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POLYVALENCE ET FORMATION GENERALE : UNE NOUVELLE PRIORITE

DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE I Johnny STROUMZA2

Crise, nouvelles technologies et réorganisation du travail

Dans les années 60, puis au début des années 70, on assiste, en Europe et aux USA, à de nombreuses grèves d'ouvriers spécialisés, à la montée de l'absentéisme, au sabotage du matériel de production.

Ces événements témoignent, de la part des travailleurs faiblement qua­

lifiés, d'une contestation du travail à la chaîne, d'une mise en cause de leur identité professionnelle, d'une crise du sens qu'ils attribuent au travail. Ils se traduisent aussi, bien évidemment, par une baisse de pro­

ductivité pour les entreprises.

Or, dans ce contexte survient la crise des années 70 et le dur­

cissement de la concurrence qui l'accompagne. Les entreprises concernées par le marché international sont alors obligées d'optimiser vigoureusement leur productivité.

Cette optimisation, elles vont la rechercher dans une restructu­

ration de leurs productions, en particulier dans le recours à des tech­

nologies de pointe qui impliquent d'importants investissements.

On assiste alors, notamment dans les entreprises pilotes de l'automobile, au dépassement de l'automatisation de la production il­

lustrée par les chaînes de production. C'est tout d'abord la mise en place d'une automation de cette production, puis de sa robotisation.

Simultanément et en correspondance avec ce mouvement, on assiste au développement d'une nouvelle approche de l'organisation du travail auquel est souvent associée une nouvelle idéologie de la gestion des entreprises.

1. Article paru dans le journal de la SRFP, Panorama, no 7, août 1989, pp. 3-5.

2. Université de Genève, Faculté de Psychologie et des Sciences de l'Education, Edu­

cation des Adultes.

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-Cette nouvelle approche de l'organisation du travail se situe en opposition avec le mouvement continu de parcellisation des tâches qui caractérise l'évolution de l'organisation du travail tout au long de ce dernier siècle. Elle promeut une "recomposition" du travail, qui va bien au-delà de !"'enrichissement" et de !"'élargissement" des tâches, des années 60, et même du travail en équipe expérimenté de manière spectaculaire par Volvo à Kalmar en 74.

Quant à l'idéologie qui accompagne souvent cette nouvelle or­

ganisation du travail, elle prétend développer une nouvelle culture d'en­

treprise qui doit permettre la motivation et donc la (re)mobilisation des travailleurs.

Ces derniers peuvent alors, en cultivant des valeurs d'initiative et de responsabilité, utiliser toutes les potentialités liées aux technolo­

gies avancées, et permettre ainsi la rentabilisation des investissements colossaux et permanents engagés dans ces nouveaux moyens de pro­

duction .

Ce courant moderniste, cette évolution, qui peut se résumer dans la triade "nouvelles technologies - nouvelle gestion - mobilisation des travailleurs", mérite certainement nuances et critiques. Il nie, par exemple, l'existence ou l'utilité des conflits ou des contradictions; il est significativement différent lorsqu'il s'incarne dans des systèmes socio­

culturels particuliers, au Japon, aux USA, en France ou en Suède.

Par ailleurs, ce courant ne constitue qu'une tendance, souvent présente dans les multinationales, dans les grandes entreprises du se­

condaire confrontées au marché international, mais encore absente dans la majorité des entreprises. Absence souvent due à un protec­

tionnisme confortable qui n'impose ni restructurations ni investisse­

ments lourds, à des placements technologiques qui s'arrêtent en deçà de la robotisation, ou enfin à la formidable inertie des normes an­

ciennes, encore dominantes, de l'organisation taylorienne du travail.

Cependant, comme ce courant marque des points dans des secteurs qui constituent des pôles de développement économique, il détermine progressivement les normes à venir.

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-Un marché du travail à deux vitesses

Cette évolution nouvelle de l'organisation du travail tend à créer un marché de l'emploi à deux vitesses.

D'une part, elle définit de nouveaux postes de travail, de nou­

velles qualifications, donc une nouvelle couche de travailleurs. Couche fortement qualifiée, au bénéfice d'une grande stabilité de l'emploi, apte à constituer l'aristocratie du travail, très motivée, qui permette la renta­

bilisation des moyens financiers investis.

D'autre part, avec la crise se développe le chômage, moins sensible en Suisse, ainsi que le travail en sous-traitance et les "petits boulots". A ces emplois précaires correspondent des travailleurs dits de la "deuxième vitesse", faiblement qualifiés, mal payés, mal organi­

sés.

Ces travailleurs-chômeurs ne sont pas, bien sûr, immédiate­

ment touchés par cette nouvelle évolution de l'organisation du travail.

Mais pour éviter leur stabilisation dans cette "deuxième vitesse", il leur est indispensable d'acquérir les qualifications requises pour une mobi­

lité vers les entreprises de la "première vitesse". Ils sont donc, à ce titre, eux aussi concernés.

Il serait d'ailleurs intéressant de savoir si les règles de survie dans la "deuxième vitesse" ne nécessitent pas, elles aussi mais à leur manière, une plus grande polyvalence et donc une meilleure formation générale !

Quoi qu'il en soit, la pénurie actuelle en travailleurs qualifiés, notamment en Suisse, implique un transfert de la "deuxième" vers la

"première vitesse", et la formation a son rôle à jouer dans ce transfert.

Ainsi, que ce soit pour la qualification nouvelle des travailleurs des entreprises de la "première vitesse" ou pour la récupération de ceux qui travaillent dans celle de la "deuxième", le courant moderniste imposera à terme, mais incite déjà à une transformation en profondeur de la formation professionnelle initiale et continue.

Cette transformation portera simultanément sur les trois ni­

veaux constitutifs de cette formation : les contenus, les structures et la pédagogie. Essayons d'esquisser, ci-dessous, quelques orientations générales ou caractéristiques de cette transformation.

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-Priorité à ln formation générale

Au niveau des contenus de formation, des qualifications à ac­

quérir, le courant dont nous avons parlé met en cause une frontière, trop étanche, entre formation professionnelle et formation culturelle, entre formation manuelle et intellectuelle. Il sollicite davantage de for­

mation générale dans la formation professionnelle.

En effet, l'organisation "nouvelle" du travail implique de nou­

velles qualifications que l'on peut caractériser comme :

- plus intellectuelles, car on n'agit plus sur la production directement, manuellement, mais par le biais de médiations : l'information en est une bonne illustration. li faut alors, pour maîtriser le processus tech­

nique, non seulement le comprendre, mais se représenter son "télé­

guidage" et pour cela réfléchir en termes logiques;

- plus générales (non pas seulement techniques), puisque le nouvel environnement technologique et organisationnel oblige à communi­

quer davantage avec son environnement professionnel (groupes de travail, cercles de qualité, liaisons avec d'autres groupes et avec la hiérarchie, ... ), oblige à davantage faire preuve d'autonomie, d'initia­

tive et de responsabilité. Ces "capacités", à ce jour, plus répandues dans l'encadrement, devront pour ces derniers s'accompagner à l'avenir de capacités "pédagogiques".

Un autre facteur milite pour le renforcement de ces deux types de qualifications nouvelles, intellectuelles et générales : le besoin de polyvalence.

Non seulement le travail change rapidement et il faut être prêt pour assimiler rapidement ces changements, mais il faut de plus pou­

voir changer souvent d'entreprise, si ce n'est de métier. On le sait, la mobilité professionnelle est une condition sine qua non d'une écono­

mie compétitive. Pour cela, chaque travailleur doit disposer d'une poly­

valence, de méthodes de travail et d'apprentissage (apprendre à ap­

prendre), lui permettant de renforcer son aptitude au changement.

Comment développer ces nouvelles qualifications sans faire appel à plus de formation générale ?

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-Priorité à une conception globale de la formation initiale et conti ..

nue

Au niveau des structures de formation, on peut prévoir un dé­

cloisonnement progressif et accéléré entre les formations initiale et continue, une meilleure articulation entre les structures de formation publiques, semi-publiques et privées.

La mobilité des qualifications requises implique en effet un ap­

port constant en formation continue et une préparation à cet apport en formation initiale. Une recherche de mise en commun, une diminution du nombre des formations initiales, une structuration en unités capitali­

sables de la formation continue devraient faciliter cette mobilité.

Les besoins liés à l'importance croissante de la formation gé­

nérale dans la formation professionnelle, à une formation continue en pleine expansion (phénomène comparable à l'explosion de la scolarité obligatoire) deviendront rapidement considérables. Ils ne pourront être satisfaits que par la mise sur pied de nouvelles structures et par une mobilisation et une concertation de toutes les structures de formation actuellement disponibles (formations en entreprise, formations dans des "écoles d'Etat", institutions de formation privées, institutions de l'éducation populaire, ... ).

La difficulté à retenir, en formation initiale, de jeunes gens im­

patients de rentrer dans la vie active peut être en bonne partie dépas­

sée par le développement d'une formation continue par alternance, puisque l'entrée dans la vie active n'impliquera plus du tout la sortie du système de formation.

Priorité à des stratégies pédagogiques "actives"

Au niveau des stratégies de formation aussi, le mouvement sera sensible. Ainsi, la difficulté à bien gérer le rapport théorie-pratique devrait, au vu de cette évolution de la formation professionnelle, s'atténuer.

En effet, le lien reconnu, aujourd'hui plus encore qu'hier, entre formation théorique et application pratique peut être facilité par la

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tiplication des stages, reconversions ou perfectionnements "sur le tas".

Or, ces formations en situation professionnelle, en entreprise, sont

"naturelles", fréquentes, en formation continue. Dans ces formations, la séquence didactique traditionnelle du scolaire [entendre (voir) - com­

prendre - mémoriser - agir] peut être souvent remplacée par d'autres séquences [voir (entendre) - agir - comprendre - mémoriser, par exemple], mieux adaptées aux aptitudes particulières à certains groupes de personnes.

En formation continue, la plus grande responsabilité de l'adulte vis-à-vis de sa formation, facilitée par son expérience et son statut so­

cial, crée une modification du rapport maître-élève. D'ailleurs, de plus en plus de personnes joueront alternativement les divers rôles de la formation. La modification de ce rapport ouvre la porte à de nouvelles attitudes des formés et des formateurs.

Ces deux facteurs, formation en situation et modification du rapport formateur-formé, permettent le développement de stratégies pédagogiques, dites actives, mieux adaptées aux adultes et surtout plus propices à la formation d'un public (faibles qualifications) échaudé par son histoire scolaire.

La formation professionnelle continue : un défi

Tous ces thèmes nécessitent une réflexion, une concertation, une expérimentation et une application progressive, par l'ensemble des acteurs concernés par la formation.

Ce travail énorme a débuté depuis plus de 15 ans dans la plu­

part des pays européens qui nous entourent, pays confrontés, plus que nous, aux impératifs d'un chômage très important et à une structure économique fortement déterminée par de grands groupes industriels. Mais en Suisse aussi, depuis quelques années, ce travail se prépare, l'actualité politique liée aux questions de formation pro­

fessionnelle continue en témoigne tous les jours.

Nous avons donc devant nous une période de transformations en profondeur où le travail ne manquera pas. Mais il y a là aussi un projet nouveau dans lequel l'enthousiasme peut être mobilisé, et nous avons tous matière à y trouver de grandes satisfactions.

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