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Les incertitudes relatives à la qualification juridique de l’animal sauvage en droit international public

CHAPITRE I : L’INCOHÉRENCE ENTRE LE PRINCIPE JURIDIQUE DE SOUVERAINETÉ PERMANENTE SUR LES RESSOURCES NATURELLES ET LES PROPRIÉTÉS

I. Les incertitudes relatives à la qualification juridique de l’animal sauvage en droit international public

Si la faune sauvage terrestre est aujourd’hui considérée comme une ressource naturelle, cette qualification est pourtant loin d’aller de soi. Il convient de rappeler que l’animal sauvage ne dispose d’aucun statut en droit international public. Dans les systèmes civilistes, l’animal sauvage a longtemps été qualifiée de res nullius, terme qui qualifie « les choses sans maitre » mais qui sont appropriables par tous et donc destructibles par tous. Cette qualification bien qu’elle trouve écho dans de nombreuses juridictions, reflète assez mal les réalités factuelles et juridiques à l’échelle internationale puisqu’en pratique les États n’ont pas accès à la faune située sur le territoire d’États tiers. Du reste et comme le rappelle Rémond-Gouilloud, la qualification de res nullius est pertinente seulement lorsque la chose existe à profusion149. Or, les animaux sauvages qui étaient encore

abondants l’époque romaine comme en témoigne les milliers de fauves massacrés dans les arènes romaines et que l’on trouvait encore dans le Nord de l’Afrique ont aujourd’hui disparu. L’extinction du lion de l’Atlas (pantera leo leo) nous le rappelle cruellement.

149 Martine REMOND-GOUILLOUD, « Ressources naturelles et choses sans maître », Recueil Dalloz Sirey,

57 Une notion concurrente a donc émergé également issue du droit romain convenant mieux aux périodes de pénurie150 qui est celle de res communis qui est une chose sur

laquelle l’homme n’a pas de droit de propriété, une chose inappropriée et inappropriable151. Comme Camproux-Duffrène le suggère, cette qualification pourrait

parfaitement s’appliquer à la biodiversité de manière générale dans la mesure où cette dernière est une universalité de fait puisque composée à la fois de biens (espèces domestiques), de choses sans maître comme les animaux sauvages, et de choses inappropriables comme les écosystèmes. L’avantage de cette notion toujours selon le même auteur réside dans le fait que si la chose n’appartient à personne, elle ne peut donc pas être détruite ni altérée152. En revanche, si l’homme n’a pas de propriété en tant que

tel, il peut disposer d’un droit d’usage qui serait commun à tous les hommes comme le démontre l’Article 714 du Code civil : « il est des choses qui n’appartiennent à personne

mais dont l’usage est commun à tous ». Ainsi l’homme peut récolter les fruits de l’usage de

la chose sans en altérer la substance153. Cette qualification pourrait donc tout à fait

s’appliquer en théorie à l’animal sauvage. La qualification juridique de res communis impliquerait donc une gestion commune par la communauté internationale, si tenté que cela soit possible154.

Ce n’est pas la solution qui prévaut en droit international où « l’absence de de

régime élaboré traduit l’indifférence du droit à l’égard de la ressource »155. En l’absence de

statut juridique, force est de constater néanmoins que le dénominateur commun entre toutes les espèces sauvages dans le monde ce quelque soit le régime juridique auxquelles elles sont soumises demeure qu’elles sont appropriables soit par les individus, soit par les États qui, comme nous le verrons dans un paragraphe ultérieur, peuvent les considérer

150 Ibid, p. 28.

151 Marie-Pierre CAMPROU-DUFFRENE, Un statut juridique protecteur de la diversité biologique ; regard

de civiliste, Revue Juridique de l’Environnement, numéro spécial, 2008. Biodiversité et évolution du droit de la protection de la nature, pp. 33–37, p. 34.

152 Ibid. 153 Ibid, p. 35.

154 Martine REMOND-GOUILLOUD, « Ressources naturelles et choses sans maître », Recueil Dalloz Sirey,

1985, 5e cahier-chronique, pp. 27–34, p. 29. 155 Ibid, p. 28.

58 comme des biens publics. Ce caractère appropriable de la faune sauvage terrestre explique en partie sa qualification actuelle de ressource naturelle aussi inadéquate soit- elle. En effet, cette qualification ne reflète que l’aspect utilitaire de l’animal et ignore son rôle écologique et ses caractéristiques intrinsèques. En effet, la qualification de ressource naturelle désigne aussi bien les ressources naturelles extractives statiques qui ne jouent aucun rôle dans le maintien des écosystèmes à la différence des organismes vivants. De plus, cette qualification entraine l’application quelque peu irréfléchie du principe de souveraineté permanente sur les ressources naturelles à des organismes vivants qui n’avaient pas forcément vocation à être exploités par l’homme.

Le principe de souveraineté permanente sur les ressources naturelles s’est développé en réponse à l’inquiétude des anciens États colonisés quand à leur indépendance économique notamment s’agissant de l’exploitation de leurs ressources naturelles. En effet, ces ressources parmi lesquelles on peut citer le pétrole, le gaz, les minerais qui sont les matières premières à la base de tout processus industriel, avaient fait l’objet d’une exploitation soutenue par les pays du Nord que ce soit par le biais de la colonisation ou à travers des contrats léonins au bénéfice de leurs multinationales. C’est dans cette optique que le principe de souveraineté permanente a été érigé afin de garantir aux pays du Sud la réappropriation de leurs ressources et leur pleine maîtrise. Or, ces ressources, auxquelles on peut ajouter les animaux domestiques où d’élevages, sont statiques dans le sens où elles restent invariablement localisées au sein des frontières étatiques. En effet, les animaux d’élevage destinés à usage industriel, bien que biologiquement mobiles, restent invariablement localisés au sein d’une exploitation située sur le territoire d’un État donné.

Ce n’est pas le cas de la faune sauvage terrestre ce qui explique peut-être qu’aucun des textes consacrant le principe de souveraineté permanente ne fassent référence directement ou indirectement à la faune sauvage terrestre en tant que ressource naturelle soumise à ce principe. Dans sa résolution 3016 de 1972 relative au principe de souveraineté permanente sur les ressources naturelles, l’Assemblée Générale des Nations Unies ne mentionne pas expressément la faune sauvage terrestre comme faisant partie des ressources naturelles exploitables de même que les résolutions 1803, 2625, 3201 de 1974, 3281 et la Charte Économique sur les Droits et Devoirs Économiques des États de

59 1974 qui si elles réaffirment le principe de souveraineté permanente sur les ressources naturelles, ne prennent pas le soin de définir ce qu’elles sont.

De même, il est intéressant de noter dans la définition non juridique donnée par Schrijver, qu’aucune référence ne semble être faite directement à la faune terrestre156 :

« natural resources are naturally occurring materials that are useful to man or could be

useful under conceivable technological, economic or social circumstances, or supplies drawn from the earth, supplies such as food, building, and clothing materials, fertilizers, metals water, and geothermal power », cependant il faut admettre qu’ une interprétation

extensive de cette définition pourrait englober la faune. A première vue l’utilisation du terme anglais de « material » qui pourrait être traduit par matériau ou matière peut difficilement s’appliquer à un animal vivant et semble se référer uniquement à des matériaux immobiles ou à la rigueur concerner des animaux trépassés trouvés au hasard. De même qu’on peut difficilement considérer qu’un animal constitue un fruit de la terre mais le fait que la définition précise que cette denrée peut fournir de la nourriture on pourrait tout à fait y inclure la faune sauvage terrestre. De plus, l’utilisation pluridisciplinaire de cette notion rend difficile l’élaboration d’une définition unique157.

Outre le fait que la faune sauvage terrestre n’est jamais mentionnée par les textes pertinents et que l’impossibilité d’avoir accès aux travaux préparatoires ne permettent pas de nous éclairer davantage, quelques indices suggèrent néanmoins que la faune terrestre n’était tout simplement pas envisagée par les États comme ressource naturelle susceptible d’être soumise au principe de souveraineté permanente. La Charte de l’Atlantique de 1941 indique qu’il est nécessaire de rechercher l’accès à tous les États, qu’ils soient grands ou petits, victorieux ou vaincus, un accès sur un pied d’égalité au commerce et aux matériaux bruts du monde qui sont nécessaires pour la prospérité économique. En 1947, l’International Cooperative Alliance, une organisation de consommateurs avait soumis à l’ECOSOC une proposition concernant le contrôle sur les ressources mondiales de pétrole158. On constate donc qu’à cette époque, on met l’accent

156 Nico SCHRIJVER, Sovereignty over Natural Resources, Balancing Rights and Duties, Cambridge

University Press, version numérique, 2008, p. 11.

157 Ibid, p. 13.

60 surtout sur les ressources minérales et du sous-sol en général qui sont les matières premières les plus couramment utilisées dans l’industrie et les processus de production. Cette idée peut être illustrée par le préambule de la résolution 523 de l’Assemblée Générale des Nations Unies sur le développement économique intégré et les accords commerciaux où il est fait référence au droit des pays en développement d’utiliser leurs ressources naturelles pour la réalisation de leurs plans économiques de développement et notamment les matériaux bruts dont l’augmentation des prix à l’époque est considérée comme un frein aux objectifs économiques.159 La résolution ne mentionne pas à quoi elle

fait référence en utilisant le terme de matériau brut. Cependant le fait qu’elle évoque les fluctuations monétaires responsables du manque de disponibilité de ces matériaux pour la machinerie, l’équipement, les biens de consommation et les matériaux industriels bruts dans les pays en voie de développement laissent imaginer que la faune sauvage ne soit pas directement ou premièrement l’objet de la résolution.

En effet, la faune sauvage terrestre n’est que peu ou pas utilisée dans la consommation des populations locales et son usage premier dans l’industrie est celle de l’industrie du luxe (ivoire, peaux de félins) guère présente dans les pays en voie de développement. Le bénéfice tiré de l’exploitation de la faune terrestre n’est donc qu’indirect à travers l’exportation. Même si la faune terrestre a toujours fait l’objet d’une exploitation, au XXe siècle, elle reste tout à fait marginale face à l’exploitation des ressources minérales et du sous-sol et ne semblait pas faire partie des matières premières utilisées dans les processus industriels. De même, les multinationales étrangères qui exploitaient les ressources naturelles des anciens pays colonisés exploitaient principalement les ressources minérales extractives ainsi que les essences végétales, notamment les bois exotiques. En revanche, on ne semble pas disposer d’exemples d’exploitation de la faune terrestre par des multinationales ou des investisseurs étrangers pendant l’ère coloniale et la période qui a suivi la décolonisation. L’exploitation de la faune sauvage semblait être surtout le fait de chasseurs occidentaux et était donc réservé à une élite. Il semblerait donc que les préoccupations majeures des États ne portaient pas sur la faune sauvage terrestre.

159 Résolution n° 523(VI) de l’Assemblée Générale des Nations Unies du 12 janvier 1952 sur le

61 Pour autant, on ne peut conclure de manière indubitable que la faune terrestre ne figurait pas dans la liste des ressources naturelles exploitables à l’époque. L’Article 2 de la Convention de 1958 sur le Plateau Continental et l’Article 77 de la Convention de Montego Bay de 1982 indiquent que les ressources naturelles consistent dans les minéraux et autres ressources non vivantes en plus des organismes vivants appartenant aux espèces sédentaires. Cependant ces conventions s’appliquent aux ressources naturelles marines qui ont toujours fait l’objet d’une exploitation avant même l’exploitation des ressources extractives. La Convention Africaine de 1968 englobe par exemple sous le vocable de ressources naturelles à la fois la faune et la flore. L’organe d’appel de l’OMC dans l’affaire « crevettes-tortues » s’est d’ailleurs appuyé sur plusieurs instruments internationaux dont la Convention de Montego Bay précitée pour conclure que les ressources naturelles comprenait à la fois les ressources biologiques et non- biologiques160. D’autre part, toujours dans la même affaire, l’Organe d’appel a estimé que

les ressources en faune pouvaient être assimilées aux ressources naturelles épuisables161

de l’Article XX(g) du GATT en vertu duquel les États sont fondés à prendre des mesures pouvant potentiellement constituer une restriction au commerce afin de protéger les ressources naturelles épuisables tant qu’elles ne sont pas discriminatoires.

Si aucune conclusion définitive ne peut-être donc formulée sur le fait de savoir si la faune terrestre était initialement incluse parmi les ressources naturelles au moment de l’émergence du principe de souveraineté permanente sur les ressources naturelles, il semble néanmoins que ce concept a été conçu initialement pour s’appliquer à des ressources naturelles statiques ou invariablement localisées au sein des frontières d’un État. Aujourd’hui, il est généralement admis que la faune sauvage terrestre est une ressource naturelle qui est donc à ce titre soumise à la compétence territoriale de l’État162

comme le confirme sans ambiguïté la Convention de Rio dans son préambule163.

160 WT/DS58/AB/R, États-Unis- Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits

à base de crevettes, Rapport de l’Organe d’appel 12 octobre 1998 au §94.

161 Ibid, §98.

162 Cyrille DE KLEMM, Clare SHINE, Biodiversity Conservation and the Law, Legal Mechanisms for

Conserving Species and Ecosystems, Environmental Policy and Law Paper No. 29, IUCN, 1993, Préface

éditoriale, p. 2.

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II. Le principe de souveraineté permanente et ses manifestations à l’égard de la

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