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L’origine publique du contrat sans incidence sur sa nature internationale

A. Les spécificités du caractère public du contrat international écartées

2. L’origine publique du contrat sans incidence sur sa nature internationale

91. Si les contrats du Gouvernement (a) ainsi que les contrats municipaux (b) peuvent faire état d’un élément d’extranéité, leur caractère « public » n’aura que peu d’influence.

a) L’internationalisation de la nature des contrats du Gouvernement

92. L’internationalisation de la notion de contrat du Gouvernement s’observe tant au niveau fédéral (⍺) que provincial (ß).

⍺) L’internationalisation de la nature des contrats du Gouvernement fédéral

93. L’immunité historique de la Couronne - The King can do no wrong. La notion de contrat du Gouvernement, ou « contrat de la Couronne », doit être présentée avec prudence tant elle a évolué au cours du dernier siècle. Il s’agit des contrats que le Gouvernement fédéral du Canada conclut avec des personnes privées ou publiques en matière de travaux, de biens et de fournitures. Le Règlement sur les marchés de l’État287 donne une définition précise de ces trois

types de marchés publics288. Si le caractère public de ce contrat ne semble pas véritablement

poser de problème au regard de l’entité fédérale qui en est manifestement à l’initiative, sans que d’ailleurs cela n’ait d’influence sur sa nature internationale, sa conceptualisation n’a pas toujours été évidente d’un point de vue théorique au regard, notamment, du statut de dominion du Canada et de son rapport complexe à la représentation du pouvoir monarchique sur son territoire289. C’est ainsi que les contrats du Gouvernement ont pendant longtemps fait état d’un

déséquilibre des intérêts en faveur de l’État - souvent loin de se justifier par l’intérêt général - et au détriment des cocontractants canadiens ou - après l’indépendance du Canada en 1931 -

287 Règlement sur les marchés de l’Etat, DORS/87-402 – Government contracts regulations, SOR/87-402. 288 Marché de fournitures Marché qui porte sur l’achat d’articles, de produits, d’outillage, de marchandises, de matériaux ou d’approvisionnements. La présente définition comprend : a) tout marché qui porte sur l’impression ou la reproduction d’imprimés; b) tout marché qui porte sur la construction ou la réparation de navires. (goods contract) marché de services. Tout marché de services sauf celui en vertu duquel une personne est engagée à titre d’agent, de commis ou d’employé de Sa Majesté. (service contract) marché de travaux publics . Marché qui porte sur la construction, la réparation, la rénovation ou la restauration d’un ouvrage, à l’exception d’un navire. La présente définition comprend : a) les marchés portant sur la fourniture et l’érection d’une structure préfabriquée; b) les marchés de dragage; c) les marchés de démolition; d) les marchés portant sur la location de l’outillage destiné directement ou indirectement à l’exécution d’un marché visé par la présente définition. (construction contract). 289 WADDAMS S.M., The Law of Contracts, 6th ed., Canada law book, 2010, p. 479. L’auteur revient sur la théorisation du principe d’immunité de la Couronne à travers un chapitre intitulé « Government contracts ». Un tel chapitre sur le droit des contrats publics dans un ouvrage de contract law canadien est assez rare pour être mentionné.

des cocontractans anglais, donc internationaux290. Aujourd’hui, le Gouvernement a le pouvoir

de contracter sans passer par une autorité statutaire canadienne spécifique ; le contrat est conclu au nom du Gouvernement. Historiquement, en common law, la « Couronne » était à l'abri des recours contentieux - à moins qu’elle en décide autrement - et que par son propre consentement, en réponse à une « requête de droit », elle se présente au juge, ce qui était rare et qui a pour conséquence de limiter les exemples jurisprudentiels impliquant le Gouvernement et une entreprise étrangère au début du XXème siècle291. Désormais, les juridictions canadiennes

n’imposent plus la nécessité d'une « demande de droit » au Gouvernement et, en cas de violation du contrat, le consentement sera accordé de toute évidence292.

94. L’organisation centralisée de l’achat public sans préjudice en matière de commande publique internationale. Au niveau fédéral, il y a eu une centralisation importante des achats dès 1963, motivée par les recommandations de la Commission GLASSCO293. Elle a

principalement été motivée par la perspective d'économies d'échelle et des coûts réduits de transaction des achats. Il a également été reconnu que la centralisation de l'achat public pouvait faciliter la promotion des politiques industrielles et sociales par l'approvisionnement ainsi que

290 Sur la question du déséquilibre du contrat en faveur de la couronne non justifié à des fins d’intérêt général voire A.-G. v. LINDEGREN (1819), 6 Price 287, 146 E.R. 811, « the government should not be excused because of

« too great liberality » in contracting ». Dans l’affaire Thomas v. The Queen (1874), L.R. 10 Q.B. 31, at p. 33,

BLACKBURN J. déclara que : « Contracts can be made on behalf of Her Majesty with subjects, and the Attorney

General, suing on her behalf, can enforce those contracts against the subject; and if the subject has no means of enforcing the contract on his part, there is certainly a want of reciprocity in such cases ». Sur le même thème

voire aussi Dominion Building Corp. v. The King, [1933] 3 D.L.R. 577 (P.C.)., et Proceedings Against the Crown

Act (Ont.), s. 14(1), et pour une application dans d’autres provinces et territoires voire ; Injunctions and Specific Performance, looseleaf ed. (Toronto, Canada Law Book, 1992), 3.1030-3. 1210. D’ailleurs, dans de nombreuses

affaires contre la Couronne, l’argument de l’immunité n’a même pas été soulevé tant il elle était évidente :

Hartman v. The Queen in right of Ontario (1973), 42 D.L.R. (3d) 488 (Ont. C.A.) (Crown supplying defective

goods); Eaton v. The Queen (1972), 31 D.L.R. (3d) 723 (F.C.T.D.), aff. 42 D.L.R. (3d) 319n (C.A.). Dans l’affaire

Pawlett v. A.-G. (1667), Hardres 465, at p. 469, 145 E.R. 550, il était rapellé que « the party ought in this case to be released against the King, because the King is the fountain and head of justice and equity; and it shall not be presumed that he will be defective in either. And it would derogate from the King’s honour to imagine, that what is equity against a common person, should not be equity against him ». Dans l’affaire Banker (1695), Skin. 601,

at p. 603, 90 E.R. 270, Lord Holt soulignait qu’une limitation des pouvoirs du roi de contracter est « absurd,

because by this he would have less power than any of his subjects, or than he himself had, when he was a subject ».

Voire Agricultural Research Institute of Ontario v. Campbell-High (2002), 58 O.R. (3d) 321 (C.A.) (Crown owes duty of good faith to perform its contracts).

291 Voire Bowen L.J. in Re Nathan (1884), 12, Q.B.D. 461 (C.A.) at p.479. Dans l’affaire Windsor and Annapolis

RY. Co. v. The Queen (1886), 11 App. Cas. 607 (P.C.), at p. 613, Lord Watson affirmait que : « It must now be regarded as settled law that, whenever a valid contract has been made between the Crown and a subject, a petition of right will lie for damages resulting from a breach of that contract by the Crown ».

292 Voire By S. 3 of the Proceedings Against the Crown Act (Ont.), une réclamation exécutoire en common law par voie de requête de droit peut être exécutée de plein droit sans l'octroi d'un mandat par le lieutenant-gouverneur. Des dispositions similaires sont recevables dans Alta., s. 4; Man., s.3; N.B., s. 3; N.S., s. 4; Nfld, & Lab., 4(1); Sask., s.4; Crown Proceeding Act, B.C., s. 2; P.E.I., s. 3. By s. 17(2) of The federal Court Act (Can.).

293 Canada, Royal Commission on Government Organization (Chairman J.G. Glassco), Report (1962-63), Vol. 2, at 97-98.

le traitement équitable des entrepreneurs294. Aujourd’hui, l'organisation des achats au sein de

l'administration fédérale est déterminée par une combinaison de dispositions législatives et de directives émises par le Conseil du Trésor295. Il conviendra de noter que l’organisation des

achats gouvernementaux, bien que centralisée, prend très largement en compte la « commande publique internationale ». L’article 1.30.5.b.iv « Politiques des marchés du Conseil du Trésor » de la directive du Conseil du Trésor intitulée Guide des approvisionnements, précise que les « marchés publics » doivent être « conformes aux obligations du gouvernement en vertu de

l’ALENA, de l’AMP-OMC, l’ALEC, l’ALECG et l’ACI » qui sont les principaux textes

encadrant la commande publique internationale du Canada avec les autres États membres de ces mêmes accords. La centralisation la plus importante concerne le secteur des biens, qui se fait presque entièrement par l’entremise du ministère des approvisionnements et services (D.S.S.). Ce département a été mis en place en 1969, par une fusion de plusieurs organismes impliqués dans l'approvisionnement296, afin de fonctionner comme une « agence de service

commun », c'est-à-dire en fournissant des services auxiliaires à d'autres organismes de gouvernement297. En vertu de la Loi sur le Ministère de l'Approvisionnement et des Services298

abrogée et remplacée par la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services

gouvernementaux299, le ministre est seul responsable de l'acquisition et de la fourniture de

matériel aux autres ministères. Une telle structure de l’achat public fédéral lui donne les moyens d’une « commande internationale » en se procurant les services d’une entreprise étrangère. Le caractère public d’un tel contrat ne portera aucunement préjudice à l’internationalisation de la commande publique, quand bien même elle serait gérée par le ministère des approvisionnements et services.

ß) L’internationalisation de la nature des contrats du Gouvernement provincial

95. La place des contrats internationaux à caractère public dans les provinces. Au regard de la taille relativement restreinte du marché intérieur, se tourner vers l’étranger est très vite apparue comme une nécessité pour les provinces canadiennes. Cependant, si le Gouvernement

294 ARROWSMITH S., Government Procurement and Judicial Review, Carswell, 1988, chapitre 5 « The Process of Procurement », p.134.

295 Voire Canada, Trasury Board, Administration Policy Manual, ch. 303 (« Common Services ») (Sept. 1982), as amended.

296 Incluant le Département de défense de la production (« Department of Defense Production ») considéré comme l’agence fédéral d’achat public principale immédiatement après le rapport Glassco.

297 Department of Supply and Services Act, R.S.C. 1970, c. S-18, s.5.

298 Loi sur le Ministère des approvisionnements et services, Abrogée, 1994, c. 18, a. 42.

canadien a pris conscience, depuis de nombreuses années, de l’importance que revêt le commerce international - notamment en matière de contrats publics - en passant plusieurs accords internationaux300, les provinces sont relativement restées en marge de ce phénomène,

en matière de contrat à caractère public du moins. En matière de signature d’accords internationaux, il convient de distinguer la compétence fédérale de la compétence provinciale. Si le Gouvernement canadien peut conclure des traités internationaux sans justification particulière, il en va autrement pour les provinces qui voient leur compétence limitée. Cela ne sera pas sans avoir une incidence en matière de contrat public. Il conviendra de revenir sur la question du partage de compétence entre le fédéral et le provincial dans le deuxième titre de cette thèse. Il est tout de même nécessaire de préciser dès lors que des mécanismes de reconnaissance et d’intégration des accords commerciaux internationaux par les provinces existent et sont particulièrement élaborés. En revanche, ils concernent essentiellement le commerce international dans son acceptation la plus large (bénéficiant surtout aux entreprises) et peu de dispositions sont prévues dans ces accords en matière de commande publique internationale pour les provinces301. À titre d’exemple, le chapitre X de l’ALENA relatif aux

marchés publics concerne uniquement les contrats publics fédéraux. En effet, « aucune entité

provinciale ou municipale ne figure dans la liste, et les marchés adjugés par les entités publiques provinciales ou municipales ne sont donc pas assujettis au chapitre X »302. Précisons

que cela n’empêche pas les provinces de lancer des appels d’offres internationaux, en revanche rien ne les y oblige.

b) L’internationalisation de la nature des contrats municipaux

96. Une commande publique municipale indépendante. En plus des contrats fédéraux et provinciaux, certains contrats des organismes publics sont passés à l’échelon municipal. Le

300 Premier accord commercial moderne avec les États-Unis en 1935; premier accord commercial multilatéral d'envergure, l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), qui est entré en vigueur en 1948; huit cycles subséquents de négociations entamées dans le cadre du GATT pour favoriser la libéralisation du commerce; l'une de ces séries de négociations, le Cycle d'Uruguay, a mené à l'établissement de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995; de l'Accord de libre-échange (ALE) entre le Canada et les États-Unis, qui a pris effet en 1989; de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) avec les États-Unis et le Mexique, qui est entré en vigueur en 1994 (l’ALENA a remplacé l'ALE Canada-États-Unis); d’ALE bilatéraux avec Israël (1997), le Chili (1997), le Costa Rica (2002), le Pérou (2009), l’Association européenne de libre-échange (2009), la Colombie (2011), la Jordanie (2012), le Panama (2013), le Honduras (2014), la Corée (2015) et l’Ukraine (2017) ; l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne (2017). 301 Les annexes des différents accords font généralement figurer leurs exceptions.

302 Accords de commerce international et administration locale : un guide pour les municipalités canadiennes ; Annexe A, Négociations et accords de libre-échange du Canada.

caractère public du contrat est sans incidence sur son éventuelle nature internationale. Les règles de droit public lui sont uniquement applicables durant la phase de formation et de passation. Une fois le contrat conclu, son exécution sera soumise à la common law - ou au Code civil dans le cas du Québec - en jouissant tout de même d’une présomption de validité comme les règlements municipaux303.

97. L’objet du contrat municipal. Une municipalité peut « contracter, transiger, obliger les

autres envers elle dans les limites de ses attributions »304. Le contrat, même international, doit

donc être passé avec une municipalité305 dont la compétence se limite à son territoire306. Elle

ne peut pas élargir sa compétence ni limiter l’exercice des pouvoirs que lui confère la loi307.

98. Le cas des municipalités québécoises. Les organismes intégrés dans le domaine municipal au Québec sont relativement nombreux308. Les rôles spécifiques des municipalités seront

encadrés par plusieurs lois les ciblant directement309. Les entreprises québécoises, canadiennes

ou internationales participeront ainsi à - entre autres - la construction et l’entretien des routes, l’installation de transports en commun et autres infrastructures. En 2015, 5.6 milliards $CAN de contrats (de plus de 25 000 $) ont été passés par des municipalités québécoises310 comprenant

un nombre croissant d’entreprises étrangères311 visiblement peu soucieuses du caractère public

d'un tel contrat municipal qui ne renferme, a priori, que peu de spécificités.

99. Municipalités et accords internationaux relatifs aux contrats à caractère public. Comme pour les provinces, les municipalités sont en principe exclues des dispositions relatives

303 Dubuc c. Ville de Chicoutimi, (1910) 37 C.S. 281, 285. 304 Art. 28 (1) 3° L.C.V.; art. 6 (4) C.M.

305 Produits Shell Canada c. Ville de Vancouver, [1993] 1 R.C.S. 231, 275, 277-278. 306 Marcoux c. Ville de Plessisville, [1973] R.P. 385 (C.A.).

307 Cité de Charlesbourg c. Roy, [1975] C.A. 74, 76.

308On dénombre 1110 municipalités locales, 86 municipalités régionales de comté, deux communautés régionales, deux administrations régionales, plusieurs dizaines de régies intermunicipales et de nombreuses sociétés de transport ; voir « L’organisation municipale au Québec », Ministère des affaires étrangères, 2016, ISBN : 978-2- 550-74913-4/.

309 Les contrats des villes québécoises sont régis par la Loi sur les contrats des organismes publics R.L.R.Q., C- 65.1, autres dispositions sur les cités et les villes sont régies par la Loi sur les cités et villes, R.L.R.Q., c. C-19, et parfois par des chartes particulières comme par exemple les villes de Montréal et Québec ; les villages, paroisses et municipalités sans désignation sont régis par le Code municipal du Québec, R.L.R.Q., c. C-27.1, de même que les municipalités régionales de comté, quoique le principal mandat de ces dernières se retrouve dans la Loi sur

l’aménagement et l’urbanisme, R.L.R.Q., c. A-19-1. Voir aussi la Loi sur la Communauté métropolitaine de Montréal, R.L.R.Q., c. C-37.01, Loi sur les villages nordiques de l’Administration régionale Kativikn R.L.R.Q.,

c. V-6.1, Loi sur les sociétés de transport en commun, R.L.R.Q., c. S-30.01.

310 Voire pour ces chiffres BOULANGER S., JOANIS M., « Analyse économique des marchés publics dans l’industrie de la construction au Québec », CIRANO, Montréal, 2015, p.10.

aux contrats publics dans les accords internationaux. A ce titre, l’Accord Economique et

Commercial Global entre le Canada et l’Union Européenne fait figure d’exception. En effet,

comme le souligne le guide relatif aux Accords de commerce international et Administration

locale, « bien que le Canada soit signataire de plusieurs accords commerciaux internationaux comprenant des engagements précis en ce qui a trait aux marchés publics, le seul qui énonce des engagements internationaux à l’échelle municipale est l’AECG Canada-UE »312. S’il est

encore trop tôt pour proposer des analyses viables concernant l’AECG au regard de sa récente signature, il conviendra d’étudier dans un prochain chapitre les différents mécanismes de mise en concurrence qu’il propose, à l’échelle provinciale et municipale notamment. Enfin, il est intéressant de mentionner la création en 2005 du Guide des municipalités relatif aux accords

internationaux, fruit d’un travail conjoint entre le Gouvernement canadien et de la Fédération

canadienne des municipalités (FCM), dont l’objet est de clarifier le lien entre les accords commerciaux internationaux signés par le Canada et le bénéfice qu’il pourrait en être retiré à l’échelle municipale, aussi bien par les Administrations que par les entreprises. En matière de contrats à caractère public, le guide s’attache surtout à informer les entreprises locales de toutes tailles qui souhaiteraient soumissionner à des appels d’offres internationaux couverts par les différents accords signés par le Canada. Peu d’éléments sont donnés concernant les appels d’offres internationaux que pourraient lancer les municipalités canadiennes puisque, à part dans le cadre de l’AECG – et comme cela a déjà été mentionné, rien ne les y contraint.

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