Chapitre 4 : Quels modèles de référence : la psychanalyse de groupe et l’enveloppe culturelle du
III. Analyse du TAT
I.1. Lien et départ
I.1.3. Les effets transgénérationnels de l’expatriation
départ correspond à la première phase de séparation. Dès lors, la tristesse émerge, signe de la première étape d’un travail de deuil de son ancienne position.
Robert évoque ce sentiment de solitude par rapport à sa famille : « Ah c’est sûr, c’est sûr !! Ca arrive… Déjà la famille, les amis d’enfance manquent. C’est tout de même… euh… j’imagine que de leur côté aussi, il y a quand même une absence. Les personnes qui nous sont chères… et notamment au moment, par exemple, des anniversaires, Noël. Noël c’était très dur, la première fois Noël c’était très très dur. On pense que tout le monde est avec sa famille en France, on passe du temps en famille, on mange. […] Même avec des amis, même si j’avais ma copine à ce moment‐là, même avec ma copine j’avais un pincement au cœur en pensant à la France. (58) » Nous constatons plus loin dans l’entretien, que le départ de Robert s’inscrit à la fois dans une volonté de se différencier de son frère et de trouver une autre place dans le groupe social. Dans cette perspective, le départ est un moment critique de la perte, conduisant à un réaménagement des liens d’appartenance. I.1.3. Les effets transgénérationnels de l’expatriation Nous avons noté qu’une dimension transgénérationnelle semblait avoir une incidence plus ou moins inconsciente sur la décision du départ. Nous avons ainsi dégagé plusieurs cas de figure. Nous avons constaté, chez Cécile, que le départ de France et l’expatriation s’inscrivent dans un renforcement des liens intra‐familiaux, le départ n’étant plus forcément une séparation mais plutôt une façon de re‐trouver sa famille. « C’est mon père qui vivait en Chine depuis… euh… depuis 2004 et je suis venue le voir en vacances, et euh… trois ans après j’ai obtenu mon diplôme d’instit et ici ils ont ouvert une école euh… pour les enfants expatriés, et ils m’ont proposé un poste. Et donc c’était vraiment tout à fait par hasard. Je devais faire juste deux semaines pour voir comment ça se passait et je suis restée quatre mois et après quand je suis rentrée en France, j’ai pris mes bagages et je me suis installée. » Plus loin, elle évoque : « Au début quand je suis arrivée euh… (rires), je vivais chez mon père euh… donc les premiers mois donc j’étais vraiment redevenue une petite fille, c’est lui qui me montrait tout vraiment comment survivre, où aller pour acheter à manger, (32) ».
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Tout d’abord, nous constatons que le départ vient s’inscrire dans un rapprochement des relations avec le père. Mais nous observons, au fur et à mesure de l’entretien, que cette décision s’inscrit dans un contexte familial où l’expatriation occupe une place particulière : « C’est quelque chose qui est toujours présent chez nous dans ma famille, on a beaucoup bougé : mon frère est à Hong‐Kong actuellement, il était en Inde avant, mes parents ont voyagé énormément, ont habité à l’étranger et je ne me sens pas enracinée en France. Je n’ai pas vraiment de maison familiale ou quoi, on a l’habitude de bouger et euh si, l’expatriation c’était quand même un choix futur euh... (6) »
Le deuxième élément que nous constatons est que l’expatriation est un élément constitutif de l’identité familiale. Cécile évoque plus loin que ses grands‐parents avaient déjà été expatriés. Nous nous sommes alors demandé si cette décision du départ ne s’inscrivait pas dans la volonté plus ou moins inconsciente de renforcer le lien d’appartenance à sa famille.
La question qui émerge à la lecture de cette étude de cas est la suivante : quelle est la part du singulier et du propre dans la décision de départ de Cécile ? Ou, pour le dire autrement, quelle place l’histoire familiale occupe‐t‐elle dans la décision de ce départ ? Dans le cas de Cécile il semble que cet évènement ait une double fonction. Il permet un rapprochement des liens d’appartenance à sa famille en définissant plus clairement son rapport de filiation tout en étant un acte individuel et profondément subjectif. Nous pourrions ainsi dire que l’expatriation est une façon d’inscrire sa propre histoire dans celle de sa filiation. Autrement dit : « Ce dont tu as hérité de tes pères, conquiers‐le afin de pouvoir le posséder »241.
Nous avons également observé d’autres effets transgénérationnels pour d’autres sujets. En effet, pour Sam et Pauline, c’est la question du rapport entre l’expatriation et l’expérience d’immigration de leurs parents qui nous a posé question.
Pauline m’a accueilli chez elle pour les entretiens et, dans son salon, il y avait un grand drapeau d’un pays du Moyen‐Orient. A la fin du deuxième entretien, après l’enregistrement et avant de partir, j’ai posé une question concernant ce drapeau. Elle a alors évoqué, très émue, sa propre histoire familiale dans laquelle, peu après sa naissance, ses parents ont dû fuir ce pays pour s’installer en France. Elle a parlé de cet exil vécu de façon très douloureuse dans sa famille ainsi que les bribes d’impressions et de souvenirs sensoriels qu’elle en avait. A la fin de son récit, elle avait les larmes aux yeux. ��������������������������������������������
Cet évènement familial semble encore soulever de douloureux affects et nous pouvons nous interroger sur la place de ce traumatisme dans la décision du départ de Pauline. Nous voyons ainsi émerger la problématique de la transmission de la violence et de la fonction que celle‐ci occupe dans l’économie psychique du sujet. Comme nous le rappelle Christiane Joubert, : « La psyché individuelle hérite de la transmission violente des contenus traumatiques et s’étaie sur une structure familiale inconsciente qui en est dépositaire. »242 Le cas de Sam s’inscrit, quant à lui, dans un contexte multiculturel. Il évoque : « La question c’est : est‐ce que le fait d’être venu ici qui me donne envie de partir ailleurs ? Non, je ne crois pas puisque j’avais déjà… j’ai toujours eu cette envie. Peut‐être pas toujours mais j’ai eu cette envie il y a un bon moment déjà de découvrir toutes les cultures, le plus de cultures possibles dans la limite du possible. Je sais que je ne pourrais pas tout découvrir puisque le monde est illimité niveau richesse, apprentissage et culture, etc. Mais j’ai cette envie de découvrir les cultures, de découvrir les langages, de savoir comment les gens vivent, qu’est‐ce qu’ils mangent, comment ils dorment… Et c’est vrai que j’ai cette curiosité. (74)
j’ai grandi dans un milieu multiculturel et la France finalement j’ai toujours été… la culture française a toujours été en découverte pour moi depuis mon plus jeune âge. Il y avait une assez forte culture marocaine dans ma famille, vu que mon père est Marocain ‐ donc couscous, tajine, on mange aussi avec les mains – mais du coup, j’étais tout le temps aussi… j’étais en France, j’étais tout le temps dans la culture française avec mes amis, etc. Mais c’est surtout la culture française, je ne peux pas dire non plus que je la connais très très bien non plus… je suis toujours en découverte. (50) Sam, ici, évoque ses origines multiculturelles qui expliquent son départ. La différence culturelle est consubstantielle à sa culture familiale. Dès lors, la culture devient un moyen de se découvrir soi‐ même. Sam exprime notamment dans l’entretien cette nécessité de se « découvrir », comme si l’expérience d’expatriation lui permettait d’accéder à des éléments de sa propre histoire et, ainsi, de se l’approprier.
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Dans tous ces ces cas, il s’agit de savoir si la transmission transgénérationnelle se parle, se transforme et occupe une « fonction sémaphorisante et métaphorisante »243, ou si le transgénérationnel assigne à une place définitive au sujet. D’une certaine façon, « il s’agit de devenir sujet de la famille, sans s’y noyer, de se dégager du transgénérationnel qui induit la répétition et les fonctionnements en prévalence de positions narcissiques qui sont infiltrés de pulsion de mort. » A présent penchons‐nous sur les répercussions sur le lien de la rencontre avec l’étranger. I.2. A l’étranger
L’analyse des entretiens nous a permis de constater qu’il existait des effets de l’expérience de l’expatriation sur le lien d’appartenance. Nous nous sommes ainsi rendu compte que ces effets étaient le fruit des nouveaux liens que le sujet nouait dans de nouveaux groupes. Nous rejoignons la proposition de René Kaës sur les contrats narcissiques secondaires : « Tout changement dans le rapport du sujet à l’ensemble, toute appartenance ultérieure, toute nouvelle adhésion à un groupe remet en cause, et dans certains cas au travail, les enjeux de ces contrats »244. Nous allons donc exposer les effets de cette expérience sur les différents liens d’appartenance.
I.2.1. Lien familial
Le premier groupe à être touché par le déplacement est le groupe familial. Nous constatons que la place que le sujet occupe à l’étranger, ainsi que le processus d’introjection du nouvel environnement affectent les liens familiaux. Nous constatons que ces changements ne peuvent se résumer à une seule tendance générale.
�� Rupture dans le lien
La première tendance que nous observons et que nous avons abordée dans la partie précédente sur les raisons du départ, est celle de l’éloignement des liens d’appartenance. Nous reprenons ici l’étude du cas de Julien qui évoque comment l’expatriation a changé ses liens avec les autres. Il affirme que son choix de vie a « changé […] toutes ses relations ». Il s’interroge plus tard sur les raisons de ce changement : « C’est mon mode de vie. Alors est‐ce que c’est ma façon de faire ou mon mode de vie qui a changé? Les deux parce que mon mode de vie a changé mes façons de faire. Mais certainement il y a… Je suis en train de travailler là‐dessus un peu mais je n’arrive pas à changer sur ce côté je
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