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IV. LISTE DES FIGURES

2 LA FORME CULTURELLE, A-T-ELLE UN EFFET ?

2.2 Une influence mesurable

Ces recherches nous conduisent aussi à nous demander si la forme culturelle du théâtre pourrait exercer un effet développemental sur des élèves du cycle primaire. Vu ce qui précède, il se pourrait que l’intériorisation de médiations, à travers leur propagation à l’intrapsychique, engendre un effet sur les préférences d’apprentissage. Si ceci était vrai, nous pourrions inférer un effet développemental des formes culturelles selon leur incidence sur les changements de style d’apprentissage préférentiel. Ceci nous amènerait à un triple questionnement : de quelle manière se construirait un tel effet et comment se traduirait-il chez l’individu ; quelles sont les propriétés de la forme théâtrale qui permettraient cela ; quels sont les autres formes en concurrence avec celle-ci, notamment au niveau de l’enseignement scolaire.

Pour qu’une telle étude soit faisable à notre échelle, il faudrait réunir plusieurs conditions : la transmission de la forme culturelle doit être observable et donc limitée dans le temps ; cette forme doit présenter suffisamment de cohésion pour être clairement identifiable ; la transmission doit être cohérente par rapport à la forme socioculturelle pour déployer un effet et se révéler en contraste à d’autres formes ou variantes ; il doit être possible de mesurer des préférences de styles d’apprentissage dans un contexte d’apprentissage.

Un déploiement de la forme théâtrale dans un milieu scolaire nous offre cette opportunité. En effet, la forme théâtrale elle-même et sa formation sont ancrées dans une forte tradition et seraient caractérisées par une certaine cohérence des médiations contrôlantes et structurantes mises à disposition de l’apprenant. De plus, la forme théâtrale est en fait composée de deux grandes traditions, l’une d’origine occidentale, l’autre d’origine orientale, donnant ce que nous appellerons deux formes fondamentales du théâtre. Ceci permettra, par comparaison, de mieux cerner leurs particularités.

Les médiations constituent les éléments autour desquels se construisent les apprentissages et le développement ; les savoirs et régulations permettent d’appréhender les déséquilibres qui se présentent dans un environnement culturel donné. Nous poserons qu’une certaine cohérence des médiations est propre à chaque forme socioculturelle. Nous pouvons donc dire que la forme niveau développemental. Le lien

pourrait être particulièrement fort au niveau de l’autonomie d’apprentissage.

En effet, le style d’apprentissage et particulièrement l’autonomie de l’élève semblent pouvoir être influencés par le type de formation (Slaats, Lodewijks & van der Sanden, 1999) et par le formateur (Vermunt & Verloop, 1999). La pratique de la forme théâtrale pourrait rejoindre les conditions qui favorisent l’apprentissage autorégulé relevées par Boekaerts (1999). Nous pensons ici notamment aux retours du formateur sur les stratégies choisies par l’apprenant, à l’attention qu’il porte aux motivations et hypothèses de travail de l’apprenant, à l’autonomie qu’il lui laisse quant aux moyens de parvenir au résultat demandé, voire même à l’autonomie laissée dans la détermination des objectifs précis.

Nous pensons ainsi que la forme théâtrale, reposant sur une cohérence des médiations, devrait se refléter dans un équilibre particulier entre les médiations lors de la transmission des savoirs.

Dès lors, nous proposons quelques postulats et hypothèses afin de poursuivre dans cette voie :

- Les formateurs de théâtre sont porteurs d’une manière de transmettre la cohérence des médiations propre à une forme théâtrale. Ceci est observable dans leur enseignement à travers des indices précis.

Vocabulaire

Afin de permettre une entrée en matière, nous donnons quelques définitions simplifiées des concepts clefs de cette recherche : Développement : modification durable du potentiel d’apprentissage au niveau intrapsychique de l’individu (voir 3) Régulation : ce qui permet de mettre fin au déséquilibre d’un système, créée par exemple lors d’un nouvel apprentissage (voir 4.2).

Autorégulation : régulation par le sujet lui-même, donc avec peu ou pas de contrôle du processus de régulation provenant d’ailleurs.

Intériorisation : le fait de s’approprier une information, un savoir, une médiation ; passage de l’inter- à l’intra-psychique.

Poursuite de l’intériorisation : restructuration en profondeur de différents systèmes au niveau intrapsychique d’où découle un développement.

Médiation : élément tiers permettant l’intériorisation d’un savoir mais qui est également intériorisé par le sujet (voir 5.4)

Médiation contrôlante : médiation accompagnant l’intériorisation mais portant sur le contrôle du processus de régulation (voir 5.8.1) Médiation structurante : médiation accompagnant l’intériorisation mais portant sur ce qui permet de rétablir l’équilibre du système, donc de donner un sens (voir 5.8.2)

Apprentissage autorégulé : style d’apprentissage impliquant non seulement une autorégulation mais une volition, une motivation intrinsèque, voire une fixation des objectifs par le sujet lui-même (voir 8.1)

Style d’apprentissage : préférences liées à différents aspects du processus d’apprentissage allant de la motivation à des manières de traiter l’information (voir 8.3)

- Les deux formes fondamentales du théâtre influencent les intériorisations des apprenants par l’équilibre particulier des types de médiation que la tradition théâtrale a développés.

- Les médiations pourraient avoir un effet en pleine connaissance du sujet mais également hors contrôle attentionnel. La pratique répétée de l’autorégulation augmenterait le recours, même non planifié, à l’autorégulation en vertu du principe de vicariance à travers la sélection du processus le plus efficace (Lautrey, 1990; Reuchlin, 1978). Ceci n’est vrai que si le concept d’entraînement, repris des théories sur la créativité (Boden, 2004; Sawyer et al., 2003), est envisageable au niveau de processus de régulation, comme évoqué d’ailleurs par Piaget (1991) pour des processus élémentaires. L’attention accordée au succès résultant d’un travail d’autorégulation de la conscience, même implicite6, amènerait à développer un style d’apprentissage autorégulé.

- L’intériorisation des médiations se prolonge par un effet – en quelque sorte une poursuite de l’intériorisation à travers la participation à la restructuration d’autres systèmes précédemment intériorisés – au niveau développemental.

- L’enseignement/apprentissage de la forme théâtrale serait tellement différent de la forme scolaire habituelle, que l’apprenant se verrait entraîné à tenir compte de nouvelles médiations et à les mettre à profit dans un autre contexte.

L’appropriation d’une nouvelle forme aurait ainsi un effet dans d’autres activités.

- L’intériorisation des médiations par les apprenants lors de la pratique de la forme théâtrale débouche ainsi sur le développement d’un nouveau style d’apprentissage, en fonction de leur style préexistant et des autres médiations intériorisées qui comprennent notamment celles proposées par leur enseignant.

A notre avis, ceci demanderait un travail théâtral assez long pour que le nouveau style soit suffisamment intégré et devienne préférentiel au point d’être appliqué par l’apprenant à la plupart des situations d’apprentissages scolaires. Il est donc vraisemblable que notre dispositif ne permette pas de constater un déplacement significatif des élèves dans leur ensemble.

Il s’agit ainsi pour nous de découvrir :

- sur la base de l’exemple des formes théâtrales, quel est le profil, la cohérence, des médiations incluses dans une forme socioculturelle ;

- dès lors, comment une forme socioculturelle se reflète lors de sa transmission dans les médiations proposées par les formateurs ;

- suite à l’intériorisation de ces médiations, quel est l’effet développemental perceptible au niveau d’un style d’apprentissage préférentiel.

Dès lors, il ne s’agit pas de nous concentrer sur les objets de savoirs qui sont appropriés en connaissances7 par l’élève, mais bien sur les différentes dimensions des médiations qui sont proposés lors d’un atelier de théâtre et qui permettent leur appropriation. Nous ne travaillerons donc pas sur un descriptif des objets enseignés, mais sur les outils fournis à l’apprenant dans le cadre de cette transmission. En effet, pour parler

« d’effets » sur l’apprenant, il convient à notre avis de nous poser la question de l’intériorisation non seulement des savoirs et savoir-faire mais de ce qui permet cette intériorisation, donc des médiations.

6 Cette dénomination peut surprendre, voir infra au 4.4.

7 Nous entendons par ‘savoir’ le produit de l’élaboration d’un sens à partir d’informations ou d’autres savoirs, articulés autour d’un ‘concept’. Nous utilisons volontairement ‘savoir subjectivé’ pour

‘connaissance’ afin de souligner l’homologie avec le ‘savoir’ scientifique en général scripturalisé et de permettre une meilleure appréhension de la place des ‘concepts’ dans ce rapport structurant.

Après nous être interrogés sur les mécanismes d’intériorisation propres au sujet, nous prendrons progressivement une perspective vygotskienne en nous interrogeant sur les médiations qui accompagnent la transmission du savoir (Vygotsky, 1934/1978).

Ceci implique une réflexion théorique quant à la nature des médiations qui permettent une poursuite de l’intériorisation, au sens de restructuration, amenant, à son tour et progressivement, une modification durable des styles d’apprentissage. Cette réflexion sera complétée par une prise en compte des problèmes épistémologiques que pose leur identification dans les gestes de l’enseignant, ses propos ou les outils mis à disposition.

Il en découle une interrogation théorique sur l’ensemble de facteurs qui permettent d’identifier une forme de transmission de savoirs dont la finalité tend à ce que les sujets soient capables d’actions identifiables comme relevant de cette forme.

Pour répondre à ce questionnement, l’empirie elle-même est basée sur un dispositif expérimental : deux classes sont divisées en deux groupes qui suivent des ateliers de théâtre selon la forme réaliste-psychologique ou selon la forme dynamique-physique, tandis que quatre autres classes constituent des groupes de contrôle. Nous avons examiné les séquences d’ateliers donnés par les formateurs de théâtre et procédé à une enquête sur la manière d’enseigner des enseignants de chaque classe. Ces résultats ont été analysés afin de révéler les médiations favorisées. D’autre part, nous avons effectué deux démarches complètes, une avant et une après l’activité, de détermination des styles d’apprentissage et des sources de régulations préférentielles des élèves. La comparaison entre l’évolution des styles d’apprentissage et les apports de la formation a été effectuée.

Sur cette base, nous pouvons nous demander dans quelle mesure les styles d’apprentissage des sujets évolueront en fonction :

- du style préalable de l’élève ;

- de l’enseignement de l’enseignant titulaire de classe, tel que reflété par l’équilibre entre les types de médiations proposées ;

- de l’enseignement tel que dispensé par le formateur de théâtre et rendu par l’équilibre entre les médiations proposées.

À nouveau, il s’agit de délimiter des moyens d’analyse permettant de relever les caractéristiques d’une forme de pensée et d’action. Pour ce faire, nous nous baserons sur l’analyse des médiations telles qu’elles ressortent de la description de la forme théâtrale, de l’observation des ateliers de théâtre et du discours des enseignants.

Selon ces perspectives, nous tenterons d’établir quelles sont les caractéristiques des médiations que la forme théâtrale, et chacune de ses formes fondamentales, favorisent.

Nous nous demanderons quels aspects de la forme théâtrale, et de l’action du formateur de théâtre, pourraient favoriser le développement d’un style d’apprentissage autorégulé, notamment à travers l’équilibre entre les différentes dimensions des médiations proposées et le degré d’autonomie de l’apprenant.

Nous esquisserons quelques autres effets possibles des médiations inhérentes à la transmission de la forme théâtrale. Nous pensons ici entre autres à sa dialectique ouverte qui favoriserait la recherche de sens et l’acceptation de la dialectique entre sens et signification.

Nous tenterons sur cette base de répondre aux questions suivantes :

- Quelles sont les caractéristiques de chacune des deux formes fondamentales du théâtre ?

- Quelles sont les différentes dimensions des médiations proposées par les formateurs de théâtre aux élèves de classes de cinquième primaire ?

- Quels sont les cohérences de ces dimensions des médiations ?

- Quelles sont les dimensions des médiations priorisées par les enseignants de ces mêmes élèves ?

- Quelles sont les styles d’apprentissage des élèves de classes de cinquième primaire avant et après la pratique théâtrale ou après un même intervalle de temps dans le cas du groupe contrôle ?

- Peut-on induire un lien entre les médiations proposées par les formateurs et les enseignants et l’évolution du style d’apprentissage ?

2.3 Le parcours

Afin de tenter de répondre à ces questions, nous nous sommes fondé autant sur une large investigation théorique que sur une empirie.

Dans un premier temps, nous devons en effet présenter la recherche théorique nous ayant permis d’élaborer non seulement un cadre d’interprétation, mais surtout les moyens de cerner la forme et les différentes dimensions des médiations qui y sont associées. Pour cela, nous remonterons à des textes sources, ce qui peut paraître paradoxal au vu des avancées théoriques de ces dernières années, mais s’avère indispensable en raison de l’interprétation que nous avons été amené à donner à certains paradigmes. Notre lecture de ces textes provient d’une tentative de synthèse de différents courants et peut donc, de prime abord, paraître peu compatible avec certains courants bien établis. Nous avons tenté d’interpréter les textes cités, tant par rapport à leurs sources que par rapport une relecture basée sur les dernières avancées, notamment en neurosciences. Nous avons procédé, tant que possible, à une relecture des sources des auteurs cités. Nous devons préciser que toutes les citations sont livrées selon nos propres traductions. Ces traductions ont été effectuées en se référant aux textes sources, quand c’était possible, à défaut en recourant à des traductions dans d’autres langues. Dans certains cas, elles ont fait l’objet d’une révision par des traducteurs professionnels. Il a été choisi de faire ressortir des tournures propres à la langue d’origine afin de ne pas effacer des nuances et des dialectiques par une adaptation trop poussée à la langue cible. Les textes déjà traduits en français ont systématiquement été mis en relation avec leurs traductions vers l’anglais ou leur texte source. En cas d’ambiguïté entre les deux, il a été fait référence au texte d’origine russe, allemand ou néerlandais. Certains textes, dont la traduction nous semblait enlever certains éléments importants à nos yeux, ont été retraduits directement par nos soins depuis les originaux, par exemple dans le cas de Volkelt, Humboldt ou Schiller.

Nous situerons d’abord la problématique de cette thèse dans une perspective développementale (chapitre 3) avant d’approfondir les lignes naturelle (chapitre 4) et culturelle (chapitre 5) du développement. Cet approfondissement nous permettra d’aborder en détail plusieurs concepts qui nous seront par la suite nécessaires afin de cerner les différentes dimensions des médiations.

Ensuite, nous approcherons, dans un premier temps, à travers la forme artistique, le concept de forme socioculturelle (chapitre 6), avant d’aboutir sur une proposition pour cerner la forme : celle-ci est envisagée en tant qu’ensemble cohérent des différentes dimensions des médiations. Dans un deuxième temps, nous identifierons ces différentes dimensions des médiations à travers une classification détaillée (chapitre 7). Ces éléments sont déjà le résultat de la recherche empirique présentée ultérieurement (à partir du chapitre 9).

Nous aborderons ensuite les effets potentiellement développementaux liés à la poursuite de l’intériorisation de la forme et notamment la manière dont ils pourraient se refléter dans les styles d’apprentissage et leur évolution (chapitre 8).

Avant d’amener nos résultats, nous présenterons notre méthodologie d’ensemble.

Celle-ci représente un ensemble de huit modules de recherche (chapitre 9), eux-mêmes

composés de différents dispositifs de recherche, instruments et modalités d’analyse spécifiques, que nous présenterons au début de chaque chapitre de cette partie.

Au chapitre 11, nous présenterons la forme théâtrale et les deux formes fondamentales du théâtre qui la composent ainsi que les caractéristiques des différentes dimensions médiations de ces formes socioculturelles.

Nous livrerons ensuite, en nous basant sur les encodages réalisés sur les vidéos des ateliers de théâtre, l’analyse des formes subjectivées transmises par les formateurs de théâtre de chacune de ses deux formes fondamentales (chapitre 12) et nous nous livrerons à une comparaison de manière à faire ressortir ce qui les caractérise chacune. Nous les confronterons ensuite aux formes socioculturelles correspondantes, telles qu’elles ressortent du chapitre précédent.

Nous présenterons l’analyse des formes subjectivées ressortant de l’entretien avec les enseignants prenant part à notre dispositif (chapitre 13). Ceci permettra de faire ressortir les formes scolaires transmises aux élèves et de les comparer aux formes théâtrales (chapitre 14).

Afin de pouvoir aborder les résultats sur l’effet développemental de la forme, le point 15.1, détaillera un fort volet méthodologique statistique, décrivant l’approche par styles d’apprentissage fondés sur des verbalisations des élèves et la constitution d’un inventaire de style d’apprentissage original. Les analyses statistiques différentes réalisées suite au pré-test et au post-test sont évoquées. Chaque style que nous présentons suite au pré-test et au post-test est en effet fondé sur des échelles établies séparément pour chacun des tests et fait ressortir des combinaisons d’items différents. Suite à cela nous établissons des styles d’apprentissage pour le pré-test et le post-test (point 15.2) et quelques analyses complémentaires permettant de mieux comprendre les liens entre les échelles (point 15.3).

Au point 15.5 nous présentons l’analyse des déplacements, au niveau des styles d’apprentissage et de certaines échelles, pour chacun des groupes d’élèves de notre dispositif. Nous offrons quelques pistes sur l’effet développemental au point 15.6.

Notre discussion (chapitre 16) fera le tour des réponses que nous avons tenté d’apporter dans cette recherche exploratoire.

Mais avant tout cela, entrons à présent dans notre investigation théorique. Le chapitre suivant a pour but de situer la perspective développementale dans laquelle s’inscrit toute cette thèse consacrée aux effets des médiations sur les régulations et le développement.