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La protection individuelle de l’espèce par une convention dédiée

CHAPITRE I : LA FRAGMENTATION DU RÉGIME INTERNATIONAL RELATIF À LA PROTECTION DE LA FAUNE TERRESTRE CONSÉQUENCE DU CHAMP D’APPLICATION

I. La protection individuelle de l’espèce par une convention dédiée

Les traités visant à protéger une espèce spécifique sont en réalité assez rares dans la mesure où en se focalisant sur une espèce en particulier, ils font abstraction des autres éléments de l’écosystème qui l’accueille. Or, il est vain de protéger une espèce en faisant abstraction des menaces qui pèsent sur son écosystème Par ailleurs ces traités ont tendance à ne regrouper que les États de l’aire de répartition de l’animal à l’instar de l’accord relatif à la conservation des ours polaires de 1973 et excluent d’autres États qui bien que dépourvus de tout spécimen de l’espèce en question peuvent néanmoins jouer un rôle dans sa disparition à travers l’importation de spécimens ou en contribuant à des activités ayant des conséquences environnementales importante à l’image du réchauffement climatique.

A ce jour il existe seulement deux traités couvrant une espèce particulière : l’accord relatif à la conservation des ours polaires de 1973, et l’accord sur la vigogne conclu entre les pays andins en 1969. A cela, il faut ajouter les « ACCORDS » ancillaires conclus dans le cadre de l’Article IV de la Convention de Bonn. Parmi ces accords on distingue les accords véritables qui sont de véritables traités au sens strict du terme sur des espèces particulières visés à l’Article IV(3) de la CMS désignés sous le terme d’ « ACCORDS » destinés à la protection des espèces migratrices de l’Annexe II dont le statut de conservation le justifierait et, par ailleurs, les accords de l’Article IV(4) qui sont en réalité des accords en forme simplifiée ou plutôt en réalité des mémorandums d’accord qui énoncent des mesures en vue de la protection de certaines espèces qui ne sont pas nécessairement migratrices mais sont amenées à traverser les frontières, dans l’optique de conclure un véritable traité dans le futur. Très peu d’ACCORDS (traités véritables) ont été conclus jusqu’à présent mais on peut néanmoins citer l’accord sur la conservation des gorilles, le traité EUROBATS en vue de protéger les populations de chauves-souris ou

123 encore l’AEWA en vue de protéger la faune aviaire aquatique qui sont les plus notables. Il faut noter que ces traités tentent autant que possible d’avoir une vision globale en prévoyant notamment de créer des réseaux d’habitats favorables.317 Cette volonté d’aller

au de là de la protection de l’espèce est très présente dans l’accord sur la conservation des gorilles et de leurs habitats où, outre le titre, les parties reconnaissent que la conservation des pongidés est liée à celle de leurs habitats forestiers ou encore que les parties prennent des mesures de restauration ou de réhabilitation des habitats ou des mesures compensatoires pour la perte d’habitats.318

Par ailleurs, l’ACCORD GORILLA a le mérite de requérir des parties qu’elles prennent des mesures à l’encontre des menaces qui pèsent sur les gorilles au-delà de la dimension strictement écologique. Il est ainsi demandé aux Parties d’appuyer les initiatives visant à arrêter l’avancée d’Ebola ou d’étudier les problèmes qui se posent du fait d’activités humaines. Si ces dispositions demeurent assez vagues, elles ont au moins le mérite d’inciter les parties à envisager l’ensemble des causes de disparition. Par ailleurs, cela démontre d’une véritable volonté de sortir de la dimension unidimensionnelle de ces traités qui est si souvent dénoncée par la doctrine319. En dehors

de l’ACCORD GORILLA, le reste des ACCORDS se concentrent surtout sur la protection des habitats, en exigeant des parties qu’elles prennent des mesures de conservation relatives aux sites fréquentés par l’espèce pour sa reproduction et sa quête de nourriture,320et sur

la capture ou l’abattage de ces espèces, en opérant un renvoi vers l’Article III de la Convention de Bonn qui dans son Article III(5) interdit la capture et l’abattage sauf exceptions prévues par la Convention321. Il n’y a guère que l’accord EUROBATS en

revanche qui fasse figurer la prohibition directement dans le texte de la Convention. S’agissant des mémorandums d’accord quant à eux conclus sur la base de l’Article IV(4) de la Convention de Bonn de 1979, ils constituent en réalité des « mini conventions- cadres » conclues en attendant qu’un véritable ACCORD soit adopté ou tout simplement

317 Article III(2)(d) de l’accord sur la conservation des oiseaux d’eau migrateurs d’Afrique-Eurasie

(AEWA), Article III(3) EUROBATS, Article III(1)(b).

318ACCORD GORILLA, Préambule. 319 Voir le paragraphe précédent.

320 ACCORD GORILLA, Article III(2)(b) ; AEWA, Article II(2)(c), Article III(2). 321 AEWA, Article II(2)(a) ; ACCORD GORILLA, Article III(2)(a).

124 pour offrir une protection minimale à certaines espèces. En effet, les ACCORDS de l’Article IV(3) étant de véritables traités, ils sont soumis aux processus habituels de négociation et de ratification ce qui peut potentiellement impacter leur effectivité en raison de la longueur de ces processus d’où l’avantage des accords informels malgré leur faible portée obligatoire322. Ils reconnaissent les diverses menaces qui pèsent sur les espèces en

question323 mais les obligations des parties sont plus diluées dans la mesure où il s’agit

principalement d’obligations de moyens assez succinctes, imprécises dans la mesure où les mesures à mettre en œuvre figurent dans des plans d’action324 ou stratégies325

annexées au mémorandum.

Dans le texte des ces mémorandums il est seulement demandé aux Parties de prendre des mesures pour conserver et, si besoin de protéger strictement les espèces concernées, d’examiner les législations nationales et de mettre à dispositions les ressources nécessaires326. Dans la plupart des cas, il est demandé aux Parties de conserver

et si possible de restaurer les habitats et les écosystèmes des espèces concernées.327 Ces

mémorandums d’accord conclus sous l’égide de la Convention de Bonn de 1979 sont en cela très proches des conventions conclues en vue de la conservation et la gestion de la vigogne par les pays andins en 1969 et l’accord relatif à la conservation des ours polaires de 1973 où l’accent est mis principalement sur la protection des écosystèmes et l’interdiction de la capture et de l’abattage sauf exception, sans référence aux causes extérieures de déclin des espèces concernées.

322 Cyrille DE KLEMM, « Problem of Migratory Species » dans Helge Ole BEGESEN, Georg PARMANS, Green

Globe Yearbook of International Cooperation on Environmental and Development, 1994, pp. 67–77, p. 74.

323 Préambules des Memorandum d’Accord concernant le Cerf de Boukhara, l’Antilope de saïga et de

l’Elephant d’Afrique de l’Ouest.

324 Voir le Memorandum d’Accord concernant le Cerf de Boukhara et le Memorandum d’Accord sur la

Conservation, Restauration, et Utilisation Durable de l’Antilope Saiga (Saiga tatarica tatarica).

325 Voir le Memorandum d’Accord concernant les mesures de conservation en faveur des Populations

Ouest-Africaines de l’Eléphant d’Afrique (Loxodonta africana).

326 Mémorandum d’Accord concernant les mesures de conservation en faveur des Populations Ouest-

Africaines de l’Elephant d’Afrique (Loxdontana africana) §§1–3 ; §1 du Memorandum d’Accord sur la Conservation et la Restauration du Cerf de Boukhara (Cervus elaphus bactrianus)

327 Memorandum d’Accord concernant la Conservation, Restauration et l’Utilisation Durable de l’Antilope

125 L’analyse de ces instruments, qu’il s’agisse des accords sur la vigogne (vicugna

vicugna) et l’ours polaire (ursus maritimus) ou les accords ancillaires de la Convention de

Bonn qui cherchent à protéger directement une espèce ou un groupe d’espèces ont pour la plupart une approche qui se limite à protéger l’intégrité physique de l’espèce à travers l’interdiction de l’abattage, de la capture, ou de son exploitation (accord sur la vigogne) ou en essayant de prévenir la destruction de son habitat. Si l’on prend l’exemple de la vigogne (vicugna vicugna), la protection de ce camélidé exige non seulement de protéger son habitat afin de préserver ses sources de nourriture mais également de protéger son prédateur principal, la puma (felis concolor) qui permet de réguler le nombre des camélidés pour éviter que leur multiplication ne détruise les ressources en flore de son habitat dont d’autres espèces peuvent dépendre.

De ce fait, cette approche est limitée dans la mesure où elle fait abstraction d’une part des autres espèces animales et végétales qui partagent l’écosystème de l’espèce cible et dont elle peut dépendre. Certes, les ACCORDS de l’Article IV(3) requièrent des Parties qu’elles protègent l’habitat des espèces ciblées ce qui offre par ailleurs une protection indirecte des autres espèces dont elles peuvent dépendre328. Toutefois, l’habitat ne

constitue jamais qu’un élément d’un écosystème que l’espèce cible ne fréquente pas forcément mais sur lequel elle peut jouer un rôle indirect du fait de l’interaction qui existe entre les différentes espèces et habitats d’un même écosystème. Ainsi si l’on prend l’écosystème arctique, il est composé de plusieurs habitats constitués par l’Océan arctique, la banquise, les glaciers. L’ours polaire qui en est le prédateur suprême trouve principalement sa nourriture (pinnipèdes) sur la banquise qui donc nécessite une protection particulière en tant qu’habitat. Pour autant les pinnipèdes dont se nourrit l’ours demeurent autant sur la banquise, que dans l’océan. En conséquence, la protection du seul ours et de son habitat, la banquise, ne sont pas suffisants pour assurer la survie de l’espèce. Il est également nécessaire de protéger l’habitat des proies dont se repaît l’animal. En cela la protection individuelle n’est guère plus satisfaisante que la protection collective des espèces à travers la technique des listes qui n’offre une protection qu’aux espèces ayant un statut de conservation défavorable ou en fonction d’autres propriétés comme leur statut de migrateur en ignorant par la même occasion que ces espèces dépendent d’autres spécimens qui ne figurent pas nécessairement sur ces listes.

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II. La protection collective des espèces à travers la technique juridique des

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