Chapitre 2 : L’expatriation
IV. L’identité à l’épreuve de l’expatriation
Dans le cadre que nous avons décrit, nous pouvons penser que la multiplication des indentifications conduit à une identité plus riche, plus complexe, susceptible de faire émerger de nouveaux types de souffrance identitaire.
IV.�L’identité à l’épreuve de l’expatriation
Pour tenter de comprendre la nature de ces réaménagements identitaires, nous devons nous appuyer sur les études de psychosociologues ou de sociologues. Dans le domaine de la psychanalyse, ce sujet n’a, pour l’instant, pas fait l’objet de recherches spécifiques, même si, des études s’intéressent à la question de l’immigration. Comme nous l’avons évoqué précédemment nous nous appuierons ici plus particulièrement sur les travaux de Philippe Pierre.
Dans ses recherches, cet auteur montre que l’expatriation a des effets directs sur la construction identitaire68. Mais quelle est donc la nature de ces changements ? Sont‐ils similaires à ceux de l’immigration ? Pour lui, ces variations sont spécifiques par rapport à l’immigration. En effet, nous constatons que les lieux ou les groupes d’identification sont de plus en plus nombreux. Cela engendre « une définition nouvelle et de moins en moins stable du sentiment d’appartenance pour l’individu »69. Cet auteur préfère une conception « dynamique » de l’identité s’opposant à une vision moniste impliquant une confrontation en termes de « double identité »70. Il propose ainsi une typologie à cinq modèles identitaires. Ces catégories proposent un continuum allant des individus dont l’identité se caractérise par une sauvegarde absolue des repères traditionnels et un rejet de toute intégration au nouvel environnement (les conservateurs) de ceux qui adoptent de radicalement le cadre de référence de la culture locale (les convertis)71. Ce modèle permet de souligner la très grande diversité des stratégies identitaires, ainsi que les réaménagements psychiques que l’expatriation implique.
Ces types de fonctionnement identitaires se construisent selon un certain nombre de critères. L’élément individuel est, bien évidemment essentiel, mais, Philippe Pierre montre comment les individus s’appuient également sur un certain nombre de groupes pour permettre à ces variations ����������������������������������������������������������������������������������������������������������������� ������ ������������� ��������������� ���������������
identitaires d’être mieux vécues. Il évoque ainsi le rôle central joué par divers groupes tels que la famille, le travail ou encore la communauté culturelle. Ce faisant, il souligne l’importance des rapports inter‐subjectifs dans le réaménagement de l’identité chez les expatriés. Selon lui, l’identité est donc un travail psychique de co‐construction entre les représentations de l’individu et celles des sujets de l’environnement. Dès lors, une souffrance psychique peut également émerger lorsque le sentiment de notre identité se trouve en trop grand décalage avec ce que les autres se représentent du sujet expatrié, d’où l’idée de cet auteur d’une construction identitaire « réflexive »72. Ce modèle montre toute la complexité de la construction identitaire liée à l’expatriation et l’impossibilité de la réduire à un parcours de causalité linéaire et unique. Selon lui, « la notion de stratégie identitaire vient réfuter toute conception normative d’un parcours individuelle dont les jalons conduisent immanquablement vers une voie unique»73.
Philippe Pierre s’oppose ainsi à toute vision simpliste du phénomène en critiquant le mythe de ce qu’il appelle l’euromanager. Il décrit cette identité mythique comme une personne « affranchi[e] de ses particularismes, parfaitement mobile et flexible. » Ce mythe de l’homme moderne a son pendant dans la vision d’un homme empêtré dans sa culture d’origine et incapable de s’adapter à cette nouvelle culture mondialisée. Cette vision a tendance à voir l’identité comme un monisme niant toute subjectivité et historicité du sujet. Toutefois, une question demeure : comment l’expatrié gère‐ t‐il la multiplicité des identifications ?
Philippe Pierre reprend ici l’idée d’une « hybridation »74 plutôt que celle d’une clôture définitive de l’identité. Néanmoins, cette métamorphose n’a pas lieu se fait par paliers. Elle est le fruit d’un « bricolage »75, l’individu cherchant à réintégrer les nouvelles formes culturelles par l’action. La vision de cet auteur est donc de voir la culture comme un outil ou, pourrions‐nous rajouter, comme un « objet transitionnel » permettant de négocier en permanence son identité. Cette vision permet de comprendre comment les différences culturelles existent au sein d’un même individu, sans pour autant qu’elles soient contradictoires. Nous voyons ainsi apparaître la question de la diversité du moi et la façon dont l’individu compose avec cette diversité. Faut‐il, dans ces conditions, voir ce phénomène uniquement en termes de conflictualité ? En effet, l’auteur a montré comment les individus vivant la mobilité internationale faisaient « état de la pluralité de leurs appartenances comme un état de fait enrichissant qui permet d’exister au sein de groupes très différents ». Les sujets passent constamment par différents lieux d’identification. �������������� �������������� �������������� ������������������������������������������������������������
Pour notre recherche, ce chapitre nous a permis de dégager les particularités de l’expatriation par rapport aux autres formes de migration. Nous avons ainsi pu constater que le rapport au temps et à l’espace, était singulier dans l’expatriation. Nous rejoignons l’idée d’un processus psychique marqué par une forme d’allers/retours identitaires. Ce mouvement psychique caractérisé par une forme d’hybridation (Philippe Pierre) permet au sujet de composer avec la multiplicité de son identité.
Ayant abordé les travaux et les modèles théoriques qui se sont intéressés à l’immigration et à l’expatriation, lors des deux derniers chapitres, nous allons explorer la notion d’identité d’un point de vue psychanalytique.
Chapitre 3 : L’identité : une approche psychanalytique.
Au niveau étymologique, le terme d’identité trouve son origine dans le bas latin identitas qui signifie « qualité de ce qui est le même ». Ce mot dérive également du latin classique idem signifiant « le même ». Cette notion renvoyait donc à l’origine à l’idée du semblable. Les évolutions sémantiques ont mené à une diversification de ce concept en s’appliquant à une variété de domaines (droit, politique, culture…). Au‐delà de son sens originaire, l’identité a fini par désigner les aspects singuliers et propres de l’individu. Nous voyons donc émerger dans l’acception moderne du terme l’idée d’une différence introduisant la notion d’altérité.
Nous constatons deux mouvements, l’un objectif, l’autre subjectif. Le premier est celui d’une utilisation par divers domaines d’application de cette notion (pièce d’identité, identité juridique et, plus récemment, identité numérique). Le second mouvement à travers les travaux des premiers psychologues et psychanalystes reconnaît la nature profondément subjective et, donc, individuelle de cette identité.
Cependant ce concept multidimensionnel, utilisé dans plusieurs disciplines (ethnologie, psychologie, sociologie, biologie…) avec à chaque fois des problématiques spécifiques, ne risque‐t‐il pas de provoquer une confusion dans son utilisation ? Comment distinguer l’identité sociale de l’identité d’un point de vue psychanalytique ? Cette hétérogénéité sémantique nous oblige à être très prudent dans l’utilisation de ce terme, en prenant garde à ne pas télescoper des problématiques spécifiques d’un champ à un autre. Il faut être très d’autant plus prudent que certaines approches, dans le champ de la psychopathologie de l’immigration notamment, avaient tendance à confondre différences culturelles et différences psychiques, cantonnant les individus d’une culture à leur seule culture d’origine. Des dérives se sont ainsi développées sur le plan thérapeutique.
Une fois cet écueil évité, nous pouvons considérer que cette diversité des approches nous permet de mieux saisir la très grande complexité de cette notion y compris sur le plan psychique76 (O. Douville, 2012). Car, s’il existe de grandes divergences sur la vision de l’identité au sein de toutes ces disciplines, un point de convergence semble malgré tout se dessiner. La modernité met en tension la nature ontologique de l’identité et nous apprend que cette dernière n’est pas établie de façon définitive, qu’elle change au gré des crises et des ruptures que traverse l’individu77. Les psychanalystes, sociologues, anthropologues… sont là pour rendre compte de la façon dont l’individu est traversé et transformé par cette question à différents niveaux (culturel, genre, travail). Ces
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