• Aucun résultat trouvé

54. La problématique des biens constituant le produit de fouilles porte principalement sur les biens archéologiques. Il n’existe pas de définition juridique des biens archéologiques mais l’article 1er de la convention de Malte86 propose une définition du patrimoine archéologique.

Selon cet article, sont notamment considérés comme éléments du patrimoine archéologique tous les vestiges, biens et autres traces de l’existence de l’humanité dans le passé dont la sauvegarde et l’étude permettent de retracer le développement de l’histoire de l’humanité ainsi que sa relation avec l’environnement naturel. Les principaux moyens d’informations y relatifs proviennent du produit de fouilles ou de découvertes87.

55. Les biens constituant le produit de fouilles représentent la troisième composante du trafic illicite de biens culturels qui peut également être considérée comme un cas particulier du vol (et de la criminalité organisée) et de l’exportation illicite.

56. Dans le domaine du trafic illicite, la difficulté caractéristique commune aux biens archéologiques issus de fouilles réside dans le fait que l’objet est enterré et n’a pas encore été découvert. Il n’est par conséquent pas encore connu de l’Etat sur le territoire duquel il a été trouvé. Les questions juridiques et pratiques suscitées ne sont ainsi pas les mêmes que celles se rapportant aux autres biens culturels.

57. La notion de fouilles regroupe deux comportements distincts. Premièrement, il peut s’agir de fouilles pratiquées dans un périmètre délimité spécifiquement par des archéologues ou toute autre personne compétente, dans le but de découvrir certains objets sur la proportion de territoire cernée. Deuxièmement, sont également considérées comme fouilles, toutes

85 CARDUCCI, La restitution, p. 269.

86 Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique du 16 janvier 1992 (convention de Malte ; STCE 143). La Suisse l’a ratifiée le 27 mars 1996 et elle est entrée en vigueur le 28 septembre de la même année (RS 0.440.5).

87 Rapport explicatif de la convention de Malte, p. 2 s.

découvertes de biens enterrés répondant à certains critères. Ces découvertes résultent généralement d’une excavation volontaire et, plus rarement, de découvertes fortuites ou dues à un événement naturel (tremblement de terre, déplacement d’un cours d’eau, etc.)88. Lorsque l’excavation des biens est opérée sans le consentement de l’autorité compétente ou lorsque les biens découverts dans le cadre de fouilles légales font l’objet d’une appropriation illégitime, il s’agit de fouilles clandestines89.

58. Le droit fédéral suisse ne définit pas à proprement parlé la notion de fouilles. Elle est décrite par la doctrine comme « toute excavation pratiquée dans le sol »90. Selon le code civil, certains biens répondant à des critères spécifiques bénéficient toutefois d’un régime particulier. Ainsi, d’après l’article 724 CC, les curiosités naturelles et les antiquités qui n’appartiennent à personne et qui offrent un intérêt scientifique91 sont la propriété du canton sur le territoire duquel elles ont été trouvées. Il convient de souligner que cet article figurait dans version initiale du code civil de 1907, ce qui indique que la Suisse avait à l’époque déjà le sentiment que certains biens pouvaient présenter une importance particulière pour le pays, laquelle justifiait le fait qu’ils deviennent propriété de l’Etat et ne puissent pas être mis sur le marché comme de simples marchandises.

59. Il sied de relever que la majorité des Etats déclarent les biens se trouvant dans le sous-sol de leur territoire comme étant propriété de l’Etat92. A ce titre, la convention UNIDROIT de 199593 prévoit même à son article 3 al. 2, que les biens culturels issus de fouilles clandestines doivent être considérés comme volés, pour autant que ce soit compatible avec la législation de l’Etat en question, c’est-à-dire que la loi octroie à l’Etat un droit de propriété sur ce type de biens94. Cette disposition de la convention confirme le lien existant entre un Etat et le patrimoine culturel issu de son sol.

88 STEINAUER, T. 2, N 2114 c.

89 MASSY, p. 729 s. ; Rapport explicatif de la convention de Malte, p. 7 s. ; art. 3 al. 2 de la convention UNIDROIT de 1995.

90 STEINAUER, T. 2, N 1819. La convention de Malte mentionne la notion de fouilles illicites sans toutefois la définir clairement. Voir infra N 100 ss.

91 L’intérêt scientifique différencie ce type de biens des trésors dont l’acquisition est régie par l’article 723 CC.

Voir STEINAUER, T. 2, N 2114 et BaK-SCHWANDER, ad art. 723 CC N 2 ss. Dans l’hypothèse où une chose remplit à la fois les conditions de trésor et celles d’objet scientifique, l’article 724 CC prévaut.

92 KKR-RASCHÈR, chap. 6 N 96. Pour différents exemples de législations octroyant à l’Etat un droit de propriété sur les biens archéologiques découverts sur son territoire, voir infra N 64 et les références mentionnées.

93 Nous traiterons cette convention de manière plus approfondie infra N 88 ss.

94 COULÉE, p. 36 ; LALIVE, Une avancée, p. 53.

60. Les biens visés par l’article 724 CC doivent répondre à deux critères : premièrement, il doit s’agir de choses mobilières sans maître, que ce soit des curiosités naturelles (météorites, squelettes d’hommes ou d’animaux, etc.) ou des antiquités (outils, vases, monnaies, etc.)95. STEINAUER définit les antiquités comme « des objets scientifiques intéressants en raison de leur ancienneté, ce qui couvre non seulement les objets préhistoriques ou venant de l’antiquité proprement dite, mais aussi les objets d’une valeur particulière qui auraient été enfouis ou cachés au Moyen Age, voire dans les derniers siècles ». Il est par ailleurs nécessaire, même si le texte de la loi ne le précise pas, que les biens trouvés soient « cachés ou enfouis depuis longtemps »96. Deuxièmement, ces objet doivent offrir un intérêt scientifique pour les sciences humaines (histoire, histoire de l’art, archéologie, ethnologie, etc.) ou naturelles (zoologie, biologie, etc.)97.

61. Selon l’article 724 CC deuxième phrase, le canton est propriétaire de plein droit des biens qui sont découverts sur son territoire98. L’auteur de la découverte a l’obligation de remettre le bien aux autorités cantonales compétentes et de les aviser de la découverte. Il a néanmoins le droit, dans le cas où l’Etat conserve le bien, au remboursement de ses frais et à une indemnité équitable qui n’excédera pas la valeur de la chose99.

62. La particularité des biens visés par l’article 724 CC réside dans le fait qu’ils ne peuvent ni être aliénés sans l’autorisation d’une autorité cantonale compétente ni, contrairement à d’autres biens culturels, faire l’objet d’une prescription acquisitive ou être acquis de bonne foi (art.

724 al.1 bis CC). Le législateur a manifesté par là sa volonté de protéger de manière spécifique les biens découverts dans le sol suisse100.

63. Il est important de relever que l’article 724 CC a été modifié par l’entrée en vigueur de la LTBC. Dorénavant, il n’est plus nécessaire que le bien découvert revête un caractère scientifique « considérable » pour pouvoir bénéficier du régime particulier prévu par la loi, mais un simple intérêt scientifique est suffisant. De plus, contrairement à ce que prévoyait l’ancien article 724 CC, le canton n’a plus un simple droit d’acquisition, mais un droit de propriété sur ces biens101. Le canton est en outre en droit de dégager les objets découverts du

95 STEINAUER, T. 2, N 2115 b ; BaK-SCHWANDER, ad art. 724 CC N 2.

96 STEINAUER, T. 2, N 2115 a.

97 STEINAUER, T. 2, N 2115 b.

98 STEINAUER, T. 2, N 2115 e ; ERNST, p. 6 ; arrêt non publié du Tribunal fédéral du 16 décembre 2000 (1A.

215/2000 cons. 4b) ; ATF 113 Ia 368 cons. 6b, JdT 1989 I 411.

99 STEINAUER, T. 2, N 2115 e ; ERNST, p. 6.

100 ERNST, p. 6 s.

101 CASSANI, Les infractions, p. 51 ss ; GABUS/RENOLD, ad art. 32 LTBC N 14 s. ; ERNST, p. 6.

sol et d’entreprendre des fouilles nécessaires pour découvrir d’autres objets semblables dans le voisinage. Aussi, l’obligation de tolérer les fouilles pour le propriétaire d’un bien fond constitue-t-elle une restriction légale directe de droit public (art. 724 al. 2 CC)102.

64. Lorsque des objets constituant le produit de fouilles font l’objet de trafic illicite, deux problèmes spécifiques se présentent :

- Le droit de propriété : la propriété peut être attribuée soit à l’Etat, considéré comme propriétaire direct de tous les biens excavés sur son territoire (si la législation nationale, de droit privé ou de droit public le prévoit, à l’instar de l’article 724 CC), soit à un particulier considéré comme propriétaire des biens se trouvant sur son fonds.

La majorité des Etats ont adopté une loi leur octroyant un droit de propriété sur les biens découverts sur leur territoire103. Comme pour l’exportation illicite, la législation octroyant le droit de propriété à l’Etat n’est pas toujours reconnue par les autres Etats, notamment celui sur le territoire duquel le bien archéologique est retrouvé104.

- La preuve de l’origine du bien : les biens provenant de fouilles clandestines sont, par définition, encore inconnus de l’Etat du territoire duquel ils ont été excavés. S’agissant par exemple de biens romains, il peut s’avérer difficile de déterminer s’ils

102 BaK-SCHWANDER, AD art. 724 CC N 2 ss ; STEINAUER, T. 2, N 2115 f.

103 La plupart des législations nationales attribuent un droit de propriété à l’Etat sur les biens issus de fouilles ou de découvertes provenant de son territoire : l’Italie (art. 10 et 91 du codice dei beni culturali e del paesaggio, ai sensi dell’articolo 10 della legge 6 Iuglio 2002, n° 137 et art. 822 et 826 du codice civile) ; l’Espagne (art. 40 à 45 de la ley 16/1985 del Patrimonio Histórico español du 25 juin 1985) ; la Grèce (art. 7 et 21 de la law n° 3028/2002 on the Protection of Antiquities and of the Cultural Heritage in General du 28 juin 2002 et art. 966) et selon l’art. 966 du code civil grec, les biens meubles datant d’une période jusqu’à 1453 appartiennent à l’Etat) ; le Pérou (art. 5 de la ley general del patrimonio de la nación, ley n° 28296) ; l’Egypte (art. 6 de la law n° 117 on the Protection of Antiquities du 6 août 1983), la Turquie (art. 697 du code civil turc, voir SIEHR, Handel, p. 416 ss) ; la Suisse (art. 724 CC) ; l’Irak (art. 3 et 49 de l’Antiquities law n° 59 de 1936, révisée en law n° 164 de 1975) ; la Norvège (selon l’art. 12 de la lov n° 50 om kulturminner du 9 juin 1978, l’on doit d’abord essayer de découvrir le propriétaire du bien avant que l’Etat n’en devienne propriétaire tout en se réservant une possibilité d’expropriation) ; le Niger, sauf pour les découvertes fortuites, mais l’Etat nigérien bénéficie d’un droit de revendication (art. 41 et 51 ss de la loi no.

97-002 du 30 juin 1997 relative à la protection, la conservation et la mise en valeur du patrimoine culturel national), et le Mali sauf lorsque le bien est découvert sur un terrain privé. Dans ce cas, la propriété est partagée entre l’Etat et le privé (art. 11 et de 12 du décret n° 275/PG-RM portant réglementation des fouilles archéologiques du 5 novembre 1985). Voir WEBER, Archäologische, p. 225 ; SIEHR, Governance, p. 4 et pour un aperçu détaillé du régime allemand, voir KOCH, p. 49 ss.

104 CARDUCCI, La restitution, p. 251 ss ; WELLER, p. 283 et la jurisprudence citée ; WEBER, Archäologische, p.

225.

appartiennent à l’Italie, à la Grèce ou à un autre Etat, l’Empire s’étant étendu sur de nombreux territoires105.