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IV. LISTE DES FIGURES

7 CERNER LA FORME 151

7.3 Les médiations : structurant-contrôlant, direct-indirect et universel

7.5.1 Les objectifs, les finalités

L’objectif visé lors de la procédure, ou même lors de l’intériorisation d’un savoir est essentiel à l’intériorisation elle-même : « La présence d’un but, d’un problème est un élément nécessaire mais non suffisant pour qu’apparaisse une activité appropriée à une fin.

Aucune activité de cet ordre ne peut avoir lieu s’il n’y a pas un but et un problème, qui mettent en marche ce processus et lui impriment une direction. » (Vygotski, 1934/1997, p.

198)

Les objectifs sont présents à différents niveaux d’action, même si les procédures dont ils déterminent la course sont probablement à un stade ou un autre intériorisées au point de ne plus nécessiter d’objectif sous contrôle attentionnel :

Initialement chaque opération, tel que changer les vitesses d’une voiture, est formée en tant qu’action subordonnée spécifiquement à un objectif et à sa propre base orientationnelle (voir Galperin156). Ensuite cette action est incluse dans une autre action, qui a une composition opérationnelle complexe, par exemple modifier la vitesse de déplacement de la voiture. Maintenant l’action de changer les vitesses devient une méthode pour atteindre l’objectif, l’opération qui effectue le changement de vitesse de déplacement, et le changement de visses cesse d’être accompli en tant que processus orienté vers un objectif spécifique. L’objectif n’est pas isolé. Pour la conscience157 du conducteur, changer les vitesses se produit, dans des circonstances ordinaires, comme si cela n’existait pas. Il fait quelque chose d’autre : il déplace la voiture d’un endroit à l’autre, monte des pentes, conduit vite, s’arrête à un endroit donné, etc. En réalité, cette opération peut être enlevée totalement de l’activité du conducteur et être automatisée. De manière générale, le destin de l’opération est de devenir tôt ou tard la fonction de la machine. (Leont'ev, 1978)

Il en ressort que les objectifs de certaines actions devenues automatisées ne sont plus au niveau attentionnel et totalement soumis en tant que système à des objectifs d’ordre supérieur :

Une activité peut perdre le motif qui en a été à la base, et alors elle est convertie en une action réalisant peut-être une relation totalement différente au monde, une activité différente ; de la même manière, une action peut devenir une force stimulante indépendante et peut devenir une activité séparée ; finalement, une action peut être transformée en un moyen pour atteindre un objectif, en une opération capable de réaliser des actions diverses. (Leont'ev, 1978)

L’annonce et le partage de cet objectif final, de cette finalité de l’activité, est primordiale afin que les objectifs des actions qui la composent ne restent pas des finalités en soi. Apprendre à changer les vitesses sans savoir que cela sert à permettre au véhicule d’avancer conformément à nos désirs et permettre à un objectif d’une opération de rester un objectif au lieu de devenir une simple fonction automatisable.

Néanmoins, la présence d’un objectif semble une médiation essentielle afin de dégager d’autres médiations d’un outil :

Ce n’est que dans un système d’activité humaine que les objets eux-mêmes peuvent devenir des stimuli, des buts ou des outils ; privé de ces connections au sein de système ils perdent leur existence en tant que stimuli, buts ou outils. Par exemple, un outils considéré en dehors d’un

156 Quoiqu’il n’y ait dans le texte original aucune indication supplémentaire, d’après nous, Leont’ev se réfère ici aux travaux de Gal’perin d’abord parus dans Pratsi respub. nauk. konf. z pedagogiki i psikhologii [Works of the (Ukrainian) Republic Scientific Conference on Psychology and Pedagogy]. Kiev, 1941. Vol. 2, pp. 172-81, mais reflétés dans (1979)

157 Leont’ev utilise le terme « conscience » mais au vu de la terminologie adoptée dans cet ouvrage il conviendrait de lire « contrôle attentionnel ».

objectif devient autant abstrait qu’une opération considérée en dehors du contexte de l’action qu’elle permet de réaliser. (Leont'ev, 1978)

De plus, il semble vital que l’objectif, véritable motif, soit clair et partagé par le sujet :

Ces relations158 sont également décisives au point de vue psychologique. Pour le sujet lui-même, la perception et l’accomplissement d’objectifs concrets, la maitrise des moyens et opérations, en lien avec ses actions est une méthode de rendre sa vie conforme, de satisfaire et de développer ses besoins matériels et spirituels, objectivés et transformés en motifs de son activité. Peu importe si ces motifs sont ou ne sont pas perçus par le sujet, ils signalent leur présence par la manifestation d’un intérêt, d’un désir ou d’une passion ; leur fonction, du point de vue de la conscience, est qu’ils évaluent la signification vitale pour le sujet de circonstances objectives et celle de ses actions dans ses circonstances, lui donnant un sens personnel qui en correspond pas directement avec ce qui est compris de leur signification objective. Dans des circonstances données, le manque de correspondance entre sens et signification au sein de la conscience individuelle peut prendre l’allure d’une véritable aliénation entre eux, même de leur opposition. (Leont'ev, 1978)

Le partage de l’objectif, et particulièrement son intériorisation parallèlement aux savoirs et procédures, est une des dimensions des médiations les plus importantes pouvant permettre par la suite au sujet de dégager peut-être par lui-même un certain nombre d’autres dimensions des médiations. Si, par exemple, la finalité du théâtre est vue par le sujet comme la récitation d’un texte, il lui sera impossible de comprendre, voire d’admettre, la plupart des propositions de procédures faites dans le cadre d’une formation théâtrale. Ce partage des finalités peut-être une chose peu aisée, comme par exemple dans le cadre de formes socioculturelles moins traditionnellement ancrées, telles l’école ou la formation des enseignants.

Par analogie, l’intentionnalité de l’auteur peut être prise au sens large de l’intentionnalité, de l’objectif en tant que finalité de l’activité centrale de la forme socioculturelle. Si nous pensons à l’herméneutique biblique où l’interprétation doit obéir à l’idée d’une intention déterminée du Créateur, et, dans ce cas, elle n’est en quelque sorte que faiblement négociable : elle EST préexistante à la lecture. La pression sociale fait en sorte que la lecture d’une autre intentionnalité est souvent rendue impossible. Il s’agit bien pour le sujet, lecteur de la réalité socioculturelle, de comprendre sans pouvoir influencer directement une intention culturellement établie :

[…] chercher dans le texte lui-même, d’une part la dynamique interne qui préside à la structuration de l’œuvre, d’autre part la puissance de l’œuvre de se projeter hors d’elle-même et d’engendrer un monde qui serait véritablement la « chose » du texte. Dynamique interne et projection externe constituent ce que j’appelle le travail du texte. […] [Cela] la capacité de l’œuvre à se projeter au-dehors dans la représentation d’un monde que je pourrais habiter. (Ricoeur, 1986, p. 32)

Pour nous, il s’agit ici d’une dynamique et d’une projection externe propre non seulement aux œuvres mais à toute production culturelle. Le sujet doit intégrer à son mouvement herméneutique de compréhension de l’activité, certaines finalités incontournables qui doivent éclairer l’ensemble des actions sensées de l’activité.

Nous constatons que les objectifs sont essentiels à la structuration de la pensée, donc évidemment à l’intériorisation et à sa poursuite. Il apparaît également que les

158 N’étant pas certains de pouvoir rendre toutes les nuances du texte nous le reproduisons ci-après : These relationships are also psychologically decisive. The fact is that for the subject himself, perception and achievement by him of concrete goals, mastery of means and operations, of action is a method of conforming his life, satisfying and developing his material and spiritual needs, which are objectified and transformed in the motives of his activity. No matter whether these motives are or are not perceived by the subject, they signal themselves in the form of his experiencing an interest, a desire, or a passion; their function, taken from the aspect of consciousness, is that they “evaluate” the life significance for the subject of objective circumstances and his actions in these circumstances, giving them personal sense that does not directly correspond to their understood objective meaning. In given circumstances the lack of correspondence of sense and meaning in individual consciousness may take on the character of a real alienation between them, even their opposition. (Leont'ev, 1978)

objectifs peuvent être intériorisés pour eux-mêmes et influencer l’interprétation des intériorisations ultérieures.

À nouveau, les objectifs peuvent être communiqués plus ou moins directement ou le sujet peut être amené à les découvrir. Si un objectif, au niveau de finalité, peut être annoncé, il se pourrait que les objectifs visés par les procédures ne le soient pas, ou inversement. Il semblerait que dans bien des cas les formateurs soient dans l’impossibilité d’annoncer des finalités et qu’à défaut les procédures soient érigées en finalités. Dans le cas des formations théâtrales, nous avons constaté que c’est presque l’inverse : la finalité de l’activité dans son ensemble est clairement explicitée. Par contre, certains exercices, donc des procédures à intérioriser, semblent devoir se passer d’objectifs, le sous-entendu étant que tout ce qui est proposé sera utile à l’atteinte de la finalité.

Derrière l’intériorisation des objectifs eux-mêmes, il y a la nécessité d’un caractère plus ou moins explicite des objectifs qui est intériorisée et le lien qu’entretiennent les objectifs des procédures avec les objectifs des actions et la finalité de l’activité. Observons qu’à défaut d’une intériorisation des objectifs, le sujet sera forcément dépendant du contrôle d’autrui.

Néanmoins, la distinction consigne – objectif pose également un problème de niveau. Sommes-nous face à une consigne se transformant en objectif d’un processus de régulation ou face à un objectif qui mène à penser que ce processus de régulation doit être pour le sujet une fin en soi, le sujet étant dès lors lui-même assimilable à une procédure dans un ensemble plus vaste ?

Un autre problème surgit car nous avons pu observer de nombreuses approches des objectifs. Ceci pose la question du niveau d’objectif de chacune des procédures par rapport à la finalité de l’activité, mais nous mène aussi à questionner la pertinence même d’une formulation d’objectif a priori. En effet, il convient de ne pas oublier que les finalités restent souvent cachées, ignorées non seulement des sujets mais même de la société, et exposées aux seules investigations des philosophes. Nous devrions avoir l’honnêteté intellectuelle d’inclure ce questionnement dans toute théorie de l’activité afin de ne pas oublier la finalité de la production de la société elle-même et sa relation aux sujets.

Nous pouvons néanmoins, sur la base des observations faites, tenter de distinguer des dimensions de deuxième ordre selon ce qui permet l’intériorisation de l’objectif.

7.5.1.1 Finalités de l’activité

Nous entendons par là ce qui est attendu comme état final lors de la réalisation de l’activité du groupe ou de l’individu. Il s’agit en tous les cas d’une tâche complexe regroupant de nombreux objectifs.

Si celle-ci est présentée directement ou mise en débat, cela donne la possibilité aux sujets d’élaborer des objectifs sur cette base. Il est assez étonnant d’observer que la finalité de l’éducation est peu mentionnée par les enseignants ayant participé à notre étude, mais que les objectifs partiels abondent et semblent peu mis en lien avec la finalité. Par contre, la finalité du théâtre, ou plutôt de la production théâtrale est systématiquement soulignée, voire répétée en cours de formation, durant les ateliers.

7.5.1.2 Objectif des actions, procédures

L’objectif se distingue ici de la finalité par sa portée limitée à l’action elle-même, sans aller jusqu’à son insertion dans un ensemble plus vaste. Aucune régulation n’est possible sans objectif, mais ce qui est en cause ici c’est bien la manière dont cet objectif est transmis. Son explicitation détaillée peut être désirée, mais on peut aussi demander aux sujets de déterminer une partie des objectifs, ou au moins de les affiner, en fonction de la finalité.

7.5.1.3 Imitation

Comme exposé au point 4.8.1, l’imitation est tout sauf de la reproduction, de la copie servile. Il est à remarquer que l’imitation est une médiation traditionnelle de la plupart des formations artistiques et en tout cas dans la plupart des situations complexes.

Le processus à l’œuvre (Meltzoff & Prinz, 2002) amène le sujet à intérioriser l’objectif de l’action démontrée ou à laquelle il participe. On pourrait résumer l’imitation en disant que c’est un processus d’attribution d’intentionnalité, d’objectif, au processus de régulation montré par un ou des tiers. À ce titre, l’imitation peut être directe, sous la forme d’une démonstration frontale ou guidée par le formateur, ou indirecte, sous la forme d’une participation du formateur à l’action, voire sous la forme d’une observation à distance de l’action des autres.

7.5.1.4 Contextualisation

La contextualisation est aussi une manière courante de donner un objectif, un sens, à l’action. Il peut s’agir de donner un contexte concret à une action abstraite, comme dans un problème de mathématiques, mais aussi de faire des liens avec des actions dans d’autres contextes, par exemple en soulignant l’utilité dans la vie de tous les jours d’une notion vue dans le cadre scolaire. Dans la forme scolaire, nous constatons ainsi un large besoin d’illustrer par du concret, de l’utile, du réel.

De son côté, on peut dire que le théâtre est toujours contextualisé par la nature même de son activité, mais comme on le verra, il est souvent basé sur des processus d’imagination comme contextualisation première. Ceci n’empêche pas le formateur de théâtre de faire référence à des exemples concrets de représentation pour donner un sens à l’activité entreprise, par exemple en explicitant la raison pour laquelle il faut projeter sa voix plus fortement.

7.5.1.5 Imagination

Si la contextualisation n’est pas en lien avec une situation perçue comme réel, on peut parler d’une médiation par l’imaginaire. La situation dépeinte n’est dès lors pas uniquement hypothétique mais de plus peu probable. Les sujets peuvent être amenés à s’imaginer de la chaleur dans des conditions extrêmes évoquées comme étant le désert. Ils peuvent aussi être amenés à faire des mouvements précis, dont l’entrainement est visé en s’imaginant une partie de pêche. De manière indirecte, les sujets peuvent être amenés à s’imaginer des contextes afin de trouver des éléments de leur personnage.

Tableau 9: Médiations structurantes, objectifs et finalités.

Dimensions de deuxième ordre, directes et indirectes, en fonction des modalités d'observation. D pour médiation directe, I pour médiation indirecte.

Lors de l’activité de

Tableau 10: Médiations structurantes, objectifs et finalité, suite du tableau précédent Lors de l’activité de formation Lors d’entretiens

s/l’enseignement

I : il avait anticipé les régulations possibles, donc s’imaginant les