Chapitre 4 : Quels modèles de référence : la psychanalyse de groupe et l’enveloppe culturelle du
III. Analyse du TAT
I.1. Lien et départ
I.2.1. Lien familial
transforme et occupe une « fonction sémaphorisante et métaphorisante »243, ou si le transgénérationnel assigne à une place définitive au sujet. D’une certaine façon, « il s’agit de devenir sujet de la famille, sans s’y noyer, de se dégager du transgénérationnel qui induit la répétition et les fonctionnements en prévalence de positions narcissiques qui sont infiltrés de pulsion de mort. » A présent penchons‐nous sur les répercussions sur le lien de la rencontre avec l’étranger. I.2. A l’étranger
L’analyse des entretiens nous a permis de constater qu’il existait des effets de l’expérience de l’expatriation sur le lien d’appartenance. Nous nous sommes ainsi rendu compte que ces effets étaient le fruit des nouveaux liens que le sujet nouait dans de nouveaux groupes. Nous rejoignons la proposition de René Kaës sur les contrats narcissiques secondaires : « Tout changement dans le rapport du sujet à l’ensemble, toute appartenance ultérieure, toute nouvelle adhésion à un groupe remet en cause, et dans certains cas au travail, les enjeux de ces contrats »244. Nous allons donc exposer les effets de cette expérience sur les différents liens d’appartenance.
I.2.1. Lien familial
Le premier groupe à être touché par le déplacement est le groupe familial. Nous constatons que la place que le sujet occupe à l’étranger, ainsi que le processus d’introjection du nouvel environnement affectent les liens familiaux. Nous constatons que ces changements ne peuvent se résumer à une seule tendance générale.
�� Rupture dans le lien
La première tendance que nous observons et que nous avons abordée dans la partie précédente sur les raisons du départ, est celle de l’éloignement des liens d’appartenance. Nous reprenons ici l’étude du cas de Julien qui évoque comment l’expatriation a changé ses liens avec les autres. Il affirme que son choix de vie a « changé […] toutes ses relations ». Il s’interroge plus tard sur les raisons de ce changement : « C’est mon mode de vie. Alors est‐ce que c’est ma façon de faire ou mon mode de vie qui a changé? Les deux parce que mon mode de vie a changé mes façons de faire. Mais certainement il y a… Je suis en train de travailler là‐dessus un peu mais je n’arrive pas à changer sur ce côté je
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donne des nouvelles, je ne donne pas de nouvelles. Ça ne m’intéresse pas. A la fois, je me dis que c’est dommage mais à la fois ça ne m’intéresse pas. (28) » Nous constatons au fur et à mesure de l’entretien, que l’expérience de l’expatriation ne permet pas la mise en place de nouveaux liens d’appartenance. Le défaut d’inscription dans les liens de filiation mène à un défaut d’inscription des liens d’affiliation. Nous observons ainsi une indifférenciation des liens. Selon Julien : « La vie elle est partout je pense qu’on n’a pas besoin des gens qu’on aime » (24). Dans ce passage, Julien dit ne pas avoir besoin de l’amour de ses proches. Mais alors quelle différence y‐a‐t‐il entre sa famille et les autres ? Ainsi pour Julien l’expatriation s’inscrit dans une logique de rupture. La question est de savoir si, dans l’après coup, cette séparation va faire émerger de nouvelles modalités de liens. �� Rapprochement Nous constatons également que, pour beaucoup de sujets, l’éloignement conduit à un renforcement du lien d’appartenance par rapport à la famille.
Robert évoque à ce sujet plusieurs tendances. Tout d’abord, l’absence provoque un sentiment de manque et de solitude important. Cette première étape signe une mobilisation psychique autour de l’investissement dans les objets parentaux, et donc un rapprochement psychique par rapport à ces objets. Robert parle des changements que l’expatriation a opérés dans les liens : « Je pense que… je suis quelqu’un de nature assez timide mais je pense que je m’ouvre plus et que je... Il y a des choses que je n’aurais pas dites je pense avant. En plus maintenant je communique beaucoup par écrit avec ma famille, j’envoie souvent des e‐mails, et je pense par écrit je dis des choses parfois personnelles que je ne dirais pas si je vivais avec eux en fait. Et je pense aussi, plus le besoin de ‐ par exemple avec ma famille ‐ j’ai plus le besoin de contact […] je pense qu’il y a plus besoin de proximité en fait avec eux. C’est un ressenti que je me rends compte, quand je vis en France… comme j’ai vécu longtemps en France avant, je ne me posais pas la question. Quand on est absent, on se rend plus compte de ça qu’on a besoin de ses proches en fait. »
Chez Robert, l’expatriation a mené à une reconnaissance du lien d’appartenance et de dépendance. Nous pensons que ce sentiment de dépendance est le fruit des relations précoces d’attachement que le sujet a refoulées. L’expatriation agit donc comme un
révélateur du négatif245 « quand on est absent, on se rend compte de ça qu’on a besoin de ses proches en fait ».
�� Non‐effet : effet de non‐présence ?
Enfin, l’analyse des résultats nous a montré que certains sujets disaient que l’expatriation n’avait pas changé le lien à la famille. Dans cette perspective, en analysant les entretiens, nous nous sommes interrogés sur la place et le rôle d’internet dans la communication au sein la famille. C’est ainsi que l’appel à cette médiation devient le vecteur principal de la relation, comme c’est la cas pour Aurélie : « Non, c’est juste qu’ils me posent plus de questions. Non, après je parle avec ma mère sur WeChat tous les jours, on se fait un petit… pas des textos mais des messages vocaux. Après non, pas du tout. J’ai des nouvelles pareilles… »
Nous nous sommes ainsi interrogés sur cet effet de « non présence »246. Comme le rappellent les auteurs : « la non‐présence implique un imaginaire hyperinvestie » et « permet de lutter contre le manque en imaginant la permanence de l’objet ». Nous nous sommes ainsi demandé si Internet ne permettait pas de nier par l’illusion de la permanence de l’objet son absence, empêchant tout processus de transformation et d’élaboration du lien. Ce processus ayant l’avantage de ne pas confronter le sujet au traitement de la perte et à l’émergence d’affects douloureux.
Après avoir observé les effets de l’expatriation sur le lien d’appartenance à la famille, nous allons nous pencher sur la question du couple.
I.2.2. Couple
Concernant la question du couple et de l’expatriation, notre analyse nous a permis d’appréhender la place de la culture dans les fondements des liens de couple. Nous avons ainsi observé que cette question se trouvait au cœur de la dynamique des couples mixtes.
Fanny évoque lors de l’entretien son intégration en Chine ainsi que sa rencontre avec son mari. « Je trouve que je me suis intégrée assez vite. Après quand on parle chinois, moi je trouve que c’est plus facile forcément. En fait, quand je suis arrivée à Chengdu, je m’étais
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inscrite à l’université du Sichuan pendant un an, j’avais fini mes études, je voulais juste étudier le chinois, avec cours de chinois tous les matins et l’après‐midi de libre.[…] J’avais vraiment envie de parler, de travailler, etc. Du coup je me suis rendue compte que l’université, à part bûcher les caractères au niveau oral… J’avais des amis qui étudiaient depuis quatre ans, je parlais déjà mieux qu’eux quand je suis arrivée, alors je me suis dit je ne passe pas quatre ans à l’université. […] En plus, je travaillais dans une entreprise, la patronne était Chinoise, je parlais qu’en chinois avec. Mon mari au début c’était un ami à moi et je me suis rendue compte que j’apprenais beaucoup plus vite à l’extérieur finalement et c’est pour ça finalement j’ai été que cinq mois et j’ai arrêté. (38)
Plus loin, dans l’entretien, Fanny évoque les liens de plus en plus forts qui l’unissent à son mari notamment à travers leur travail en commun. Nous pouvons ainsi dégager deux éléments essentiels dans la constitution de la relation de couple.
La première tendance que nous observons est que le choix du conjoint s’inscrit dans le processus inconscient d’intégration de Fanny. Cela rappelle le choix d’objet narcissique exposé par Freud dans « introduction au narcissisme »247, dans lequel il décrit les différentes formes d’amour. On aime ainsi « a) ce qu’on est soi‐même, b) ce qu’on a été, c) ce que l’on voudrait être, d) la personne qui a été une partie de la personne propre ». Freud ajoute plus tard « la qualité qu’on voudrait avoir ». Si l’on se place du côté de ce choix d’objet narcissique, le conjoint de Fanny possède ainsi les qualités de ce qu’elle voudrait être, à savoir parler et accéder à la culture chinoise. Il semble que la dimension de l’étayage est également essentielle. En effet, le lien de couple est un élément sur lequel le sujet peut s’appuyer dans le cadre de l’expatriation. Le sujet étant fragilisé du fait de la perte de ses différents repères, le couple devient un refuge sur le plan narcissique.
Un autre aspect dans la constitution du lien de couple est à prendre en considération. C’est la dimension socio‐culturelle248.
Dans le cadre de notre étude, il faut souligner deux paramètres. Tout d’abord, l’image de « l’occidental » dans la société chinoise n’est pas neutre. Ainsi, comme nous avons pu le voir dans les différents entretiens, il y a un regard très « positif » sur les occidentaux, qui a des répercussions dans le rapport et la construction des liens. Nombre d’expatriés pointent ainsi les effets narcissiques que cela peut avoir. ������������������������������������������������������������������������������������� ��������������������������������������������������������������������
Un autre élément tient au fait que l’un des deux partenaires se retrouve dans son environnement culturel d’origine, alors que l’autre se retrouve seul. Cette asymétrie d’origine dans la formation du couple pose de multiples questions. En effet, comme nous l’avons vu, le phénomène migratoire fragilise bien souvent l’individu sur le plan narcissique ce qui a des répercussions sur le lien du couple.
Exposons ici le cas de Marcel. Celui‐ci a eu une petite amie chinoise mais cette relation n’a pas duré, précisément pour des questions ayant trait au narcissisme et à la culture. Marcel évoque ainsi sa relation avec cette personne : « C’est vrai que du coup, le fait d’avoir une copine Chinoise, on est resté deux ans ensemble, et du coup j’avais l’impression de l’imiter en fait. Du coup je me sentais con parce que quand je parle à d’autres Chinois… Parce qu’on apprend une langue, donc je répète ce qu’elle me dit, j’essaye d’intégrer en fait tout ce qu’elle dit et pour moi c’est important. Des fois elle dit des choses nouvelles donc j’apprends beaucoup de choses, il y a des formules de phrases qu’elle répétait assez souvent et du coup que je répétais à d’autres gens et qui me disaient « Mais en général ce sont les filles qui disent ce genre de phrases et ce ne sont pas les garçons », du coup c’était assez marrant. Je pense qu’inconsciemment je l’imitais beaucoup. (76)
Dans ce premier extrait, Marcel montre comment la relation de couple est un vecteur essentiel de l’intégration au moi de la culture chinoise. Mais, ce faisant, la remise en question de sa propre identité commence à émerger : « Quand j’étais avec mon ancienne copine, je me suis beaucoup remis en question. Ce que je trouve qui est intéressant c’est : jusqu’où on peut accepter par exemple les différences culturelles, ou peu importe le comportement vis‐à‐ vis de soi, de son interlocuteur ? Parce qu’il y a plein de façons dont elle se comportait et que je trouvais ça bizarre. Je me posais beaucoup de questions à savoir : mais est‐ce que… des choses qui me dérangeaient par exemple, et je me suis dit est‐ce que je dois accepter ce genre de choses ? Est‐ce que je ne peux pas ? Je faisais beaucoup la comparaison, à savoir si elle était Française, est‐ce qu’elle m’aurait posé ce genre de question ? Est‐ce qu’elle aurait réagi de la même façon ? Du coup, je me suis pas mal remis en question. (80) »
Ainsi, au fur et à mesure de la relation cette remise en question commence à faire surgir la préservation de sa propre identité : « Ben oui, je crois que plusieurs fois j’ai eu l’impression de la perdre – je ne sais pas si on a une vraie identité – mais en tout cas, j’ai l’impression plusieurs fois que je faisais des choses alors que ce n’était pas ma nature de les faire. En fait,
ça revient à ce que je disais au début sur j’encaisse, j’ai l’impression d’encaisser beaucoup plus de choses qu’avant, puisqu’effectivement j’étais confronté à beaucoup de situations qui m’ont mis un peu au pied du mur et qui m’ont dérangé. Du coup j’ai encaissé beaucoup de choses qui m’ont dérangé. »
Plus loin, Marcel raconte un évènement qui l’a particulièrement déstabilisé : « J’habitais avant près de la gare ferroviaire, je n’habitais pas très loin, j’habitais chez la mère de ma copine (je ne sais pas si c’est un détail important mais…). Donc sa mère qui vient donc chez elle, c’était en semaine. Sa mère devait repartir un matin très tôt en semaine. La veille au soir, elle était très chargée puisqu’elle avait récupéré plein de choses de l’appartement pour ramener chez elle, dans sa ville natale – je parle de la mère – et elle était très chargée. Alors elle devait partir le matin très tôt en semaine. Ma copine qui me dit « Et bien demain matin, tu iras accompagner ma mère à la gare parce qu’elle a beaucoup d’affaires ». J’avais trouvé ça un peu insensé parce que – je ne sais pas si c’est égoïste – j’avais trouvé ça égoïste dans le sens où son train était à 7 h 00, il fallait se lever à 6 h 00, c’est vrai que moi je travaillais, je prenais le travail à 9 h 00, ça me faisait lever deux heures plus tôt. En fait, je trouvais ça insensé parce que je me lève plus tôt… bon bref. Et surtout c’est qu’en Chine, on appelle un taxi, on met les affaires dans la voiture et puis le taxi l’emmène, elle dérive à la gare et puis voilà. En fait, je ne vois pas en quoi j’étais utile. Alors oui, effectivement, j’aurais pu prendre les affaires et les mettre dans le taxi, ça c’est quelque chose à la limite que j’aurais pu comprendre et que j’aurais pu faire, mais ma copine a insisté pour j’emmène sa mère jusqu’à la gare, alors qu’elle travaillait aussi mais à aucun moment, il était question qu’elle se lève pour aider sa mère. Je trouvais ça complètement insensé et je croyais que c’était une blague au début. Et le lendemain matin, ma copine me réveille elle me dit « Ben vas‐y, il faut que tu emmènes ma mère à la gare » et je me suis dit c’est une blague quoi. Et en fait, j’y suis allé en scooter électrique et j’avais sa mère derrière ‐ on avait des coussins… c’était super le bordel – on est allé jusqu’à la gare. Du coup j’amène sa mère et sa mère ne me dit même pas merci, ni merde, ni que dalle, elle part, elle va prendre le train. J’étais super énervé, je rentre chez moi, je suis super énervé, je dis « Putain, ta mère elle ne m’a même pas dit merci ! C’est abusé ! » et là elle s’énerve, elle me dit « Attends, pour toi ça devrait être un honneur. Je t’ai donné l’opportunité de faire bon effet devant ma mère et de lui rendre un service. Tu devrais être content au lieu d’être en colère ! ». Là je me suis dit « Mais merde, où je suis ? ». Là, j’étais complètement perdu.
Dans ces différents extraits, nous voyons comment le décalage culturel remet en cause le lien du couple qui ne garantit plus ce que J‐G Lemaire appelle la « confirmation narcissique mutuelle »249. Ce terme désigne l’idée que le couple garantit la reconnaissance narcissique de l’autre pour confirmer son sentiment d’existence, son identité et son intégrité psychique. Dans le cas de Marcel, le lien du couple remet en cause son identité. I.2.3. Français de l’étranger Nous avons vu les conséquences de l’expatriation sur le couple et la famille ; nous allons ici exposer ici les effets du déplacement sur les différents groupes d’appartenance du nouvel environnement. Nous avons constaté un effet important de rapprochement auprès des « français de l’étranger ». La culture d’origine semble ici jouer un rôle majeur dans la création du lien d’appartenance250.
Aurélie évoque les relations avec les autres membres de la communauté des français à Chengdu : « Il y a des gens ici que si je les voyais en France, ça ne serait pas forcément mes amis. Et du fait qu’on est au même endroit et qu’on n’est pas nombreux en ce moment et bien par la force des choses il faut bien leur parler sinon on parle à moins de monde. (132 ) […] ils sont Français, moi aussi. Je veux dire si c’était mes voisins je ne leur parlerais pas mais là ce ne sont pas mes voisins, ce n’est pas le même pays. Du coup, enfin c’est normal, tout le monde c’est la même chose j’imagine. (136) »
Cette tendance à se rapprocher de sujets ayant la même culture d’origine se retrouve également chez Marcel : « J’ai tendance à plutôt côtoyer les francophones et c’est vrai que le lien est tout de suite je pense beaucoup plus fort, parce qu’on se retrouve en Chine, surtout à Chengdu […] il y a très peu de Français ici à Chengdu. Du coup quand on se rencontre on est tout de suite beaucoup plus sympa – c’est mon sentiment, je me sens beaucoup plus ouvert aux autres. J’ai l’impression que c’est assez réciproque. Je côtoie des gens que je n’aurais peut‐être pas forcément côtoyés en France, parce que du fait de la situation sociale, du fait de la différence d’âge… Voilà, au final on se retrouve ici. Je côtoie des gens parce que je pense
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