Chapitre 4 : Quels modèles de référence : la psychanalyse de groupe et l’enveloppe culturelle du
III. Méthodologie
III.1. Méthodologie de recueil de données
prénoms des participants, ainsi que certains lieux qui ont été décrits.
III.�Méthodologie
III.1. Méthodologie de recueil de données Une fois notre objet de recherche défini, les questions d’ordre méthodologique se sont posées sur le dispositif le plus efficace pour recueillir les données, puis les analyser. Nous traiterons ici de la question du cadre et du choix d’outils pour le recueil de données. III.1.1. L’observation clinique et l’observation participante La première question qui s’est posée était celle de notre place en tant que chercheur dans ce travail. En effet, comme nous l’avons déjà évoqué, nous étions dans une double position à la fois extérieure (chercheur) et sur le terrain. Loin de nier cette particularité, il nous faut l’analyser pour en faire un outil de notre recherche.Nous étions donc dans une position d’observateur. Pour Jean‐Louis Pedinielli169, l’observation clinique consiste à « relever des phénomènes comportementaux, idéatifs, langagiers, émotionnels, et cognitifs significatifs, afin de leur donner un sens en les restituant dans la dynamique, l’histoire d’un sujet et dans le contexte de l’observation et dans le mouvement intersubjectif actualisé ». Cette position et cette attention propres à l’observateur nous semblaient essentielles. Toutefois, elles remettaient en cause l’opposition stricte entre « sujet percevant et objet perçu ».
Dans cette perspective, nous ne pouvons nier que nous étions nous même dans une position subjective proche de celle des expatriés170. En effet, nous vivions, a minima, cette rupture et ce décalage culturel. Dès lors, notre positionnement était proche de ce que nous pouvons appeler l’observation participante, qui « consiste, pour un enquêteur à s'impliquer dans le groupe qu'il étudie pour comprendre sa vie de l'intérieur ». �������������������������������������������������������������������������������������������������� ��������������������������������������������������������������������������������������������������������������� ��������������������������������������������������������������
III.1.2. L’entretien clinique semi‐directif
Au‐delà de l’observation, nous devions mettre en place un cadre permettant le recueil des données subjectives en fonction des problématiques que nous avions dégagées. C’est dans ce contexte que l’entretien nous a semblé le meilleur outil. L’entretien clinique a été défini par Blanchet171 comme : « un entretien entre deux personnes, un interviewer et un interviewé conduit et enregistré par l’interviewer ; ce dernier ayant pour objectif de favoriser la production d’un discours linéaire de l’interviewé sur un thème défini dans le cadre d’une recherche. »
Une fois cette méthode de l’entretien choisi, il restait à construire la forme. Il nous semblait important à la fois de laisser une certaine liberté, tout en permettant d’explorer des questions spécifiques.
Marie‐France Castarède172 considère qu’il existe deux facteurs de réflexion dans la construction d’un entretien, le premier étant celui du degré de liberté dans l’entretien. Ce degré tient compte du nombre de questions posées ainsi que de leur nature. Cela va des questions ouvertes aux questions fermées standardisées (par exemple des questionnaires). Le deuxième facteur est celui du niveau de profondeur. Ainsi, l’auteure considère que plus le niveau de liberté est grand, plus le sujet a la possibilité d’avoir des réponses riches. Toutefois, cette richesse apporte également plus de complexités et pouvant rendre l’analyse des entretiens difficile.
Dans ces conditions, nous avons opté pour des entretiens semi‐directifs. Le choix de ce type d’entretien tenait compte, à la fois, des axes de recherches précis que nous avions dégagés, tout en permettant aux sujets de déployer leur discours et leur subjectivité. Cette technique permet « d’orienter » en partie le discours autour d’axes préalablement définis dans ce que l’on appelle un « guide d’entretien », tout en permettant d’exprimer des représentations profondément inscrites au niveau subjectif chez l’individu.
Cet entretien avait donc pour but de répondre à notre hypothèse principale et ainsi d’explorer la question des variations identitaires dues à l’expatriation. Pour répondre à cette question, il nous semblait essentiel d’aborder quatre axes différents en lien avec notre thème de recherche. Voici ces 4 principaux thèmes abordés : �������������������������������������������������������������������������������������������������������������� ���������������������� ���������������������������������������������������������������������������������������������������������������� ������������������
1)� Les effets narcissiques de l’expatriation
Cette première série de questions avait pour but d’amener les sujets à évoquer la manière dont l’expatriation pouvait être un moment critique sur le plan narcissique. Dès lors, les questions tournaient autour des états affectifs dans lesquels les sujets se retrouvaient depuis qu’ils étaient en France. Une question était par exemple : « comment vous sentez‐vous en Chine ? ».
2)� l’identité et les identifications
Dans cette partie, nous interrogions les sujets sur le sentiment de variation identitaire, ainsi que sur les processus d’identification. Concernant la notion de l’identité, la question‐type était : « Avez‐vous l’impression d’avoir changé depuis que vous êtes arrivé en Chine ? » L’autre versant de cet axe était orienté autour de la question des identifications. Là, nous nous sommes intéressé aux effets des remaniements identitaires ainsi qu’aux modèles d’identification. Par exemple, la question était : « Avez‐vous l’impression de vous identifier aux personnes que vous rencontrez ici ? » Par exemple, lors de l’entretien avec Marcel, il était question de ce processus d’identification avec son ancienne compagne chinoise. Ces questions pouvaient également porter sur le phénomène de désidentification par rapport à la culture française.
3)� Intersubjectivité
Ce troisième axe était complémentaire à la question de l’identité/identification. En effet, comme nous l’avons évoqué dans notre partie théorique la question de l’identité ne peut se penser sans l’autre ni sans son lien à l’autre. A travers ces questions, nous cherchions à identifier en quoi l’expatriation avait pu avoir des répercussions sur les différents types de relations intersubjectives du sujet. Nous nous intéressions ainsi à deux types de liens. Tout d’abord les liens préliminaires à l’arrivée en Chine avec des questions telles que : « Avez‐vous l’impression que vos relations avec les membres de votre famille ont changé depuis votre départ pour la Chine ? ». Les questions portaient ensuite autour de ce qui structurait les nouveaux liens intersubjectifs. Celle que nous nous sommes posée était la suivante : l’expérience vécue commune va‐t‐elle structurer un sentiment d’appartenance au groupe et conduire à la création d’un néo‐groupe culturel dont le référentiel n’était pas forcément la culture d’origine mais plutôt l’expérience commune de l’expatriation ? La question était par exemple : « Avez‐vous l’impression que l’expérience de l’expatriation vous rapproche des autres expatriés ? ».
4)� Le rêve
Le dernier axe concernait la question des rêves. Les raisons qui nous mènent à nous intéresser à cette question dans ce travail, est que comme nous l’avons explicité dans notre
partie théorique, le rêve est un phénomène particulièrement pertinent pour rendre compte des changements des frontières du moi. Il nous permet d’observer comment un sujet incorpore son environnement. Il nous semblait donc intéressant d’interroger les personnes sur la fréquence, et sur le contenu du rêve. La question des rêves étant difficilement abordable, nous avons évoqué ces questions en général à la fin de l’entretien. Par exemple nous demandions : « Est‐ce que vous rêvez de la Chine et de quoi rêvez‐vous ? »
Nous avons choisi d’enregistrer les entretiens pour plusieurs raisons. Tout d’abord nous voulions éviter une prise de notes. Il nous semblait que dans la situation de recherche que nous avons décrite, nous étions dans un cadre changeant dans lequel nous étions nous‐même particulièrement investi dans une situation de symétrie par rapport au sujet. En effet, nous expérimentions la situation de rupture. Cette démarche comportait un risque : nos propres mouvements pouvaient influencer nos prises de notes, et que celles‐ci ne reflèteraient pas suffisamment bien la réalité de la situation. En effet, comme le rappelle Georges Devereux, face à une situation qui peut se révéler émotionnellement forte, « le savant cherche à se protéger contre l’angoisse par omission, mise en sourdine, non‐exploitation, malentendu, description ambigue, surexploitation ou réaménagement de certaines parties de son matériau. »173 Dès lors, nous avons considéré que l’utilisation d’enregistrement permettrait une plus grande objectivité. De plus, nous souhaitions faire une analyse de contenu des discours dans le traitement des données. Cette analyse avait l’avantage de produire une étude systématique du contenu du discours, ce qui nous semblait être une méthode complémentaire à l’approche psychanalytique.
III.1.3. Tests projectifs (Rorschach et TAT)
L’utilisation d’un seul entretien de recherche nous semblait nécessaire mais pas suffisante dans le cadre de cette étude. En effet, les éléments latents pouvaient rester inaccessibles. Nous avons donc décidé d’utiliser des tests projectifs de façon complémentaire aux entretiens et à l’observation afin d’accéder à d’autres éléments du fonctionnement psychique.
L’hypothèse centrale qui justifie l’utilisation des tests projectifs est que « les opérations mentales mises en œuvre au cours de la passation des épreuves projectives sont susceptibles de rendre compte des modalités de fonctionnement psychique propres à chaque sujet dans leur spécificité
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mais aussi dans leur articulation singulière »174, la projection étant le processus psychique permettant d’accéder au mode de fonctionnement inconscient du sujet.
Dans cette perspective, nous avons décidé d’utiliser les deux tests projectifs (Rorschach et TAT) car ils sont complémentaires. Comme le rappelle Catherine Chabert, l’utilisation de ces deux tests permet de « saisir les diverses modalités de fonctionnement psychique d’un individu dans une visée qui en rassemble les aspects les plus variés, les plus hétérogènes, les plus contradictoires »175. En effet, même si le Rorschach explore également le registre œdipien, il permet de se centrer davantage sur les modalités de fonctionnement plus archaïques. Quant au TAT, il permet une exploration plus importante des relations objectales. Elles se situent donc dans des registres différents mais complémentaires.
Le but de l’utilisation de ces tests n’était pas, bien évidemment, de « pathologiser » la population expatriée, il s’agissait plutôt de permettre d’objectiver et de mettre en perspective les éléments du discours des sujets.
Notre méthode d’analyse et de dépouillement se place dans la perspective de « l’école de Paris » (Catherine Chabert, Michelle Emmanuelli, Catherine Azoulay). Cette école d’analyse des tests projectifs utilise le modèle psychanalytique comme épistémologie de référence de l’appareil psychique.
�� Rorschach
Le test de Rorschach est pré‐figuratif, étant marqué au niveau manifeste par une double dimension à la fois structurale et sensorielle. La dimension structurale est indiquée par la construction formelle des planches et la dimension sensorielle par les couleurs renvoyant le sujet à une dimension plus affective176.
Ce test comporte dix planches renvoyant à différentes problématiques centrées sur la dimension narcissique d’une part, et relationnelle, d’autre part. Au niveau latent, le test de Rorschach permet de par son ambiguïté perceptive, de faire émerger le travail projectif associé à des représentations177. Au niveau de la consigne, nous nous sommes appuyé sur celle proposée par les tenants d’une approche psychanalytique du Rorschach178. Nous invitions donc les sujets à dire « tout ce qu’on
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pourrait voir dans ces planches ». Une fois ce travail d’interprétation effectué par le sujet, nous procédions à l’enquête afin de bien localiser les réponses.
Nous avons ensuite effectué le travail de cotation ainsi que le psychogramme sous la supervision d’une psychanalyste spécialisée dans les tests projectifs.
Un autre élément essentiel dans le Rorschach est qu’il s’agit d’un test pour lequel un travail statistique a été élaboré. Dès lors, nous avions la possibilité de comparer nos résultats en fonction des normes de la population générale et, donc, de dégager des tendances. Dans cette perspective, nous pouvions comparer nos résultats aux moyennes. �� TAT Contrairement au test de Rorschach, le TAT est un test figuratif. Nous avons présenté les images aux sujets selon la perspective de Vica Shentoub179. Nous avons ainsi repris sa consigne « imaginez une histoire à partir de chaque planche ». Cette consigne permet un double mouvement de se laisser aller à raconter (régression) tout en prenant en compte le matériel clinique et en prenant garde au fait que l’histoire soit cohérente. Cette consigne met l’accent sur les processus associatifs de pensée. Là également, on distingue le contenu manifeste du contenu latent. De plus, certaines planches sont destinées aux femmes (6GF, 7GF, 9GF), et d’autres aux hommes (6BM,7BM, 8BM). III.2. Méthodologie du traitement des données Après avoir exposé les différents points de notre méthodologie de recueil des données, nous allons envisager une méthodologie qui permettra de les analyser. Nous proposons une double analyse. Dans un premier temps, nous réaliserons une partie quantitative (analyse thématique et Rorschach) et dans un second temps, nous présenterons notre partie qualitative (études de cas et les deux tests projectifs). III.2.1. Analyse quantitative Notre analyse quantitative pose un problème par rapport au nombre de sujets trop faibles (10 sujets) pour qu’il soit représentatif. Toutefois, cette analyse semble intéressante pour dégager des tendances générales. Elle porte sur deux axes : l’analyse thématique, ainsi que sur les protocoles de Rorschach.