Chapitre 4 : Quels modèles de référence : la psychanalyse de groupe et l’enveloppe culturelle du
I. La psychanalyse de groupe
Chapitre 4 : Quels modèles de référence : la psychanalyse de groupe et
l’enveloppe culturelle du moi
Dans le dernier chapitre de cette partie, nous allons aborder deux approches qui vont nous permettre de mieux appréhender notre problématique. Tout d’abord, nous allons parler de la notion de lien en évoquant les théories de la psychanalyse de groupe. Cette approche est essentielle afin de bien comprendre les enjeux de l’identification et, donc, de l’identité dans le cadre de l’expatriation. Enfin, nous parlerons du modèle développé par Guy Lavallée de l’enveloppe visuelle du moi. Nous montrerons comment ce modèle permet de mieux comprendre le lien entre les perceptions et la construction identitaire.
I.� La psychanalyse de groupe
Nous allons aborder ici la question du lien. Pour ce faire, nous allons évoquer, dans un premier temps, les contours épistémologiques développés par les psychanalystes de groupe pour ensuite parler des différents groupes d’appartenance c’est‐à‐dire la famille, le couple et la culture. Ce développement nous semble nécessaire dans la mesure où, pour analyser l’identité dans le déplacement, nous ne pouvons pas nous référer à la seule approche individuelle. Nous devons également explorer la place de l’identité au sein des différents groupes.
I.1 L’appareil psychique groupal
Pour comprendre la position de René Kaës sur le groupe, nous nous référerons à son modèle de l’appareil psychique groupal. Dans ce modèle, il distingue et articule trois espaces psychiques122.
�� L’espace intrapsychique et subjectif est celui du sujet singulier. René Kaës considère que celui‐ci est à la fois sujet de l’inconscient et sujet du groupe. Le groupe met ainsi au travail, chez l’individu les rapports qu’il entretient avec ses propres objets inconscients. C’est ce que René Kaës nomme les « groupes internes », étant le résultat de l’intégration des différents objets. Dès lors, ces « groupes internes » définissent une modalité de lien au sein d’un groupe.
�� L’espace interpsychique et intersubjectif est celui du lien qui se construit à partir des relations que le sujet noue avec les individus. René Kaës définit le lien entre deux sujets
comme « un espace psychique construit à partir de la matière psychique engagée dans leurs relations, notamment à travers les alliances inconscientes qui les organisent »123.
�� L’espace transpsychique et transubjectif est celui du groupe, c’est‐à‐dire celui de l’ensemble vu comme une entité spécifique. Ici l’auteur reprend les travaux de Bion (mentalité de groupe) et de Foulkes (matrice groupale) sur les groupes.
A travers ce modèle, René Kaës tente de rendre intelligible l’idée selon laquelle un individu fait partie d’un tout composé d’éléments communs et en même temps, il est un sujet singulier. Mais alors, en quoi ce modèle peut‐il nous aider à comprendre ce qui se passe quand un individu se déplace ? D’après cette conception, nous pouvons considérer que le lien se reconfigurera selon cette double modalité, interne et externe. Pour le dire autrement, le travail identitaire du sujet repose à la fois sur des éléments intra‐psychiques et sur le travail du groupe et du lien. Dans cette perspective, il faudra analyser, dans le discours de l’individu, les caractéristiques des liens qu’il entretient avec les autres. Car, la difficulté du travail identitaire peut également se trouver dans les assignations des groupes dans lesquels l’individu est intégré. Ces liens peuvent être pathologiques. Par exemple, nous pouvons penser qu’une famille, où les liens sont pathologiques refuse tout changement ou permutation de la place du sujet en le rejetant suite à la volonté de ce dernier de changer. Dans cette perspective, René Kaës a introduit la notion d’alliances inconscientes124 pour analyser la façon dont le matériel inconscient du sujet venait produire du lien en rapport avec les éléments inconscients présents chez l’autre. I.2. Les Alliances inconscientes René Kaës introduit ce terme pour rendre compte de la façon dont les sujets nouent des liens. Ces derniers sont fondés sur des aspects conscients mais également inconscients. Il définit les alliances inconscientes comme le processus par lequel « les alliances internes et les alliances dans le lien se nouent de telle sorte que certains de leurs contenus et certains de leurs objets, certains de leurs buts et certains de leurs enjeux deviennent et demeurent inconscients aux sujets liés dans cette alliance »125. Ce concept permet ainsi de rendre compte d’une nouvelle métapsychologie de l’intersubjectivité dans laquelle les alliances internes et les alliances du lien ne peuvent être traitées séparément, devant être appréhendées dans leurs ensembles et leurs articulations. ����������������� ������������������������������������������������������������� ���������������
Pour René Kaës, les alliances se situent au cœur de tout lien, ce qui signifie également qu’elles sont nécessaires. C’est dans cet ordre d’idée qu’il distingue l’alliance structurante, défensive et parfois aliénante et pathogène. C’est donc l’analyse des mécanismes de groupe qui va nous permettre de rendre compte s’il s’agit d’une alliance structurante pour le sujet ou si, au contraire, elle est toxique et aliénante.
Dans cette perspective, René Kaës décrit 4 différents types d’alliance126 :
�� Les alliances structurantes primaires sont celles qui fondent la vie psychique. Elles permettent à l’individu d’advenir en tant que sujet. Il s’agit ici, par exemple, de l’alliance qui se noue entre la mère et le bébé, qui va permettre à ce dernier son développement psychique. Dans cette optique, René Kaës reprend la notion de contrat narcissique développée par P. Castoriadis‐Aulagnier (1975)127. Ce terme désigne un « espace dans lequel le je peut advenir », où le bébé devient à la fois le maillon d’une chaîne (contrat) ainsi qu’un individu à part entière (narcissique).
�� Les alliances structurantes secondaires sont dans le prolongement des alliances structurantes primaires. Il s’agit par exemple des alliances scellées avec les frères et sœurs dans une famille. Ces alliances permettent l’intégration des interdits fondamentaux et de la différence des sexes et des générations. �� Les alliances défensives et métadéfensive sont fondées sur le refoulement, le déni, le rejet ou le clivage. Il s’agit d’alliances défensives et de leurs dérives pathogènes laissant entrevoir les différentes modalités de ce que René Kaës appelle le négatif. Il décrit ainsi le pacte dénégatif comme l’un des éléments fondateurs de ces alliances.
�� Enfin, les alliances offensives sont présentes dans les gangs, ou encore les sectes. Ce type d’alliances se fonde en vue d’une attaque soit pour détruire soit pour exercer une emprise.
Dans le cadre de notre recherche, nous nous demanderons si l’expatriation produit un réaménagement de ces alliances. Dans cette perspective, nous présentons les différents groupes qui structurent les liens et qui sont susceptibles d’être touchés par les effets de l’expatriation. Il s’agit donc de la famille, du couple et de la culture. ��������������� ����������������������������������������������������������������������������������������������������������������
I.3. Les groupes
Dans cette recherche, notre objectif n’est pas de proposer une analyse exhaustive de ces différents groupes, mais plutôt de faire une synthèse qui permettra de comprendre les spécificités de ces groupes dans la perspective de notre problématique. Nous aborderons ainsi le lien entre ces groupes et leurs enjeux identitaires. I.3.1. La famille La famille constitue une alliance originaire de filiation128. C’est‐à‐dire qu’elle fonde (originaire) tout en inscrivant le sujet dans une continuité filiative (filiation). Cette particularité du groupe familial a, bien évidemment, des incidences importantes sur la construction identitaire. Tout d’abord, il s’agit du lieu de l’inscription du narcissisme primaire. Dans ce sens, la famille est le groupe dans lequel et par lequel le sujet construit les fondements mêmes de son identité. Nous pouvons donc penser que l’éloignement que représente l’expatriation avec ce groupe remettra en cause les rapports de l’individu à son propre narcissisme.
La famille constitue également le premier groupe qui garantit la construction et l’étayage des enveloppes psychiques du sujet. La séparation avec ce groupe risque donc de déstabiliser de façon plus ou moins transitoire les fondements de ces enveloppes.
Enfin, comme nous venons de l’évoquer, la famille est le premier groupe dans lequel le sujet construit et expérimente le lien. Dans cette perspective, les alliances familiales vont être déterminantes dans le développement des liens ultérieurs.
Dans le cadre de notre recherche, la question qui se pose est celle de savoir si l’expatriation va se faire uniquement dans une continuité du lien ou si cette expérience d’expatriation va permettre le réaménagement de ce lien. Pour le dire autrement, le départ du sujet de son groupe familial va‐t‐il permettre à ce dernier un réaménagement de sa place ? Nous pensons, par exemple, aux jeunes expatriés qui, à travers cette expérience, tentent d’accéder à un statut « d’adulte » au sein de leur propre famille.
I.3.2. Couple Le couple constitue également un élément essentiel de la construction identitaire. En effet, le choix d’objet est motivé par une multitude de désirs inconscients. Il nous semble important de rappeler les travaux de Freud sur cette question129. Pour lui, le choix du partenaire se fait selon deux tendances : par étayage et par narcissisme. Le choix d’objet par étayage implique que le sujet choisit l’objet sur lequel il va pouvoir s’appuyer. En ce qui concerne le choix d’objet narcissique, il s’agit d’un investissement directement lié à la relation du sujet à lui‐même. En quelque sorte, le couple est un miroir narcissique qui nous renvoie une image plus ou moins en accord avec notre propre narcissisme. Freud distingue différents types de choix narcissiques : « a) ce qu’on est soi‐même, b) ce qu’on a été, c) ce que l’on voudrait être, d) la personne qui a été une partie de la personne propre ». Il rajoute plus tard « la qualité qu’on voudrait avoir ».
Dans un article sur l’identité et le couple, Philippe Robert130 montre comment la dimension identitaire est au cœur du lien du couple. Dans cette perspective, l’analyse de ce groupe sera un révélateur des crises et des vacillements narcissiques que traverse le sujet. I.3.3. La culture Nous avons déjà indiqué au chapitre 3, que la culture était un élément essentiel dans la construction et la structure d’un groupe. Les travaux de la psychanalyse de groupe nous éclairent sur la nature et la fonction de la culture dans les groupes. Cet éclairage concerne, à notre sens, deux points essentiels.
Concernant notre premier point, nous reprenons les travaux de Jean‐Claude Rouchy sur les incorporats culturels131. Par cette notion que nous avons déjà présentée, cet auteur vient signifier la nature psychosomatique de la culture qui constitue un « fond commun »132 permettant le processus d’individuation ultérieur. Dans cette optique, la culture représente le fond identitaire nécessaire à chaque sujet pour construire son propre sentiment d’existence, mais également pour permettre la mise en relation dans le groupe. Ainsi, la culture organise et structure les liens inter‐subjectifs. ���������������������������������������������������������������������������������������� ������������������������������������������������������������������������������������������������������������� ������������������������������������������������������������������ ����������������
Nous arrivons ainsi à notre deuxième point. A partir du moment où la culture organise les liens dans le groupe, elle lie mais exclut également les personnes qui n’en font pas partie. Dès lors, elle est organisatrice des alliances inconscientes. Sur ce point, René Kaës propose une hypothèse intéressante dans la perspective de notre recherche. Il considère que la différence culturelle est une métaphorisation des autres différences de sexes et de générations. Dans le cadre de notre travail, nous pouvons donc penser que la rencontre avec l’altérité culturelle est un moyen permettant de réinterroger sa place dans les autres groupes.
Après avoir énoncé les éléments théoriques qui nous permettent de comprendre les effets du lien dans le groupe, nous proposons d’introduire la notion de « l’enveloppe visuelle du moi » développée par Guy Lavallée. Ce modèle présente l’intérêt de traiter de la question du narcissisme dans sa dimension pré‐œdipienne, ainsi que de la question des enveloppes psychiques. Nous exposerons ce modèle et ses apports, avant de proposer une généralisation et une application à la clinique du déplacement.
II.� L’enveloppe visuelle du moi
Guy Lavallée est un psychanalyste qui a développé ce modèle théorique à la suite d’un travail au sein d’un groupe vidéo qu’il a mis en place au centre Etienne Marcel avec de jeunes enfants autistes et psychotiques. Ce psychanalyste, également photographe, travaille autour de la question de la vision et de la façon dont l’individu s’approprie subjectivement ses perceptions. Il montre, à travers plusieurs études de cas, que cette opération de subjectivation des perceptions est le fruit d’un long processus psychique.Il s’appuie sur les travaux de plusieurs psychanalystes qui ont travaillé sur la vie psychique des bébés et notamment Winnicott qui a fait l’hypothèse que la mère avait une fonction de « miroir » psychique133 134. Un peu plus tard, les travaux de Bion ont montré que la mère accueillait les projections brutes de l’enfant et lui renvoyait en les transformant, permettant ainsi leur intégration135. De cette façon elle donne une signification aux signaux corporels que l’enfant envoie, ce qui lui permet ensuite de donner une signification à ces signaux. Mais que devient donc cette fonction « réflexive » en l’absence de la mère ? L’enfant va devoir l’intérioriser pour ne pas tomber
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