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Afin d’identifier les acteurs impliqués dans les dynamiques de promotion et les questions essentielles à leur poser, nous avons réalisé une note de synthèse sur les marchés du logement lyonnais au début de ce travail de thèse (automne 2011). Elle permit d’identifier, d’une part, les principaux acteurs impliqués dans la construction de logements neufs dans l’agglomération lyonnaise15, donc des acteurs que nous avons rencontrés en priorité au début des entretiens que nous avons réalisés, d’autre part, les différents éléments qui influent sur la pratique de ces différents acteurs. Pour chacune des personnes rencontrées, notre objectif était d’obtenir des informations sur :

- les ressources qu’ils mobilisent pour mener à bien leur activité ; - les contraintes auxquelles ils doivent faire face ;

- les stratégies qu’ils développent pour utiliser leurs ressources : rétention, partage, lobbying, publicité… ;

- les buts de cette utilisation : Quels types d’opération foncière et immobilière réalisent-ils ? Sur quels sites de développement ? Pour quels publics ? etc.

Du fait de notre volonté de laisser les personnes interviewées dérouler leur pensée et établir d’elle-même des liens entre les différentes ressources qu’elles mobilisent, tout en restant centré sur notre objectif de comprendre le rôle des politiques foncières, nous avons recouru à des entretiens semi-directifs. Ils se sont déroulés sur le lieu de travail des personnes rencontrées et ont duré entre 1h et 2h30.

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Afin d’accéder aux personnes interviewées, nous avons d’abord bénéficié de notre position en tant que salarié du Grand Lyon (lettres de demandes d’entretiens signé par le Directeur de l’habitat et du développement solidaire urbain), puis nous avons ensuite utilisé la technique de l’enquête réputationnelle (« boule de neige »). Nous avons fait le choix de ne pas cacher aux acteurs rencontrés le fait d’être salarié du Grand Lyon, tout en précisant bien notre positionnement de chercheur lors des entretiens. Nous n’avons pas l’impression que ce positionnement particulier ait changé les discours des personnes rencontrées (en particulier les promoteurs immobiliers et les bailleurs sociaux), qui ont parfois été très critiques et ont nommés directement des personnes et des opérations dans leurs déclarations (qui sont rendues anonymes dans ce travail). Il semble avoir été compris qu’il ne s’agissait pas d’une étude interne du Grand Lyon, mais bien d’un travail de thèse de doctorat.

Une autre question était celle de savoir si les interviewés n’allaient pas utiliser les entretiens comme une tribune auprès du Grand Lyon. Il s’avère que les promoteurs immobiliers comme les bailleurs sociaux, comme nous le verrons, ont déjà de nombreux moyens d’échanges, publics et non publics, avec les élus et les agents des collectivités locales. Si les acteurs rencontrés ont globalement cherché à défendre leurs positionnements, il nous semble que quelques entretiens ont également permis aux l’interviewés de « prendre du recul » et d’évaluer leur propre rôle dans un contexte plus global que leur « simple » activité quotidienne (comme en témoigne le fait que certaines personnes nous disent en fin d’entretien qu’elles ne pensaient pas que cela seraient si long et qu’il y aurait tant de choses à dire). Dès lors, notre objectif était atteint puisque « l’important n’est pas de savoir si l’enquêté est

sincère, mais quel(s) rôle(s) il joue, quand et pourquoi il considère devoir le(s) jouer » (Gonthier, 2011,

p. 52).

Nous avons également bien senti que nous nous trouvions en entretien face à des personnes de catégories sociales élevées (chefs d’entreprises, maires, cadres, notaires, banquiers, architectes) qui sont tous capables d’évaluer le nombre et le type d’informations qu’ils peuvent divulguer ou non sur leurs activités et qui, pour la plupart, sont habitués à verbaliser ce qu’ils font et ce qu’ils pensent. Ce type d’entretien, « par rapport à des entretiens faits avec des classes populaires, […] renverse

l’asymétrie de la relation enquêteur – enquêté. Alors que l’enquêteur est souvent perçu comme celui qui sait et qui impressionne les enquêtés de classe populaire, une élite en entretien reste consciente de sa position sociale, et prétend dominer la situation, en garder le contrôle, souvent ne livrer qu’un discours officiel » (Bréchon, 2011, p. 25). Pour sortir de ces discours officiels et découvrir en partie les

logiques sous-jacentes, nous avons posé des questions parfois très spécifiques (sur une pratique, sur une politique publique), parfois à rebours des discours habituels. Ceci nous a permis de recueillir des avis généralistes sur le fonctionnement du système d’acteurs, mais aussi quelques discours plus personnalisés.

Enfin, la vision subjective du monde inextricablement liée au fait de réaliser des entretiens ne s’oppose pas selon nous à l’analyse « scientifique » des dynamiques de promotion: « la perception du

comportements parmi des milliers possibles, c'est-à-dire pour choisir ce qui va être concrétisé et s’inscrire à son tour dans le social » (JC Kaufmann, 2004, p. 60). Ce sont justement les points de vue

subjectifs qui sont sollicités par le chercheur. Il s’agit de « trouver en quoi [les acteurs] ont raison de

faire, dire ou penser ce qu’ils font, disent ou pensent » (Friedberg, 1997, p. 306). Ce positionnement

du chercheur est essentiel car un promoteur immobilier, un bailleur social, un agent public, etc. est un « constructeur social de la réalité » à part entière. Comme tout autre acteur, quel qu’il soit, « dans son

microdomaine, il est un spécialiste imbattable » (JC Kaufmann, 2011, p. 73) d’où l’intérêt des

entretiens.

Afin d’avoir une vision de ces différents « microdomaines » qui influent sur les dynamiques de promotion, nous avons rencontré16 :

- quinze promoteurs immobiliers et six bailleurs sociaux, car ces deux types d’acteurs sont les

principaux promoteurs de logements dans l’agglomération lyonnaise. Il était indispensable de les rencontrer pour mesurer comment ils structurent leur activité (partie 1 de la thèse), puis comment les politiques foncières locales structurent ou non cette activité (partie 2) ;

- cinq élus (maires et/ou vice-présidents du Grand Lyon) et treize agents publics d’Etat, agents

du Grand Lyon ou agents de communes membres du Grand Lyon. Le cœur de cette thèse étant d’étudier le rôle des politiques foncières, il était là aussi indispensable de comprendre les motivations politiques et techniques qui sous-tendent leur mise en place, leur maintien et leur éventuelle suppression ;

- trois architectes, afin de comprendre leurs visions des liens entre les promoteurs et les

entreprises de construction, les manières dont les promoteurs s’adaptent ou non aux demandes de leur clientèle et la perception des règles de droit des sols par les architectes ;

- quatre notaires, en capacité de présenter les liens entre les promoteurs et les acheteurs, les

choix effectués par les propriétaires fonciers ainsi que les modes de prospection foncière des promoteurs de logements ;

- cinq banquiers, avec qui nous avons échangé sur les différentes façons de construire

financièrement un projet de promotion immobilière et, dans une moindre mesure, sur l’accès au crédit pour les particuliers ;

- un aménageur, afin d’aborder les liens et les frontières entre aménagement et promotion

immobilière, les ressources à mobiliser pour contrôler une dynamique d’aménagement, ainsi que l’implication de l’autorité publique dans ces dynamiques ;

- deux « experts » des marchés immobiliers, dont le travail est de mettre en place et de gérer

des observatoires, de faire des études spécifiques pour le compte des promoteurs immobiliers, des bailleurs sociaux et des collectivités.

Les entretiens ont été analysés selon la méthode « d’analyse de contenu », qui « se concentre sur les

contenus thématiques et/ou séquentiels des supports de communication. Il ne s’agit pas d’en faire ressortir ses règles de construction (l’analyse de discours) mais d’en faire ressortir les principaux

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thèmes, leur récurrence, leur association, leur imbrication dans les différents contextes d’énonciation. L’objectif est alors de segmenter le texte et d’interpréter sociologiquement des catégories constituées à partir du découpage des entretiens » (Abrial, Louvel, 2011, p. 65). Pour cela, nous nous sommes

aidés des logiciels d’analyse qualitative (dits CAQDAS, Computer aided qualitative data analysis

software) « Sonal » et « Nvivo ». Nous avons donc codé nos entretiens, c'est-à-dire transformé nos

données en une série d’unités séparées qui expriment les éléments essentiels des témoignages. Il s’agit donc d’une première phase d’analyse, pour laquelle nous avions établi au préalable un codage déductif avec des codes thématiques très larges (14 codes thématiques). Nous avons ensuite laissé place à un codage inductif (70 codes finaux). Une telle approche permet de commencer à disséquer les données selon une « ossature » d’indexation préétablie, tout en laissant la possibilité au chercheur de faire émerger d’autres codes, tout en gardant en tête les questions de recherche essentielles afin de ne pas multiplier les codes à l’infini. Cette démarche a pour avantage de permettre de passer à la phase de catégorisation dès celle de la codification. La catégorisation constitue « un niveau

relativement élevé d’abstraction [pour désigner] un phénomène culturel, social ou psychologique tel que perceptible dans un corpus de données. […] C’est à travers la catégorisation que la théorisation commence à émerger, c’est elle que le chercheur, sans relâche, manie, développe, met en relation, subdivise, etc. » (Paillé, 1996, p. 187). De ce point de vue, nous nous rapprochons de méthode

d’analyse prônée par Sébastien Point et Catherine Voynnet Fourboul, à savoir celle du « codage à visée théorique », qui a pour particularité de coupler approche inductive (codage progressif des données) et logique déductive (utilisation de codes prédéfinis) (Point, Voynnet-Fourboul, 2006, p. 64). Cette méthode par « allers et retours » entre les données recueillies et les interprétations successives

du chercheur » (Point, Voynnet-Fourboul, 2006, p. 64) permet de développer une analyse à même

d’induire une compréhension des modes de coopération, de conflits, de mobilisation de ressources par chacun des acteurs, et progressivement, de dessiner les limites de l’ensemble (du système) qu’ils forment. Pour autant, elle permet de ne pas perdre de vue les questions principales de recherche, donc d’induire des développements potentiellement intéressant, tout en limitant la volonté de « tout dire ». Enfin, une fois le travail de découpage et de catégorisation effectués, nous sommes entrés dans le processus d’inférence entre les données analysées et nos questions de recherche par une

« analyse par ligne, […] qui s’intéresse aux discours recueillis sur chaque thématique. Quels sont les thèmes les plus développés ou inversement les moins présents ? Comment peut-on expliquer ces variations ? Comment les thèmes sont-ils présentés ? Retrouve-t-on des arguments, des expressions récurrentes » (Abrial, Louvel, 2011, p. 76). Pour effectuer un tel travail, le logiciel Nvivo nous a

grandement facilité la tache en permettant d’aisément mettre en relation les catégories avec les types d’acteurs. Ce choix de mise en relation explique que notre plan de rédaction soit un plan thématique, non pas un plan qui présente successivement le profil des différents acteurs impliqués dans les dynamiques de promotion immobilière.

Observations

De par notre statut de salarié de la Direction de l’habitat et du développement solidaire urbain (DHDSU) du Grand Lyon, elle-même intégrée à la Délégation générale au développement urbain

(DGDU), nous avons assisté à de nombreuses réunions organisées sur nos thématiques de recherche :

- les « réunions de concertation avec les professionnels de l’immobilier » (qui ne portaient donc pas uniquement sur des questions de logements mais sur l’ensemble de la production immobilière), organisées par la Direction de la planification et des politiques d’agglomération (DPPA), elle aussi intégrée à la DGDU ;

- les « ateliers habitats », qui regroupaient un public beaucoup plus large (ne se limitant pas à l’immobilier neuf), organisés par la Direction de l’habitat et du développement solidaire urbain ;

- les réunions internes au Grand Lyon concernant la révision du Plan local d’urbanisme et de l’habitat (organisation de la révision, réunions thématiques) et concernant l’organisation du service dans lequel nous étions salariés, la DHDSU.

Ces données d’observation constituent un matériau de recherche à part entière, qui nous a permis de comprendre un certains nombre de logiques internes au Grand Lyon (blocages, partages d’informations, « cultures de services »), ainsi que d’observer les positions que les promoteurs de logements défendent « ouvertement » (non pas par communiqués de presse, par études rendues publiques, ou par échanges de nature privée) devant les services planification (DPPA) et habitat (DHDSU) du Grand Lyon concernant la révision du Plan local d’urbanisme et de l’habitat. Son dépouillement a pris une forme relativement similaire aux entretiens en termes de codage, de catégorisation et de mise en relation des discours des différents acteurs. Nous avons utilisés à la fois nos propres comptes-rendus et les retranscriptions de ces séances réalisés par le Grand Lyon, que nous avons ensuite analyser de manière similaire à la méthode d’analyse de contenu utilisée pour les entretiens. Le contact des mêmes acteurs que ceux rencontrés en entretien mais dans un contexte différent, dans lequel les personnes et les institutions qu’elles représentent échangent directement et sous le regard d’autres personnes et institutions, nous a permis de comparer ces discours, qui ne s’avérèrent pas au final contradictoires entre eux.

Nous nous sommes également rendus à des rencontres telles que les Assises nationales du foncier organisées par l’ADEF (Association des études foncières) de 2011 à Lille et de 2013 à Bordeaux. Ces manifestations ont rassemblé des intervenants en provenance aussi bien des mondes « publics » (Etat, collectivités locales, EPF, universités…), que parapublics (OPHLM, SEM) et privés (aménageurs, promoteurs immobiliers, bureaux d’études…). Nous avons également assisté par deux fois aux rencontres annuelles organisées par la société Adéquation, bureau d’étude lyonnais aux activités très larges en matière d’immobilier et de foncier. Ces rencontres annuelles consistent en une présentation sur une thématique (« le logement abordable » en 2011, la « métropolisation des marchés immobiliers » en 2013) suivi d’un buffet. Elles sont organisées dans des lieux emblématiques de l’agglomération lyonnaise (la Cité Internationale en 2011, l’Institut Lumière en 2013). Elles regroupent chaque année bon nombre d’agents publics et d’acteurs privés du monde de l’aménagement et de la promotion immobilière de Rhône-Alpes. Ces manifestations sont

intéressantes car elles fournissent un cadre adéquat aux échanges entre personnes de provenances professionnelles diverses.

Bien sûr, une des limites fut de ne pas pouvoir être partout, parfois pour de simples questions de disponibilités, mais aussi pour des questions de justification de notre présence dans ces arènes. Toutefois, si certains rendez-vous avec les élus nous furent refusés, nous avons eu accès à toutes les réunions de concertation avec les professionnels de l’immobilier ainsi qu’à plusieurs réunions internes sur l’avancement de la révision du PLU et sur l’organisation des travaux au sein de la DHDSU. Nous n’avons toutefois malheureusement pas assisté aux réunions dans lesquelles sont tranchées les questions de nature politique, en présence des élus du Grand Lyon.

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