préc., p. 208.

375 Voir à ce propos ; « En effet, les règles de droit public disposent en principe d’un domaine d’application spatial

illimité, de sorte que l’extranéité de la situation n’est pas un obstacle à leur mise en oeuvre. Dès lors, le droit administratif contient, en principe, toujours en son sein une règlementation du « contrat administratif », thèse, ibid., p. 209.

376 MAYER P., « Droit international privé et droit international public sous l’angle de la notion de compétence »,

RCDIP., 1979, p. 355. Cette conclusion est parfaitement cohérente avec la conception très restrictive que se fait

Pierre Mayer de la compétence : en effet, après avoir défini la compétence comme ce que peut faire une autorité ou un organe, il restreint cette définition en précisant que « la distinction des activités qui entrent dans les pouvoirs

d'un organe ou d'une autorité et de celles qui en sont exclues ne se rattache au concept de compétence que si elle résulte de l'existence d'une pluralité d'organes ou d’autorités et de là répartition des pouvoirs entre eux », ibid.,

p. 10

377 MAYER P., RCDIP. op. cit. II, p. 355 et 387, distingue la compétence de l'exercice de la compétence, ce qui lui permet d'affirmer que s'il n’y a pas de limites spatiales à la compétence normative de l'Etat, celui-ci doit cependant respecter le domaine spatial qui lui est assigné par le droit international. Autrement dit, l'Etat français est toujours et partout compétent pour poser les règles en matière de contrat administratif, mais si une situation est spatialement trop éloignée de lui (c'est-à-dire n'a pas un rattachement territorial ou personnel suffisant avec lui) il ne pourra édicter qu'une norme d'un sens déterminé : ce qui ne pourra pas être le cas en matière de contrat

130. Illustration de l’absence de limitation spatiale. La prérogative de puissance publique relative à la possibilité pour l’État de se constituer débiteur au moyen d’un titre de perception en matière de marchés de travaux en est un exemple intéressant. L’Administration, même à l’étranger, a les moyens de se délivrer à elle-même un titre juridique sur le fondement duquel les voies d’exécution pourront être mises en œuvre378. La jurisprudence abonde généralement

en ce sens379, l’élément d’extranéité ne vient pas limiter spatialement le droit public. C'est alors

qu’il convient d’être prudent avec cette affirmation : « [I]l est bien certain que le droit

administratif d’un État ne peut pas recevoir son exécution et sa sanction à l’étranger par les organes du même État »380. En résumé, l’absence de limitation spatiale du droit public serait le

principe et sa limitation l’exception381.

administratif mais pourrait l’être en matière de refus d’accorder la nationalité. Cependant la limite est étroite entre l'obligation de toujours exercer une compétence de façon uniformément négative, sous forme d’abstention normative, et l'absence de compétence. L'auteur indique lui-même à la fin de ses réflexions op. cit. III, p. 576 : «

Dans un certain nombre d'hypothèses, il est difficile de déterminer si une limitation au pouvoir normatif des Etats peut être énoncée sous forme d'une règle de compétence ou ne constitue qu'une simple restriction à l'utilisation de la compétence ».

378 Il s’agit de l’arrêt CE, 7 avril 1999, Société d’études et entreprises d’équipement, inédit, req. n°189328 ; CE, 7 mars 2005, Société d’études et entreprises d’équipements, inédit, req. n°241666. Dans cette affaire, une société ivoirienne a conclu le 26 mai 1992 un marché de construction d’un centre culturel à Djibouti avec le chef de la mission de coopération de Djibouti. En application du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de travaux, le maître de l’ouvrage a résilié le marché et a confié les travaux non réalisés a une autre entreprise mais aux frais de la première. Le maître de l’ouvrage s’est vu annuler ses deux titres de perceptions à l’encontre de la société ivoirienne par le Conseil d’État (CE, 7 avril 1999 et CE, 7 mars 2005). La démarche du juge administratif est intéressante car il n’a pas annulé les titres de perceptions au regard d’une quelconque limitation territoriale des règles de droit public, mais parce que les conditions substantielles classiques permettant l’émission de titre de perception n’ont pas été respectés (À ce titre, le CE rappelle que « le marché de substitution n’a pas été notifié aux entreprises membres du gouvernement avant le commencement des travaux », interdisant à l’attributaire « d’user du droit qu’il avait de suivre, en vue de sauvegarder ses intérêts, les opérations exécutées à ses risques et périls par le nouvel entrepreneur ».

379 Un problème similaire s’est posé dans un arrêt du Conseil d’État (CE, 7 juillet 1999, Russo, inédit, n°195260). Ici, le Conseil d’État valide l’émission du titre de perception dont l’initiative appartenait au chef de la mission de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France à N’Djamena au Tchad. S’agissant d’un titre émis hors de France, le requérant en demande l’annulation au motif qu’il n’aurait pas été rendu exécutoire par le préfet, faisant de ce cas une situation aussi complexe qu’inédite. Selon le Conseil d’État, « aux termes de l’article 85 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la compatibilité publique modifié par le décret du 29 décembre 1992 : « Les ordonnateurs rendent exécutoires les titres de perception qu’ils émettent » ; qu’il en résulte

que M. Russo ne saurait utilement soutenir que, faute d’avoir été rendu exécutoire par le préfet, le titre de perception contesté serait nul et de nul effet ». Le fait que les titres aient pu être émis à l’étranger n’ait en rien

traité dans les textes. Enfin, dans une autre affaire, plus éloignés concernant les faits mais portant sur la même problématique, le Conseil d’État (CE, 18 février 1998, Mme Lando, inédit, req. n°143258) s’est prononcé sur le cas d’un agent comptable d’un lycée français à Rome qui a constitué un parent d’élève débiteur des « droits d’écolage » de sa fille et a ensuite pu « compenser a due concurrence le traitement » de ce dernier qui se trouvait être un fonctionnaire français. La validation de la décision de l’agent comptable du lycée français de Rome de « précompter » la somme sur les traitements et indemnités a bien été effective. La décision n’a pas été influencée par aucun élément d’extranéité.

380 FEDOZZI P., « De l’efficacité extraterritoriale des lois et des actes de droit public », RCADI, 1929, II, T. 27, p. 145-242, spéc., p. 164.

381 Dans certains cas isolés, le droit public est spatialement limité par les textes afin de contourner l’éventuelle internationalité d’une situation. Par exemple, le décret du 17 janvier 1986 (Décret n°86-83 du 17 janvier 1986

b) L’absence de territorialité en droit public

131. La territorialité matérielle écartée. Il s’agit de l’idée selon laquelle, en raison de sa localisation territoriale, une règle de droit public peut étendre son domaine à une situation qui présente un lien spatial avec un ordre juridique étranger. Si elle alimente notre théorie relative à l’absence de limitation spatiale, elle n’en est pas pour autant le corollaire et il convient de bien les différencier. La territorialité matérielle382 du droit public reviendrait à considérer que

les règles de droit public d’un ordre juridique donné ne peuvent inclure dans leur domaine d’application les situations qui se localisent hors du territoire qui les édicte. Le juge administratif rejette clairement l’idée de territorialité matérielle du droit public383.

132. La territorialité formelle écartée. Le contournement de la territorialité formelle384

retiendra moins notre attention en droit français qu’en droit canadien. Dans une telle situation, les juridictions d’un État se retrouveraient dans l’impossibilité d’appliquer les règles de droit public édictées par un autre ordre juridique. Cette idée a d’ailleurs donné une des rares définitions de droit public en droit international privé : « the kind of law that would not,

relatif aux dispositions générales applicables aux agents non titulaires de l’État pris pour l’application de l’article 7 de la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État) s’applique « aux agents non titulaires de droit public de l’État […] à l’exception des agents en service à

l’étranger ». L’illustration des règles de droit public spatialement limitées pour n’englober qu’une situation

internationale est particulièrement aisée puisque c’est ce type de règles qui a généré l’abondant contentieux relatif aux agents en service à l’étranger. Ainsi, le décret du 18 juin 1969 n’est applicable qu’aux contrats des agents en service à l’étranger. Il incorpore un critère spatial qui en limite le domaine. En revanche, cette limitation ne vaut pas pour tout le droit public. La jurisprudence qui a appliqué le droitt public français à des agents contractuels exclus du domaine matériel de ce texte le montre (ex : CE, 11 juillet 2001, Dupuis, Leb., p. 362, concl. (inédites) SCHWARTZ R. ; CF Pub., décembre 2001, p.29, comm. GUYOMAR M.; CE, 13 février 2002, Bizeau, Tables, p.808.).

382 Expression empruntée au droit pénal, voire en ce sens ; HUET A., « Pour une application limitée de la loi pénale étrangère », JDI, 1982, p. 627.

383 Les arrêts précédemment cités faisant état de l’application par le juge administratif français d’une règle de droit public française à l’extérieur du territoire français nourrit l’idée du rejet du principe de territorialité matérielle. Le législateur a lui-même contourné ce principe. L’article L. 1221-1 du code général de la propriété des personnes publics « En l'absence de conventions internationales réglant les conditions d'acquisition de biens mobiliers et

immobiliers par l'Etat français hors du territoire de la République, les autorités qualifiées peuvent être dispensées par un acte de l'autorité administrative compétente, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, d'observer les formes prescrites en la matière par le présent code au cas où celles-ci seraient incompatibles avec le droit du pays de la situation des biens ou, à titre exceptionnel, au cas où les circonstances locales le justifieraient. Il en est de même en ce qui concerne les biens situés hors du territoire de la République dont l'acquisition est poursuivie par les collectivités territoriales, leurs groupements ou les établissements publics. » .

Il faut alors comprendre que ces « formes » soumises au droit public français s’appliquent même si le bien n’est pas situé en France et ne sont à ce titre pas des règles territoriales. Sur cet article voire AUDIT M., « Veille de droit administratif transnational », Dr. adm., août-septembre 2007, p. 5-7, spéc., p. 5-6.

384 Appelée aussi territorialité judiciaire, voire : LOUIS-LUCAS P., « Conflits de méthodes en matière de conflit de lois », JDI, 1956, p. 774-821, spéc., p. 782. La question de la territorialité au sens formel a déjà fait l’objet d’études par la doctrine, voire : MATER P., « Le rôle du droit public en droit international privé », RIDC, 1986, p. 467-485, spéc., p. 468-471 ; LEMAIRE S., thèse préc. p.272-274.

traditionnally, be applied (directly or under a judgment) by the courts of another state »385. Il

s’agit de l’idée selon laquelle il est impossible pour un tribunal étranger de sanctionner une règle de droit public d’un autre pays. Pour autant, n’est pas abordée la question de l’inclusion d’une question dans un domaine du droit public étranger.

133. Distinction entre le rejet de la territorialité et l’absence de limitation spatiale du droit public. Si ces deux principes ne sont pas « étrangers » l’un à l’autre, ils doivent cependant faire l’objet d’une étude distincte. En effet, le fait qu’il ne soit pas nécessaire d’insérer un critère spatial dans une règle de droit public afin d’encadrer une situation à l’étranger n’est pas conditionné à l’abandon du principe de territorialité. L’absence de limitation spatiale du droit public n’est pas directement liée à la négation du principe de territorialité. Cette négation signifie simplement qu’une règle de droit public peut s’appliquer à une situation se situant sur le territoire d’un ordre juridique étranger.

Outline

Documents relatifs