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Une mise en œuvre du principe de prévention dépendante des habitudes de déplacement et de l’aire de répartition des espèces sauvages terrestres

CHAPITRE I : L’INCOHÉRENCE ENTRE LE PRINCIPE JURIDIQUE DE SOUVERAINETÉ PERMANENTE SUR LES RESSOURCES NATURELLES ET LES PROPRIÉTÉS

B. L’assimilation de la faune à un bien public

II. Une mise en œuvre du principe de prévention dépendante des habitudes de déplacement et de l’aire de répartition des espèces sauvages terrestres

Outre la difficulté d’identifier le risque de préjudice écologique à l’égard de la faune sauvage terrestre des États tiers, la mise en œuvre de l’obligation de diligence de mettre tout en œuvre pour éviter un préjudice sensible sur le territoire d’un État tiers est rendu difficile en raison du caractère limité et éphémère de la compétence territoriale étatique qui ne peut s’appliquer qu’à la faune sauvage terrestre présente sur son territoire. Or à la différence des ressources extractives, la faune sauvage terrestre est mobile et peut-être amenée à traverser les frontières des États. En conséquence, la compétence de régulation d’un État sur une espèce disparaît à partir du moment où cette espèce quitte le territoire. De ce fait, la compétence de l’État sur les espèces n’est qu’éphémère et ne peut être perpétuelle que dans l’hypothèse de populations d’espèces animales sédentaires invariablement situées sur le territoire d’un État donné ou s’agissant d’espèces endémiques. La conséquence du caractère éphémère de la souveraineté étatique à l’égard de la faune terrestre implique également que le principe de bon voisinage ne peut s’appliquer qu’aux espèces dont les populations se déplacent ou sont répandues sur plusieurs États dans la mesure où ces espèces participent autant à l’entretien de l’environnement de l’État d’origine qu’à celui de l’État de destination. Il apparaît donc nécessaire d’opérer une classification des espèces en fonction de leurs habitudes de déplacement pour déterminer l’étendu de la souveraineté à leur égard et de l’application du principe de prévention.

Dans l’optique de déterminer l’étendue des obligations étatiques en matière de prévention, la faune sauvage terrestre peut être classée en trois catégories. La première catégorie serait constituée des espèces migratrices qui selon la Convention de Bonn désigne « l’ensemble de la population ou toute partie séparée géographiquement de la

population de toute espèces ou de tout taxon207 inférieur d’animaux sauvages dont une

fraction importante franchit cycliquement et de façon prévisible une ou plusieurs des limites de juridiction nationale »208.

207 Un taxon correspond à une entité d’êtres vivants regroupés parce qu’ils possèdent des caractères en

commun du fait de leur parenté, et permet ainsi de classifier le vivant à travers la systématique.

80 La deuxième catégorie est constituée par les espèces sédentaires qui constituent de loin la majorité de la faune terrestre. Ces espèces sont entièrement localisées sur le territoire d’un État donné. En conséquence, le principe de prévention n’aurait pas vocation à s’appliquer à la gestion de ces ressources dans la mesure où elles ne sont pas ou peu concernées par des mouvements transfrontières. Toutefois, ces espèces présentent deux éléments d’extranéité alternatifs ou cumulatifs. En effet, bien que ces espèces ne soient pas migratrices, elles peuvent néanmoins être amenées à traverser une ou plusieurs frontières de manière ponctuelle au gré de leurs déplacements (éléphants). Enfin même dans l’hypothèse où des populations de ces espèces resteraient invariablement au sein des frontières étatiques, elles ont une aire de répartition qui s’étend sur plusieurs États. En conséquence, la gestion de ces espèces sur un territoire donné peut avoir des répercussions dans les autres États de son aire de répartition, pouvant entrainer l’application du principe de prévention.

La dernière catégorie est celle des espèces endémiques qui se caractérisent par leur présence localisée exclusivement au sein d’un seul État. L’Ethiopie est connue pour son fort degré d’endémisme où l’on compte pas moins de cinq espèces de grands mammifères que l’on ne trouve nul part ailleurs209. Dans la mesure, où ces espèces ont

une aire de répartition limitée aux frontières d’un seul État, il semblerait donc que l’application du principe de prévention ne soit pas pertinente dans cette hypothèse dans la mesure où la destruction de ces espèces n’est pas de nature, à priori, à causer de dommage à l’environnement des autres États où ces espèces ne sont pas représentées.

A . Le cas des espèces migratrices

Au regard de ces caractéristiques, il semblerait que seule la faune migratrice puisse être soumise au tempérament du principe de prévention, c’est à dire qu’il y aurait une limite implicite à la souveraineté étatique d’exploiter cette ressource lorsqu’elle se trouve sur son territoire dans la mesure où cette même espèce sera amenée à jouer un rôle écologique et économique similaire dans un autre État qu’elle traverse. En conséquence, si cette espèce devait faire l’objet d’une exploitation abusive de telle sorte qu’elle ne

209 Ces cinq espèces sont le gelada (Theropithecus gelada), le nyala de montagne (Tragelaphus buxtoni), le

loup d’Abyssinie (canis simiensis), l’ibex walia (Capra ibex walie) et l’âne sauvage de Nubie (Equus

81 puisse plus jouer son rôle écologique dans les États tiers où elle avait coutume de se déplacer, l’environnement et potentiellement l’économie de ces États pourraient s’en trouver affectés. Il y aurait donc lieu de considérer dans le cas des espèces migratrices que leur exploitation abusive sur le territoire d’un État constituerait donc un dommage à l’encontre de l’environnement d’États tiers. Cela s’explique en l’occurrence par la mobilité de la ressource.

La faune migratrice, tel un fleuve, représente un flux de ressources dont chaque État sur la route migratoire a un droit d’exploitation limité afin que les États situés plus loin en aval de la route migratoire ait un accès équitable à ces ressources. C’est ce que De Klemm appelle la gestion unitaire, principe selon lequel afin d’avoir un instrument international efficace il est nécessaire que les espèces migratrices visées soient considérées comme une unité biologique nonobstant le fait qu’elles soient réparties sur les territoires de plusieurs États, nécessitant ainsi la coopération de tous les États de l’aire de répartition210. Le concept d’unité biologique appelle à considérer, dans le cas de la

faune, l’ensemble des individus d’une espèce donnée comme un tout au lieu de distinguer les individus ou les populations d’une même espèce. En vertu de ce concept, il devient inutile d’identifier les populations animales sur les territoires des États pour que ces derniers légifèrent en vertu de leur compétence territoriale mais plutôt d’envisager l’ensemble de l’aire de répartition de l’espèce en la considérant comme une entité unique à l’instar d’un fleuve ou d’une chaine de montagnes. En conséquence, l’espèce cesse d’être soumise à la compétence exclusive de l’État sur le territoire duquel elle se trouve et invite plutôt à une souveraineté partagée des États de l’aire de répartition dans la mesure où ses diverses composantes à l’image des tronçons d’un fleuve seraient réparties sur plusieurs territoires.

Toujours selon De Klemm, cela justifierait d’insérer dans les traités globaux une obligation universelle pour les États de coopérer à la conservation et la gestion des espèces migratrices pour lesquels il sont des États de l’aire migratoire sur l’exemple de la Convention du Droit de la Mer s’agissant de l’obligation pour les États exploitant les mêmes stocks de poissons de coopérer à la conservation et la gestion. Cette idée fait d’ailleurs l’objet du Principe 9 du rapport du Groupe d’Expert de la Commission

210 Cyril DE KLEMM, « Migratory Species in International Law », Natural Resources Journal, Vol. 29, 1989,

82 Brundtland qui énonce que les États utiliseront les ressources naturelles transfrontières d’une façon rationnelle et équitable211. La convention de Bonn entièrement consacrée à

ce sujet ne traduit qu’imparfaitement cette nécessité puisqu’elle requiert seulement des États au titre de ses principes fondamentaux qu’ils accordent une attention particulière aux espèces migratrices dont l’état de conservation est défavorable et prennent individuellement ou en coopération les mesures appropriées et nécessaires pour éviter que ces espèces ne deviennent des espèces en danger212.

A cette fin, la Convention de Bonn dispose d’Annexes sur lesquelles les espèces migratrices nécessitant une protection sont listées. Cette méthode des annexes est insatisfaisante dans la mesure où elle repose une nouvelle fois sur les efforts individuels des États dans le cadre de leur pouvoir souverain de prendre les mesures nécessaires en relation avec les espèces listées au lieu d’imposer une gestion coordonnée. En effet, il serait contreproductif qu’un État voit ses efforts de conservation anéantis par un État en aval ou en amont d’où la nécessité d’une coopération entre les États de la route migratoire comme la Convention de Bonn sur les espèces migratrices l’a reconnu dans son Préambule.213 S’agissant des espèces migratrices, les dispositions de la Convention de

Bonn, malgré leur faiblesse rédactionnelle et leur absence de force contraignante, semble indiquer que les États ne disposent pas d’une souveraineté illimitée sur les espèces migratrices et que le principe de prévention aurait donc lieu à s’appliquer nonobstant les difficultés que posent son application évoquées plus haut.

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