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CENTRE PROFESSIONNEL TORNOS - MOUTIER Gilbert BERDAT1

La formation polyvalente en question

CENTRE PROFESSIONNEL TORNOS - MOUTIER Gilbert BERDAT1

Le contexte économique

Moutier est une bourgade jurassienne de 8000 habitants, si­

tuée à 36 km de Bienne et à 53 km de Bâle. L'évolution économique de la région a beaucoup marqué cette cité qui a su créer, au siècle der­

nier, des entreprises florissantes dans le secteur de la mécanique, du décolletage en particulier : à la fin des années soixante, avec la crise économique - dans le secteur de l'horlogerie en particulier -, le déclin de cette industrie devint inéluctable. Entre 1968 et 1974, la nécessité de conjuguer leurs efforts obligent les entreprises de la mécanique Tarnos et Bechler à fusionner. Puis, grâce à un rachat par une maison alle­

mande en juin 1988, la société respire à nouveau et les affaires repren­

nent. Contrôlée à 80 % par un groupe allemand (5000 employés et plus de 1 milliard de DM de chiffre d'affaires), Tornos-Bechler reprend au­

jourd'hui confiance en l'avenir. Elle emploie actuellement 850 colla­

borateurs. Plus de 80 % de sa production est destinée à l'exportation, principalement en Europe occidentale (pratiquement 50 %) et vers les USA, l'Extrême-Orient et l'Europe de l'Est. La répartition par groupes de produits est la suivante :

- machines à commande conventionnelle (mécanique) : 60 % - machines CNC à commande numérique : 35 %

- appareils périphériques : 5 %.

L'augmentation du nombre des commandes et les analyses du marché font appara'ttre une expansion de cet intéressant segment de produits que représentent les machines CNC à commande numérique.

En matière de gestion des ressources humaines, Tornos­

Bechler mise sur la jeunesse et la formation de celle-ci; c'est donc en toute logique qu'elle a décidé d'allouer près de 6 millions de francs à la formation des apprentis.

1 . Directeur du Centre Tornos, Moutier, Suisse.

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Le centre professionnel Tornos

Formation de base

En 1960, l'entreprise Tarnos, alors au faîle de sa gloire, estime qu'elle doit faire un effort particulier pour la formation de ses apprentis.

Elle crée alors sa propre école et en obtient la reconnaissance officielle par le gouvernement bernois. Son originalité réside dans le fait qu'elle est la seule école du genre en Suisse romande dispensant la totalité de l'enseignement pratique et théorique pour l'obtention des certificats de capacité. De 1 961 à 1989, le Centre professionnel Tarnos a formé envi­

ron 1000 apprentis. Cette école intégrée est reconnue comme école professionnelle par l'Etat et la Confédération, dans l'esprit de la loi sur la formation professionnelle, et par l'OFIAMT. Animée par 26 maîtres de pratique et 5 enseignants théoriques, le Centre accueille actuellement quelque 170 apprentis et assure leur formation globale pour les profes­

sions suivantes

- dessinateur de machines - mécanicien de précision - mécanicien de machines - électronicien

- serrurier de construction - mécanicien-décolleteur.

L'équipement du Centre est très important, très moderne et toujours actualisé. Les cours mettent l'accent sur la pratique et l'expé­

rimentation des techniques apprises. Les maîtres sont en principe des praticiens chevronnés. Beaucoup de cadres techniques de Tornos­

Bechler sont passés par la filière du Centre, ce qui a donné une impul­

sion nouvelle à leur carrière dans l'entreprise.

Enseignement théorique à intervalles

Plutôt que d'enseigner la partie théorique de la formation de façon traditionnelle (par exemple, 1 ou 2 jours par semaine), une solu­

tion originale a été adoptée : l'enseignement théorique à intervalles, groupé en lots d'une durée de 7 à 8 jours, répartis le plus régulière­

ment possible au long de l'année, soit 10 lots par année

d'apprentis 136 d'apprentis

-sage. La période commence au milieu d'une semaine et se termine au milieu de la semaine suivante, avec une césure constituée par un congé d'un demi-jour et la coupure du week-end. Cette solution, très appréciée des apprentis, garantit de bons résultats.

Niveaux de formation

Le Centre Tarnos comprend deux niveaux principaux : le tronc commun et les secteurs attribués aux différents types de formation. Le tronc commun est constitué d'un vaste atelier, dans lequel les appren­

tis de toutes formations se familiarisent avec les techniques fonda­

mentales de production. Dans ce secteur, les apprentis débutants ap­

prennent, par exemple, à fabriquer des pièces mécaniques en se ser­

vant des machines-outils, montent de petits ensembles et surtout ac­

quièrent une tournure d'esprit compatible avec la suite de l'apprentis­

sage. Les sections spécialisées sont constituées d'un atelier méca­

nique doté de moyens de production modernes, dont notamment plu­

sieurs machines-outils à commande CNC, un grand laboratoire d'électricité, un laboratoire d'électronique et un laboratoire d'automa­

tion, de même qu'un local de forge-soudure. Un centre de formation ne doit pas être une "académie" dispensant un savoir abstrait, il doit au contraire s'intégrer dans la vie de l'entreprise. On y apprendra non seulement la technique mais également l'efficacité.

Perfectionnement

Dans le domaine du perfectionnement et de la formation des adultes, le Centre collabore notamment avec l'Ecole polytechnique fé­

dérale de Zurich et reçoit, à intervalles réguliers, des étudiants en stages de formation pratique.

Par ailleurs, le Centre est partenaire de l'Institut suisse de pé­

dagogie pour la formation professionnelle à Lausanne qui lui confie l'organisation de cours décentralisés ayant pour objectif la formation des maîlres auxiliaires de branches techniques.

De même, il collabore avec l'Ecole de contremaîlres de Win­

terthur, et contribue, depuis de nombreuses années, à l'organisation

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-de journées -de maîtres d'apprentissage ou à la mise sur pied -de cours romands pour futurs maîtres d'apprentissage.

Depuis maintenant 5 ans, le Centre est partenaire de la Convention patronale de l'horlogerie à la Chaux-de-Fonds. La mission qui lui est confiée est la formation en CNC du personnel des entre­

prises de cette convention.

Autre partenariat très important, mais dans le domaine de la formation professionnelle : l'association suisse du décolletage a passé un accord avec Tarnos et y envoie tous les apprentis décolleteurs de Suisse et du Liechtenstein pour un cours d'introduction, au sens de la loi sur la formation professionnelle, cours d'une durée de trois se­

maines par année. Cette association lui confie également la formation de son personnel adulte, ceci dans le cadre de l'école de stagiaire.

Le Centre est enfin dépositaire, depuis 5 ans, des cours de maîtrise fédérale de mécaniciens (3 ans) qui accueillent à chaque session une quinzaine de participants.

Formation et nouvelles technologies

La volonté du Centre est d'entrer de plein pied dans le pro­

gramme CIM (Computer Integrated Manufacturing). Tornos-Bechler est très avancé dans cette stratégie et se repose sur son Centre pour for­

mer le personnel adéquat. C'est ainsi que le Centre offre aux jeunes ayant terminé l'apprentissage une formation en demi-emploi, sur une période de 2 à 3 ans : ils travaillent à mi-temps en entreprise, et peu­

vent ainsi consacrer 50 % de leur temps à l'étude des technologies CIM. A la fin de ce cycle d'étude, les jeunes gens subissent un examen et obtiennent le t itre de ''technicien en atelier flexible", titre non encore reconnu officiellement, mais admis par l'entreprise. Ces professionnels seront donc à même de maîtriser toutes les techniques d'un atelier flexible, à savoir la programmation, l'informatique, l'électrotechnique, l'électronique, l'automatisation.

Formation continue demain

L'entreprise, dans son plan directeur, a prévu une modernisa­

tion très poussée des moyens de gestion, de construction, de

produc 138 produc

-T

tian et d'administration. Des Investissements considérables sont pré­

vus. La direction générale a donc demandé de préparer un projet de formation continue. Un premier plan encore schématique pour les années 1988-1 993 a été établi, surtout en termes d'heures et d'investis­

sements.

La crise, le chômage et la formation : une expérience vécue 1981 : à court de travail, l'entreprise introduit un chômage par­

tiel chaque vendredi. Elle recherche de la sous-traitance. Mais elle doit constater qu'elle n'est pas à même de pratiquer des prix concurren­

tiels. Depuis des années, le personnel d'atelier fait toujours la même chose, la routine s'est installée. Il n'y a qu'une solution : recycler les cadres d'atelier. On oblige ainsi près de quatre-vingt personnes à suivre chaque vendredi, jour de chômage, des cours de lecture de dessin, d'éléments normalisés, de géométrie dans l'espace et de des­

sin technique. Les réactions sont diverses. Alors qu'en principe ces gens devraient être l'élite des ateliers, on constate d'énormes lacunes.

Certains essaient de refuser le cours, arguant qu'ils n'en ont pas be­

soin; en réalité, ils sont gênés de voir le corps enseignant découvrir leurs lacunes. D'autres, plus philosophes, acceptent de bonne grâce, alors que d'autres encore refusent de changer leurs habitudes. Pour les enseignants, ce fut une expérience difficile mais passionnante. Que de patience il a fallu pour inculquer à des personnes dont l'âge moyen était environ 50 ans des notions parfois élémentaires ! Leur rôle consistait aussi à les motiver et à leur faire comprendre l'importance de ce recyclage pour la survie de l'entreprise.

1 983 : Tornos-Bechler licencie 430 collaborateurs. Lorsqu'on licencie, on pense d'abord aux moins performants, aux gens à pro­

blèmes, mais aussi aux jeunes sans charge de famille. On s'est donc retrouvé devant un groupe très disparate. Des révoltés contre la so­

ciété, des étonnés qui ne savent encore pas ce qui leur est arrivé; des gens qui pourraient apprendre mais qui ne veulent pas, et surtout des gens qui voudraient apprendre mais qui ne peuvent pas. Alors que dans le premier groupe, on comptait des hommes plutôt âgés, d'un ni­

veau peu élevé certes, dans le deuxième groupe, la plupart des

partici 139 partici

-pants dénotaient des manques importants dans la formation initiale, à quoi s'ajoutaient des difficultés de compréhension et d'expression.

Informer et motiver ces gens n'a pas été facile. Leur faire comprendre que tout n'est pas perdu, qu'avec de la volonté on arrive à s'en sortir, qu'on est là pour les aider a demandé beaucoup de patience et de persuasion. On a pu constater que les chômeurs ont d'énormes pro­

blèmes pour sortir d'un isolement créé par une immense insécurité.

Pour certains, c'était la première fois depuis 20 ou 30 ans qu'ils de­

vaient songer à chercher du travail, se présenter, remplir des formu­

laires. Ils n'avaient pratiquement plus écrit depuis leur sortie d'école.

Ecrire une lettre leur était quelque chose d'impossible; sans parler des étrangers, pour qui la difficulté était encore plus grande.

C'est la raison pour laquelle le Centre social protestant de Moutier, l'Université Populaire jurassienne par sa section de Moutier, la Municipalité, persuadés que pour beaucoup de chômeurs la solution devait passer par une formation consacrée non seulement à la forma­

tion professionnelle proprement dite, mais à l'apprentissage d'une si­

tuation nouvelle - la recherche d'un emploi - réunirent ces chômeurs pour se mettre à leur service.

Quant au Centre de formation, il leur a offert les cours sui­

vants :

- conduite de machines-outils conventionnelles - conduite de machines à commande numérique - cours de décolletage

- travail de la tôle et soudure - éléments d'électrotechnique

- éléments de pneumatique et d'hydraulique - dessin technique.

Le chômeur pouvait évidemment choisir le ou les cours lui convenant, à raison de deux jours par semaine.

L'intérêt a été manifeste, puisque 1 30 personnes se sont ins­

crites. Le groupe s'est rapidement amenuisé, les gens retrouvant un emploi, grâce parfois à la formation reçue au Centre.

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-Considérations, réflexions et suggestions

1. Dans la situation où l'on s'est trouvé, force a été de consta­

ter qu'on ne peut travailler que si l'on dispose d'un moyen d'action ou d'un instrument prêt à l'emploi et dont on maîtrise le maniement. En l'occurrence, le Centre a été cet instrument.

2. L'information joue un rôle important; elle est absolument indispensable à tous les échelons et entre tous les organes ou acteurs concernés.

3. La condition dont dépend une organisation et une coordina­

tion judicieuse des mesures de reconversion et de perfectionnement est la mise sur pied d'un centre de coordination doté d'un personnel suffisant. Lors des actions de 1 981 et 1 983, on a dQ se débrouiller avec les moyens du bord, aucune structure n'étant véritablement en place. Il faut donc, à l'avenir, instaurer une étroite collaboration entre toutes les institutions concernées (office du travail, office de la formation profes­

sionnelle, office de l'orientation professionnelle, développement éco­

nomique, milieux économiques).

4. Un élément capital est la conformité au marché du travail. Il faut veiller à offrir une reconversion conforme aux impératifs de l'éco­

nomie et proche des réalités pratiques.

5. Une préparation et une planification minutieuses sont payantes. Les cours et les programmes doivent être intéressants pour les participants. Ils doivent même accroître leur motivation. Mais le programme des cours doit absolument être adapté aux besoins effec­

tifs et aux possibilités réelles des participants. Il faut viser à leur réin­

sertion professionnelle.

6. Il est recommandé de commencer modestement, puis de ré­

examiner le projet après une première phase expérimentale, de l'amé­

liorer en remédiant aux lacunes et en l'adaptant aux exigences. Le chômeur doit sentir qu'il est là pour se perfectionner et se reconvertir et non pas simplement pour s'occuper. En effet, le but de toute mesure de réinsertion doit consister à réintégrer aussi rapidement et aussi parfaitement que possible le chômeur dans le processus normal de travail.

7. La notion même de formation est très insuffisamment ancrée chez les travailleurs. Pour la plupart des chômeurs, le perfectionne­

ment ou la formation à une activité professionnelle sont les conditions

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-sine qua non d'une réinsertion professionnelle. Mais pour des gens qui n'ont jamais suivi de perfectionnement ou de recyclage, la formation n'apparait pas toujours comme une nécessité.

8. Ces cours ont donc permis de revaloriser la formation et de redonner confiance aux participants en leur montrant qu'ils sont riches d'une expérience professionnelle, largement utilisable pour leur réin­

sertion professionnelle.

9. Ces cours ont apporté une aide morale à des chômeurs qui se sentent dépossédés de leur identité de travailleurs.

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-L'ACTUALISATION DE L'EMPLOYABILITE