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Les propriétés des médiations 106

IV. LISTE DES FIGURES

5 LA LIGNE CULTURELLE DE DÉVELOPPEMENT

5.7 Les propriétés des médiations 106

Une partie seulement des médiations permet la continuation de l’intériorisation à travers l’harmonisation des systèmes. Leurs caractéristiques devraient permettre la rencontre avec l’auto-développement de l’apprenant. Ceci correspond à la transformation du savoir qui, en plus des épistémies et savoirs socioculturellement transmis, inclut une interprétation personnelle, c’est-à-dire la transmutation de la médiation externe en une médiation interne élaborée sur celles-ci.

Si nous admettons qu’il n’y a pas identité entre interaction et médiation, nous devons tenter de cerner quelles sont alors les propriétés des médiations. Une médiation est un outil tendant à la fois vers l’atteinte d’un résultat (voir supra, 5.4) et permettant une intériorisation. Dans cette médiation exercée sur l’intériorisation, depuis l’interpsychique à l’intrapsychique, elle est intériorisée elle-même. Une médiation doit ainsi non seulement permettre l’intériorisation d’un savoir mais également la poursuite au niveau intrapsychique de cette intériorisation.

Une des caractéristiques principales des médiations sont les propriétés dialectiques nécessaires à l’appropriation. En effet, un système conceptuel ne peut faire l’objet d’une intériorisation en bloc mais les tensions entre ses composantes doivent être rendues apparentes dans la richesse de leurs rapports dialectiques. La conception dialectique des processus du développement semble fondamentale

104 On pourrait dire ainsi qu’un outil psychologique, au sens usuel, est composé de médiations elles-mêmes définies par d’une certaine cohérence de leurs différentes dimensions. Nous qualifierons cette cohérence de forme afin de rendre compte de sa transversalité.

105 Rabardel élabore ceci avec le concept d’instrument relié à l’activité (1997), mais ne l’intègre pas, à notre avis, dans un système d’ensemble.

106 Parties de ce chapitre et du suivant ont fait l’objet d’une publication (Buysse, 2009).

Dialectique :

L’omniprésence d’une double lecture nous amène à mieux comprendre la dialectique de la médiation et pourquoi la médiation internalisante est si importante pour Vygotski. Entre ses recherches sur la mémorisation et ses recherches sur la pensée et le langage, il y a une filiation totale. L’importance à donner à la médiation apparaît clairement à notre avis : à la fois indirecte et à la fois dialectique. Le « duel » est permanent et nie toute intériorisation directe. Nous ne pouvons pas internaliser un « sens unique ». Tout est médiation, tout est indirect, tout est plus que

« un ». La reconstitution du « un » laisse quand même paraître le deux originel, si ce n’était pas le cas, il n’y a aurait pas de développement possible. La nature a en effet horreur de l’équilibre… elle le construit très sagement comme une symbiose de déséquilibres.

(Brossard, 2004; Wertsch, 1985; Wertsch & Tulviste, 1992). Cette conception renforce la nécessité d’une distinction entre un processus premier d’intériorisation et un processus subséquent de poursuite de l’intériorisation au niveau entièrement intrapsychique.

Bien évidemment, les symboles sont caractéristiques d’une dialectique :

Médiation par les symboles : par ce terme j’entends les expressions à double sens que les cultures traditionnelles ont greffées sur la nomination des « éléments du cosmos (feu, eau, vent, terre, etc.), de ses « dimensions » (hauteur et profondeur, etc.), de ses « aspects » (lumière et ténèbres, etc.). Ces expressions à double sens s’étagent elles-mêmes entre les symboles les plus universels, ceux qui ne sont propres qu’à une culture, ceux enfin qui sont la création d’un penseur particulier, voire d’une œuvre singulière. Dans ce dernier cas, le symbole se confond avec la métaphore vive. Mais, en retour, il n’est peut-être pas de création symbolique qui ne s’enracine en dernier ressort dans le fond symbolique commun de l’humanité. (Ricoeur, 1986, pp. 29-30)

Mais si la symbolique était vue comme cristallisée définitivement, comme par exemple quand elle est enseignée comme un invariant, son potentiel médiateur serait diminué. Il semblerait que pour pouvoir être efficiente, du moins lors de la poursuite de l’intériorisation, la médiation doit garder des apories – du moins du point de vue du sujet.

C’est sur ceci que reposerait la possibilité d’avoir, grâce à la médiation, à la fois une étrangéisation107 et une proximité :

[…] de la même manière que le monde du texte n’est réel que dans la mesure où il est fictif, il faut dire que la subjectivité du lecteur n’advient à elle-même que dans la mesure où elle est mise en suspens, irréalisée, potentialisée, au même titre que le monde lui-même que le texte déploie.

Autrement dit, si la fiction est une dimension fondamentale de la référence au texte, elle n’est pas moins une dimension fondamentale de la subjectivité du lecteur. Lecteur, je ne me trouve qu’en me perdant. La lecture m’introduit dans les variations imaginatives de l’ego. La métamorphose du monde, selon le jeu, est aussi la métamorphose ludique de l’ego. Si cela est vrai, le concept d’ « appropriation » exige lui-même une critique interne, dans la mesure où sa pointe reste dirigée contre la Verfremdung ; en effet, la métamorphose de l’ego dont on vient de parler implique un moment de distanciation jusque dans le rapport de soi à soi ; la compréhension est alors autant désappropriation qu’appropriation. […] Aussi faut-il reporter au cœur même de la compréhension de soi la dialectique de l’objectivation et de la compréhension que nous avions perçue d’abord au niveau du texte, de ses structures, de son sens et de sa référence. À tous les niveaux de l’analyse, la distanciation est la condition de sa compréhension. (Ricoeur, 1986, p. 117)

Un élément majeur est également le caractère ouvert et évolutif de ce qui est proposé :

En particulier, il est devenu sans cesse plus évident que le caractère présomptif, inadéquat, inachevé qui résulte pour l’expérience perceptive de sa structure temporelle pouvait caractériser de proche en proche l’expérience historique dans son ensemble. […] L’expérience perceptive apparaissait comme un segment de l’expérience intégrale, artificiellement isolé et dépouillé de dimension culturelle.

(Ricoeur, 1986, p. 61).

Il en ressort que l’expérience ne peut être que sujet d’interprétation dès sa perception. L’explicitation de l’expérience amène « l’autre », « non dans mon existence en tant que donnée, mais en tant que celle-ci comporte un horizon ouvert et infini, un potentiel de sens que je ne domine pas du regard. Je puis bien affirmer, dès lors, que l’expérience d’autrui ne fait que ‘développer’ mon être propre identique, mais ce qu’elle développe était déjà plus que moi-même, en tant que ce que j’appelle ici mon propre être identique est un potentiel de sens qui déborde le regard de la réflexion. La possibilité de la transgression du moi vers l’autre est inscrite dans cette structure d’horizon qui appelle une ‘explicitation’

[…] » (Ricoeur, 1986, p. 72).

107 Nous préférons « étrangéisation », que nous considérons plus proche du sens de « Verfremdung » qui porte en lui, à travers « Fremd », le fait de devenir étrange à, plutôt que « distanciation » qui en est la froide traduction française usuelle. Devenir étrange, inspire la curiosité, dire qu’avec distancier comporte une froide logique. Il nous semble plus intéressant de devenir « étrange » que de devenir « distant » à soi-même.

Ceci nous donne que la qualité première de la médiation serait à la fois : - son incomplétude, stimulant et permettant son intégration,

- mais aussi sa cohérence, permettant à la pensée de se fixer.

Le moteur de toute dialectique repose sur la recherche de sens par le sujet : la signification, « c’est la structure interne de l’opération sémiotique. C’est ce qui existe entre la pensée et le mot » (Vygotsky, 1934/1997, p.

133). Il y a tension entre une signification attribuée au signe, quels que soient sa nature et son lien au réel, et le sens qu’il prend ou tend à prendre dans l’interprétation contextuelle immédiate (Valsiner, 2002). Ce contexte est soit l’environnement dans le cas d’un savoir à construire, soit le système conceptuel lui-même dans le cadre des savoirs établis. Le sens que prend le signe est donc par essence dialectique.

S’il n’en était pas ainsi, la dynamique nécessaire à l’intériorisation n’existerait pas, ni celle nécessaire à la poursuite de l’intériorisation.

Il en découle que la médiation doit avant tout permettre l’intériorisation de ces rapports (Karpov & Haywood, 1998). Ces médiations ne facilitent pas seulement les processus, mais « en étant inclus dans le processus comportemental, les outils psychologiques altèrent l’ensemble du flux et de la structure des fonctions psychologiques » (Wertsch & Tulviste, 1992, p.

551). Elles sont le produit d’une évolution socioculturelle et font l’objet d’une appropriation par le sujet dans son fonctionnement psychologique. Ceci conduit Vygotski à considérer la culture comme un système de signes qui crée des formes particulières de comportement, modifie le fonctionnement psychologique et construit de nouvelles histoires dans le système du comportement humain en développement (Wertsch & Tulviste, 1992).

La médiation ne consiste ainsi pas simplement en une association avec un savoir mais modifie la manière dont ce savoir est intériorisé. Il ne s’agit pas d’associer un élément avec un autre mais de combiner les éléments entre eux, la médiation influençant durablement, restructurant, le savoir qui est objet de la médiation. Toute appropriation d’un savoir entraîne ainsi immanquablement sa transformation par le sujet (Vanhulle, 2009a).

Les médiations influencent ainsi le processus psychologique et en changent la structure.

Nous en concluons qu’il ne peut y avoir d’intériorisation durable : 1. sans que les savoirs n’aient été influencés par la médiation;

2. sans que les médiations ne soient intériorisées simultanément et liées, dans un premier temps, aux savoirs; un bon livre qui provoque une rude cérébration qui exige de la pensée robuste celle qui donne sa place aux pouvoirs de la rêverie mais qui oxyde le flou du rêvassage ou une idée que je dirais transversale

qui puisse s’accrocher solidement telles des bulles autour du bon sens et un matin un soir un jour fatidique il faut forcer un peu Michel Garneau (1995). L’épreuve du merveilleux.

Mise en scène, A. Buysse. Montréal : Lanctôt.

4. les médiations relèvent à l’origine d’environnements culturels, mais sont subjectivées autant que les savoirs;

5. la subjectivation des médiations est influencée par les contextes d’intériorisation et d’utilisation des médiations ;

6. lors de la poursuite de l’intériorisation, les médiations se détachent du savoir et leur subjectivation est influencée par leur mobilisation dans d’autres contextes mais aussi par leur efficience dans la restructuration.

Les médiations ne sauraient donc se réduire à la matérialité d’un support, artéfact (livre, données, image) ou même à l’interaction (formateur), que nous appellerons vecteurs de la médiation, car le sujet intériorise la médiation et non le médiateur (Kozulin &

Presseisen, 1995). Ce vecteur est nécessaire au transfert, mais la médiation dépend plutôt de ses caractéristiques propres. C’est ainsi qu’ont été abondamment étudiés d’une part le contexte dans lequel les médiations se déploient et, d’autre part, la médiation des outils et des signes (Bernié, 2001; Bronckart, 1996; Daniels, 2008; Moro, Schneuwly & Brossard, 1997).

Si nous admettons, tel que nous l’exposions plus haut, que l’intériorisation d’un savoir provoque des déséquilibres dans le système du sujet, il peut être intéressant d’examiner les médiations selon leur influence sur les régulations. De plus, si, comme présenté au début de cet article, nous considérons que l’apprentissage et le développement sont liés, nous devrions prendre en compte le rôle développemental de la médiation.