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Les textes franco-canadiens relatifs à la coopération judiciaire

Section II. L’influence du droit international privé sur la notion de contrat public

B. Les textes franco-canadiens relatifs à la coopération judiciaire

235. Il conviendra d’utiliser la « méthode déductive » afin de qualifier le contrat public par le biais de la Convention entre le Canada et la France relative à la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière « civile et commerciale » (1), ainsi que pour l’entente sur l’entraide judiciaire entre la France et le Québec (2).

1. La Convention entre le Canada et la France relative à la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière « civile et commerciale »

236. L’objectif de la Convention. Cette convention conclue en 1996 entre le France et le Canada se base assez largement sur celle conclue dix ans auparavant entre le Royaume-Uni et le Canada concernant, elle aussi, la reconnaissance et l’exécution des jugements en matière civile et commerciale607. Cette convention vise à faciliter la coopération judiciaire entre la

France et le Canada608. Elle propose une approche différente et complémentaire des

Conventions de Bruxelles609 et de Lugano610. Cette convention entre la France et le Canada

s’applique aux décisions rendues en matière civile et commerciale611 par l’un des deux pays.

606 AUDIT M., « Les marchés publics français comportant un élément d’extranéité », CP-ACCP n°51, janvier 2006. Au moment où cet article est paru le règlement n’était pas encore en vigueur mais il était attendu et son contenu déjà anticipé. Monsieur Audit s’était projeté dans une situation à venir en soumettant les marchés publics au « futur » règlement Rome I. L’enjeu de la réflexion était d’ailleurs plus de passer d’une convention à un règlement et la teneur de ce dernier n’avait que peu d’impact sur la soumission ou non des marchés publics. 607 Voir la Loi sur la Convention Canada-Royame-Uni relative aux jugements en matière civile et commerciale, R.L. R.C. (1985), c. C-30.

608 Même si nous l’écarterons dans la présente étude, il convient de mentionner que cette convention s’applique aussi en matière de pensions alimentaires.

609 Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des

décisions en matière civile et commerciale, J.O.C.E. Législation 31 décembre 1972, n°L.299.

610 Convention de Lugano du 16 septembre 1988 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions

en matière civile et commerciale, J.O.C.E. Législation, 25 novembre 1988, n°L. 319/9 (88/592/CEE).

611 Ibid. ; « … y compris en matière de pension alimentaire, en matière d’état des personnes physiques, en matière

La convention ne s’applique pas à tout type de décision612. L’article 2 dispose qu’elle s’applique

uniquement aux décisions rendues après son entrée en vigueur613.

237. La soumission des contrats publics à cette convention. Si rien n’indique que les contrats publics - par opposition aux contrats privés - sont soumis à ce texte, rien ne l’exclut non plus. Cette constatation s’explique au regard de l’absence de summa divisio en droit canadien614. La

seule indication concerne la soumission de ce texte à la matière « civile et commerciale ». Il semblerait que les contrats publics entrent dans la « matière civile et commerciale » au Canada. Concernant le volet « civil », l’exemple le plus frappant restant celui de la soumission des contrats publics au Code civil du Québec. Concernant le volet « commercial », il semblerait que l'intérêt économique de tels contrats ne soit plus nié depuis longtemps615. Dans les autres

provinces canadiennes, lorsque les contrats auront une finalité « civile » et/ou « commerciale », ils seront indifféremment traités par la common law, qu'ils soient publics ou privés616. C’est

ainsi que la Convention entre la France et le Canada en matière de reconnaissance et d’exécution des décisions des tribunaux étrangers pourrait concerner, indirectement, les contrats publics par l’effet de l’application de la matière « civile et commerciale ». Pour que ce texte soit applicable, certains critères doivent être remplis, indifféremment de la nature privée ou publique du contrat617.

612 Elle exclut de son champ d’application les décisions rendues en matière de fiscalité, de faillite, d’insolvabilité, de liquidation de personnes morales, de capacité juridique des personnes physiques, de tutelle d’enfants impliquant l’intervention d’autorités publiques, d’administration des affaires d’une personne incapable, de succession, etc. (art. 1(2) et (3)).

613 À noter qu’elle a cependant un effet rétroactif concernant les décisions en matière de pension alimentaire, d’état des personnes physiques, de droit de garde et de droit de visite d’un enfant.

614 HOGG W. P., Constitutional Law of Canada, Carswell, 2018, p. 34.

615 LEMIEUX D., « Le rôle du Code civil du Québec en droit administratif », Conférence des juristes de l'État (17e : 2006 : Montréal, Québec). Actes de la XVIIe Conférence des juristes de l'État. Cowansville, Québec : Éditions Yvon Blais, c2006.

616 WADDAMS S.M., The law of contracts, Canada law book Inc., 6th ed., 2010, p. 639.

617 Il convient à ce titre de prendre en compte certains critères énoncés à l’article 4. Concernant par exemple la compétence du tribunal ayant rendu la décision, celle-ci dépend des règles prévues par la Convention ou de celles admises dans le droit de l’État requis. Plusieurs critères de compétences sont prévus par l’article 5. Certains ont un caractère général (Par exemple, serait envisageable un cas ou le défendeur, opérateur économique, personne morale, avait son principal établissement dans son Etat d’origine au moment de l’introduction de l’instance et se voit cité devant les tribunaux de l’Etat dans lequel il possède une succursale, etc..), d’autres sont liés à un type d’action particulier (aar exemple, dans le cas d’une action en responsabilité extracontractuelle, le fait dommageable est survenu dans l’État d’origine.). De plus, la décision ne doit plus pouvoir faire l’objet d’un recours dans l’État où elle a été rendue et doit être exécutoire. Il convient, en outre, que les droits de la partie défaillante aient été respectés. La décision ne doit pas être contraire à l'ordre public de l’État requis. Le texte est muet quant au type d’ordre public concerné au sens du droit interne ou du droit international privé. Les juridictions françaises ou canadiens devront régler la question. Dans un souci de cohérence, il conviendrait que la notion d’ordre public au sens du droit international privé soit retenue. Enfin, la décision doit être unique et le litige ne doit pas être pendant devant les tribunaux de l’État requis premier saisi.

238. L'articulation de la qualification du contrat public « civil et commercial » entre la Convention franco-canadienne et la Convention de Bruxelles et de Lugano. L’article 8 de la Convention envisage le cas où une décision serait rendue dans un États tiers, partie soit à la Convention de Bruxelles soit à celle de Lugano, concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, contre une personne morale (entreprise opérateur économique par exemple) dont le siège social serait au Canada. Cette décision ne sera ni exécutée ni reconnue en France par application des deux Conventions. Par le biais de l’article 8, l’article 9 de la Convention vient préciser la notion de « domicile canadien » pour les personnes morales618, venant par la même occasion alimenter la

qualification du contrat public en matière « civile » et « commerciale ».

2. L’entente sur l’entraide judiciaire entre la France et le Québec

239. L’objectif de la Convention. L’entente sur l’entraide judiciaire entre la France et le Québec signée à Québec le 26 août 1977 permet la reconnaissance et l’exécution réciproque des décisions rendues par les autorités des parties contractantes. Elle vise également la transmission et la remise des actes judiciaires et extrajudiciaires, la transmission et l’exécution des commissions rogatoires, l’aide judiciaire et la caution judicatum solvi619, la délivrance des

expéditions littérales ou des extraits des actes de l’état civil et la protection des mineurs et des créanciers d’aliments.

240. La reconnaissance de la matière administrative. Comme la précédente convention entre la France et le Canada, cette « entente » entre le Québec et la France recouvre les matières « civiles et commerciales ». En revanche, sa particularité est qu’elle inclut aussi dans son champ d’application la matière administrative. À ce propos, le titre 1er de l’Entente précise que les ministres de la justice français et québécois recevront les demandes d’entraide judiciaire notamment en matière administrative. Ces mêmes « autorités centrales »620 sont chargées

d’acheminer les demandes de signification et de notification d’actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile, commerciale et administrative. En matière administrative encore, les autorités judiciaires françaises et québécoises, conformément aux dispositions de

618 Article 9 : Pour application de l’article 8 : « b) Une société ou une association n’est considérée comme ayant

son domicile au Canada que si elle est constituée ou formée en vertu du droit au Canada et y a un siège social, ou si le siège de sa direction et de son contrôle se trouve au Canada ».

619 Cf. Beaudry c. Pattella-Acda, 2008 QCCS 133, J.E. 2008-522 (C.S.).

leur législation, peuvent se donner commission rogatoire aux fins de faire procéder aux actes d’instruction et aux actes judiciaires qu’elles estiment nécessaires, à l'exclusion des actes d'exécution ou des mesures conservatoires.

241. Les contrats publics québécois entrant « aussi » dans la matière administrative. Si les contrats publics peuvent être qualifiés de contrats « civils et commerciaux » au Québec, rien n’empêche qu’ils entrent « aussi », selon les cas621, dans la catégorie « administrative ».

242. La reconnaissance de la nature administrative d’un contrat public français au Québec. Cette entente reconnait les décisions judiciaires françaises au Québec et québécoises en France. L’entraide judiciaire civile, commerciale et administrative inclut - a priori - les décisions des tribunaux administratifs québécois et français. Le contentieux des contrats administratifs français étant l’affaire des juridictions administratives françaises, les décisions rendues par elles entrent alors naturellement dans le champ d’application de cette entente au regard de la matière « administrative » prévue par elle. La conséquence de ce constat est double. Le texte de l’entente entre le Québec et la France reconnaît, par ricochet, la nature des contrats publics français comme étant administrative et les juridictions québécoises reconnaissent aussi, par le biais de ce texte, la nature administrative des contrats faisant l’objet de décisions rendues par les tribunaux administratifs français. Si la méthode de qualification du contrat public est ici déductive, elle n’en demeure pas moins efficiente.

§II. La requalification du contrat « civil et commercial » par le juge

243. La question de la qualification du contrat public se pose différemment au Canada et en France. Le juge européen du commerce international aura le privilège de se détacher des obligations de rattachement à l’ordre juridique administratif français. Cette émancipation lui donnera une certaine liberté et lui permettra de regarder le contrat, non pas comme public ou privé, mais uniquement comme « contrat », au sens de la « rencontre des consentements » dans sa conception la plus épurée. Il pourra alors, selon les cas, qualifier un contrat « public » de « civil et commercial » (A). Le juge canadien du commerce international n’aura pas à

621 Dans la Loi sur les contrats des organismes publics, plusieurs articles mentionnent explicitement la Loi sur la justice administrative ; art. 21.37, ou la Loi sur l’Administration publique ; art. 52, 53, 54, soulignant ainsi leurs caractéristiques administratives.

s’émanciper d’un quelconque ordre juridique le contraignant dans la qualification du contrat public. En revanche, il serait plus juste pour lui de suggérer qu’un contrat puisse être qualifié de « public » afin de rapatrier un certain nombre de contentieux dans ses juridictions. Cette suggestion, si elle est effective, aura une influence sur la nature du contrat public (B).

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