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IV. LISTE DES FIGURES

5 LA LIGNE CULTURELLE DE DÉVELOPPEMENT

6.2 La forme socioculturelle

6.2.6 Les Formes et le développement

Résumons notre raisonnement jusqu’ici. Le travail de la conscience peut avoir lieu hors de notre contrôle attentionnel et nous voyons la conscience comme la mise en lien intrapsychique de différents systèmes d’équilibration visant à maintenir un sens, un équilibre face aux perturbations. Ces mises en lien entre systèmes reposent sur une attribution d’un sens plus vaste et tout comme l’équilibration de chacun des systèmes, dépendent de régulations et des réflexivités qui y sont liées. Le contrôle de ces régulations - i.e. la réflexivité contrôlante - et la structuration du recours à des informations - i.e. la réflexivité structurante - dépendent des médiations contrôlantes et structurantes intériorisées. Les dimensions des médiations sont intériorisées parallèlement aux savoirs dont elles permettent l’intériorisation et poursuivent également leur intériorisation jusqu’à un niveau développemental et sont de plus en plus subjectivées dans ce processus. Le caractère systémique de la conscience implique que chaque système obéisse à des règles d’harmonisation et qu’il y a en permanence des tensions relatives à l’équilibrage des systèmes entre eux. Là aussi, cette harmonisation de la conscience est dépendante des dimensions des médiations intériorisées. Cette harmonisation et les médiations subjectivées, nécessaires à cela, œuvrent au niveau développemental.

À cause de leur contexte d’émergence historico-culturel, dans les activités humaines d’une culture donnée, des liens existent, qu’ils aient été indispensables ou se soient établis a posteriori, entre les médiations structurantes et contrôlantes. Ces liens, ce sens qui permet d’expliquer la coexistence de différentes dimensions des médiations est une forme.

On peut ainsi parler d’une conscience socio-culturelle, dans la mesure où on considère qu’une activité socio-culturelle donnée représente une cohérence, un système qui vise à maintenir son équilibre et au sein duquel les actions trouvent un sens en fonction d’une finalité. Cette conscience culturelle, en tant que liens dynamiques permettant d’interpréter le monde grâce aux outils psychologiques ouverts que peuvent être les médiations contrôlantes et structurantes, donnant un sens, influence les consciences

145 Analyse d’écrits réflexifs d’enseignants en formation (voir Buysse (2011a et b))

146 Voir point 10.

147 Voir point 10.

individuelles à travers l’intériorisation de ces médiations. Celles-ci, adaptées afin de tenir compte des médiations déjà intériorisées précédemment et formant la conscience du sujet, sont subjectivées. Elles altèrent la conscience du sujet tout en étant altérées par elle. Se traduisant dans l’activité et les productions créatives du sujet, elles influencent la conscience collective qui est le reflet changeant de ces consciences individuelles qu’elle a contribué à former.

Les dimensions des médiations présentent des liens entre elles, la forme, caractéristiques d’une culture donnée. Elles sont indispensables à la cohésion de la culture et sont transmises par des formateurs ou sont incluses dans les règles de l’activité ou encore dans les artéfacts. Elles peuvent être détachées par le sujet de leur support, du formateur, de l’activité ou de l’artéfact. Les dimensions des médiations, ainsi décelables, sont la forme culturelle qui sera subjectivée lors de la recherche de sens sur les interventions du formateur, sur l’activité ou l’artéfact.

Chaque culture a donc en quelque sorte une conscience qui influence la conscience de l’individu lors de l’intériorisation des médiations par ce dernier. La forme de conscience d’un individu peut être qualifiée de forme subjectivée. Il y a une tentative d’harmonisation, mais sur la base des médiations déjà intériorisées, donc transformées. De plus, le sujet garde souvent des systèmes non affectés, en quelque sorte hors de portée de l’influence développementale, parce qu’il compartimente ces activités en fonction de contextes socio-culturels donnés. Nous devrions conclure que le sujet a plusieurs systèmes de conscience.

Étant donné qu’une microculture, par exemple une activité professionnelle s’inscrivant dans des habitudes socio-culturelles données, ou une activité scolaire dans un système éducatif, un établissement scolaire et une classe précise, présente une cohérence148 et cherche en tant que ‘société’, à atteindre une harmonisation de ses composantes, nous constatons que les activités ne s’exercent pas exactement de la même manière selon les cultures. Il y a, dès lors, adhésion d’un sujet, par exemple d’un professionnel, à une variation de forme culturelle de sa profession : système de dimensions des médiations se traduisant par des objectifs et des tentatives de régulation dans un sens, parfaitement intériorisés tout en ayant pris une couleur personnelle.

Si la conscience du sujet est ‘non-schizophrène’149, il y aura progressivement influence de sa profession dans les autres champs de son activité, mais il nous semble (comme évoqué plus haut) que la focalisation sur les régulations actives cloisonne en quelque sorte les formes à un champ d’activité donné. Nous devrions donc assister à des migrations de médiations intériorisées également dans d’autres systèmes psychologiques de l’apprenant que leur premier système d’application. Ceci engendrerait des effets durables sur les préférences de traitement de l’information, sur la motivation, sur les conceptions, sur les régulations.

Nous avons donc des effets de l’intériorisation de la forme qui touchent aux aspects procéduraux déployés par le sujet, et des effets de la poursuite de l’intériorisation de la forme qui touchent à des éléments plus stables, développementaux. Quand le regard du sujet est dirigé vers des éléments de la forme, c’est lui qui la détache du tout, mais il se peut aussi que des éléments de la forme sont présentés explicitement. Une forme étant composée de différentes médiations contrôlantes et structurantes ainsi que des relations des dimensions des médiations entre elles, la transmission la plus performante est liée à la présentation non seulement des éléments qui composent la forme mais du lien entre eux, donc de la forme elle-même. Nous pouvons donc cerner la forme lors de sa transmission.

148 Au sujet de la microculture au niveau scolaire, voir Mottier-Lopez (2007).

149 Vygotski (1930/1997) fait effectivement allusion à la schizophrénie comme étant le seul facteur pouvant empêcher une restructuration complète de la conscience.

La forme subjectivée, quant à elle, peut être considérée comme une manière de cerner la conscience en tant qu’interrelation entre des systèmes, et en tant que système intrapsychique lui-même relié au système historique et social au sein duquel le sujet évolue150. Cette forme est en fait un arrangement particulier, une cohérence, des dimensions des médiations qui sont transmises à un moment donné, soit lors de la formation soit lors de l’expression du sujet.

Nous partons de l’idée qu’une forme peut être observée à travers la cohérence des dimensions des médiations qu’elle met à disposition. Pour clore ce chapitre, insistons également sur le fait que les formateurs jouent un rôle déterminant et reflètent dans ce qu’ils transmettent les dimensions des médiations traditionnellement mises en avant par la forme culturelle dans laquelle ils s’inscrivent. L’observation des actions des formateurs et une comparaison avec les descriptions de la forme d’activité socioculturelle permettent ainsi de révéler la forme en tant que cohérence des dimensions des médiations.

Nous allons maintenant tenter de cerner la forme à travers les différentes dimensions des médiations.

150 On pourrait s’aventurer jusqu’à dire que la forme subjectivée va engendrer une certaine Weltanschauung ou plutôt qu’elle va être la partie actante d’un Lebenswelt – monde vécu - particulier au sujet, tout en s’inscrivant justement comme un des mondes vécus (Habermas, 1981/1995). Il s’agit ici de resituer la représentation comme moteur de l’agir, s’étendant à son organisation et à son inclusion dans l’activité socioculturelle.