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DISCUSSIONS ET REFLEXIONS

PROBLEMATIQUE GENERALE

PROBLEMATIQUE GENERALE

Henriette LERCH7

On a vu que dans les discours actuels sur les nouvelles qualifi­

cations requises par les transformations du travail, on distingue la qua­

lification technique, avec ses noLNelles exigences sur le plan intellec­

tuel, et la qualification sociale, qui comprend les aptitudes à la commu­

nication et une série d'attitudes vis-à-vis du travail et de l'entreprise. Il s'agit par exemple d'un certain type d'investissement professionnel, de la recherche de réalisation personnelle dans le travail, de la volonté de responsabilisation et d'initiative personnelle, de l'identification aux ob­

jectifs de l'entreprise, du désir de perfectionnement.

Ce point pose quelques questions Importantes. En effet, ces attitudes correspondent traditionnellement bien plus aux personnels qualifiés, appartenant aux classes moyennes et supérieures. Les conditions objectives de travail et les perspectives professionnelles des personnes faiblement qualifiées ne les ont jamais amenées à dévelop­

per ce type d'attitudes. De fait, c'est bien leur rapport au travail que l'on demande aux oLNriers et employés subalternes de transformer. Et le rapport au travail est une composante importante de l'identité indivi­

duelle et collective. Cette transformation semble inévitable à terme, et peut-être représente-t-elle une chance. Mais une telle transformation ne se fera sans doute pas sans difficultés.

Le problème apparait donc en bonne partie comme un pro­

blème de socialisation professionnelle. Dans ce cadre, quel peut être le rôle de la formation ? Et s'agit-il bien d'un problème de formation ?

Comment forme-t-on à l'esprit d'initiative, à la responsabilité?

Par des stages, ou à travers le travail, la transformation de l'entreprise et les changements dans l'organisation du travail?

Il para'it assez clair que le recours à la formation reste relative­

ment vain si la logique interne du travail et de son organisation n'impli­

quent pas un enrichissement des compétences. Le travail du "Groupe

7. Cf. supra, pp. 71-85.

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Emploi" de NeuchâtelB, notamment, a mis en évidence que c'rn:;t à cette condition que la formation peut jouer un rôle conséquent.

,Julio FERNANDEZ9

S'intéressant à la façon dont le jeune arrivant dans l'entreprise est mis en contact avec le poste de travail, à cet "interface pédago­

gique", Julio Fernandez constate beaucoup d'inertie : les agents char­

gés de cette initiation ayant été eux-mêmes formés à travers le

"système D", ils forment à leur tour selon le même système. C'est la consonance ou la dissonance culturelle produite par le style de forma­

tion qui leur est proposé qui explique la réussite ou l'échec des jeunes.

Dans ses interventions dans les entreprises, Julio Fernandez opte pour une approche ''terre à terre", qui tient compte notamment de deux éléments :

- pour l'entreprise, la formation doit être un facteur de production posi­

tif.

La

légitimité à parier de formation dépend de la capacité à traduire un concept de formation en dollars. Dans le cas contraire on conclura que la méthode utilisée jusque là était bonne; ' - tant que l'entreprise n'est pas convaincue de la valeur de ce qu'on lui

propose, il n'y a aucune chance d'aboutir. En tant qu'agent externe à l'entreprise, il n'est pas possible de proposer un changement en termes de changement culturel. Aussi Julio Fernandez accepte-t-il de proposer des "recettes" pédagogiques, tout en déclarant qu'il s'agit bien de recettes et en s'assurant que les conditions de leur réussite soient respectées. Tant que l'on n'a pas démontré sa capacité à réali­

ser concrètement une bonne opération de formation, il n'est pas pos­

sible de tenir un discours plus large ou plus ambitieux.

Cette approche "terre à terre", qui ne prétend pas intervenir sur l'organisation du travail, se veut réaliste et non fataliste : elle reflète la prise en compte des conditions dans lesquelles la formation peut être

8. Cf. supra, pp. 120-134.

9. Cf. supra, pp. 1 43-159.

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réalisée. Par ailleurs, n se peut q1m si l<1S agonts s'approprkmt ci�ttains modes de� faire, et que l'ontmprise accepte lm, ajusî,-1m,�nis néct':iSBait(-'.iS pour les mpro{Juim, cela rn1tt.1îne à terme d�s tran:5fonnation:{ plus im­

portantes.

Rose-Marie GEERAERTS et Christian VANDIEPENBEEKlO

Rose-Marie Geeraerts et Christian Vandiepenbeek proposent de réfléchir au thème de la culture et de l'insertion professionnelle en essayant de sortir de l'idée selon laquelle la formation doit être direc­

tement liée aux problèmes de l'entreprise qui définira les contenus, les programmes et les compétences dont elle a besoin.

Lors de sa création, le Collectif Formation et Société n'était pas dans une logique d'insertion professionnelle. Le projet revendiquaiî un droit fondamental à l'éducation. Constatant l'absence de structures de formations non finalisées professionnellement, le Collectif s'est attaché à créer des filières permettant de reprendre une formation à tout ni­

veau, y compris à un niveau alphabétisation, avec une progression cor­

respondant à l'enseignement officiel.

Pour atteindre un objectif d'insertion professionnelle, faut-il en effet abandonner la formation culturelle ?

La

capacité d'adaptation et la mobilité exigent-elles nécessairement une formation finalisée sur un

projet professionnel ?

En Belgique, il existe deux types de demandeurs de formation : les jeunes de moins de 25 ans, sans expérience professionnelle et rn-·

cherchant un emploi immédiat; dans ce cadre, une formation courte à finalité professionnelle est adaptée. Mais il y a aussi des personnes ayant fait l'expérience d'une situation professionnelle qui les a déçues (non qualifiée, répétitive, sans initiative). Ces personnes souhaitent dé­

finir un projet de formation sur 1 an, 2 ans, ou plus, permettant d'at­

teindre des niveaux de qualification croissants. Et l'on constate que ces personnes trouvent largement du travail. Exemple : dans la formation

1 O. Cf. supra, pp. 97-111.

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*

w ,;,•

d'animateurs-formateurs organisée par le Collectif, 30 % cfos p(1r ..

sonnes étaient sans emploi al! dépat1; à ln fin, îoutes avaient trouvé un prn;te dH travail, s.ans qu'il y ait ou intmvent.ion de placement. Toui celr:1 repose !;;q question du sc1ns ù1 cJo l'efficaciîé rl�>s circuits courw cfo for­

mation par rapport mm circuits longs. N'est il pa:; contestable dB !Jérm le ternps de formation uniquement sur l'urgence, l'irnmécliaî, la r::.i.pi­

dité ?

Par les dispositifs dn formation générale, le Collectif cherche à répondre au)( nécessités de mobilité professionnelle des personnes et des institutions qui les emploient. C'est le cas des filières du secteur para--médical et de la préparation en 1 an au métier d'aide-familiale.

Cette formation a été demandée par un centre d'aide à domicile qui manquait d'aides-familiales. On a pu constater que ces aides-familiales, une fois implantées professionnellement, souhaitaient progresser dans leur carrière. D'où la création de formations qui vont les amener vers d'autres niveaux de qualification (infirmières), par le biais de niveaux intermédiaires (assistantes en soins hospitaliers). La centrale de soins qui les utilise peut ainsi organiser une mobilité professionnelle.

Cependant, se former, se qualifier, apprendre, c'est aussi rompre avec sa culture, et cela peut entraîner des effets pervers.

L'exemple d'une formation au montage-cablage en électronique suivie par une population jeune, principalement maghrébine, le démontre : ces jeunes, devenus performants, ont été engagés par des entreprises de matériel informatique. Ils tiennent le coup 6 mois, 1 an, puis l'on assiste à un effondrement de la personnalité : ils ne parviennent pas à s'assumer comme immigrés et jeunes cadres dynamiques d'IBM. D'où la nécessité d'être attentif à définir des contenus d'apprentissage qui permettent de maitriser ce type de transformations culturelles. Des problèmes conjugaux et familiaux peuvent aussi apparaître.

Dans le métier de formateur, il existe une composante d'assistance sociale, qu'il est vain de vouloir nier. La question est de situer la limite entre la formation et le soutien social, d'identifier la spé­

cificité du rôle de chacun et le moment où le formateur devrait passer la main.

* * *

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Francis TILMAN1 1

Francis Til man propùse d'aborder 1mis t11èmm,.

La liaison contenus/µédagogif1

Un catalogue des capacités de base ou des contenus de for··

mation considéré in abstracto n'est pas utilisable. Il ne peut le devenir que si les capacités en question sont contextualisées. On a été amené à distinguer savoir / savoir-faire / savoir-être. On parle de connais­

sances ou de savoirs, d'habiletés ou de savoir-faire manuels, d'atti­

tudes ou de savoir-être. Ces distinctions montrent qu'il existe des stra­

tégies de formation différentes, selon le domaine de savoirs visé. Cer­

taines connaissances ne peuvent être appréhendées hors contexte. De même pour les habiletés, même si celles-ci ont un certain degré de transférabilité. On est moins lié par contre à un contexte précis quand on travaille sur les attitudes. On peut alors faire comprendre qu'il existe nécessairement un certain nombre d'attitudes-clés et faire découvrir dans quelles circonstances quel type d'attitude est exigé. Il ne s'agit donc pas d'enseigner la ponctualité, mais dans quelles circonstances la ponctualité est exigée, et ce que cela veut dire : on restitue aux atti­

tudes une signification sociale. Dans cette perspective, on peut assurer une formation qui n'est pas un simple conditionnement au poste de travail.

Le rapport théorie/pratique

Il n'y a pas de véritable maitrise professionnelle sans la capa-·

cité de théoriser sa pratique, c'est-à-dire sans que le modèle soit expli-­

cite et que le travailleur puisse le formuler. Comment passe-t-on de la pratique à la théorie ? L'histoire de la formation technique et profes­

sionnelle en Belgique fournit deux modèles d'accès à la théorie Le 1er modèle est celui des Compagnons du Tour de France : ceux-ci témoignaient déjà de la conviction qu'il est nécessaire à un vé­

ritable compagnon de maîtriser une certaine théorie : maitrise de la

1 1 . Cf. supra, pp. 86-96.

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langue clu métier, connaissance approfondie du rocuei! de procédures efficaces dans un conh�xu� ci'oxercicfJ, ot I.� maîtrise conceptuello qu'est k! dessin technique. Lor; cc)mpa{;Jnorn� avairn1t cornpl'is qu'ilr.;

pouvaient démontrer leur maîtrise professionnelle par la compréhen­

sion et l'élaboration du dessin. Ils fonctionnaient fm situation dH pro­

duction réelle.

On retrouve différentes formes bâtardes dérivées de ce mo­

dèlo, qui comprennent une approche initiatique très liée à l'approche artisanale, et l'on peut se demander pourquoi. On peut parler d'ap­

proche initiatique en ce sens qu'on y trouve un rituel et que l'on cherche à donner aux participants le sentiment d'être différents. Peut­

être les "Pays" (compagnons) étaient-ils porteurs de ce rituel et de ce vocabulaire particulier qui distinguent le groupe et créent un sentiment d'appartenance. Comme tel, ce modèle du compagnonnage est in­

transférable actuellement. Mais il peut être intéressant de le croiser avec des études sur les pratiques en entreprises, ainsi qu'avec des ré­

férences historiques, afin d'en tirer une optique méthodologique et di­

dactique pour l'enseignement.

Le 2ème modèle est Je mode transmissible. Le plus bel exemple en est l'école polytechnique. On y développe un rapport au savoir qui n'est pas une pratique théorisée mais un savoir scientifique, un savoir constitué. Il s'agit de faire accéder le haut de la hiérarchie à ce savoir qui a une autre fonction. Dans la pratique théorisée, on vise l'efficacité de l'action. Dans le savoir scientifique, en revanche, on cherche à comprendre les choses, parce que certaines données scien­

tifiques peuvent avoir des retombées pratiques. Mais le mode d'accès est différent : quand on étudie la résistance des matériaux, on ne sait pas pour autant construire un pont ou un bâtiment anti-sismique. Pour cela, on met bien d'autres compétences en oeuvre.

Ce mode a tout son intérêt lorsqu'il s'adresse à des personnes disposant d'une bonne connaissance des problèmes à traiter, et qui ont la capacité d'intégrer un savoir scientifique dans une perspective d'action. Mais appliquer la même démarche dans une formation de base n'a pas de sens, parce que l'on ne sait encore rien et parce que cette capacité d'intégration fait défaut.

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Lo problème de l'identité sociale

t\ctuellornont, on îend à t'tirnplac(�i' l'fmmmo rfo méiinr p,:u·

l'opérateur polyvalent, 1:t"ansfémbie, flexible. Ceci pt:!Ui pnfü-ir dos pro­

blèmes aux personnes pour qui le métier, c'est une cuiturn, un roseau de relations, le sentiment d'avoir des compétenccm eî des connais­

sances reconnues, et, par là, une identité sociale. A pat1ir du moment où l'on veut former des opérateurs intelligents et polyvalents, n'engeridre-t-on pas de nouveaux travailleurs, socialement "flottants", c'est-à-dire qui ont des difficultés à se positionner socialement.

Par rapport à ce problème, une piste d'investigation se dé-·

gage : il serait bon de montrer que l'évolution actuelle des nouvelles technologies n'est pas un phénomène spontané, apparu en dehors de toute histoire. Dans la formation, il est indispensable de donner une culture, dont la dimension historique est fondamentale. Les techniques ne sont pas intervenues par hasard. Il est important pour des gens en­

trant dans les nouvelles technologies de savoir qu'elles reposent sur une tradition, même si celle-ci est différente que la culture du métier.

D'autre part, les technologies nouvelles ont un impact sur le jeune en tant que travailleur, mais aussi sur son mode de vie. Il est donc indispensable de réfléchir avec lui sur l'incidence sociale de la mise en application massive des technologies nouvelles. Lui montrer que les conditions de travail ne sont pas non plus quelque chose de spontané, mais s'inscrivent dans une histoire sociale qui est le résultat d'actions, de luttes d'acteurs sociaux qui influencent et créent cer­

taines conditions.

Enfin, il est important de travailler l'histoire personnelle de l'individu qui choisit d'entrer dans un processus de formation d'un certain type, décision qui n'est pas non plus le résultat du hasard. C'est ici qu'entrent en jeu les pratiques d'histoire de vie, afin d'aider à retrou­

ver un sens à un nouveau mode d'insertion à partir d'une formation professionnelle. Cette inscription dans une dynamique historique peut aider à éviter ce ballottement social, qui risque de se produire si l'on est exclusivement focalisé sur une formation qui se veut impersonnelle.

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Fernand BENOIT

Gilbert BERDAT

Simone BLATII

Christine BOURDET

Manuela CATI ANI

Marcel

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