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LES BESOINS DE FORMATION CONTINUE DES JEUNES ET DU PERSONNEL

La formation polyvalente en question

LES BESOINS DE FORMATION CONTINUE DES JEUNES ET DU PERSONNEL

D'ENCADREMENT DE PREMIERE LIGNE

Julio FERNANDEZ1

Une réflexion sur la formation continue en relation avec l'inser­

tion professionnelle, et plus spécifiquement sur les contenus d'ensei­

gnement, fait appel à divers aspects du phénomène éducatif : particu­

lièrement au rôle de l'école et, partant, de l'Etat; aux rôles de l'industrie et des principaux acteurs concernés, formateurs et formés, aux rela­

tions qui peuvent s'établir entre ces deux mondes.

Nous aborderons ici le problème de la formation continue du point de vue de l'industrie, dans un contexte de "formation sur le tas"

destinée à deux types spécifiques de population : les cadres de pre­

mière ligne (contremaitres) et les jeunes travailleurs sans formation professionnelle. Nos intérêts Immédiats s'orientent vers l'intégration et l'adaptation en Industrie de cette population de jeunes, définie actuel­

lement comme "à risque"2. Ceux qui, par manque de motivation, par manque des habiletés langagières fondamentales et par manque de responsabilité, par leur ignorance enfin des exigences du marché du travail, risquent de ne jamais actualiser leur potentiel, de ne jamais connaître une vie d'adulte productif3.

1. Université de Sherbrooke, Faculté d'éducation, dpt. pédagogie, Québec.

2. Gardener, O., 1 983.

3. Brown, A., 1985.

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-La formation continue et ses contenus; l'entreprise

Le choix des contenus de la formation continue comme point central d'étude situe et oriente la réflexion d'une façon particulière. li la situe en aval du processus de formation initiale (école) et l'oriente vers les caractéristiques propres de l'interaction marché de l'emploi - école, ou formation - travail.

A consulter la littérature relative à ce thème, on pourrait croire que tout a été dit, qu'il n'y a rien de nouveau à affirmer. Quel paradoxe!

Les habiletés ou compétences essentielles au travail ont été décrites depuis des années et les programmes scolaires d'orientation professionnelle sont implantés depuis longtemps dans les écoles se­

condaires Ceux-ci informent et orientent les jeunes en fonction des exigences du marché du travail : beaucoup d'élèves y trouvent ce dont ils ont besoin et réussissent à se frayer un chemin dans la vie profes­

sionnelle (il y a toujours un bon pourcentage qui réussit "à" et "malgré"

l'école).

Cependant, on observe qu'un nombre croissant de jeunes ne trouve pas si facilement ce chemin vers l'épanouissement personnel et social. Sankey (1985), se basant sur une riche bibliographie, signalait qu' «en dépit des efforts déployés par les administrateurs des écoles et des organismes gouvernementaux, une proportion sans cesse croissante des jeunes canadiens ont de la difficulté à effectuer la tran­

sition entre les études et le marché du travail». Il rejoint ainsi les rangs déjà founis de ceux qui stigmatisent l'école, inapte à offrir une bonne préparation à la vie professionnelle.

L'information et l'orientation professionnelles dans la pratique scolaire constituent plus une information sur la vie du travail, sur l'offre et la demande de professions, qu'une formation à la vie de travail. Pa­

radoxalement, comme l'écrit Sankey, on fait «abstraction de presque toutes les recherches et les théories selon lesquelles la planification de la carrière est non seulement un processus qui dure toute la vie mais est également fonction du développement personnel et social de l'individu».

Paradoxalement aussi, l'école dispose depuis longtemps de l'alternative connue sous le nom de •career education• ou "éducation à

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-la carrière". Depuis les années 50, des chercheurs4, des enseignants, des conseillers, considérant l'école comme un processus continu de préparation à la vie au travail professionnel, se battent pour la mise en pratique de leur théorie.

Les promoteurs du ·carrer education"S ont déjà développé des cadres conceptuels et des outils d'intervention à l'intention des déci­

deurs et des formateurs. D'autres ont consacré d'importants efforts à la création d'instruments de mesure6 à l'intention des enseignants et des orienteurs.

Dans le même ordre d'idées, des efforts constants sont ac­

tuellement réalisés pour susciter une concertation d'intérêts et d'action entre les partenaires sociaux principalement concernés : l'école, l'industrie, les groupes sociaux7 ...

Après ces rapides observations, on peut légitimement se de­

mander ce qu'il reste à faire du point de vue de la clarification ou de la détermination des contenus.

Il est évident que la recherche et l'expérimentation sont encore nécessaires. Certains aspects, comme l'apprentissage de la langue ou des mathématiques, la prise de décisions, le renforcement de l'auto­

image chez les jeunes, ont besoin d'un affinement accru des connais­

sances.

Mais un autre aspect plus ''terre à terre" a été très peu étudié : nous pensons aux gestes professionnels d'ordre pédagogique très concrets, qui, à différents paliers - du système scolaire et du système productif - vont rendre possible l'actualisation de l'employabilité (interface formation - travail) chez les jeunes, principalement chez ceux qui ont besoin d'un support externe supplémentaire pour actualiser (ou acquérir) et utiliser leurs capacités restées souvent latentes.

Nous nous intéressons aux gestes professionnels des diffé­

rents acteurs de la formation continue en milieu de travail, en tant que problématique de recherche. Nos observations nous permettent de déceler des lacunes importantes au Québec. Notre intérêt se situe plus particulièrement sur cette formation continue clandestine, ignorée et/ou méconnue : la formation "sur le tas".

4. Tels Super, 1957, Tiedemant, 1975, Dupont, 1988.

5. Super, Havighurts, Tiedemant, Hoyt, et d'autres, cités par Sankey.

6. Dupont, P., 1988.

7. Idem.

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-Parmi les professionnels, il y a tous ceux qui oeuvrent dans le système scolaire, à son centre et à sa périphérie : population de pro­

fessionnels qui s'appuie sur une formation initiale et continue, assurée par de multiples canaux et institutions.

Mais il y a aussi ceux qui interviennent directement dans le mi­

lieu de travail et qui n'ont ni le statut ni la préparation nécessaire pour faire face à cette tâche difficile qu'est la formation. Nous pensons aux cadres d'entreprises, plus particulièrement aux cadres de première ligne qui, par leur situation dans la hiérarchie industrielle, seront direc­

tement responsables des actions, qui faciliteront ou empêcheront l'ac­

tualisation de cette employabilité chez les jeunes, et principalement chez ceux "à risque"s.

SI nous restons dans le domaine de la formation continue, nous constatons que l'actualisation de l'employabillté chez les jeunes sans formation professionnelle se réalise par la force des choses, en aval du système scolaire, entre l'école, le chômage, l'assistance sociale et le milieu du travail.

Pour cette population, la formation continue dépasse le do­

maine de la préparation pour entrer clairement dans celui de la correc­

tion. Dans ce contexte, souvent, formation continue est synonyme de processus de compensation.

Si nous poursuivons l'analogie avec les interventions en santé en parlant de population "à risque" et si nous suivons de près le modèle de Kapplan tel que présenté par Langevin (1969), nous pouvons dire que pour cette population de jeunes, l'école intervient au niveau d'attention "primaire· et "secondaire". Son action est à caractère préventif. Son objectif est soit de favoriser l'apparition des com­

portements attendus dans une population, soit de favoriser des comportements manquants dans une population définie comme étant à risque. Par contre, en formation continue, on entre dans le domaine de l'attention "tertiaire" (action corrective sur une population déjà perturbée, afin de favoriser l'apparition d'un minimum de com­

portements manquants).

Parler des cadres de première ligne en tant qu'agents d'actuali­

sation de l'employabilité des jeunes dits à risque renvoie à une

ré-8. Nous n'ignorons pas qu'il y a d'autres acteurs (parents, amis ... ) qui, bien que non professionnels, ont une responsabilité et une possibilité réelle d'intervenir dans ce do­

maine de l'actualisation de l'employabilité des jeunes. Et qu'eux aussi ont besoin de connaître les "gestes" à poser.

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-flexion plus globale : celle des liens entre l'éducation et le travail dans un contexte de formation continue de nature "tertiaire".

Nos interrogations portent principalement sur les conditions favorables à l'élargissement (actualisation) de l'employabillté des jeunes travailleurs sans spécialisation lors de leur intégration au travail.

Notre but est d'inciter les dirigeants du monde du travail à relever le défi suivant : transformer la première expérience de travail d'un jeune à risque en une expérience positlve9.

L'employablllté des jeunes

L'élargissement de l'employabilité des jeunes travailleurs, ceux qui ont entre 1 6 et 25 ans, constitue un problème prioritaire de la so­

ciété, tant par son importance que par ses résonances socio-écono­

miques. Cette problématique constitue aujourd'hui une priorité des po­

litiques d'éducation et de formation de la main d'oeuvre dans nos pays.

Aux Etats-Unis, des voix se sont élevées pour alerter le gou­

vernement et dénoncer la dégradation de la qualité de l'éducation. Le titre du rapport Gardener (1983) est très éloquent : A Nation at Risk. Le rapport Brown lance, par ailleurs, un vibrant appel à la concertation entre les dirigeants du monde de l'éducation et du monde de l'industrie afin de freiner l'augmentation du nombre de jeunes qui ratent le pas­

sage école-monde du travail.

Nous donnons au terme d'employabilité le sens de compé­

tences de base nécessaires au travail (employabilité générale) et des habiletés manuelles et techniques essentielles et transférables à plu­

sieurs professions non spécialisées dans divers secteurs du marché du travail (employabilité spécifique).

L'employabillté a été abondamment étudiée ces dernières an­

nées dans la perspective de la relation école-travail, principalement par des chercheurs qui se penchent depuis longtemps sur la nature et l'impact socio-économique de la formation professionnelle des jeunes, ainsi que sur le rôle des divers acteurs soclaux10.

9. Brown, R., 1985.

10. Selz, N., 1980.

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-Des études d'organismes internationaux (OCDE, Conseil de l'Europe, Communauté européenne) et américains (entre autre The Natlonal Center for Research ln Vocational Education, the Ohio State University) se sont penchés sur les questions du chômage des jeunes, de leur préparation et de leur motivation au travail, et ont ainsi f?urni une preuve évidente des inquiétudes qui traversent le monde occiden­

tal face à cette problématique. L'UNESCO a également commandé, dernièrement, une vaste étude pour cerner le problème de la transition école-trava1111.

Au Québec. le Conseil supérieur de l'éducation s'est penc�é sur le délicat problème de la fragilité de l'employabilité pour une partie importante de la population. La collectivité dans son ensemble est r u-dement Interpellée par le Conseil

«Alors (qu'elle) semble prête à investir quasi Indéfiniment dans la formation de ceux qui persévèrent dans /es établfssements (. .. ), on doit constater qu'elle déverse un nombre Important de Jeunes dan�

les structures de la vie active et du travail, sans s'être très systémati­

quement préoccupée de leur assurer une préparation appropriée ou une transition harmonieuse d'insertion sociale et professionnelle» 12.

Les statistiques sont éloquentes : 21 ,6 % des jeunes quittent l'école secondaire sans diplôme, près de 1 7 % des jeunes de 1 6-1 8 ans suivent le cheminement direct à l'insertion sociale et professionnelle. Et

ce phénomène tend à augmenter; le taux de chômage chez les jeunes a plus que doublé au cours des vingt dernières années13. Le cercle vi­

cieux de la désadaptation sociale et de la pauvreté se perpétue : la cor­

rélation positive entre faible scolarisation, chômage et assistance so-ciale se maintient.

Le gouvernement canadien a mis sur pied une législation et des programmes pour faire face à ce problème. Le gouvernement du Québec dispose lui aussi de programmes qui facilitent la réinsertion au travail des jeunes assistés sociaux et des jeunes chômeurs.

Ces mesures à caractère incitatif favorisent la mise sur pied de stratégies éducatives (programmes de formation continue) destinées à favoriser un élargissement de l'employabilité individuelle de cette po­

pulation de travailleurs sans qualification professionnelle particulière14.

11. Blngham, 1987.

1 2. Conseil supérieur de l'éducation, 1986, p. 36.

1 3. Statistique Canada, 1984.

1 4. Ministère d'Etat de la jeunesse, 1984.

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-Par ailleurs, Il ne faut pas méconnaitre l'avertissement que nous lancent les sciences économiques : l'investissement dans les seules initiatives "capital humain" témoigne d'une grande faiblesse parce qu'il ne considère pas la structuration et le comportement du marccomme un facteur déterminant1s. Or, être bien formé ne suffit pas, il faut disposer aussi d'un marché du travail ouvert.

Ces programmes gouvernementaux utilisent le même cadre théorique, ils partent de l'hypothèse (ou postulat...) que l'enrichisse­

ment individuel saurait suppléer aux difficultés d'insertion profession­

nelle des jeunes. C'est cette perspective que l'on retrouve aussi au ni­

veau de l'école. Ceci explique l'engagement d'importantes ressources et les aménagements Institutionnels créés pour mieux armer les jeunes, pour mieux les préparer à se défendre dans la vie.

11 n'est donc pas étonnant que la formation continue offerte en vue de la réinsertion professionnelle soit conçue comme le dévelop­

pement des "comportements favorables au travail" : connaissances sur le marché du travail, renforcement de la motivation, rattrapage scolaire, etc.

D'un autre côté, le gouvernement compte sur la collaboration des partenaires sociaux, dont l'entreprise, pour matérialiser ce retour au trava�I et actualiser cette employabilité "développée". Des res­

sources importantes sont mises à disposition de l'industrie pour faire u�� place à ce type de travailleurs. Ceci n'empêche pas l'apparition de res1stances et de problèmes de tous ordres : au niveau des assu­

rances, au niveau de l'entraînement des jeunes, au niveau des objectifs des partenaires, etc.

Par la force des choses, un poids social et institutionnel consi­

déra�le repose sur les épaules de ces jeunes, pourtant déjà en position de !a1blesse; même si, comme nous le signalions précédemment, ces actions donnent parfois plus d'information qu'elles ne font de la forma­

tion.

Comment peut-on améliorer la situation ?

15. Paul, J.J., 1 989.

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