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L’internationalisation par la loi

Section I. L’influence de la coopération transfrontalière et de la règlementation

B. L’internationalisation de la notion de partenariat public-privé au Canada

1. L’internationalisation par la loi

201. La genèse des PPP au Canada. Dans les années 1990, l’OCDE a enjoint les pays, du moins les plus industrialisés, d’adapter l’action des Administrations à une logique d’économie de marché globalisée. L’OCDE soulignait que l’état des finances publiques dans les pays occidentaux ne permettait plus d’assurer des investissements importants et des services de qualité. « Ce que demandait finalement l’OCDE, c’était de redéfinir les programmes

gouvernementaux en fonction des « clients » et de laisser une plus large place au secteur privé dans la prestation de services »550. Si les anglais furent les premiers à matérialiser cette

injonction de l’OCDE sous la forme du Private Finance Initiative (PFI), l’Amérique du nord et notamment le Canada et ses provinces, se sont rapidement alignée sur les directives de l’OCDE. Il convient tout de même de souligner que si les anglais sont les premiers à avoir donné une définition juridique des PPP - notamment en 1992 par le chancelier de l’échiquier -

548 LICHÈRE F., « Les partenariats public-privé ou la seconde vie de Franck Lloyd Wright », op. cit., supra note 519, p.1.

549 Voir Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI), projet de guide législatif sur les projets d’infrastructures à financement privé : Documents officiels de l’assemblée générale, 51ème session, suppl. n°17 (A/51/17).

550 Secrétariat Intersyndical des Services Publics, Évolution historique : d’un mode traditionnel à infrastructure Québec, Avril 2011.

des traces de ce type de montage juridico-financier étaient déjà présentes antérieurement, notamment aux États-Unis, en matière de rénovation urbaine et de politique de la ville, mais aucune source n’atteste d’un « contrat type » en la matière551.

202. La réception des directives de l’OCDE et l’éclatement normatif de la notion de PPP au Canada. Les directives émises par l’OCDE concernant le financement privé d’infrastructures publiques ne se sont pas imposées au Canada de manière contraignante. La réception de ces dernières s’est faite inégalement sur l’ensemble du territoire. Le Canada étant une confédération, le développement des PPP est très variable d’une province à l’autre. Autant, des textes législatifs visent spécifiquement les PPP autant, des textes visent les contrats publics dans leur globalité. Cette hétérogénéité est aussi observable chez les différentes entités chargées d’encadrer les PPP. Alors que certaines provinces ont créé des entités spécialement dédiées aux PPP, d’autres les ont confiées à des ministères552. L’uniformisation de la notion de PPP est aussi

mise à mal par certaines initiatives de l’État qui viennent la distendre un peu plus, participant d’une certaine manière à son éparpillement. À titre d’exemple, certaines ententes de PPP sont conclues par le gouvernement fédéral dans des activités relevant de ses compétences constitutionnelles553, tout comme dans le cas de subventions accordées554 à certaines provinces

en précisant que le recours aux PPP devra être privilégié555. Il est donc difficile de donner une

définition générale et uniforme des PPP au Canada. Certaines provinces comme l’Alberta, le Québec, l’Ontario ou la Colombie-Britannique ont mis en place une structure administrative ou législative en en décrivant précisément le fonctionnement et le contenu. A contrario, dans d’autres provinces la notion et le terme de PPP sont bien présents et utilisés sans pour autant qu’ils soient définis clairement et qu’y soit adossés un régime.

551 LICHÈRE F., « Les partenariats public-privé ou la seconde vie de Franck Lloyd Wright », op. cit., supra note 519, p. 5 : « Le rapport américain souligne lui-même que l’expression « PPP » est certes apparue bien avant les

années 1990 mais alors avec d’autres significations (rénovation urbaine ou politiques publiques) que celle qu’on lui attribue généralement aux États-Unis aujourd’hui qui renvoie à la réalisation d’infrastructures ».

552 Principalement ceux responsables des infrastructures.

553 Tel fut par exemple le cas de la construction du Pont de la Confédération, reliant l’Île-du-Prince-Édouard au Nouveau-Brunswick.

554 À ce titre, le Fonds canadien sur l’infrastructure stratégique, représentant une somme de 6,5 milliard de dollars canadiens a été créé en 2002 afin de « soutenir les projets de grande envergure ayant une grande importance à l’échelle fédérale et régionale » et en mettant »l’accent sur des partenariats modulables avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, les administrations municipales ainsi qu’avec le secteur privé » Infrastructure Canada,

Fonds canadien sur l’infrastructure stratégique, en ligne à : http://www.infe.gc.ca/ip-pi/csif-fcis/categories-

fra.html (page consultée le 18 septembre 2016).

555 Voir ; « Dans le cas où cela est opportun, le Fonds encourage l’association entre le secteur public et le secteur

203. Le cas de la Colombie-Britannique. La Colombie-Britannique fut la première province canadienne à proposer un cadre normatif aux contrats de PPP suite aux injonctions de l’OCDE susmentionnées. La définition de ce type de contrat se retrouve surtout dans des textes règlementaires comme les documents corporatifs de la société publique encadrant les PPP dénommée Partnership BC. La notion de PPP à proprement parler se retrouve dans plusieurs lois faisant référence aux PPP sans en définir la nature. Le lien avec la concession est particulièrement intéressant en Colombie-Britannique. La frontière entre cette dernière et le PPP est très poreuse. Selon les domaines, les deux types de contrats peuvent se confondre. En matière de transports et plus spécifiquement d'infrastructures routières, le « public-private

partnership » est assimilé à un contrat de concession556. Le partenaire privé est alors qualifié

de « concessionnaire ».

204. Le cas du Saskatchewan. Suite aux injonctions de l’OCDE aucune loi n’a encore été adoptée à ce jour en matière de PPP au Saskatchewan. Le gouvernement de la province s’approprie ce montage contractuel depuis une petite dizaine d’années. On soulignera l'intérêt de la province pour ce type de contrat avec la création en 2009 du Saskatchewan P3 Secretariat au sein du ministère des Services gouvernementaux.

205. Le cas de l’Alberta. La notion de PPP n’est pas définie par la loi mais par des textes de nature administrative. Le Public Works Act s’applique à tous les contrats de construction d’ouvrages publics, sans les distinguer des PPP mais englobant aussi ces derniers et est le seul cadre législatif actuel. Il ne donne cependant aucune définition de ce qu’est un PPP et laisse le soin de la définition à certains documents administratifs. Pour ce qui est de l’opportunité de procéder à un PPP, l’initiative viendra du Conseil du Trésor de l'Alberta (l’Alternative Capital

Financing Office et l’Advisory Committee on Alternative Capital Financing (« ACACF »).

206. Le cas de l’Ontario. Suite aux injonctions de l’OCDE, aucune définition législative n’a été adoptée à ce jour en Ontario. Le contrat de PPP se conçoit plus comme un montage économique que juridique dont l’objet serait de financer les infrastructures publiques. L’idée est de diversifier le mode de financement en se tournant vers le secteur privé. L’expression

556 Si l’intitulé de la partie 2 du Transportation Investment Act, (S.B.C. 2002 c. 65) réfère aux « Public-Private Partnerships for Highways », en revanche, aucune autre définition n’est donnée à part celle de « Concession Agreement », laquelle est considérée comme un PPP.

utilisée est celle d’« Alternative Financing and Procurement »557. La définition de cette

expression est celle étant la plus proche du PPP. On la retrouve dans les directives tirées du projet « Building a Better Tomorrow ». Il s’agit de documents administratifs encadrant le renouvellement d’infrastructures publiques ainsi que leurs modes de financement alternatif.

207. Le cas du Nouveau-Brunswick. Aucune définition législative n’est donnée aux PPP au Nouveau-Brunswick. Les injonctions internationales de l’OCDE ne se sont donc pas matérialisées sous la forme d’une loi spécifique aux PPP. La Loi sur les achats publics s’applique par ailleurs aux contrats de PPP sans en donner pour autant une définition légale558.

Seul un protocole propre aux PPP a été adopté mais il ne constitue qu’un guide559.

208. Le cas du Manitoba. Aucune définition législative n’est donnée du PPP au Manitoba. On notera que si les PPP y sont régulièrement utilisés dans divers projets d’infrastructures, aucune entité spécialisée dans la mise en oeuvre de ces projets n’a été créée. Les injonctions de l’OCDE, ici aussi, ne se sont pas matérialisées légalement.

209. Le cas du Québec. La notion de partenariat d’affaires public-privé (« PAPP ») a précédée au Québec celle de PPP et se définit comme « une entente contractuelle de longue durée entre

des partenaires publics et privés qui stipule des résultats à atteindre pour améliorer une prestation de service public. Cette entente établit un partage des responsabilités, des investissements, des risques et des bénéfices de manière à procurer des avantages mutuels qui favorisent l’atteinte des résultats recherchés »560. La notion de PPP est définie depuis 2005 par

la Loi sur l’Agence des partenariats public-privé561. Il est possible de constater ici que les

injonctions, à l’échelle internationale, de l’OCDE se sont matérialisées sous la forme législative. Si la notion de PAPP précède celle de PPP, cette dernière reprend la première

557 Infrastructure Ontario, Alternative Financing and Procurement, FAQ’S, (ressource électronique) en ligne à http://www.infrastructureontario.ca/en/projects/afp.asp, page consultée le 19 septembre 2016.

558 L.N.-B. 1974, c. P.-23.1.

559 Gouvernement du Nouveau Brunswick, Partenariat entre le secteur public et le secteur privé, en ligne à http://www.gnb.ca/0158/reports/protocol/protocolf.htm, page consultée le 19 septembre 2016.

560 Secrétariat du Trésor, Le dossier d’affaires : guide d’élaboration, septembre 2002, en ligne à http://www.ppp.gouv.qc.ca/admin/Fichiers/Doc_guide-dossier-affaire(2).pdf, p.1, page consultée le 19 septembre 2016.

561 R.L.R.Q chapitre A-7.002; cette loi définissait le PPP ainsi : « Un contrat de partenariat public-privé est un contrat à long terme par lequel un organisme public associe une entreprise du secteur privé, avec ou sans financement de la part de celle-ci, à la conception, à la réalisation et à l’exploitation d’un ouvrage public. Un tel contrat peut avoir pour objet la prestation d’un service public. Le contrat stipule les résultats à atteindre et établit un partage des responsabilités, des investissements, des risques et des bénéfices dans un objectif d’amélioration de la qualité des services offerts aux citoyens. », id., art. 6.

quasiment à l’identique. En revanche, depuis 2009 la réalisation de grands projets ne passe plus par l’Agence des PPP mais par un nouvel organisme, Infrastructure Québec, chargé d’encadrer tout type de projet d’infrastructure. On remarquera la diversité des modes de réalisation prévus par la Loi sur Infrastructure Québec où la notion de PPP est notamment distinguée de celle du mode « clé en main »562. Une autre définition législative de la notion de PPP avait été donnée dans le domaine spécifique du transport dans laquelle on retrouve encore l’idée que le PPP doit avoir une certaine durée et doit prévoir un partage des risques563. Enfin, le parallèle entre la

notion de PPP et le Code civil du Québec est intéressant. Ce dernier s’applique aux contrats publics sous réserve d’un autre régime spécifique prévu. En l’occurrence, le PPP pourrait tout à fait être qualifié de contrat d’entreprise ou de service dans le cadre du Code civil du Québec564.

Dans un contrat d’entreprise, par exemple, la relation entrepreneur/client est primordiale, avec la possibilité pour le prestataire de jouir d’une grande liberté565. Notons que cette définition du

PPP recouvre un champ d’action important. Il pourrait par exemple s’appliquer au domaine de la santé et de l’éducation mentionné à l’article 11 de l’ALENA. Ce constat a notamment fait dire à un auteur que « les PPP dans le secteur de l’éducation et de la santé ou dans les services

publics en général viendront faciliter la soumission aux règles de l’ALENA »566.

210. Le cas de la Nouvelle-Écosse, de l’Ile-du-Prince-Edouard, de Terre-Neuve-Et- Labrador, du Nunavut, des Territoires-du-Nord-Ouest et du Yukon. Pour les autres

562 Voir à ce propos R.L.R.Q., chapitre I-8,2 « Le PPP est notamment distinguée de celle du mode « clé en main »

: « Les modes de réalisation comprennent, entre autres, le mode traditionnel, le mode en gérance, le mode « clé en main » et le mode partenariat public-privé. Pour l’application de la présente loi, le mode « clé en main » consiste à confier à une entreprise ou à un groupement d’entreprises la préparation de l’ensemble des plans et devis et la réalisation de l’infrastructure publique alors que le mode partenariat public-privé implique qu’un organisme public associe une entreprise du secteur privé, avec ou sans financement de la part de celle-ci, à la conception, à la réalisation et à l’exploitation d’une infrastructure publique ».

563 Loi concernant les partenariats en matière d’infrastructures de transport, R.L.R.Q., chapitre P-9.0001, art. 1. « une entente partenariat à long terme entre le gouvernement et une entreprise privée pour réaliser la

construction, la réfection ou l’exploitation d’une infrastructure de transport. Une telle entente doit comporter un partage de risques entre le gouvernement et le secteur privé ».

564 La pratique contractuelle assimile aussi l’entente de PPP à un contrat d’entreprise ou de service, voir la clause 1.3 de l’entente de partenariat pour la Construction du parachèvement de l’autoroute 30, disponible en ligne à : http://www.autoroute30.qc.ca/documents/6/Entente_de_partenariat_31oct08.pdf, page consultée le 19 septembre 2016.

565 Possibilité pour le prestataire de choisir le mode d’exécution, de s’adjoindre un tiers dans l’exécution du contrat et n’est pas subordonné au client. À ce titre, la position du Professeur DESLAURIERS ne nous paraît pas tenable, à l’effet que lorsque des parties au contrat « assument mutuellement les obligations d’un contrat et en partagent les dépenses et les profits », cela fait échec à la qualification de contrat de société, DESLAURIERS J., Vente,

louage, contrat d’entreprise ou de service, Montréal, Wilson et Lafleur, 2005, p. 585.

566 AMARA K., « Les partenariats public-privé québécois : tout reste encore à faire ! », Contrats publics ;

Mélanges en l’honneur du Professeur Michel Guibal, Presses universitaires de la faculté de droit de Montpellier,

provinces et territoires du Canada, les injonctions de l’OCDE n’ont pas été « légalement » insérées en droit interne, car aucune loi n’encadre à ce jour les PPP.

211. Le cas de la législation fédérale. À l’échelle fédérale, aucune loi ne régit les PPP bien qu’ait été lancé Fonds PPP Canada, révélant donc un intérêt certain pour ce type de montage contractuel.

212. L’absence de reconnaissance de la notion de PPP suite aux recommandations de l’OCDE. Seule la province du Québec donne une définition législative de la notion de PPP. Pour les autres, la notion de PPP semble être définie dans certains documents administratifs ou n’est pas définie du tout. Cette inégalité de reconnaissance de la notion de PPP traduit un double malaise. Le premier est la difficulté, pour le Canada, d’intégrer en son sein et de rendre contraignantes des recommandations internationales. Le « problème » reste que ces dernières n’ont pas vocation à l’être en ce qu’elles sont incitatives. Le système juridique canadien gagnerait à se laisser pénétrer par de telles recommandations afin de les rendre, dans un second temps, opposables. Le second malaise tient à l’homogénéité de la notion. Si le Canada ne nie pas l’importance et l’influence des recommandations internationales, ses provinces ne se sentiraient pas spontanément liées par elles. Ce constat traduit une définition de la notion de PPP encore trop « éparpillée », voire « déstructurée », entre l’État fédéral et les provinces bien que des traits communs se dégagent, laissant entrevoir une harmonisation progressive. Si cette dernière ne passe pas par la loi, l’avenir de la définition de la notion de PPP se trouve, peut- être, dans les documents administratifs.

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