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Chapitre II : Les grands principes et les règles générales

D. Le blanchiment d’argent (art. 305bis CP)

492. Le blanchiment d’argent est une infraction courante dans le domaine du commerce de l’art bien que son ampleur réelle ne soit pas connue. Selon SANSONETTI, les œuvres d’art sont des biens qui se prêtent particulièrement bien aux activités de blanchiment. Ces biens présentent en effet des caractéristiques favorables, notamment leur valeur élevée, leur mobilité, ainsi que le fait que l’anonymat fréquemment des transactions636.

493. Selon l’article 305bis CP, est puni de blanchiment « celui qui aura commis un acte propre à entraver l’identification de l’origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il savait ou devait présumer qu’elles provenaient d’un crime [...] ». CASSANI le définit comme « le processus par lequel l’existence, la source illicite ou l’emploi illicite de valeurs patrimoniales est dissimulé, dans le but de les faire apparaître comme acquises de manière légitime637». Le blanchiment peut donc être réalisé par n’importe quel acte propre à entraver les effets prévus par la loi638. Le bien juridique protégé, contrairement au recel, est l’administration de la justice pénale et non le patrimoine.

494. Le blanchiment peut porter sur n’importe quelle valeur patrimoniale (chose mobilière ou immobilière, créance, tout autre droit, etc.)639. Cette notion doit être interprétée de manière large et les biens culturels ainsi que les objets d’art en font par conséquent partie640.

635 Voir infra N 512 ss.

636 KKR-RASCHÈR/BOMIO, chap. 6 N 454 ; SANSONETTI, p. 93.

637 CASSANI, Commentaire, ad art. 305bis CP N 3.

638 CORBOZ, Les infractions, ad art. 305bis CP N 21 ; ATF 129 IV 244 cons. 3.3.

639 CORBOZ, Les infractions, ad art. 305bis CP N 7 et N 8.

640 KKR-RASCHÈR/BOMIO, chap. 6 N 462.

495. Le blanchiment est une infraction intentionnelle. L’auteur sait ou doit présumer que la valeur patrimoniale résulte d’un crime (art. 10 al. 2 CP). Le comportement par dol éventuel641 est réprimé642.

496. La personne ayant acquis de bonne foi un bien et qui a connaissance ultérieurement de l’origine illicite de ce bien, ne peut a priori pas être poursuivie pour blanchiment643.

497. A l’instar du recel, l’objet blanchi doit avoir fait l’objet d’une infraction préalable. Il est cependant nécessaire que cette infraction soit considérée comme un crime en droit suisse pour qu’il puisse y avoir blanchiment. Ainsi, seule une personne entravant l’identification d’un bien provenant d’un crime au sens de l’article 10 al. 2 CP se rend coupable de blanchiment644. Il est par conséquent possible de poursuivre un individu pour le blanchiment d’un bien provenant d’un vol, d’un abus de confiance ou d’une escroquerie s’il est condamné à une peine privative de liberté de plus de 3 ans (art. 10 al. 2 CP)645. Il n’est en revanche pas indispensable que le bien provienne d’une infraction contre le patrimoine. Contrairement au recel, il peut en effet s’agir d’un crime envers n’importe quel bien juridique646.

498. Notons que selon l’article 305bis al. 3 CP, si le crime, en tant qu’infraction préalable, a lieu à l’étranger, l’Etat dans lequel il a été commis doit considérer cet acte comme une infraction, qui doit elle-même être considérée comme un crime par le droit suisse647. Il n’est en revanche pas nécessaire que l’acte préalable soit poursuivi ou que l’auteur soit coupable648. En revanche, le blanchiment n’est pas possible si la confiscation pénale des valeurs patrimoniales résultant du crime préalable est prescrite. L’infraction de blanchiment doit en effet être considérée comme une entrave à la confiscation pénale649.

641 Pour une analyse complète de la notion de dol éventuel, voir SCHUBARTH, Dolus eventualis, p. 519 ss.

642 CORBOZ, Les infractions, ad art. 305bis CP N 39 ss.

643 BaK-PIETH, ad art. 305bis CP N 46a ; contra: BERTOSSA, p. 77. Voir aussi supra N 486.

644 CORBOZ, Les infractions, ad art. 305bis CP N 7 ; BaK-PIETH, ad art. 305bis CP N 9. Il doit exister un lien suffisant entre le crime et les valeurs patrimoniales. Cette condition peut poser des problèmes de preuves, voir CASSANI, Commentaire, ad art. 305bis CP N 8.

645 Notons à ce sujet que les infractions prévues par la LTBC ne sont pas des crimes et qu’elles ne sont donc pas constitutives d’infractions préalables au blanchiment. Voir CASSANI, Les infractions, p. 62.

646 CORBOZ, Les infractions, ad art. 305bis CP N 7 ; CASSANI, Commentaire, ad art. 305bis CP N 11.

647 CORBOZ, Les infractions, ad art. 305bis CP N 14 et références.

648 CORBOZ, Les infractions, ad art. 305bis CP N 14.

649 CORBOZ, Les infractions, ad art. 305bis CP N 29 ; BaK-PIETH, ad art. 305bis CP N 18 ; CASSANI, Commentaire, ad art. 305bis N 13 ss ; CP-HIRSIG-VOUILLOZ, ad art. 70 CP, N 62 ; RASCHÈR/BOMIO, N 462 ; ATF 126 IV 255, JdT 2001 IV 128 ; 129 IV 238.

499. Dans une demande d’entraide du Royaume-Uni relative à une infraction de blanchiment d’argent, le Tribunal fédéral650 a estimé que lorsque la convention 141 s’appliquait, l’Etat requérant n’avait pas l’obligation d’indiquer en quoi consistait l’infraction principale, malgré le fait que l’article 305 bis CP exige que les biens blanchis proviennent du produit d’un crime au sens de l’article 9 aCP (art. 10 al. 2 CP). Le Tribunal fédéral a jugé qu’à la lumière du principe selon lequel les Etats s’engagent à s’accorder l’entraide la plus large possible, il convenait de coopérer pour toute demande relative à un acte de blanchiment émanant d’un Etat partie à la convention 141. Le Tribunal fédéral a affirmé de surcroit que la réserve selon laquelle les actes préalables à l’infraction de blanchiment doivent être constitutifs d’un crime au sens de 9 aCP (art. 10 al. 2 CP) pour que la convention soit applicable, était sans incidence sur la motivation des requêtes d’entraide. Cette jurisprudence a été atténuée par un arrêt ultérieur651, à lecture duquel le Tribunal laisse paraître que la condition d’un crime préalable reste implicitement un élément objectif de l’article 305 bis CP et par conséquent une condition nécessaire au respect de la double incrimination652.

500. Soulignons qu’il existe deux manières de blanchir un bien culturel d’origine illicite : le blanchiment de l’argent provenant d’un bien culturel d’origine illicite et le blanchiment du bien culturel en soi653. Le blanchisseur peut ainsi soit blanchir l’argent provenant de l’acquisition illicite d’un bien culturel en réinsérant, par exemple, dans le marché les fonds issus de la vente de bien culturel volé, soit directement remettre sur le marché le bien illicitement acquis, en essayant par exemple de vendre un bien archéologique issu de fouilles clandestines par le biais d’une maison de ventes aux enchères.

501. Bien que la loi fédérale sur le blanchiment d’argent (LBA654) ne traite pas directement du blanchiment portant sur les biens culturels, elle joue tout de même un rôle dans la répression de telles infractions. Les marchands d’art ne sont pas, en tant que tels, soumis aux obligations de la LBA, sauf dans le cas où ils agissent comme intermédiaire financier (art. 2 LBA). Ainsi,

« lorsqu’un marchand d’art, un galeriste ou un antiquaire intervient dans la vente d’un objet appartenant à un tiers, sans l’acquérir en son nom et pour son propre compte, mais en recevant le paiement du prix d’achat de la part d’un tiers ou en faveur d’un tiers, et en aidant à transférer ledit paiement655», il peut être considéré comme intermédiaire financier (art. 2 al. 3

650 ATF 129 II 97.

651 Arrêt non publié du Tribunal fédéral du 6 février 2004 (1A.231/2003).

652 HARARI, L’évolution, p. 123 ss.

653 RASCHÈR/KUPRECHT/FISCHER, p. 508.

654 Loi fédérale du 10 octobre 1997 concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dans le secteur financier (LBA ; RS 955.0).

655 SANSONETTI, p. 82 ; ENGISCH, N 36 ss.

LBA)656. Lors de la révision de la LBA, la question s’est par ailleurs posée de savoir si les commerçants d’art, au sens de l’article 1er lit. e OTBC, devaient être considérés comme intermédiaires financiers mais cette proposition n’a pas été retenue657.

502. L’auteur de l’infraction de blanchiment est puni d’une peine privative de liberté de 3 ans au plus ou d’une peine pécuniaire. Lorsque l’auteur fait preuve d’un comportement considéré comme grave au sens de l’article 305bis al. 2 CP, il encourt une peine privative de liberté de 5 ans au plus ou une peine pécuniaire. En cas de peine privative de liberté, une peine pécuniaire de 500 jours-amende au plus est également prononcée.

503. Un concours parfait au sens de l’article 49 CP est possible entre l’article 160 CP (recel) et l’article 305 bis CP (blanchiment d’argent) car ils protègent deux biens juridiques différents.

Le recel est une infraction contre le patrimoine et le blanchiment contre l’administration de la justice658.