Chapitre 4 : Quels modèles de référence : la psychanalyse de groupe et l’enveloppe culturelle du
II. Analyse du Rorschach
manger des choses chinoises, peut‐être par nostalgie aussi je ne sais pas. Mais quand je suis ici c’est plus la France qui me manque, la France et l’Europe aussi. »
Robert évoque la présence dans son moi de ces deux identités qui ne s’annihilent pas mutuellement, mais qui sont présentes ensemble. Dans son discours, il met l’accent sur un autre élément. Quand il se trouve dans un environnement culturel différent de cette partie du moi, cette dernière a tendance à se révéler par l’effet d’un manque. Dès lors, l’une ou l’autre partie de son moi sont forcément étrangères, qu’il se trouve en France ou en Chine. Présentons maintenant les résultats obtenus lors de notre analyse de Rorschach.
II.� Analyse du Rorschach
Le Rorschach, de par son aspect non‐figuratif permet, comme l’ont montré Fischer et Cleveland235, d’explorer la question des enveloppes. Ces auteurs ont mis en exergue l’indice « enveloppe/pénétration » comme révélateur d’une problématique autour des limites.
�� Ils ont rassemblé sous le terme « d’enveloppe » toutes les réponses induisant l’idée d’une surface qui protège, comme la membrane, la peau ou encore les vêtements.
�� La « pénétration » rassemble ce qui renvoie à la notion d’une surface transpercée avec une faible qualité protectrice.
Dans le cadre de notre analyse, nous avons observé que la problématique des enveloppes émergeaient. Nous avons pu relever tout un champ sémantique en rapport avec les limites. Cette tendance viendrait confirmer notre hypothèse d’un travail sur les frontières psychiques lors de l’expatriation. ��������������������������������������������������������������������������������������������������������
II.1. Réponses « enveloppes »
Les analyses de nos protocoles de Rorschach nous ont permis de relever plusieurs réponses « peau ». Ces occurrences laissent entrevoir plusieurs qualités en liens directes avec les fonctions décrites concernant les enveloppes psychiques. Planche IV (Fanny) « Ça me fait penser à une fourrure d’animal, animal mort, la fourrure… Pas trop grand‐chose d’autre. Posée comme un tapis ou un… posé sur le sol. » Planche VII (Jean) « Sinon quelqu’un qui s’est démené pour essayer de faire une peau d’animal mais à partir de la carcasse, la carapace d’un insecte. Alors ça fait les différentes parties… genre un cafard ou un insecte avec une carapace dure, enlevée (je parle de la carapace). » Ces réponses permettent de mettre en exergue une sensibilité des enveloppes. Il est intéressant de noter que, dans ces deux exemples, ce sont des représentations de la mort qui émergent (« animal mort » et « carcasse »). Nous pouvons donc penser que c’est contre ces angoisses d’anéantissement que Fanny et Jean investissent les frontières. Ce processus est particulièrement présent celui‐ci, lorsqu’il qui évoque, dans un premier temps une « peau » puis une « carapace ». Cette évolution nous semble être le signe un sur‐investissement de la fonction de protection des limites contre la représentation de la mort. II.2. Effraction L’analyse des enveloppes dans le Rorschach vient également révéler une sensibilité et une attaque des limites du corps qui se trouvent effractées. Nous avons relevé de nombreuses réponses évoquant l’anatomie humaine ou animale. Planche III (Pauline) « Et alors ces deux tâches‐là, on dirait limite un estomac avec tout le colon. Mais je ne vois pas de rapport direct avec ce que j’ai vu juste avant. »
Planche VII (Julien)
« En fait celui‐là, il a deux pieds, deux mains mais il a tout un intérieur vide. C’est quelque chose de plat mais c’est rigolo. »
Planche IX (Aurélie)
« Ça fait penser à une tête de lapin (rires), crâne de lapin blanchi. Ca fait penser à une tête de lapin que les gens mangent, ici. »
Ces quelques exemples évoquent la dimension de pénétration, d’effraction du corps que nous retrouvons tout au long des protocoles. D’un point de vue psychique, cela renvoie à la situation psychique que certains sujets, comme Robert par exemple, ont décrite lors de leur arrivée. L’insistance sur l’intérieur du corps viendrait ainsi confirmer une certaine mobilisation des sujets autour du réaménagement de leurs objets internes. II.3. Frontières poreuses Nous constatons également que les protocoles sont marqués par un flou des différentes frontières. Ce vacillement se matérialise à travers plusieurs tendances. Tout d’abord, nous constatons un effet de contamination entre les planches.
Françoise, après avoir évoqué des ponts à la planche IX évoque à la planche X : « Ah ! … J’aimerais bien que le monde soit ainsi. Quelque part j’aurais l’impression que ça rejoindrait l’autre, quelque part on arrive vraiment sur des ponts en fait, non pas des murs mais des ponts en fait, entre les uns et les autres avec les différences de chacun sans du tout les nier mais avec cette fusion d’avoir cette impression de fluidité. »
Le protocole de Françoise est, de ce point de vue, exemplaire puisque la contamination s’exprime non seulement entre les planches mais aussi à l’intérieur. Il est souvent question de « fusion » de « mélange », signes d’une suspension des frontières.
A l’enquête de la planche IX, elle évoque : « Celle‐ci c’était les ponts. Est‐ce lié à la fusion, le fait qu’il y ait différentes couleurs et qu’il y ait une forme de fusion avec la ligne centrale qui se mélange ? On retrouve les différentes couleurs mais imbriquées les unes dans les autres. »
Cette très grande porosité des frontières entre l’interne et l’externe se retrouve également dans le protocole de Julien. Planche VIII : « Deux caméléons qui sont en train de grimper sur les côtés… et ils ont choisi de se de garder cette couleur rose du centre, ils s’y sont identifiés… » Dans cet exemple, la peau devient un moyen de se fondre dans l’environnement. Ici l’objet devient le même, laissant entrevoir une suspension des limites. II.4. Miroir
L’autre fonction des enveloppes décrite par Didier Anzieu est celle du miroir236, permettant une reconnaissance narcissique. Nous pouvons ainsi penser que, dans le cadre de l’expatriation, l’évocation de cette notion signe la nécessité de préserver l’identité dans un environnement qui change.
A ce titre, l’analyse de la planche V du Rorschach de Pauline est intéressante. Celle‐ci répond, dans un premier temps : « Alors ça j’avais dit que c’était une sorte d’insecte mutant (G), ouais c’est ça. » La présence d’un élément étrange amène Pauline à évoquer par la suite un reflet qui permet une reconnaissance narcissique. « un oiseau avec euh avec peut‐être son reflet dans l’eau, je ne sais quoi, enfin vous voyez avec une symétrie… Voilà, un oiseau avec son reflet. » Dans la dernière partie de l’extrait, Pauline insiste notamment sur la symétrie afin d’apaiser la représentation trop angoissante de l’étrange.
Les remarques symétriques traversent souvent les protocoles de certains sujets en rapport avec la question de l’identité et la dialectique du même et du différent.
Planche III (Jean) :
« Sur le coup, on aurait dit une femme, la silhouette d’une femme. Après coup, une femme hermaphrodite […] En fait j’ai beaucoup de mal à imaginer une image utilisant les deux parties. C’est plutôt une seule partie de l’image avec un effet miroir simplement. »
Ici, la question de l’identité sexuelle est en rapport avec une représentation « hermaphrodite » que Jean traite par l’image spéculaire du miroir. La problématique de l’altérité n’est ainsi pas traitée. II.5. Masque
L’analyse des protocoles de Rorschach nous permet enfin de repérer la présence de mots en rapport avec la fonction de masque. Celle‐ci possède deux qualités : le masque permet de cacher tout en donnant à voir une image aux autres.
Planche I (Jean) :
« ou un masque plutôt. Un masque on dirait même. Un masque Nosferatu… Plus je le regarde, plus je trouve que ça part dans le glauque (rires) ».
Planche IV :
« Au début on j’avais l’impression que ça donnerait une petite tête, ou ça donne plutôt un masque avec les deux cercles sur les côtés, cachant le visage… ».
Cette insistance sur la qualité du masque nous interroge sur la question de la problématique identitaire. En effet, Jean est en Chine depuis 5 ans et y a rencontré une chinoise. Il évoque notamment les efforts qu’il a dû fournir pour pouvoir s’intégrer dans cette nouvelle famille. Dès lors, nous pouvons nous demander si la présence du masque n’est pas révélatrice de ce travail d’adaptation. Toutefois, une question se pose : à quoi Jean doit‐il renoncer sur le plan identitaire ? Nous nous sommes ainsi demandé si le « masque » n’était pas révélateur d’un travail en « faux self »237, permettant une adaptation à l’environnement, tout en annihilant l’identité de l’individu. Après avoir présenté nos résultats de Rorschach concernant la problématique des enveloppes, nous allons exposer les résultats du TAT. ��������������������������������������������������������������������������������������������������������� ���������������������������������������������
III.�Analyse du TAT
Nous avons observé, au sein des protocoles de TAT, une certaine sensibilité ainsi qu’un investissement des limites, témoignant d’une déstabilisation plus ou moins transitoire des frontières psychiques. Nous voyons apparaître un investissement des qualités sensorielles des images.
Planche 11 (Françoise) :
« (Imm) Là j’ai l’impression d’être sur un chemin mais dans une grotte. Ca me semble assez sombre. En fait, au bout de cette grotte, on voit une issue vers la lumière, comme si on arrivait sur une… après avoir traversé un souterrain assez pierreux, on arrive sur une clairière, enfin en tout cas le début d’une clairière et on est un peu aveuglé par la lumière. Ça me fait penser à l’allégorie de la caverne de… de Platon, je crois… un peu d’arriver à la lumière. Après avoir… on a l’impression qu’il y a un chemin et qu’on a erré et c’était assez sombre et tout d’un coup voilà une explosion de lumière. » Ici, nous constatons la présence de deux processus. Tout d’abord, une confusion des frontières entre le sujet et l’objet. En effet, dès le début, Françoise est dans la planche (« j’ai l’impression d’être sur un chemin ») et ce processus ne cesse de se déployer. Face à ce mécanisme de suspension des frontières, Françoise s’appuie sur les éléments sensoriels et perceptifs (sombre/lumière) (CN‐4). Ce processus permet ainsi un renforcement de l’enveloppe corporelle dans un but de protection contre l’effondrement des frontières.
Ce surinvestissement des éléments perceptifs peut également être utilisé comme un étayage externe venant pallier aux défauts de fantasmatisation (CL‐2). Dans ce cadre, il s’agit, là aussi, d’un processus permettant de s’appuyer sur les éléments externes afin de maintenir le fonctionnement des frontières psychiques internes.
planche 12B (Aurélie) :
« (6’) Bon alors là, je ne sais pas… Il est tranquilou, il y a du soleil, il fait un peu le lézard… et puis je ne sais pas, il regarde un truc… Il a l’air de réfléchir quand même. Donc il regarde et il