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La protection des habitats ou la protection de la faune sauvage par ricochet

CHAPITRE I : LA FRAGMENTATION DU RÉGIME INTERNATIONAL RELATIF À LA PROTECTION DE LA FAUNE TERRESTRE CONSÉQUENCE DU CHAMP D’APPLICATION

I. La protection des habitats ou la protection de la faune sauvage par ricochet

La protection indirecte ne cherche pas à protéger la faune terrestre en elle-même mais à protéger certains habitats ou sites en eux-mêmes soit en raison de leur rareté, certaines

353 Conf. 9.24 (Rev. COP16).

354 Marie-Laure LAMBERT-HABIB, Le commerce des Espèces Sauvages : Entre droit international et gestion

134 caractéristiques extraordinaires ou des services écologiques qu’ils rendent à l’humanité à l’instar des zones humides. Leur objet premier n’est donc pas de protéger la faune terrestre ou la flore mais plutôt un milieu naturel. Il est donc possible d’affirmer que ces conventions participent à la protection de la faune terrestre dans la mesure où les sites ou habitats protégés peuvent abriter des espèces qui bénéficieront indirectement de cette protection. Dans le cas de la Convention de Ramsar dont l’objet premier est la conservation des zones humides, il n’est pas fait mystère que l’un des objectifs majeurs est également la conservation des oiseaux d’eau comme le titre de la convention l’indique355. La Convention sur le Patrimoine Mondial considère comme pouvant faire

partie du « patrimoine naturel » les formations géologiques et physiographiques et les zones strictement délimitées constituant l’habitat d’espèces animales et végétales menacées qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science ou de la conservation356. Ainsi, en Tanzanie au moins trois sites protégés par la Convention

du Patrimoine Mondial, inscrits sur la liste du Patrimoine Mondial, sont parmi les plus importants réservoirs de faune de la planète. Il s’agit de la réserve naturelle du Selous, le Parc National du Serengeti et l’Aire de Conservation du Ngorongoro en Tanzanie.

La technique de protection utilisée est hybride mêlant technique des listes de sites et protection in situ. Par exemple, dans la Convention du Patrimoine Mondial, il appartient à chaque État de présenter un inventaire des biens du patrimoine naturel localisés sur son territoire. Il appartiendra par la suite au Comité du Patrimoine Mondial, organe créé par la Convention, d’opérer une sélection357 et d’inscrire sur la liste avec l’accord de l’État

concerné, certains de ces biens qu’il considère comme ayant une valeur universelle sur la base de critère préétablis358. Une fois le site inscrit, les États ont l’obligation de mettre en

œuvre une protection in situ matérialisée par la prise de mesures en faveur de la conservation, la protection et la mise en valeur du patrimoine culturel et naturel359. Le

texte de la Convention ne prend pas le soin de préciser la nature de ces mesures au delà de la mise en place de services de protection dotés de moyens suffisants, de procéder à

355 Préambule de la Convention de Ramsar.

356 Article 2 de la Convention du Patrimoine Culturel et Naturel. 357 Convention du Patrimoine Culturel et Naturel, Article 8 .

358 Ibid, Article 11 de la Convention du Patrimoine Culturel et Naturel. 359 Ibid, Article 5 de la Convention sur le Patrimoine Culturel et Naturel.

135 des études et recherches scientifiques notamment dans un but de prévention et d’assurer une formation dans le domaine de la protection360. En plus de leurs obligations à l’échelle

nationale, les États ont un devoir de coopération dans la protection du patrimoine naturel situé hors de leurs frontières et s’engagent à prendre aucune mesure de nature à endommager directement ou indirectement le patrimoine culturel et naturel des autres États361. Il s’agit ici d’une application du principe de bon voisinage.

La Convention de Ramsar fonctionne selon un principe similaire selon lequel l’État partie se doit de désigner au moins une zone humide qui fera partie de la Liste des zones humides d’importance internationale362 selon des critères écologiques, botaniques,

limnologiques, hydrologiques mais également zoologiques363, preuve que la conservation

de la faune est au minimum un objectif indirect de la Convention. L’Article 2(6) de la Convention rappelle aux Parties qu’elles ont des responsabilités s’agissant de la conservation, gestion, utilisation rationnelle des populations migratrices d’oiseaux d’eau lors de la désignation des zones humides Une nouvelle fois on constate que la protection offerte est parcellaire dans la mesure où seules les zones jugées d’importance internationale selon des critères qui seront précisés par la recommandation 4.2 de la Conférence des Parties en 1990 pourront faire l’objet d’une inscription sur la liste. Cette protection est d’autant plus limitée qu’il revient à l’État d’appliquer ces critères en toute discrétion364. Il aurait pourtant été plus logique que ce filtrage des zones humides ou que

la nomination des sites du patrimoine mondial se fasse de concert avec les autorités conventionnelles à la manière de ce qui se passe dans le cadre de la Convention du Patrimoine Mondial afin d’introduire plus d’objectivité dans la procédure. En effet, à travers la protection des zones humides, il ne s’agit pas seulement de préserver les intérêts étatiques mais les intérêts de la communauté internationale. Une fois la zone désignée et inscrite sur la liste des zones humides d’importances internationale, l’État a pour obligation de favoriser la conservation de ces zones et celle des oiseaux d’eau qui les

360 Ibid, Article 5 (b)(c)(d) et (e). 361 Ibid, Article 6(1) et (3).

362 Convention de Ramsar, Articles 2(1) et (4). 363 Ibid, Article 2(2).

136 fréquentent365en appliquant des plans d’aménagement afin de favoriser la conservation

de ces zones et leur utilisation rationnelles366.

Qu’il s’agisse de la Convention sur le Patrimoine Culturel et Naturel ou de la Convention de Ramsar, deux failles majeures ressortent de la lecture de ces deux conventions. La première qui touche surtout la Convention sur le Patrimoine Mondial tient au fait que seuls certains sites considérés comme extraordinaires selon des critères préétablis pourront bénéficier d’une protection et indirectement la faune qui les habite. Or, ces sites justement parce qu’ils sont exceptionnels constituent seulement une infime partie des sites nécessitant une protection. La champ d’application ratione materiae de la Convention est donc extrêmement limité et ce d’autant plus que le caractère extraordinaire ou exceptionnel de ces sites est déterminé à l’aune de critères relativement limités : scientifiques mais surtout esthétiques aux dépens peut-être de leur valeur écologique ou biologique à moins que cela soit sous-entendu par l’emploi du vocable scientifique qui fonctionnerait tel un terme parapluie. Il n’en demeure pas moins que ces critères sont également empreints de subjectivisme, surtout subjectivisme de l’État. En effet, dans les deux conventions prises en exemple, c’est l’État qui établit la liste des sites exceptionnels ou des zones humides situées à l’intérieur de son territoire. En conséquence, il fort possible que certaines zones ne soient jamais proposées à l’inscription en raison des intérêts socio-économiques de l’État. La Convention de Ramsar tente de limiter la discrétion de l’État en la matière « en obligeant » les États à favoriser les conservation des zones humides et des oiseaux d’eau les habitant par la création de réserves naturelles que la zone humide soit listée ou non367. S’il est appréciable que la

Convention de Ramsar ait cherché à combler les lacunes de la technique des listes, en tentant d’imposer une obligation de conservation de l’ensemble des zones humides, on ne peut que regretter que la force de cette obligation soit atténuée par l’emploi du terme « favorise » qui indique qu’il ne s’agit que d’une obligation de moyens assez limitée. Eu égard aux faibles mécanismes de suivi et non-respect des obligations de la Convention de Ramsar, il est donc possible qu’une seule zone humide fasse l’objet d’une protection par

365 Convention de Ramsar, Article 4 de la Convention Ramsar. 366 Ibid, Article 3.

137 État. Le problème est le même s’agissant de la Convention sur le Patrimoine Naturel selon laquelle seuls les sites exceptionnels bénéficieront d’une protection.

L’autre défaut qui affecte la protection indirecte est un argument plus général qui ne concerne pas une convention en particulier. En effet, le problème posé par la protection indirecte de la faune sauvage concerne son efficacité. En effet, si l’on suit la logique de la protection indirecte, il faudrait pour qu’elle soit efficace à un niveau global qu’il y ait une convention par habitat à protéger. Cela s’explique justement par l’approche sectorielle et segmentée qui prévaut actuellement à l’échelle internationale. A l’heure actuelle seul l’habitat des zones humides bénéficie d’une protection mais d’autres habitats riches en faune nécessiteraient une protection en particulier les forêts qu’elles soient boréales et surtout tropicales dans la mesure où elles abritent la majorité de la biodiversité terrestre.

Or, il n’existe aujourd’hui aucune convention protégeant ces biomes. Les États ont été incapables de s’entendre quand à une convention globale sur la protection des forêts lors de la conférence de Rio de 1992368. Aujourd’hui le régime international des forêts est

nucléarisé et diffus et fait l’objet d’instruments dépourvus de toute force contraignante. Il a été fait une première référence aux forêts dans la Stratégie Mondiale pour la Conservation de l’IUCN dans laquelle besoin de conservation des forêts est clairement exprimé mais seulement dans une optique de développement369. Par la suite, l’accord sur

les bois tropicaux fut adopté le 18 novembre 1983 en parallèle de la formation de l’organisation internationale des bois tropicaux deux ans plus tard. Cet accord but ensuite abrogé par l’accord du 26 janvier 1994 puis celui du 10 février 2006 ratifié par 73 États. Selon la doctrine, ces accords et en particulier la dernière mouture constituent un pas en arrière dans la mesure où il s’agit surtout de favoriser l’exploitation des forêts au détriment de la conservation qui était pourtant l’un des objectifs originaux du premier accord370371. S’il est fait mention de l’importance et du besoin d’une conservation effective,

368 David HUMPHREYS, « The Elusive Quest for a Global Forests Convention », RECIEL, 14(1), 2005, p. 1. 369 UN Doc A/RES/37/7, UNGA World Charter for Nature, 48th plenary meeting.

370 ITTA, Article 1de 2006 « Promote the expansion and diversification of international trade in tropical

timber from sustainably managed and legally harvested forests and to promote the sustainable management of tropical timber producing forests ».

371 Anja EIKERMANN, Forests in International Law, Is There Really a Need for an International Forest

138 il semble que cela soit uniquement en vue d’une exploitation durable372 et non en vue de

préserver les fonctions écologiques offertes par les forêts. Selon certains auteurs les intérêts économiques des États producteurs et consommateurs sont bien trop importants pour accorder une quelconque place à une réflexion axée sur la conservation373. Cette

réticence explique le résultat décevant de la Conférence de Rio de 1992 où seule une déclaration de principe sur les forêts dénommée « Déclaration de principes, non

juridiquement contraignante mais faisant autorité pour un consensus mondial sur la gestion, la conservation et l’exploitation écologiquement viable de tous les types de forêts »

a été conclue faute d’une convention globale. Le titre même de la déclaration et l’emploi permanent du conditionnel et du verbe « s’efforcer » ne laissent aucun doute quand à la force juridique de cet instrument. Tout au plus a t il le mérite de rappeler l’importance écologique des forêts au paragraphe 2b) et représente néanmoins un consensus sur la nécessité de conserver ce biome.

C’est finalement dans le cadre des Nations Unies et du Conseil Économique et Social des Nations Unies (ECOSOC) qu’une dynamique globale en vue de la conservation des forêts s’est instituée à travers le Forum des Nations Unies sur les Forêts (FNUF), successeur des défunts PIF (Panel Intergouvernemental sur les Forêts) et du FIF (Forum International sur les Forêts) qui avaient pour mandat de proposer des actions en vue de la gestion, conservation et développement durable de tous les types de forêts374. Le FNUF

qui est un organe intergouvernemental est plus ou moins chargé de cette même mission de promouvoir la mise en œuvre d’un programme d’actions coordonné en faveur des forêts basé sur la Déclaration de Rio sur les Forêts et le Chapitre 11 de l’Agenda 21375. En

dépit de ces bonnes intentions, le FNUF a été critiqué pour n’être qu’une chambre d’enregistrement et de recueil d’informations376. Pour autant il s’agit de la seule

institution internationale disposant d’un mandat expresse s’agissant des forêts et pouvant

372 Préambule de l’accord international sur les bois tropicaux de 1983.

373 Anja EIKERMANN, Forests in International Law, Is There Really a Need for an International Forest

Convention?, Editions Springer, 2015, version numérique, pp. 224–225.

374 Décision ECOSOC 1995/226.

375 UN DOC E/2000/99, Résolution 200/35 18 Octobre 2000, para. 1.

376 Anja EIKERMANN, Forests in International Law, Is There Really a Need for an International Forest

139 imposer un agenda international sur la question377. En 2007, a été adopté par l’Assemblée

Générale des Nations Unies l’Instrument non contraignant sur tous les types de forêts. La simple mention du titre de cet instrument ne laisse guère d’illusion sur le faible impact d’un tel instrument qui reprend en substance les principes dégagés par les déclaration de Rio et les Principes sur les forêts et qui se focalise surtout sur l’utilisation et la gestion durable des forêts378.

Il faut également signaler la protection des forêts offerte par la Convention de Rio de 1992 notamment via la Conférence des Parties qui dès la quatrième Conférence des Parties en 1998 a mis en place Programme de Travail sur la Diversité Biologique des Forêts379 en vue de la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique des

forêts qui inclus donc la faune terrestre380. La protection des forêts est également

couverte de manière indirecte par l’Accord des Nations Unies sur le Climat dont l’Article 4.1(b) prévoit l’obligation des Parties de formuler, de mettre en œuvre (…) des programmes contenant des mesures afin d’atténuer les effets du changement climatique notamment par la capture du carbone à travers le processus de photosynthèse justement opéré par les forêts. Toujours dans le cadre des Nations Unies a été mis en place l’initiative REDD+ (Reducing emissions from Deforestation and Forest Degradation in Developing Countries) en 2008 qui vise à réduire les émissions de carbone en augmentant le stockage de celui-ci par la préservation des forêts dans l’optique du développement durable ce qui ne peut que bénéficier indirectement à la faune qui les habite.

L’analyse du régime international des forêts mériterait certainement qu’on s’y attarde davantage d’autant qu’il existe d’autres initiatives et programmes internationaux à l’image du Programme sur les Forêts du PNUD pour la période 1997-2000 mais il ne nous appartient pas de le faire dans le présent exposé. Comme souvent, c’est dans le cadre régional et plus spécifiquement dans le cadre de l’Union Européenne que les initiatives en faveur de la protection des forêts ont été les plus notables soit dans le cadre de la Politique Agricole Commune (PAC) à travers les aides au boisement et à la sylviculture à travers le règlement n° 2080/92 ou encore le règlement 1257/1999 autorisant les États à soutenir

377 Ibid. 378 Ibid, p. 83.

379 UNEP/CBD/COP/3/38, COP3, Décision III/12. 380 UNEP/CBD/COP/4/27, COP4, Décision IV/7.

140 la sylviculture afin de maintenir et développer, entre autres fonctions, notamment économiques et sociales, les fonctions écologiques des forêts381.

L’autre mesure notable a été introduite par le règlement n° 2152/2003 concernant la surveillance des forêts et des interactions environnementales dans la Communauté, dénommées « Forest Focus » dont l’objectif principe est d’établir une action communautaire permettant une surveillance étendue, harmonisée, globale et à long terme de l’état des forêts notamment s’agissant des effets de la pollution atmosphérique et autres agents et facteurs ayant un impact sur les forêts mais également les incendies de forêts382. Le règlement cherche également à évaluer les besoins en matière de surveillance

des sols, du piégeage du carbone, des incidences des changements climatiques, de la biodiversité et des fonctions de protection des forêts. En dehors du cadre européen, on ne peut donc que constater l’absence d’obligations internationales en vue de la protection d’un habitat clé pour la biodiversité constituant une faille majeure dans le dispositif de protection de la faune terrestre qui est le résultat de l’approche sectorielle biome par biome favorisée par les acteurs de la communauté internationale. Ce qui vaut pour les forêts l’est également par d’autres habitats riches en faune à l’instar des savanes africaines, des steppes d’Asie Centrale ou des mangroves d’Asie du Sud-Est. Dans l’hypothèse où il n’existe aucune convention protégeant un habitat donné, cela condamne par la même occasion la faune qui l’habite. Or à l’heure actuelle, peu d’habitats terrestres bénéficient d’une protection juridique internationale en dehors des zones humides. Face à cette problématique la conservation in situ va permettre d’offrir un début de solution dans la mesure où il s’agit ici de protéger des sites qui peuvent contenir plusieurs types d’habitats et des espèces de faune qui les habitent. La protection offerte est donc plus large à première vue que la protection des simples habitats.

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