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Une méditation sur les médiations

IV. LISTE DES FIGURES

5 LA LIGNE CULTURELLE DE DÉVELOPPEMENT

5.8 Les deux types de médiations

5.8.3 Une méditation sur les médiations

Nous avons vu que la médiation joue un rôle fondamental dans l’intériorisation.

Nous avons posé que les médiations développementales sont celles qui ont les qualités nécessaires à la poursuite de leur intériorisation.

Nous allons maintenant ouvrir d’autres réflexions sur les médiations qui nous seront utiles par la suite :

- Les médiations sont subjectivées lors de leur intériorisation.

- Certaines médiations s’arrêtent, si l’on peut dire, après le passage de l’inter- à l’intrapsychique, n’ayant pas les tensions dialectiques suffisantes pour poursuivre leur intériorisation; c’est pourquoi, dans une perspective développementale, nous nous en tenons aux médiations qui ont les qualités requises pour exercer un effet sur l’harmonisation des systèmes au niveau intrapsychique.

- Dans cette perspective, les médiations évoluent parallèlement aux procédures et savoirs, tout en étant associées à eux, elles ne fusionnent pas avec eux, et poursuivent leur propre intériorisation.

- Les médiations sont ce qui structure la conscience, donc ce qui structure l’harmonisation des systèmes d’équilibration, mais également ce qui permet l’intériorisation donc l’apprentissage et la compréhension ; elles sont également ce qui permet au sujet d’arriver à une action sensée et donc de s’inscrire dans une activité socioculturelle.

- Les médiations sont donc utilisées par le sujet pour mémoriser, pour comprendre mais aussi pour construire de nouvelles procédures, voire pour organiser les procédures entre elles, étant donné leur contribution à l’harmonisation de la conscience. Elles sont donc perceptibles dans l’activité humaine et ses productions.

- D’autre part, les médiations sont rarement uniques – l’intériorisation demandant plusieurs procédures –, mais elles interviennent de manière coordonnée, structurée entre elles. Cette structure présente une cohérence et se reflète dans la manière de s’approprier les savoirs et d’agir.

Nos travaux nous ont ainsi permis de dégager les dimensions suivantes des médiations qui semblent autant être transmises qu’intériorisées :

Médiations contrôlantes :

a. la centration sur certains systèmes de régulation plutôt que d’autres ; b. des modes d’évaluation ;

c. un monitoring particulier ;

d. le recours à la délégation ou non de l’attention, donc une préférence pour une ambiance d’apprentissage favorable à une régulation active ou à la régulation dynamique.

Médiations structurantes :

a. l’objectif de l’action ou la finalité de l’activité ;

b. un rapport aux émotions, dans le sens de sa prise en compte de sa validité ; c. des formes de raisonnements ;

d. le recours à des concepts scientifiques ou quotidiens ;

e. la prise en compte de certains types d’informations ou savoirs.

Sur cette base, nous considérons que les différentes médiations contrôlantes et structurantes présentent différentes dimensions et que ces dimensions, telles qu’elles sont portées dans les activités socioculturelles, permettent de définir la forme de l’activité et que, en tant que telles, elles sont décelables dans tout artéfact et donc utilisables par le sujet. Ces dimensions des médiations, sont autant de moyens de contrôles ou de moyens cognitifs intériorisés par le sujet. Elles prolongent leur effet jusqu’à un niveau développemental. A ce niveau, elles sont totalement subjectivées et se reflètent dans les préférences du sujet, notamment au niveau de la manière d’apprendre, donc de son style d’apprentissage en tant qu’ensemble incluant le traitement de l’information, les régulations, les conceptions et la motivation.

Avant de tenter de cerner les différentes dimensions des médiations, nous allons nous interroger sur la notion de forme, en tant que potentiel de cohérence des différentes dimensions des médiations.

6 LA FORME

Suite aux analyses précédentes, nous pouvons conclure que les médiations jouent un rôle déterminant dans le développement. Par ailleurs, si la conscience du sujet, intrapsychique, est dotée de sa propre téléonomie, elle semble néanmoins influencée par la conscience socioculturelle. Chaque culture, et chaque microculture, possède une manière de mettre en relation les savoirs, donc sa propre « conscience socioculturelle ». De ce fait, chaque action du sujet s’inscrit dans une activité et est donc une ouverture sur la conscience du monde.

La conscience étant structure, cela entraîne que cette structure engendre une téléonomie dans la recherche d’équilibration de l’ensemble des sous-systèmes de la conscience. La conscience socioculturelle serait dotée de sa propre cohérence et pourrait ainsi influencer la conscience individuelle, du moins pour des systèmes de régulation partiels de l’individu. Cette influence ne serait pas limitée à la transmission de significations mais imprègnerait toutes les actions impliquant des prises de position du sujet au sein de son activité :

Une analyse plus intense de la reconfiguration des significations personnelles en des significations appropriées (plus appropriées) indique qu’elle a lieu dans des conditions de lutte de la société pour la conscience des individus. […] Les significations – représentations, concepts, idées – n’attendent pas passivement [le choix de l’individu] mais s’installent énergiquement dans ses connexions avec les personnes formant le cercle de ses contacts réels. Si l’individu est forcé de faire des choix, tenant compte de circonstances de vie données, alors ces choix ne s’effectuent pas entre des significations mais entre des positions sociales conflictuelles qui sont exprimées et reconnues à travers ces significations. (Leont'ev, 1978)

Ceci aurait comme conséquence une reconfiguration des significations personnelles et aurait comme fondement que l’activité socioculturelle est sensée. À ce titre, elle serait dotée d’un ensemble de cohérences que l’individu peut discerner même si certains éléments restent tacites alors que d’autres sont dotés d’une logique formelle rigoureuse et obvie. Ces cohérences seraient telles qu’elles permettraient à une identité socioculturelle de voir le jour à travers les positionnements des différents individus participant à cette activité.

Mais cette conscience socioculturelle fait néanmoins l’objet d’une transmission et elle a non seulement une influence au niveau de l’apprentissage mais bien au niveau développemental étant donné que nous pouvons parler de reconfigurations des savoirs de l’individu. Il se pourrait donc que cette conscience socioculturelle se reflète dans la conscience individuelle, suite à sa transmission à travers des médiations appropriées. Étant donné que quand nous parlons de conscience, nous parlons d’un système cohérent, les médiations doivent avoir des liens entre elles, au moins quant à l’importance relative qui leur est accordée à l’une et à l’autre. Chaque activité socioculturelle, chaque artéfact en résultant, serait dotée d’une forme particulière représentée par les liens tissés entre les médiations qu’elle propose.

Pour examiner cette hypothèse, nous posons que les formes traditionnelles109, et particulièrement les formes artistiques, présentent le plus de cohérence et notamment une harmonie entre leur transmission et leur pratique. Nous suivons ainsi le raisonnement de

109 La tradition désigne la transmission continue d'un contenu culturel à travers le temps. « Cet héritage immatériel peut constituer le vecteur d'identité d'une communauté humaine. Dans son sens absolu, la tradition est une mémoire et un projet, en un mot une conscience collective : le souvenir de ce qui a été, avec le devoir de le transmettre et de l'enrichir ». Wikipédia, l'encyclopédie libre. (2011). Tradition. Consulté le 17 septembre 2011 dans http://fr.wikipedia.org/wiki/Tradition.

Bruner (1986/2000, p. 31) au sujet du récit : « […] je m’y intéresse sous sa forme la plus extrême, celle de l’art. […] Les grandes œuvres de fiction, où le récit devient une forme d’art, sont celles qui nous révèlent le mieux la structure profonde […] ». Il ajoute (p. 32) que cela permet également de s’intéresser aux outils qu’offre la culture.

L’art est une manifestation qui est au centre de nombreux processus individuels et sociétaux :

[La recherche psychologique] montre que l’art est le centre le plus important de tous les processus biologiques et sociaux de l’individu dans la société, qu’il est un moyen de mettre l’homme en équilibre avec le monde aux instants les plus critiques, les plus graves de la vie. (Vygotski, 1925/2005, p. 361)

D’où il découle que, si l’art est un procédé et que nous y réagissons, cette réaction à l’exposition à l’art est le reflet du fonctionnement de notre conscience. Ceci s’expliquerait par le fait que « l’art est déterminé et conditionné de la manière la plus immédiate par le psychisme de l’homme social. » (Vygotski, 2005, p. 28). L’art est un artéfact et pas une activité, mais c’est bien là une des positions fondamentales qui distingue la vision restreinte d’activité de la conception de Vygotski : « chez Vygotski, nous rencontrons la conscience dans n’importe quel mot, elle est communiquée en tant que réalité et non pas comme un produit de la prise de conscience » (Friedrich, 2002, p. 189). L’interactionnisme social à l’œuvre porte aussi sur le concept de conscience (ibid.) et d’autant plus qu’il est en quelque sorte réifié dans une œuvre d’art. Néanmoins, comme nous le développerons plus loin, l’art est double et offre dès lors une dialectique observable :

On voit en fait ici aussi que l’art est double et comment il faut pour le percevoir considérer à la fois et le véritable état de choses et l’écart qui se fait par rapport à lui, et comment de cette perception contradictoire naît l’effet… de l’art, et si même une absurdité est pour l’enfant un outil pour maîtriser la réalité, on commence alors vraiment à comprendre pourquoi dans notre art les ultra-gauches110 avancent la formule : l’art comme méthode de construction de la vie. Ils disent que l’art est construction de la vie parce que « la réalité se forge à partir de la mise en évidence et du démantèlement des contradictions »111. Et quand ils critiquent la conception de l’art comme processus de connaissance de la vie et avancent à sa place l’idée d’une perception dialectique du monde par l’intermédiaire de la matière, ils sont en totale concordance avec les lois de l’art que découvre la psychologie. (Vygotski, 1925/2005, p. 360)

Il convient de rajouter que l’art implique un acte créateur de sens lors de sa conception et un acte créateur de sens lors de sa perception dont il est tenu compte lors de sa création initiale. Ce phénomène est encore renforcé dans les arts collectifs, notamment les arts de la scène, qui exigent une collaboration (Sawyer, 2003).

Si l’être humain est capable de créer un sens sur la base d’émotions dans le cas du contact avec une œuvre artistique, n’en est-il pas ainsi lors du contact avec chaque œuvre humaine et chaque activité humaine, si elle est considérée a priori comme sensée et si son sens n’est pas considéré comme transmis au préalable et immuable ? Les expériences sur l’imitation par de jeunes enfants démontrent que l’être humain attribue un sens à chaque activité de ses pairs (Meltzoff & Prinz, 2002). Cela signifie que, dans l’ontogenèse, aucune signification ne pouvant être a priori considérée comme acquise par le jeune enfant, tout l’environnement est doté d’un sens nouveau. Nous pouvons considérer que, sous l’angle d’une ouverture à la nouveauté sans préconceptions, tout peut être examiné comme une œuvre d’art. Si nous admettons, de la part du sujet, une ouverture totale et une volonté d’investigation, nous allons jusqu’à poser qu’il en va ainsi pour tout nouvel apprentissage visant un développement, donc également dans le cadre de l’école et des formations

110 Ultra-gauches : dans le contexte de l’époque (moins de dix ans après la révolution communiste), il s’agit, pour ainsi dire, de puristes voulant revenir à Marx ‘dans le texte’ ; à notre avis, Vygotski prenait un risque ici, voir entre autres la position de Trotsky dans Quelle est la voie du Leninbund ? (L’Ultra-Gauche et le Marxisme), 7 septembre 1929, œuvres septembre 1929 [consultable sur http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1929/09/ldt19290907.htm].

111 Tchoujak (1923, p.35).

professionnelles112. La conscience tente d’attribuer une intentionnalité à toute action, toute activité, tout artéfact, et la conscience est à la recherche d’un sens qui se fonde grâce aux médiations à disposition.

Il convient donc d’examiner quelles sont les dimensions des médiations, composantes d’outils psychologiques, présentes dans les activités et artéfacts qui permettent au sujet, à leur contact, de donner un sens à l’activité ou à l’artéfact. Les différentes dimensions étant présentes dans presque tous les cas, il s’agit à notre avis de cerner la manière spécifique dont elles sont agencées entre elles. C’est l’ensemble des dimensions des médiations à disposition et les liens spécifiques qu’elles entretiennent que nous qualifierons a priori de forme culturelle. Nous tenterons d’affiner cette proposition à travers un examen des formes artistiques.

Dans un premier temps, nous nous proposons de présenter des caractéristiques globales de la forme artistique, puis d’en déduire des principes applicables aux formes culturelles en général.