Chapitre 2 : L’expatriation
II. Evolution de l’expatriation
pour l’immigration. Nous pensons notamment à l’exil parfois associé à des guerres, à des viols et qui se caractérise par une fuite pour survivre, cette fuite pouvant empêcher parfois de s’approprier subjectivement ce déplacement.
Ces spécificités nous permettent de mettre en exergue la particularité de l’expatriation face à l’immigration, y compris sur le plan psychique. En effet, il est certain que les mécanismes de l’immigration et de l’expatriation seront différents, même si un certain nombre de points communs subsistent, tels que la différence culturelle, la rupture avec son environnement, le changement de travail ou encore le statut social.
Les différents facteurs que nous venons d’évoquer laissent à penser que la dimension traumatique présente bien souvent dans l’immigration est moins centrale dans l’expatriation. Nous pouvons ainsi émettre l’idée que le processus psychique de l’expatriation est davantage marqué par un travail d’adaptation et d’allers/retours entre sa culture d’origine et la culture du pays d’accueil venant souligner une oscillation identitaire. Avant d’approfondir les particularités psychiques liées à l’expatriation, il nous semble important de bien situer ce phénomène dans la modernité et dans le contexte actuel, en décrivant les évolutions économiques et sociales de ces dernières décennies. Ces précisions nous permettrons de mieux en saisir les contours, et donc, de mieux l’appréhender sur le plan psychique.
II.� Evolution de l’expatriation
II.1. Evolution quantitative et répartition géographiqueAfin de mieux comprendre les raisons de l’essor de l’expatriation depuis plusieurs années, une analyse de ses grandes tendances sont à dresser. Nous pouvons ainsi classer, dans la période moderne, l’expatriation en trois périodes principales.
‐� La première située dans les années 70 et début 80, est fortement corrélée aux échanges avec les anciens pays colonisés. C’est ainsi que l’Afrique est une zone d’expatriation privilégiée durant cette période. En effet, en 1984, 23% de la population expatriée française l’est en Afrique49.
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‐� A partir du milieu des années 80, on assiste à un recul de l’expatriation avec une période de stabilisation entre 1984 et 199050.
‐� Enfin, la troisième période va des années 90 à aujourd’hui, étant marquée par l’explosion des échanges économiques à travers notamment l’émergence d’un certain nombre de pays (Chine, Inde, Brésil…). Cette période est désignée par le terme de mondialisation. Ce phénomène a engendré deux tendances, d’une part, une augmentation importante du nombre d’expatriés, d’autre part, un réaménagement de la répartition de la population expatriée suivant l’évolution des échanges économiques avec quatre zones en forte augmentation : l’Europe, l’Amérique du nord, l’Asie et le Proche et Moyen‐Orient. Nous constatons, dans cette période, un recul du nombre d’expatriés en Afrique avec, en 2002, plus que 14% des expatriés français présents sur ce continent51.
D’après le Ministère des Affaires Etrangères, le nombre de français inscrits au registre mondial des français établis hors de France s’élevait à 1 680 594 le 1er décembre 201452. Sur les 10 dernières années, l’augmentation est de plus de 35%. Le graphique ci‐dessous permet d’apprécier l’évolution du nombre d’inscrits depuis 1995. On constate que ce nombre à quasiment doublé sur la période 1995‐2013. De plus, le nombre d’inscrits ne rend pas compte de tous les français vivant à l’étranger. Le ministère précise qu’il faudrait encore ajouter environ 500 000 personnes en raison du caractère non obligatoire de cette inscription. Ce chiffre serait donc largement supérieur à 2 millions de personnes. �������� �������� ���������������������������������������������������������������������������������������������������������� �������������������
Cette communauté connaît donc une croissance significative depuis le début des années 2000, avec une augmentation en moyenne entre 3 % et 4 % par an au cours des quinze dernières années (soit environ 60 à 80 000 personnes par an). Pour rappel, la population française a crû dans le même temps en moyenne de + 0,6 % par an. Ces données nous permettent de constater que, de plus en plus de français font le choix de s’installer à l’étranger, en nombre absolu, mais aussi en pourcentage de la population et que cette tendance est structurelle.
Source : Ministère des Affaires Etrangères.
D’après ce graphique, nous constatons que l’Asie attire de plus en plus d’expatriés du fait de son dynamisme économique. L’augmentation d’expatriés français dans cette zone y est supérieure à la moyenne des autres zones géographiques en passant d’environ 50 000 en 1995 à plus de 120 000 en 2013, ce qui représente une augmentation de plus de 120% sur une période de moins de 20 ans. En Chine, ce chiffre dépasse aujourd’hui 30 000 personnes.
Voici un graphique une carte mondiale qui permet d’avoir une vision générale de la répartition géographique du nombre d’expatriés français dans le monde.
Source : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/services‐aux‐citoyens/inscription‐consulaire‐et/article/la‐ communaute‐francaise‐inscrite
II.2 Motivations pour partir à l’étranger Après avoir abordé le contexte dans lequel l’expatriation se développe, il nous semble important de décrire les motivations qui poussent les individus à partir. Ces motivations sont multiples mais deux tendances ressortent des études menées dans ce domaine.
La première raison invoquée est professionnelle, avec l’idée que l’expatriation permet des opportunités professionnelles. Cette question peut ensuite se décliner en plusieurs tendances. Cela peut être lié à l’intérêt du poste (environ 37 % des expatriés), à l’augmentation de salaire (32 %) ou encore aux opportunités d’évolutions de la carrière (42 %). Les expatriés mettent en avant l’idée que les carrières avancent plus rapidement à l’étranger. Les autres facteurs mis en avant sont : la découverte culturelle avec l’amélioration des compétences linguistiques et des raisons personnelles (couple, raisons familiales…)53.
Nous pensons que les raisons psychiques sont souvent oubliées dans les études portant sur les motivations du départ. En effet, nous avons pu constater qu’il existe parfois une justification par des raisons économiques ou autres, qui sont systématiquement sous‐tendues par des phénomènes
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psychiques profonds. Nous verrons, notamment dans le cas de Robert, comment la raison économique est la justification d’un mouvement psychique plus profond de volonté de s’autonomiser par rapport à sa famille et de permutation de sa place.
II.3 Evolution qualitative de l’expatriation : la mobilité internationale
Si ces éléments statistiques permettent de souligner une évolution quantitative de l’expatriation, il ne rendent pas compte d’une modification qualitative que nous constatons depuis près de deux décennies. Sous les effets conjoints de la mondialisation et des avancées technologiques, l’expatriation « classique » est remplacée par ce que l’on appelle la « mobilité internationale »54. Les effets de la mondialisation et les nouvelles formes d’évolution du monde du travail, ont participé à la métamorphose de l’expatriation, dite classique, qui représentait une expatriation de longue durée qui se rapprochait à beaucoup d’égards du modèle de l’immigration. Cette mobilité internationale se caractérise par des missions plus courtes et un retour plus fréquent dans le pays d’origine. A ce titre, l’expatriation moderne nous semble une situation paradigmatique des évolutions ayant touché notre société depuis plusieurs décennies. Elle redéfinit un rapport différent au temps et à l’espace.
Les nouvelles possibilités de travailler à l’étranger ont donc changé le rapport subjectif de l’individu au lieu et au temps. En effet, les moyens de transports ont considérablement facilité la possibilité, pour un individu, de passer d’un espace à un autre avec toutes les conséquences que cela peut engendrer sur le passage, parfois brutal, d’une culture à une autre. L’apparition d’Internet a également changé la donne, avec la virtualisation de l’espace55. Dans notre étude, nous avons ainsi pu constater que, malgré le nombre relativement faible de français expatriés à Chengdu (moins de 500 individus), il existait des pages Internet créées par les associations de ce que l’on appelle les « Français de l’étranger ».