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Coûts de construction… et de déconstruction

A. Le prix, variable essentielle pour le vendeur de terrain…

Le propriétaire d’un terrain, de par l’importance juridique et culturelle du droit de propriété en France, a les capacités de fortement influer sur l’usage actuel et futur de son terrain. Lorsque ce propriétaire est l’État, une collectivité territoriale ou une entreprise publique, il utilise d’ailleurs largement ce levier pour influer sur les développements futurs (le chapitre 6 est consacré à cette question de l’aménagement et de l’action foncière publique). Toutefois, lorsque le propriétaire foncier est un propriétaire privé (qu’il soit une personne physique ou morale), dans la quasi-totalité des cas, il n’intègre pas, ou très peu, d’autres critères que celui du prix qui lui est proposé. Il se tourne donc vers le plus offrant. C’est pourquoi le marché foncier est un marché d’enchères.

C'est au plus offrant. C'est une véritable vente aux enchères. [...] Et quand c'est une collectivité qui vend le terrain, elle a beau expliquer qu'on veut de la qualité, etc., etc., si le prix n'est pas affiché au départ et que chacun propose un prix, la collectivité va vendre au plus-offrant. (Promoteur immobilier, entretien 10, 24/02/2012)

De toute façon, le premier critère, c'est le prix. Une fois que le propriétaire est dans ses objectifs de prix, il peut y avoir peut-être des ajustements, il peut peut-être choisir celui qui est 50 000 euros en dessous, mais si y'en a un qui est 100 000 au dessus, il ira prendre celui qui est 100 000 au dessus. (Promoteur immobilier, entretien 12, 21/03/2012)

RM : Quand il y a une promesse de vente signée entre un promoteur immobilier et un propriétaire, ce qu'ils regardent, c'est essentiellement le montant, et le projet euh...

Int : Nan nan, le projet, je vais être très sincère avec vous, je pense que la plupart, peut-être qu'il y en a qui sont vraiment...

RM : Très attachés à...

Int : Très attachés à leur bien, mais la plupart, c'est le nombre de zéros et le chèque quoi. C'est très terre à terre. (Promoteur immobilier, entretien 15, 23/07/2013)

L’extrait suivant illustre l’impression pour ce promoteur immobilier de n’avoir aucune marge de manœuvre sur le foncier et d’être contraint de s’aligner sur ses concurrents, sous peine de ne sortir aucune opération.

Le marché lyonnais est un marché qui est resté stable pendant très très longtemps. C'est à dire que jusqu'aux

alentours des années 2000, on dépassait rarement les 10 000 Fr/m². Mais à l'époque, moi j'ai travaillé des années

avec un vieux patron, qui me disait, faut pas dépasser les 10 000 le mètre. Puis y'a eu le passage à l'euro, qui nous a fait allègrement passé de 1 500 à 2 000, donc la norme après c'est devenue au alentour de 2 000 euros du m². Et ensuite après on s'est rendu compte que l'absence de grandes ZAC publiques... euh... la raréfaction du foncier, ... des lois comme la loi Scellier, c'est des lois qui, qu'on le veuille ou non, ont contribué à faire augmenter les prix. Je vous donne un ordre d'idée, entre 2009 et 2011, le prix moyen du mètre carré est passé de 3 500 euros, hors stationnement, à 4 437 euros TTC le m². Donc on a pris 1000 euros en 3 ans, dont 13 % l'année dernière. Euh... la parole publique pour les journalistes c'est de dire que c'est à cause du coût de construction, etc. La réalité, c'est que les gros promoteurs, et nous on a suivi parce qu'on voulait quand même faire des opérations, on a acheté les terrains à des niveaux de prix de dingue. (Promoteur immobilier, entretien 1, 23/01/2012)

Les promoteurs immobiliers ont le sentiment qu’il est quasi-impossible de négocier les prix avec les propriétaires fonciers. Selon les promoteurs, ces derniers vont, sauf rares exceptions, vers le plus offrant. Cela oblige les promoteurs a tirer les prix vers le haut pour faire l’offre la plus alléchante, quitte parfois à surévaluer la valeur financière du terrain et à risquer de planter l’opération.

Les petits propriétaires, eux, sont prêts à prendre tous les risques, bien souvent. Les petits propriétaires sont prêts à prendre énormément de risques et quelquefois, de se tromper. Il y a quelquefois des biens qui reviennent à la vente après avoir été non pas vendus mais signés une première fois avec un compromis. Et qui reviennent sur le marché parce qu'entre temps le promoteur a abandonné. Il s'était rendu compte qu'il s'était un peu trompé et il est parti. [...] Le bien revient. (Promoteur immobilier, entretien 8, 17/02/2012)

On est vraiment sur une concurrence qui est forte. Donc pour nos bilans à la fin, si on veut faire des opérations, on se rend compte qu'on va être obligé d'augmenter les prix [de sortie] pour passer au niveau du foncier si on veut maintenir nos marges. Le coût de construction, aujourd'hui, on est imposé à faire du BBC, ça a un coût supplémentaire par rapport au THPE où les normes qu'on avait avant. Donc ça la variable elle est pas énorme. Le foncier, on se rend compte que la concurrence est forte. (Promoteur immobilier, entretien 12, 21/03/2012)

Pour convaincre les propriétaires fonciers que le montant proposé pour l’achat de leur(s) terrain(s) est bien le prix maximum qu’ils peuvent espérer, les promoteurs immobiliers jouent parfois la carte de la transparence et de la pédagogie :

RM : Est-ce que vous montrez vos bilans aux propriétaires fonciers aussi pour qu'ils comprennent ? Parce qu'on peut vite se dire, le terrain d'à côté de chez moi il s'est vendu à tant, pourquoi moi j'ai pas la même chose ?

Int : Oui oui ça nous arrive, c'est des discussions qu'on peut avoir ça. Oui oui nan, mais de toute façon nous on ne fait aucun mystère de nos budgets d'opération parce que de toute façon on préfère que les gens ne fantasme pas dessus, parce que franchement il n'y a pas lieu de fantasmer. Et donc, non non on leur dit, on va vous expliquer, bon voilà on va vendre à tel prix, est-ce que vous êtes d'accord sur le prix de vente ? C’est quand même cher… Bah on leur dit oui, mais on vous signale que si on vend pas à ce prix là, on va pas pouvoir vous achetez le terrain à ce prix là. Donc on fait beaucoup de pédagogie, on leur dit voilà, donc on envisage de vendre à ce prix là, nous il faut qu'on gagne 7-8 % de marge sur l'opération, voilà, nous il faut... coûts de construction, on a étudié, ça va coûter, je sais

pas, 1 400 – 1 500 euros du m² habitable, et puis on leur fait la fameuse méthode à rebours pour leur dire, bah voilà pour le foncier il reste tant. (Promoteur immobilier, entretien 14, 08/10/2012)

La concurrence existe également entre bailleurs sociaux, qui peuvent parfois faire des efforts sur le foncier afin de réaliser une opération qu’ils souhaitent fortement (ici, dans le cas de liens avec l’autorité publique qui est le propriétaire initial du foncier) :

Vous avez aujourd'hui des promoteurs, ou même des organismes HLM venus d'autres régions de France, ce qui perturbe beaucoup les locaux d'ailleurs, ils ont l'impression de se faire voler leur marché alors que ce n'est pas leur marché, c'est le marché de tout le monde (rires).

Et donc, l'élément étranger, entre guillemets, à la place lyonnaise euh... est une régulation, parce que si vous avez les lyonnais qui s'entendent pour dire, comme l'État exige des critères environnementaux assez lourds, on pourra limiter notre offre à un tel montant, il y a un lillois qui arrive et qui lui n'est pas dans ces ententes et va faire monter les prix si vous voulez, même si lui aussi prend en compte le coût qu'il va devoir supporter.

Si je vous parle de ça, c'est parce qu'on a eu quelques heureuses surprises, où finalement, bien qu'ayant induit des obligations assez lourdes pour les acheteurs, le prix est quand même monté beaucoup plus haut que ce qu'on espérait. (Agent public d’État, France Domaine, entretien 8, 16/05/2013)

Pour certains, afin de régler le problème de la course à l’enchère la plus élevée dont la conséquence est de tirer les prix fonciers vers le haut, donc d’inciter les promoteurs immobiliers à vendre les logements le plus cher possible et à tirer les coûts de construction vers le bas, il faudrait libérer du foncier constructible :

Int : Je sais que certains critiquent les effets pervers des dispositifs d'investissement, mais ils ont eu quand même comme atouts la capacité à développer des projets, [...] y'a eu effectivement un phénomène de demande importante mais comme l'offre ne pouvait pas suivre...

RM : Pourquoi l'offre n'a pas pu suivre ?

Int : Parce que le nerf de la guerre c'est le foncier et qu'il y a pas suffisamment de foncier. RM : Il y a une pénurie foncière ?

Int : Très clairement (Promoteur immobilier, entretien 6, 16/02/2012)

Pour ce promoteur, si les prix fonciers sont si élevés, c’est parce que la collectivité n’alloue pas assez de droits à construire, ce qui ferait mécaniquement diminuer l’offre et augmenter les prix. Tous les promoteurs ne partagent pas forcément cet avis. Pour certains, le seul moyen efficace d’agir sur les prix de vente du foncier passe par l’implication de la collectivité publique dans l’achat et la revente des charges foncières, ce qui permettrait aussi d’introduire plus de logements sociaux ou de logements intermédiaires. Nous revenons sur ces différentes formes de politiques foncières dans la seconde partie de ce travail et nous verrons également dans la suite de ce chapitre que si le prix de vente est l’élément central des négociations entre promoteurs et propriétaires, il n’est pas le seul. Les promoteurs peuvent également influer sur le comportement des propriétaires en les payant plus ou moins rapidement, et en limitant plus ou moins leurs capacités à redéfinir ou suspendre la vente.

B. … mais un facteur qui est rarement l’élément déclencheur de la vente

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