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29. Un bien culturel est illicitement exporté lorsqu’il est sorti de son territoire d’origine en violation d’une législation nationale sur la protection du patrimoine culturel, peu importe que ce soit son légitime propriétaire ou une autre personne qui le sorte.

37 http ://www.swissinfo.ch/fre/societe/La_chasse_est_ouverte_apres_le_vol_du_siecle.html?cid=6434482 (consulté le 07.12.2010) ; KKR-RASCHER/BOMIO, chap. 6 N 435.

38 La Convention UNIDROIT de 1995 a adopté cette séparation de régime, voir N 69 ss ; COULEE, p. 360 ; GOY, p. 977 ; GABUS/RENOLD, p. 494.

30. Les législations sur la protection du patrimoine ont pour but de contrôler les mouvements des biens culturels se trouvant sur leur territoire. Pour ce faire, elles peuvent notamment39:

- interdire ou soumettre à autorisation l’exportation de certains biens, qu’ils soient de propriété privée ou étatique40; et/ou

- octroyer la propriété de tout ou partie de certains biens à l’Etat41; et/ou - accorder un droit de préemption à l’Etat sur certains biens42; et/ou

- considérer ces biens comme inaliénables («res extra commercium»)43; et/ou

39 Ce type de législations nationales sur la protection du patrimoine culturel est apparu au 19ème siècle. Pour plus de précisions sur les lois nationales de protection du patrimoine culturel voir KKR-RASCHÈR, chap. 6 N 8 s. et BYRNE-SUTTON, p. 59 ss. Voir aussi SCHÖNENBERGER, p. 181 s. et DUBOFF/KING/MURRAY, p. B61 ; MERRYMAN/ELSEN/ULRICE, p. 115 ; NAFZIGER/SCOVAZZI, p. 169 ; WEBER, Unveräusserliches, p. 232 ss ; CALDORO, p. 23 ss pour différents exemples de lois nationales sur les restrictions à l’exportation de biens culturels.

40 Selon l’article 5 al. 2 de la loi espagnole (ley del Patrimonio histórico español ( Boletìn Oficial del Estado du 29 juin 1985), l’exportation des biens de plus de 100 ans et dans tous les cas des biens inscrits à l’inventaire général (art. 26 de la loi) est soumise à autorisation. L’article 5 al. 2 de la même loi interdit l’exportation définitive des biens d’intérêt culturel ainsi que de ceux faisant partie du patrimoine historique.

Selon les articles 10, 13 et plus particulièrement 65 al. 1 et 2 de la loi italienne (codice dei beni culturali e del paesaggio ai sensi dell’articolo 10 della legge 6 Iuglio 2002.137), certains biens sont interdits d’exportation. L’alinéa 3 du même article soumet la sortie d’autres types de biens à autorisation. Voir LENZERINI, p. 457 s. En Allemagne, la Gesetz zum Schutz deutschen Kulturgutes wegen Abwanderung du 6 juillet 1999 révisée en 2007, permet aux Länder de protéger certains biens en soumettant à autorisation leur exportation, par le biais de l’inscription sur une liste des biens culturels d’importance nationale. Cette liste ne contient pas les biens de propriété étatique d’importance nationale car ils sont inaliénables. Voir SIEHR, Governance, p. 6 s.

41 Les législations nationales octroient généralement à l’Etat la propriété sur les biens provenant d’une période passée et ayant été d’importance pour l’histoire de l’Etat ou sur les biens issus de fouilles (voir infra N 64).

De plus, certains Etats, comme le Guatemala ou la Nouvelle Zélande, octroient un titre de propriété à l’Etat sur les biens dont l’exportation est soumise à autorisation, seulement à partir du moment où le bien est effectivement exporté ou fait l’objet d’une tentative d’exportation. Cette solution permet à des particuliers d’être propriétaires de ce type de biens pour autant qu’ils restent sur le territoire dudit Etat. D’autres, comme le Mexique, ont adopté une législation octroyant de manière générale et automatique la propriété à l’Etat sur tous les biens indigènes provenant du territoire mexicain ou exportés après l’entrée en vigueur de la loi Blanket legislation»), voir NAFZIGER/SCOVAZZI, p. 169 ; GERSTENBLITH, p. 635 ss ; SIEHR, Governance, p. 3 s. ; SIEHR, Handel, p. 416 ss ; SANCHEZ CORDERO DAVILA, p. 304 ss.

42 Pour une étude comparative sur le droit de préemption de plus de quatre-vingt pays, voir PLUTSCHOW.

43 Il s’agit en général des biens faisant partie du domaine public, voir KKR-RASCHÈR, chap. 6 N 12 ss. Pour les membres de l’UE, ces biens sont alors considérés comme trésors nationaux. L’Italie (art. 53 du codice dei beni culturali e del paesaggio ai sensi dell’articolo 10 della legge 6 Iuglio 2002.137), l’Espagne (art. 28 et 29 de la ley 16/1985 del Patrimonio Histórico español du 25 juin 1985), la France (art. L 451-5 du Code du patrimoine, version consolidée du 19 février 2009 et l’art. 11 de la loi du 4 janvier 2002 relatives aux musées de France). Voir aussi, SIEHR, Governance, p. 5 ; SIEHR, International Art Trade, p. 64 ss.

- considérer comme nulle toute transaction portant sur un bien culturel sorti illicitement d’un territoire44.

31. De manière schématisée et sans prendre en considération les spécificités liées à chaque législation nationale et chaque cas d’espèce, nous pouvons distinguer deux hypothèses constitutives d’exportation illicite45.

32. Première hypothèse, le propriétaire d’un bien protégé sort celui-ci du territoire étatique en violation de la législation nationale, par exemple sans l’autorisation de l’autorité compétente.

Il s’agit alors de ce que nous allons nommer un « pur » cas d’exportation illicite. Ce type d’exportation soulève la question de la légitimité de l’Etat à revendiquer un bien dont il n’est pas propriétaire, tout en prenant en considération le fait que son patrimoine se trouve lésé par la perte du bien. Un titre de propriété est en effet nécessaire pour pouvoir revendiquer le bien auprès des tribunaux de l’Etat dans lequel le bien a été importé46.

33. Dans la seconde hypothèse, au contraire de la première, une personne qui n’est pas propriétaire du bien le sort du territoire national en violation de la législation nationale47. L’Etat est propriétaire du bien, soit parce qu’il l’a acquis (vente, donation, etc.), soit parce que la législation sur la protection du patrimoine culturel lui octroie la propriété du bien à certaines conditions, notamment lorsque le bien est exporté de manière illicite de son territoire. Le premier cas ne pose pas de problème spécifique, étant donné que l’Etat peut se prévaloir d’un droit de propriété au même titre qu’un particulier. Le deuxième cas, soulève en revanche, comme dans la première hypothèse, la question de la légitimité de l’Etat face à celle

44 Le Portugal considère comme nulle toute transaction portant sur un bien illicitement exporté d’un territoire étranger, pour autant que ce dernier lui accorde la réciprocité, voir Lei no. 13/86, du 6 juillet 1985, Pátrimonio cultural português, Diario de República 1985 no. 153 6 Juhlo de 1985 – 1965, voir KKR-RASCHÈR, chap. 6 N 14.

45 BYRNE-SUTTON, p. 85 ss.

46 L’affaire américaine «Jeanneret v. Vichey» (l’arrêt 541 F. Supp. 80 du 12 janvier 1982 et l’arrêt 693 F.2d 259 (2d Cir. 1982) du 12 novembre 1982) illustre cette problématique. Cette affaire porte sur l’exportation sans autorisation d’un tableau de Matisse par ses propriétaires hors d’Italie. Les propriétaires du tableau le vendent à une collectionneuse d’art suisse, Mme Jeanneret, qui apprend par la suite que ce tableau aurait vraisemblablement été exporté illicitement d’Italie. Le doute pesant dès lors sur cette œuvre la rend invendable. Mme Jeanneret souhaite rendre le tableau contre remboursement du prix payé. Les Cours américaines ont du examiner la question de savoir si cette œuvre avait effectivement fait l’objet d’une exportation illicite et si cette exportation était propre à rendre le droit de propriété de l’acquéreur illégal. La Cour d’appel des Etats-Unis a renvoyé l’affaire pour manque de preuve sur la date de création du tableau dont l’âge avait pour conséquence la nécessité d’obtenir ou non une autorisation d’exportation. Pour un commentaire complet de cette affaire, voir MERRYMAN/ELSEN/ULRICE, p. 169 ss et WEBER, Unveräusserliches, p. 324 ss.

47 CARDUCCI, La restitution, p. 11.

du propriétaire privé, ainsi que de la reconnaissance de ce droit de revendiquer le bien par les autres Etats48.

34. Dans les deux hypothèses exposées, la victime est l’Etat. Quand bien même son droit de propriété n’a pas été violé dans la première hypothèse, son patrimoine se trouve amoindri et la législation limitant ou interdisant l’exportation du bien est violée.

35. La question de la reconnaissance de la violation de cette législation, ou de manière plus générale, la question de la « reconnaissance du droit public étranger » constitue l’une des problématiques juridiques classiques relative à la composante d’exportation illicite. En matière de trafic illicite de biens culturels, lorsqu’on évoque le « droit public étranger », l’on fait généralement référence aux législations nationales de protection du patrimoine culturel49. Précisons que le fait qu’un bien soit considéré comme inaliénable par un Etat ou comme faisant partie du domaine public est également compris dans ce que l’on va appeler le droit public étranger.

36. Illustrons cette problématique par un exemple issu de la jurisprudence anglaise50. Cet arrêt, opposant la Nouvelle-Zélande à M. Ortiz, collectionneur d’art primitif, traite de l’exportation d’un objet d’art tribal maori en violation de la législation néozélandaise sur la protection des biens culturels. Ce bien maori avait été acheté par un marchand d’art qui l’avait sorti du pays sans autorisation, pour le transférer à New York où il souhaitait le vendre. M. Ortiz a acquis le bien à New York et l’a ensuite transféré à Genève, puis à Londre. Le marchand d’art avait acheté cet objet à un membre d’une tribu maorie qui l’avait lui-même découvert dans un marais où il reposait depuis des siècles. La Nouvelle-Zélande n’était donc pas propriétaire directe du bien puisque le marchand d’art l’avait acquis en l’achetant.

37. Nous nous trouvons par conséquent a priori dans la première des deux hypothèses exposées ci-dessus. Cependant, la loi néozélandaise prévoit que lorsqu’un bien est exporté en violation

48 L’Etat requérant est tenu de baser sa revendication sur son propre droit public devant les tribunaux étrangers, ce qui peut poser un problème de reconnaissance par ces derniers. Voir CALDORO, p. 16 ss et 23 ss.

49 Précisons toutefois que dans certains Etats, tout ou partie de la législation sur la protection du patrimoine culturel relève du droit privé. En droit suisse par exemple, bien qu’il ne s’agisse pas d’une norme réglementant l’exportation de biens, le régime attribué aux découvertes d’objets ayant une valeur scientifique et qui n’appartiennent à personnes – objets qui sont généralement enfouis dans le sol - est en partie réglé par l’article 724 CC, voir infra N 58 ss.

50 « Attorney General of New Zealand v. Ortiz and others, House of Lords » ([1983], A 11 ER 93). L’arrêt anglais « Kingdom of Spain v. Christie’s » ([1986] Weekly Law Report, 1120 (Ch.d)) portant sur l’exportation d’un tableau de Goya traite de la même problématique.

de la législation, il doit être confisqué51. La confiscation du bien à la sortie du territoire néozélandais a pour conséquence d’octroyer la propriété du bien à la Nouvelle-Zélande. Lord Denning, juge à la Court of Appeal, s’est penché sur la question de savoir si la formule utilisée par la loi devait être comprise comme impliquant une saisie automatique ou non du bien, décision ayant un impact direct sur la détermination du droit de propriété et, par conséquent, sur la légitimité de la Nouvelle-Zélande de revendiquer ce bien. Il arrive à la conclusion que la saisie effective des biens est nécessaire au transfert du droit de propriété et rejette l’hypothèse de la saisie automatique.

38. Le jugement de la Court of Appeal a été confirmé par la House of Lord. Les juges de la House of Lord estiment en revanche que les réflexions de Lord Denning sur la question de savoir si la Cour anglaise peut appliquer le droit public étranger ne sont pas pertinentes et ils les qualifient d’obiter dictum. En effet, selon la House of Lords, la loi néozélandaise n’attribue pas de droit de propriété à la Nouvelle-Zélande sur ce bien maori et, de ce simple fait, celle-ci ne peut pas être appliquée, sans qu’il soit nécessaire de trancher la question de la possible application de cette loi en tant que droit public étranger52. Soulignons toutefois qu’il s’agit d’une interprétation de la loi néozélandaise faite par des juges anglais dans un cas d’espèce et qu’elle n’est donc pas péremptoire.

39. Nous l’avons vu, l’Etat est au bénéfice d’un droit de propriété que nous appellerons « latent » lorsqu’il n’est pas directement propriétaire du bien, mais qui est activé si le bien sort illicitement de son territoire. Selon BYRNE-SUTTON, il existerait une troisième possibilité, selon laquelle l’Etat d’origine ne serait pas propriétaire du bien, ni même au bénéfice d’un droit de propriété « latent », mais tiendrait un droit de propriété « éminent ». Selon cet auteur, il serait trop formaliste d’exiger qu’une législation de protection du patrimoine exprime sans ambigüité le titre de propriété d’un Etat sur les biens culturels pour que ce droit soit valable. Il soutient en outre que le seul fait qu’il existe des restrictions de droit public sur la propriété de ces biens (interdiction d’exportation, exportation soumise à autorisation, droit de préemption, etc.) suffit, dans le domaine du trafic illicite de biens culturels, pour que le bien fasse partie du patrimoine culturel national et que cette seule raison devrait être suffisante pour fonder la revendication53.

51 La loi néozélandaise utilise la formule «shall be fofeited», dont la signification fait l’objet du litige.

52 MERRYMANN/ELSEN/URICE, p. 251. Voir aussi SCHÖNENBERGER, p. 27 ss.

53 BYRNE-SUTTON, p. 91 s. ; contra: MERRYMANN/ELSEN/URICE, p. 274. Selon cet auteur, le droit d’un Etat de réglementer les exportations de biens culturels n’est pas suffisant pour lui octroyer un droit de propriété sur ces biens. Il s’agit simplement de «police power restrictions» semblables à d’autres, telles que l’interdiction de vendre des armes ou la détermination du prix de l’électricité. Pour que l’Etat soit

40. Cela étant, pour que le droit de propriété octroyé à l’Etat permette effectivement la revendication du bien, il faut encore que l’Etat dans lequel se trouve le bien reconnaisse et applique la législation nationale de protection du patrimoine culturel de l’Etat d’origine54. La non reconnaissance du droit public étranger est un principe issu de la jurisprudence de divers pays d’Europe occidentale55. Les tribunaux reprennent fréquemment la formule des cours anglaises selon laquelle les lois étrangères « politiques, pénales et fiscales » et autres lois publiques ne peuvent pas être appliquées en Angleterre. Selon leur raisonnement, ce type de lois ne peut pas déployer d’effets en dehors de leur territoire national56. Ainsi, les actes souverains d’un Etat soumettre l’exportation de certains biens à autorisation par exemple -ne peuvent pas être reconnus et appliqués en dehors du territoire étatique de l’Etat en question.

propriétaire de biens, il doit les avoir acquis comme un privé ou avoir obtenu ce titre par le biais d’un acte législatif lui décernant clairement la qualité de propriétaire sur certains types de biens.

54 La qualité du droit de propriété de l’Etat octroyé par une législation nationale n’est pas toujours reconnue.

Selon MERRYMANN/ELSEN/URICE, p. 278, la loi de protection du patrimoine, qu’elle soit de droit public ou privé, doit être précise et sans équivoque sur le droit de propriété de l’Etat pour être reconnue par les autorités américaines. Pour une évolution de la jurisprudence américaine portant principalement sur les biens de la période précolombienne (il s’agit généralement de biens archéologiques), voir les arrêts «United States v. Hollinshead » (495 F.2d 1154 (9th Cir.1974)) ; «United States v. McClain » (495 F.2d 1154 (9th Cir.1974), 545 F.2d 988 (5th Cir. 1977) et 593 F.2d 658 (5th Cir. 1979)) ; «Government of Peru v. Johnson

» (720 F. Supp. 810 (C.D. Cal. 1989)) ; «United States v. An Antique Platter of Gold » (991 F. Supp. 222, 1997 (S.D.N.Y. 1997)) ; «United States v. Schultz » (333 F. 3d 393 (2d Cir. 2003)). Ce qui ressort de cette jurisprudence est qu’il faut déterminer s’il s’agit d’une «ownership law» ou d’une «export control law».

Ainsi, en droit nord-américain, le fait pour un Etat de déployer de réels efforts pour protéger son patrimoine et le mettre en valeur va en faveur de la reconnaissance d’un droit de propriété. A ce sujet, voir WYSS M. P., Rückgabeansprüche, p. 213 ss. Pour que l’Etat ait un droit de propriété, sauf dans le cas où il a acquis le bien comme un particulier, les trois critères suivants doivent être respectés : (i) la loi doit clairement attribuer la propriété des biens à l’Etat sur certains biens déterminés, (ii) les biens en question doivent avoir été trouvés sur le territoire de l’Etat en question, (iii) les biens doivent avoir été trouvés alors que la législation était en vigueur. Dans le cas où ces critères sont remplis, l’exportation illicite s’apparente plutôt à un vol, raison pour laquelle le National Stolen Property Act (NSPA) peut être appliqué car l’on considère l’Etat étranger comme propriétaire des biens. Plus que l’acte de la reconnaissance du droit public étranger par les autorités américaines, il s’agit en réalité de l’acceptation d’élargissement de la notion de vol. Voir MERRYMANN/ELSEN/URICE, p. 278 à 317, ÖZEL, p. 323 ss ; DUBOFF/KING/MURRAY, p. B21 ss ; KAUFMAN, p. 394 ss et 410 ss ; GERSTENBLITH, p. 635 ss ; MERRYMAN, American Law, p. 432 s. ; SIEHR, Handel, p.

424 s. CARDUCCI, La restitution, p. 294, exprime un avis plus sévère sur la reconnaissance du droit public étranger par les Etats-Unis. Voir aussi WEBER, Archäologische, p. 248 ss et SANCHEZ CORDERO DAVILA, p.

304 ss pour le cas des biens culturels précolombiens.

55 CARDUCCI, La restitution, p. 11 ; LALIVE, L’application, p. 163 s. ; SIEHR, Internationaler Rechtsschutz, p.

68 et 70.

56 MERRYMAN/ELSEN/ULRICE, p. 249 s. Contre l’application de ce principe, voir LALIVE, L’application, p. 168 s. ; «Attorney General of New Zealand v. Ortiz and others, House of Lords », [1983], A 11 ER 93.

41. Dans le domaine particulier du trafic illicite de biens culturels, la non reconnaissance du droit public étranger constitue ainsi l’un des freins au retour des biens culturels illicitement exportés57. Les Etats ne sont en effet pas tenus d’appliquer, ni même de prendre en considération les interdictions d’exportation étrangères58.

42. Ainsi par exemple, dans un arrêt du 8 avril 200559, le Tribunal fédéral s’est montré réfractaire à l’application du droit public étranger en précisant spécifiquement que tant qu’il n’existe pas de moyens législatifs prévoyant expressément le retour de biens en cas d’exportation illicite, la loi étrangère sur la protection du patrimoine culturel ne pouvait pas être prise en considération. Notre Haute Cour s’est prononcée en ce sens dans une affaire portant sur la restitution à l’Inde de deux pièces d’or anciennes illicitement exportées, qui avaient été mises en nantissement dans une banque suisse. Le Tribunal fédéral a alors retenu que même si l’on considérait l’Inde comme propriétaire des biens, l’état du droit suisse ne permettait pas de prendre en considération la législation indienne sur la protection du patrimoine et que par conséquent, le contrat de gage en faveur de la banque avait été valablement conclu60. Il semble en effet que le Tribunal fédéral ait opté pour la reconnaissance du droit public étranger uniquement pour les biens faisant l’objet d’un accord bilatéral au sens de l’article 7 LTBC61, ce qui est pour le moins étonnant au vu de la jurisprudence précédente62 et étant donné que la Suisse venait de ratifier la convention de l’UNESCO de 1970 visant précisément à empêcher

57 Pour quelques exemples dans lesquels les Cours étrangères ont protégé la bonne foi de l’acquéreur d’un bien considéré comme inaliénable par un autre Etat, voir SIEHR, International Art Trade, p. 82 ss ; l’arrêt français

«Duc de Frias c. Baron Pichon», Tribunal de la Seine 17 avril 1885, 13 Journal de droit internationale privé 1886, p. 53 ss ; l’arrêt néerlandais «La Madonne de Batz-sur-Mer», Hoge Raad 18 janvier 1983, Nederlandse Jurisprudentie 1983 N 445 p. 1402 ss. Dans ces arrêts, le fait que le bien soit considéré comme inaliénable par un Etat n’a pas été reconnu par les tribunaux étrangers qui ont préféré protéger l’acquéreur de bonne foi. Dans l’arrêt « La madone de Saint-Gervazy», Civ. 1, Cass., 16 mai 2006, n° 04-18.185, la Cour de cassation française elle-même reconnaît l’acquisition de bonne foi en France d’un objet inaliénable selon le droit français, volé dans l’église de la commune de Gervazy.

58 SIEHR, Internationaler Rechtsschutz, p. 68.

59 ATF 131 II 418.

60 Le Tribunal fédéral n’a pas pris en considération le droit indien malgré le fait que la doctrine ne s’oppose pas à l’application du droit étranger (RENOLD, Une importante décision ; DUTOIT, ad art. 100 LDIP N 10 ;

60 Le Tribunal fédéral n’a pas pris en considération le droit indien malgré le fait que la doctrine ne s’oppose pas à l’application du droit étranger (RENOLD, Une importante décision ; DUTOIT, ad art. 100 LDIP N 10 ;