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Les incertitudes quant à l’application effective du principe de prévention dans le cadre de la problématique relative à la disparition de la faune

CHAPITRE I : L’INCOHÉRENCE ENTRE LE PRINCIPE JURIDIQUE DE SOUVERAINETÉ PERMANENTE SUR LES RESSOURCES NATURELLES ET LES PROPRIÉTÉS

B. L’assimilation de la faune à un bien public

I. Les incertitudes quant à l’application effective du principe de prévention dans le cadre de la problématique relative à la disparition de la faune

sauvage terrestre

Le principe de prévention a été défini par la Cour Internationale de Justice dans l’affaire Pâte à papier comme une règle coutumière selon laquelle tout État a l’obligation de ne pas laisser utiliser son territoire aux fins d’actes contraires aux droits d’autres États201. Il

s’agit d’une obligation de diligence qui implique que chaque État mette tout en œuvre à travers tous les moyens à sa disposition pour éviter que les activités qui se déroulent sur son territoire, ou sur tout espace relevant de sa juridiction, ne causent un préjudice sensible à l’environnement d’un autre État202. Dans l’affaire Costa Rica v Nicaragua, la

Cour a rappelé ce principe déjà énoncé dans l’affaire Pâte à Papier et a ajouté qu’il s’appliquait de manière générale à toute activité projetée susceptible d’avoir un impact préjudiciable important dans un cadre transfrontière203. La mise en œuvre de ce principe

implique des obligations procédurales et substantielles. D’un point de vue procédural, l’État doit vérifier qu’il existe un risque de dommage transfrontière important ce qui déclencherait l’obligation de réaliser une évaluation de l’impact sur l’environnement204.

Si cette étude confirme le risque, l’État susceptible d’être affecté doit en être informé par une notification de l’État d’origine pour que les mesures nécessaires puissent être prises.

Les évaluations d’impact sur l’environnement ont selon la Cour International de Justice un caractère coutumier205 et ont d’ailleurs été intégrées dans une multitude

d’instruments internationaux relatif à l’environnement à commencer par le Principe 17 de la Déclaration de Rio qui prévoit qu’une étude d’impact doit avoir lieu chaque fois qu’une activité proposée est susceptible d’affecter néfativement l’environnement. Le texte précise qu’il s’agit d’un instrument national mis en œuvre par une décision de

201 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, p .14 au

§101.

202 Ibid.

203 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et

Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt, C.I.J.

Recueil 2015, p. 665 au §104.

204 Ibid. au §104. 205 Ibid. au §104.

76 l’autorité nationale compétente. Cette obligation a été introduite dans diverses conventions environnementales notamment dans la Convention sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière (Convention d’Espoo) de 1991 ratifiée par une quarantaine de parties dans son Article 2(2), mais également l’Article 14 de la Convention de Rio dont l’Article 14(1)(a) enjoint aux États d’adopter des procédures permettant d’exiger l’évaluation des impacts sur l’environnement des projets qu’elle a proposé et qui sont susceptibles de nuire sensiblement à la diversité biologique. Plusieurs résolutions de Conférences des Parties vont également dans le même sens206.

Les études d’impact sont donc le prolongement matériel de l’obligation de prévention en ce sens que c’est à travers cet instrument national que l’État va pouvoir mettre en œuvre son obligation internationale.

En effet, comme l’a rappelé la Cour et les instruments internationaux précités, l’étude d’impact est un instrument national dont la mise en œuvre relève de la compétence territoriale de chaque État à travers ses pouvoirs de légiférer et de police. Or, par définition ces pouvoirs ne peuvent s’exercer en dehors des limites du territoire de l’État. En conséquence, dans le cas d’un risque environnemental pouvant avoir des effets transfrontières, la mise en oeuvre de l’obligation de prévention à travers l’étude d’impact ne peut donc être que limitée et nécessite donc la coopération des États qui pourraient être potentiellement affectés par les opérations envisagées au sein de l’État d’origine, ce qui n’est jamais acquis. Sans la coopération de l’État potentiellement affecté, l’État d’origine de l’activité proposée est dans l’impossibilité de prévoir de manière concrète quels en seront les effets sur l’environnement d’un État tiers dans la mesure où aucun acte d’exécution ne peut y être exercé.

Même dans l’hypothèse où une coopération entre États serait envisagée, la possible disparité de moyens et d’accès aux techniques scientifiques les plus abouties peuvent donner lieu à des conclusions différentes et entrainer des divergences profondes. L’affaire Costa Rica c. Nicaragua l’illustre. Pour rappel, le Costa Rica avait reproché au Nicaragua des activités de dragage dans le lit du fleuve San Juan qui sépare les deux pays de nature à affecter non seulement le débit du fleuve mais également de causer des dommages à une zone humide riche en biodiversité notamment aviaire ce qu’avait révélé

206 Voir par exemple UNEP/CB/COP/6/20, CDB COP6, la Décision VI/7 « Définition, surveillance,

77 notamment une mission consultative Ramsar. Or le Nicaragua avait abouti à des conclusions différentes suite aux études menées par ses soins. En conséquence, dans la mesure où deux États n’adoptent pas le même point de vue sur les effets transfrontières, l’État initiateur du projet, dans la mesure où il estime que le risque est négligeable peut tout à fait décider d’autoriser les travaux proposés au risque d’engager sa responsabilité, si un préjudice important était matérialisé. En l’espèce, la Cour avait estimé qu’il n’y avait au regard des conclusions des experts des deux pays aucun risque de dommage transfrontière important et qu’en conséquence le Nicaragua n’était pas tenu d’effectuer une évaluation de l’impact sur l’environnement et donc qu’il nétait pas nécessaire pour le Nicaragua d’en notifier le Costa Rica. Si l’arrêt de la Cour est utile en ce qu’il permet de réitérer le caractère coutumier du principe de prévention et des moyens procéduraux de sa mise en œuvre, la conclusion à laquelle aboutie la Cour est surtout fondée sur la conclusion partagée par les deux Parties sur le fait que le débit du fleuve ne serait pas impacté. La Cour ne s’est que peu penchée sur la question de l’impact sur la zone humide ce qui aurait pu lui permettre de conclure différemment.

S’agissant des obligations substantielles à la charge de l’État dans sa mise en œuvre du principe de prévention, il s’agit comme énoncé plus haut de ne pas causer de préjudice sensible à l’environnement des États tiers. En l’espèce, ce préjudice aurait été le résultat des activités de dragage entreprises par le Nicaragua qui auraient occasionné un préjudice sensible à la zone humide du Costa Rica ce qui selon la Cour n’aurait pas été démontré par ce dernier. Sans entrer ici dans les détails du régime de la responsabilité internationale pour un fait internationalement illicite qui sera examiné plus loin, on peut regretter que la Cour n’ait pas détaillé les critères à prendre en compte pour pouvoir estimer qu’un État tiers a subi un préjudice sensible. Pour en revenir à l’obligation substantielle du principe de prévention imposant à tout État de mettre en œuvre tous les moyens à sa disposition pour éviter que les activités qui se déroulent sur son territoire ne causent pas de préjudice sensible à l’environnement d’un autre État. Il aurait été utile que la Cour détaille des exemples de mesures qu’un État pourrait prendre s’agissant d’un habitat riche en biodiversité comme c’était le cas s’agissant de la zone humide en question. C’est d’autant plus vrai que les dommages causés à la faune sauvage terrestre sont souvent le fait d’activités humaines continues (déforestation, chasse, braconnage) faisant l’objet d’une législation permanente de la part de l’État d’origine et non ponctuelles comme un projet de construction ou autre activité industrielle. En conséquence il est bien

78 difficile pour un État de prévoir quels seront à terme les effets de ces activités sur le territoire des États tiers et donc de se conformer à leur obligation de diligence, ce d’autant plus qu’il peut se passer plusieurs années entre le fait générateur et la constatation du préjudice eu égard à la lenteur et la complexité des processus écologiques.

De plus, appliqué à la faune sauvage terrestre, on ne peut pour l’instant que spéculer sur ce qui pourrait constituer un préjudice sensible dans le cadre de la mise en œuvre du principe de prévention. Qu’il s’agisse de cet arrêt ou de sa jurisprudence antérieure, la Cour ne prend jamais le soin de définir ce que peut-être un préjudice sensible, et ce qu’il faut entendre à travers cet adjectif. Le seul enseignement que l’on peut tirer est certainement que le préjudice doit être suffisamment sévère pour constituer une violation du principe de prévention. On réitèrera qu’appliqué à la problématique de la faune sauvage terrestre, ce préjudice peut-être particulièrement difficile à démontrer eu égard à la lenteur et la complexité des processus écologiques ce qui peut expliquer qu’un préjudice sensible ne pourra être constaté que plusieurs années après le fait générateur. Est-ce un statut de conservation particulièrement défavorable, un préjudice de nature économique lié à la disparition de certaines espèces, voir un préjudice esthétique ? Comment l’État d’origine peut-il donc se conformer à son obligation de prévention et prendre toute mesure utile lorsqu’aucun critère international n’existe quand à la caractérisation de ce que constitue un préjudice sensible, en particulier s’agissant de l’atteinte à la faune sauvage terrestre d’un pays tiers. La jurisprudence internationale en matière de dommage transfrontière tend à démontrer qu’une approche casuistique s’impose mais jusqu’à présent, l’appréciation du préjudice sensible n’a été réalisé que dans le cadre de contentieux relatif à la pollution atmosphérique et fluviale. L’affaire Costa Rica c. Nicaragua aurait pu permettre d’établir des critères de ce que pourrait être le préjudice sensible s’agissant d’un habitat riche en biodiversité mais la Cour a conclu à l’absence de manquement du Nicaragua du fait de l’absence de preuve du préjudice sensible sans se prononcer sur les critères sur lesquels elle se base pour conclure de la sorte. Si la mise en œuvre du principe de prévention est donc particulièrement difficile à mettre en œuvre en raison de la difficulté d’appréciation ce que peut constituer un risque et un préjudice sensible à la faune sauvage d’un État tiers, elle l’est d’autant plus du fait du caractère éphémère de la souveraineté étatique sur des ressources mobiles.

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II. Une mise en œuvre du principe de prévention dépendante des habitudes de

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