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Les alternatives à l’application du principe de prévention s’agissant des espèces sédentaires

CHAPITRE I : L’INCOHÉRENCE ENTRE LE PRINCIPE JURIDIQUE DE SOUVERAINETÉ PERMANENTE SUR LES RESSOURCES NATURELLES ET LES PROPRIÉTÉS

B. Le cas des espèces sédentaires

2. Les alternatives à l’application du principe de prévention s’agissant des espèces sédentaires

En dehors du principe de prévention d’origine coutumière, il semble que de nouvelles limites au principe de souveraineté permanente fassent leur apparition en droit international de l’environnement basées sur l’équité intergénérationnelle et qui limiteraient le pouvoir d’un État de complètement annihiler les ressources en faune présentes sur son territoire. Le Juge Weeramantry dans l’affaire des Essais nucléaires français avait souligné que le principe d’équité intergénérationnelle constituait un principe important connaissant un développement rapide en droit international contemporain de l’environnement : « Il est à noter, dans ce contexte, que la notion de droits

des générations futures n’est plus une notion embryonnaire cherchant à acquérir une reconnaissance juridique. Elle s’est intégrée au droit international par le biais d’importants traités, de l’opinio juris et des principes généraux du droit reconnus par les nations civilisées »229. Selon ce principe, l’État a la responsabilité de préserver les ressources

naturelles pour le bénéfice des générations futures. Selon cette thèse émergente, dans le but de préserver les ressources en faune pour les générations futures, la communauté internationale aurait un droit de regard sur la gestion de ces ressources. Cette idée était déjà sous-jacente dans la Charte Mondiale de la Nature qui énonce que l’humanité est responsable de toutes les espèces et dont l’Article 10 demande à ce que les États n’utilisent pas leurs ressources au delà de leurs capacités génératives. En dépit du caractère non-contraignant de cet instrument, le principe est néanmoins posé que la disparition de la faune terrestre même si elle reste circonscrite au territoire d’un État

229 Licéité de la menace ou de l’Emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 226,

91 constitue une perte pour l’humanité entière. En conséquence, l’État sur lequel l’espèce se trouve ne détient pas une souveraineté absolue à son encontre en ce qu’il doit veiller à ce que l’exploitation de l’espèce sur son territoire n’emporte pas de conséquences néfastes à l’espèce dans son ensemble (appauvrissement génétique et dégradation de l’écosystème).

Une autre thèse qui vient compléter celle de l’équité intergénérationnelle considère que la faune en danger est une ressource globale dont le statut de conservation défavorable entrainerait une obligation erga omes de protection de la part des États. Cette thèse est défendue par plusieurs auteurs en particulier Glennon pour qui certaines ressources comme les forêts tropicales ou encore les éléphants doivent être considérées comme des ressources globales230. Une ressource environnementale globale est une

ressource située sur le territoire d’un État mais dont la jouissance est partagée et rendue nécessaire à la communauté internationale dans son ensemble. Les espèces sédentaires à l’image de l’éléphant d’Afrique, rentrent dans cette catégorie. En effet, si l’éléphant peut constituer une ressource naturelle consomptible pour les populations locales, d’autres populations ont un intérêt à sa conservation qu’il s’agisse d’ un intérêt esthétique, commercial ou environnemental, notamment eu égard aux services écologiques rendus par cet animal. Selon cet auteur, lorsque ces espèces sont en danger, le droit international coutumier exige des État qu’ils prennent les mesures appropriées pour les protéger 231.

Glennon base sa conclusion notamment sur le caractère universel de la CITES qu’il s’agisse de sa ratification et de sa mise en œuvre qui tend à démontrer qu’il existe une pratique généralisée des États en faveur de la protection des espèces en danger232. Glennon

s’appuie également sur la Charte de la Nature qui réitère ce principe en invitant les États membres dans l’exercice de la souveraineté permanente sur leurs ressources naturelles « à conduire leurs activités en reconnaissance de l’importance suprême de protéger les systèmes naturels, maintenir l’équilibre et la qualité de la nature et conservant les ressources naturelles dans l’intérêt des générations présentes et futures »233.

230 Michael J. GLENNON, « Has international law failed the Elephant ? », American Journal of International

Law, Vol 84, 1990, réédition, p. 34 .

231 Ibid, p. 30. 232 Ibid, p. 31.

92 Selon cette thèse à laquelle nous souscrivons, les États n’auraient donc pas un droit absolu d’annihiler les espèces animales présentes sur leur territoire dans la mesure où ces espèces ne leur appartiennent pas et qu’elles doivent être conservées pour le bénéfice des générations futures à l’image du concept juridique de « trust » tel qu’il est défini par les systèmes de droit anglo-saxons. L’ancien Président de la Tanzanie a fort bien exprimé ce concept : « que la Tanzanie soit richement dotée en ressources naturelles est un accident

de la géographie, elle appartient à toute l’humanité »234. En conséquence, l’obligation de

protection des ressources globales ne doit pas seulement être le fardeau des pays dans le territoire desquels elles se trouvent mais doivent être partagées par la communauté internationale dans son ensemble235.

A côté de l’obligation de préservation, Glennon distingue une obligation de contribution des États à l’effort de préservation dans la mesure où ils en bénéficient. Les pays du Sud devraient donc selon cette thèse bénéficier de programme d’aide, qu’elle soit unilatérale ou multilatérale qui pourrait prendre la forme d’un échange entre la réduction de la dette en échange de mesures en faveur de la conservation de l’environnement et de ses ressouces. La Bolivie a par le passé pu bénéficier d’une réduction de sa dette extérieure en échange d’une protection de plusieurs millions d’hectares de forêt amazonienne236. Plus récemment, on peut citer l’initative Yasuni ITT à travers laquelle, le

Président Correa d’Equateur s’engageait à geler indéfiniment l’extraction de pétrole localisé dans le Parc National de Yasuni doté d’une biodiversité extrêmement riche en échange d’une indemnisation par la communauté internationale équivalant à 50% de la valeur du pétrole exploitable237. Malgré l’engouement initial, le projet fut abandonné, les

fonds récoltés étant insuffisants.

L’assimilation des ressources en faune et de la biodiversité en générale en tant que ressource globale en vertu de l’équité intergénérationnelle entrainant une obligation de conservation des États est pourtant loin d’être ancrée en droit positif. Le refus des États du Sud lors de la Conférence de Rio de considérer les forêts comme des resources globales

234 3rd Report on Biodiversity Liaison Group, Gland, Switzerland, 10 May 2006, BLG 3/REP, 8 June 2005. 235 Michael J. GLENNON, « Has International Law Failed the Elephant ? », American Journal of International

Law, Vol 84, 1990, réédition, p. 35.

236 Ibid, p. 36.

93 en est une nouvelle démonstration238. En effet, à supposer qu’il existe effectivement un

principe coutumier selon lequel les États ont une obligation de protéger les espèces en danger présentes sur leur territoire, les contours de cette norme manquent de clarté notamment en ce qu’il s’agit de définir ce qu’est précisément une espèce en danger239, la

référence à la Convention CITES n’étant pas forcément pertinente dans la mesure où la protection serait réduite aux espèces listées. Par ailleurs, toujours dans l’hypothèse où il existerait une obligation générale d’origine coutumière de protection des espèces en danger, la pratique des États peut-être amenée à diverger en fonction des espèces et des États. Ainsi si l’on reprend l’exemple de l’éléphant d’Afrique, si on peut dégager une pratique généralisée par les États africains de préservation totale de cet animal sur leur territoire respectif, ce n’est pas le cas de beaucoup d’États d’Afrique australe qui exploitent cette espèce sous certaines conditions. Pour Glennon, ces États peuvent être considérés comme des objecteurs persistants dans la mesure où ils ont fait valoir lors de la formation de la norme coutumière (protection totale de l’éléphant, espèce en danger) leur différence de vue240. Il n’en deneure pas moins que la ratification et la mise en oeuvre

de la CITES par un nombre important d’États, et la référence à une obligation générale de protection de la nature ne sont pas des critères suffisants pour lui conférer un caractère coutumier dans la mesure où chaque État a sa propre définition de ce qu’est une espèce en danger ; Même dans le cadre de la CITES, les États peuvent émettre des réserves spécifiques sur le placement d’une espèce donnée dans l’une des Annexes. Si d’un point de vue biologique et écologique la faune est une ressource globale, ce n’est pas encore le cas d’un point de vue juridique.

A cet égard, il convient de rappeler que la notion voisine de patrimoine commun de l’humanité a été rejetée en masse par les pays en voie de développement qui n’y voyaient qu’un stratagème des pays du Nord d’interférer dans l’exploitation des leurs ressources naturelles. Le concept de patrimoine commun de l’humanité n’a trouvé à s’appliquer qu’aux entités dont toute appropriation était exclue car localisées en dehors des juridictions étatiques et donc sur le territoire des États à l’inverse de la faune sauvage

238 David HUMPHREYS, « The Elusive Quest for a Global Forests Convention », RECIEL, 14(1), 2005, p. 1. 239 Michael J. GLENNON, « Has International Law Failed the Elephant ? », American Journal of International

Law, Vol 84, 1990, réédition, p. 34.

94 terrestre. Il s’agit principalement de la lune241 et surtout des fonds marins comme le

confirme l’Article 137(2) de la Convention de Montego Bay de 1982. En pratique cela signifie que ces fonds font l’objet d’une gestion internationale par le biais d’une Autorité (internationale) agissant pour le compte de la communauté internationale. Si la Convention du Patrimoine Mondial fait également référence à ce concept de patrimoine commune de l’humanité s’agisant de sites naturels ou culturels aux caractéristiques extraordinaires, ces sites demeurent soumis à la souveraineté de l’État sur le territoire duquel ils sont situés. En revanche, ces derniers peuvent bénéficier d’aides internationales par le biais d’un Fond spécifiquement créé par la convention afin d’entretenir les sites listés sur la liste.

S’agissant de la faune sauvage terrestre, on comprend donc que ce concept ne peut trouver à s’appliquer dans la mesure où la faune terrestre est nécessairement localisée sur le territoire d’un État donné et ne peut donc faire l’objet d’une gestion internationale. En revanche, la conservation de la faune sauvage terrestre peut être considérée comme une préoccupation commune de l’humanité. Le Préambule de la CDB utilise ce concept à l’égard de la conservation de la diversité biologique qui englobe la faune sauvage terrestre comme l’indique l’Article 2 de la Convention. Ce concept émergea lors du processus de Rio au début des années 90 en vue de se substituer au concept de patrimoine commun de l’humanité car plus consensuel. En effet, ce concept ne remet pas en cause la souveraineté des États sur leurs ressources naturelles dans la mesure où elles ne constituent pas des ressources communes tout en reconnaissant que leur exploitation doit se faire dans un esprit de coopération tout en prenant en compte les impératifs de protection. Ce concept vise donc à assurer une protection minimale aux espèces sauvages tout en préservant la souveraineté des États qu’elles soient migratrices, sédentaires ou endémiques.

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