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L’importance des prêts aidés et des subventions publiques

B. Des risques de phénomènes spéculatifs maitrisés

Un des risques majeurs lié à cette financiarisation de l’activité de promoteur immobilier, au sens de Halbert et le Goix, c'est-à-dire une financiarisation définie comme « la mise en œuvre d’une rationalité

financière par l’ensemble des acteurs qui fabriquent et vivent la ville » (Halbert, Le Goix, 2012, p 40),

est de voir se développer un phénomène spéculatif, sur le modèle de ce qui s’est passé en Espagne dans les années 2000, où l’appât de hauts niveaux de rendement financier a attiré de nombreux capitaux dans le financement de projets immobiliers neufs. C’est ainsi qu’au milieu des années 2000, les crédits accordés aux promoteurs immobiliers ont représenté jusqu’à 46 % de l’ensemble des crédits bancaires aux entreprises, fournissant un excès de liquidités alimentant une demande de plus en plus purement spéculative. Cet emballement porta le niveau de construction en Espagne jusqu’à 800 000 logements commencés en 2006 (Pollard, 2007, p 74). Toutefois, même si les promoteurs immobiliers français, tout comme leurs collègues espagnols, cherchent à générer des rendements

maximums, leurs prises de risques sont limitées par deux éléments. Premièrement, nous avons déjà évoqué le fait que les banques classent le financement des promoteurs immobiliers comme « à risque » depuis la crise immobilière du début des années 1990. Deuxièmement, la Vente en état futur d’achèvement permet aux promoteurs immobiliers de lancer la vente avant que le produit n’existe vraiment. En cas de retournement des marchés, ceci permet de se rendre compte de la mévente d’une opération avant même le lancement des travaux, il devient alors impossible d’atteindre le niveau de précommercialisation attendu par les financeurs :

En 2008, qu'est ce qui s'est passé ? On a réadapté l'offre par rapport à la demande. Aujourd'hui, au niveau de notre profession, on réagit très vite, on se réadapte tout de suite à la demande. Et surtout, par rapport à la crise des années 90... En 90, les chantiers étaient lancés avec 0 % de commercialisation. Donc quand le chantier est lancé, vous êtes bien obligé de le finir. Donc c'est pour ça qu'il y a eu une crise importante. Aujourd'hui c'est pas le cas. Je me souviens bien des courbes de 2008, on a très très vite réagit pour euh... avoir moins d'offres disponibles et les prix n'ont pas baissés. (Promoteur immobilier, entretien 10, 24/02/2012, 62’51)

Dans le cas d’une mévente d’un programme, si le promoteur ne peut pas renégocier le prix d’acquisition du foncier et ne souhaite ou ne peut pas recapitaliser l’opération, il stoppe le projet. Ceci fait rapidement chuter l'offre en logements neufs sur le marché. C’est pourquoi le stock physique de logements neufs disponibles n’augmente que faiblement en France en période de retournement des marchés (contrairement à ce qui s’est passé en Espagne).

Ces deux éléments expliquent que la financiarisation de l’immobilier ne mène pas forcément à un emballement spéculatif risquant de totalement déconnecter la construction de logements neufs du niveau de demande des acquéreurs. Toutefois, il n’en reste pas moins que les promoteurs immobiliers qui prennent le plus de risques financiers entraînent dans leur sillage tous les autres. Ces derniers n’ont pas d’autre choix que de s’aligner sur les prix de sortie des logements s’ils veulent, du fait du mécanisme du compte à rebours, accéder au foncier :

Je vous donne un ordre d'idée, entre 2009 et 2011, le prix moyen du mètre carré est passé de 3 500 €, hors stationnement, à 4 437 € TTC le m². Donc on a pris 1 000 € en 3 ans, dont 13 % l'année dernière (2011). Euh... la parole publique pour les journalistes c'est de dire que c'est à cause du coût de construction, etc. La réalité, c'est que les gros promoteurs, et nous on a suivi parce qu'on voulait quand même faire des opérations, on a acheté les terrains à des niveaux de prix de dingue. (Promoteur immobilier, entretien 1, 23/01/2012)

S’ils ne souhaitent pas ou ne peuvent pas suivre ce mouvement inflationniste, les solutions pour les promoteurs immobiliers consistent alors à s’éloigner en périphérie de l’agglomération (que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du périmètre de la communauté urbaine) ou à engager plus de fonds propres dans les opérations. C’est pourquoi, comme nous le verrons dans le chapitre 4, les marchés centraux sont dominés par des promoteurs immobiliers ayant une grosse trésorerie.

2.4. Des logiques financières qui se retrouvent chez les

bailleurs sociaux ?

Nous avons vu avec le tableau présenté en partie 2.1. que le montant de fonds propres moyens engagé par les bailleurs sociaux dans le financement de leurs opérations fut en forte augmentation entre 1999 et 2011, passant de 2 % à 14 % en moyenne. Ceci s’explique surtout par l’augmentation des coûts de construction et du prix d’achat du foncier plus que par une baisse massive des subventions publiques ou d’un resserrement du crédit auxquels les bailleurs sociaux ne sont pas confrontés du fait du mode de financement du logement social grâce au livret A :

On n'a pas de problème de restriction du crédit. Aucun problème pour se financer puisqu'on est sur le schéma Caisse des Dépôts, que la Caisse des Dépôts… qu’il y a une collecte livret A qui est tout à fait en croissance. En ce moment avec la crise c'est une valeur refuge donc le livret A collecte à fond les manettes. Donc la Caisse des Dépôts, même si le taux de centralisation du livret A a un peu été revu à la baisse, on n'a pas de problème de liquidité. Donc aucun soucis de ce côté là. (Bailleur social, OPH, entretien 2, 17/04/2012)

Ainsi, les bailleurs sociaux sont moins soumis à l’état du marché interbancaires, à la capacité et la volonté des banques commerciales à se refinancer pour fournir des liquidités à leurs clients puisqu’ils bénéficient en effet des prêts de la Caisse des dépôts et consignations.

Sur la question des capacités d’emprunt, nous avons constaté que, tout comme chez les promoteurs immobiliers, les bailleurs sociaux disent utiliser des stratégies différentes en matière d’investissement de fonds propres dans les opérations, et donc, d’usage plus ou moins important de fonds propres :

Int : On essaye de mettre le moins possible [de fonds propres] pour équilibrer euh... [...] C'est vraiment une variable d'équilibre. Y'a une époque on ne mettait quasiment pas de fonds propres hein. Aujourd'hui on est rendu à mettre 25 000 euros par logement en fonds propres, c'est beaucoup.

RM : Ce qui représente quoi ? Une dizaine de pourcent ?

Int : Ouais, 16 – 17 %. (Bailleur social, OPH, entretien 4, 02/05/2012)

RM : Les 20% de fonds propres dans le financement des opérations, c'est le groupe qui décide où c'est contraint

par...

Int : C'est le groupe. Nan, les autres bailleurs habituellement ils sont entre 5 et 10% je pense. C'est une volonté de

groupe ça, d'apporter une sureté, pour bien montrer la motivation, l'envie, et puis rassurer tout le monde... la

collectivité... enfin tout quoi, on met 20% de fonds propres. (Bailleur social, ESH, entretien 1, 30/03/2012)

Si les pourcentages de fonds propres évoqués lors de nos entretiens ne diffèrent pas grandement, nous constatons toutefois deux comportements différents chez les bailleurs sociaux. Le premier correspond à l’idéal-type des « financiers », le second à celui des « entrepreneurs ». Les bailleurs sociaux, lorsqu’ils produisent des logements neufs, que ce soit en maîtrise d’ouvrage direct ou par l’achat à des promoteurs immobiliers, sont donc dans la même problématique que les promoteurs immobiliers quant à la stratégie à adopter dans l’utilisation de leurs fonds propres :

RM : Comment vous décidez du montant de fonds propres dans les opérations ? Vous vous fixez un niveau de fonds propres par opération ?

Int : Euh... Oui oui... on a quand même des fourchettes de montant de fonds propres, en pourcentage de prix de revient qu'on est prêt... enfin... qu'on pense nécessaire et raisonnable de mettre dans les opérations... oui oui. RM : D'ailleurs, avec l'augmentation des fonciers, est-ce que vous avez dû augmenter ces dernières années les montants de fonds propres ?

Int : Oui, mais malgré tout... Oui ça augmente un peu... oui oui, on est obligés de mettre plus de fonds propres. Mais après, le paramètre fonds propres, il est très variable du... Vraiment, ça, c'est une variable qui est très particulière en fonction des organismes. C'est des choix stratégiques d'entreprises. Y'en a qui en ont beaucoup, d'autres qui en ont pas beaucoup. Y'a des gens qui décident d'endetter plus...

C'est pas tellement les subventions le paramètre d'ajustement par rapport aux fonds propres, ça va être l'emprunt. […] On peut mettre des pourcentages d'emprunt qui sont assez variables d'une opération à l'autre. Donc on peut décider d'endetter plus ou moins une opération.

RM : Ce sont vos propres choix ? Int : C'est des choix d'entreprise oui.

RM : Ce n'est pas la banque qui vous dit, on accepte de vous financer si vous mettez tant de fonds propres ? Int : Non non. Mais après, d'un organisme à l'autre, ça peut-être différent. Nous, on a des enveloppes de prêts annuels, dans lesquels on peut taper. (Bailleur social, entretien 3, ESH, 26/04/2012)

Ainsi, pour les bailleurs sociaux, l’incertitude quant à la mobilisation de la ressource financière porte très peu sur le fait de trouver un créancier (ils ont un banquier tout désigné, la Caisse des Dépôts et Consignations) et sur les conditions imposées par ce dernier. En revanche, tout comme le font les promoteurs immobiliers, les bailleurs sociaux adoptent bien des comportements structurés par des logiques financières, en investissant plus ou moins de fonds propres. De plus, certains bailleurs sociaux ont tenu à souligner que l’incertitude quant à leur capacité à équilibrer les bilans financiers des opérations porte également sur l’obtention des subventions publiques :

On a un peu l'impression aujourd'hui que c'est à la tête du client, c'est en fonction du moment où le dossier est déposé. Quelquefois on râle après nous parce qu'on nous dit, faut déposer vos dossiers, faut déposer vos dossiers parce qu'il y a des échéances. [...] Donc on nous fait cavaler, [...] et puis moi je me suis aperçu plusieurs fois que, à la fin de l'année, ils ont des rallonges de crédits, et tous les dossiers que vous déposez entre le 15 octobre et le 15 novembre ils sont mieux financés.

Donc y'a un moment où, voilà... Y'aurait des forfaits, on saurait qu'il y a tant de financement par logement. [...] au moins on gèrerait nous, alors que là c'est une vraie cata quoi ! [...] 6 mois plus tard, je suis obligé de revenir devant le comité d'engagement et dire, j'ai eu 40 000 de moins, 50 000 de moins, et en général évidemment l'opération... (Bailleur social, ESH, entretien 5, 25/05/2012)

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Nous avons vu que les promoteurs immobiliers associent rapidement logique que nous avons qualifiée de « financière » avec la taille des entreprise. C'est souvent le cas, mais cela dépend

également de la nature des actionnaires des sociétés. Comme le souligne Julie Pollard, les grands promoteurs indépendants sont rares, mais ils existent. C’est le cas de Promogim qui a comme spécificité d’avoir gardé son caractère familial, financièrement indépendant (Pollard, 2007 (a), p. 106). De plus, comme nous l'avons vu, rien n'empêche des promoteurs locaux et familiaux d'adopter une logique de promoteur « financier ». Toutefois, que les promoteurs immobiliers adoptent une stratégie « financière » ou « entrepreneuriale », ceux qui prennent le plus de risques financiers entraînent dans leur sillage tous les autres. Ces derniers n’ont pas d’autre choix que de s’aligner sur les prix de sortie des logements s’ils veulent, du fait du mécanisme du compte à rebours du promoteur, accéder au foncier. Une autre solution pour eux est alors de s’éloigner en périphérie de l’agglomération (que ce soit dans le Grand Lyon ou à l’extérieur). Quant aux bailleurs sociaux, ils déclarent également adopter des stratégies différentes en matière de mobilisation de leur ressource financière. Toutefois, ceux-ci semblent avant tout contraints d’utiliser bien plus de fonds propres qu’au début des années 2000 (selon l’USH, les fonds propres couvrent 14 % du plan de financement d’un logement social PLUS en 2011, alors qu’ils n’en couvraient que 2 % en 1999) pour faire face à l’augmentation des prix de revient des opérations, engendrée à la fois par l’augmentation des coûts de construction (chapitre suivant) et par la difficulté des bailleurs sociaux à mobiliser la ressource foncière dans les marchés immobiliers tendus, comme c’est le cas dans le Grand Lyon (chapitre 4).

CHAPITRE 3

MOBILISATION DE LA RESSOURCE « CONSTRUCTION »

La construction représente le plus lourd poste de dépense d’une opération immobilière. Il existe toutefois des exceptions. Ce fut par exemple le cas au Japon à la fin des années 1980, où la part du foncier est montée jusqu’à 80 % du prix de revient total des opérations, ou dans des marchés immobiliers aux prix immobiliers très élevés, comme à Paris intramuros, où il est fréquent que le foncier représente plus de 50 % du prix de revient des opérations. De plus, c’est sur la qualité de la construction que les clients jugent en premier lieu le travail d’un promoteur. Il est donc indispensable pour ce dernier de contrôler au mieux le montage technique et la construction des bâtiments. Il apparaît que si les coûts de construction évoluent, cette évolution est trop lente pour constituer un élément central d’imprévisibilité pour un promoteur de logements à l’échelle temporelle d’une opération. Les promoteurs considèrent donc ce poste de dépense comme presque fixe dès l’établissement de leur bilan prévisionnel d’opération.

3.1. Les coûts liés à une opération de promotion de logements

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