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Nous venons donc de voir que le mode de mobilisation de la clientèle et les ressources qu’elle fournit sont différents selon les types de marchés immobiliers. Cela signifie-t-il que les promoteurs immobiliers se spécialisent uniquement dans la mobilisation d’un seul et même type de ressource clientèle ou bien élargissent-ils leur activité à l’ensemble des clients possibles en matière d’achat immobilier : acquéreurs de logements, de bureaux, de locaux industriels, de locaux commerciaux, de résidences de tourisme, etc. ?

Bon nombre de promoteurs immobiliers rencontrés réalisent à la fois de l’immobiliers résidentiel et de l’immobilier tertiaire. Certains limitent cette seconde activité aux grandes agglomérations (promoteurs immobiliers, entretiens 8, 11 et 12). D’autres groupes revendiquent une compétence encore plus large, qui va jusqu’à la gestion immobilière. C’est le cas par exemple du groupe Altarea Cogedim, qui est et se revendique à la fois promoteur immobilier et gestionnaire (foncière) de centres commerciaux

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En droit de l’urbanisme, la destination des bâtiments correspond à ce pourquoi une construction est édifiée. Un demandeur de permis de construire doit indiquer la destination de sa construction. L’article R.123-9 du Code de l’urbanisme fixe neuf destinations différentes : habitation, hébergement hôtelier, bureaux, commerce, artisanat, industrie, exploitation agricole ou forestière, entrepôt, constructions et installations nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif.

et de bureaux. Le groupe garde donc en patrimoine l'immobilier commercial qu'il peut lui-même avoir construit et vend les logements réalisés à proximité. Il a donc une réflexion globale d’urbanisme et espère grâce à cela en tirer des bénéfices économiques, en particulier grâce aux occupants des logements qu’il construit à proximité de ses centres commerciaux, afin qu’ils soient les futurs usagers et clients de ses espaces. Cette pratique rappelle celle déjà ancienne des compagnies ferroviaires privées au Japon. Ces dernières y sont à la fois gestionnaire des réseaux, promoteurs immobiliers et gestionnaires des gares (qui sont également de grands centres commerciaux et d’emplois). Par conséquent, il est dans l’intérêt des entreprises de promotion de densifier au maximum autour des gares, afin d’y multiplier les résidents qui sont également de potentiels utilisateurs de ces services commerciaux et de transport (Aveline, 2004). La pratique d’Altarea Cogedim est en adéquation avec les discours du moment du Grand Lyon sur la mixité fonctionnelle43. De plus, pour le fonctionnement de l'entreprise, cette diversification des activités à pour autre avantage de se prémunir des risques économiques conjoncturels, puisque les différents types de marchés immobiliers ne connaissent pas forcément les mêmes cycles économiques:

[Le groupe se dit], d'une part, je peux répondre à la demande de la collectivité si elle veut un truc un peu sophistiqué. On peut imaginer un truc en centre-ville, du commerce, du bureau, du logement euh... je suis capable de le faire en étant un opérateur global. Et puis il y a aussi une autre vision, de se dire, les métiers de l'immobilier sont des métiers à cycles, avec des durées de cycles qui sont très variables ces temps-ci, mais on est un métier de cycles. Et finalement, comme les cycles du logement, du bureau, du commerce ne sont pas les mêmes, en temps que chef d'entreprise je me dis, je suis plus solide... Ca permet un petit peu, vous voyez, de lisser tout ça. (Promoteur immobilier, entretien 6, 16/02/2012)

Toutefois, s’il est financièrement possible de mixer les usages à l’échelle d’un quartier (donc à l’échelle d’une opération d’aménagement), cela est beaucoup plus compliqué à l’échelle d’un immeuble :

Tant que ce n'était pas une volonté très forte, finalement, on juxtaposait des zones. Donc on avait les zones à logements, les zones à bureaux, qui pouvaient être côte à côte d'ailleurs, c'était pas forcément gênant, mais on était rarement dans l'imbrication des volumes, sauf rares exceptions, notamment en hyper centre-ville de communes moyennes où là il y a eu quelques projets. [...]

Je sais que nous on réfléchit pour des développements à long terme. Et le Grand Lyon, dans sa réflexion d’aménagement, nous pousse à réfléchir à des mixités d’usages, notamment par le biais de socles dédiés à l'activité au sens large du terme, et au logement. Mais ces choses sur lesquels en ce moment, voilà, il y a beaucoup de freins en termes de règlementations. Donc voilà, si vous devez multiplier les cages d'escalier, les cages d'ascenseur, pour

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Au Japon, non seulement cela permet de favoriser la mixité fonctionnelle, mais Natasha Aveline souligne également que de telles pratiques ont permis de financer le développement de lignes ferroviaires par une récupération des plus-values foncières générées autour des gares. Cela engendre également des politiques du logement particulières, puisque pour soutenir l’accès à la propriété, l’Etat n’a pas créé des aides directes à la personne ou des avantages fiscaux, mais a exonéré les entreprises de transport du versement transport et a encadré le prix des tickets de transport ferré. Cela a également pour résultat de soutenir la part modale du chemin de fer. A Tokyo, 54 % des déplacements se font en train (Aveline, 2004).

des problématiques de sorties de secours, de sécurité incendie... euh... toutes ces réglementation là elles sont pas faciles à mettre en œuvre. Donc y'a beaucoup de choses qui fait que si on pouvait éviter... (Promoteur immobilier, entretien 6, 16/02/2012)

Ainsi, si certains promoteurs immobiliers ont une activité diversifiée et ne réalisent pas exclusivement des opérations de logement, tous les promoteurs présentent cela comme deux activités bien différentes, aussi bien dans la façon de mobiliser la ressource clientèle que dans les modes constructifs. La réalisation de différents types de produits immobiliers nécessite de savoir répondre à des types de demandes spécifiques, qui ne sont pas similaires à celles du logement, ainsi qu’à des règlementations spécifiques (par exemple, les bâtiments classés en ERP, établissement recevant du public, font l’objet de règles de sécurité spécifiques). Sauf exceptions, notamment chez les petites entreprises de promotion immobilière, ce ne sont pas les mêmes services qui gèrent la promotion résidentielle et les autres formes de promotion immobilière.

B. Marchés du logement neuf et de l’ancien

Après avoir vu que la ressource clientèle des promoteurs immobiliers n’est pas constituée exclusivement d’acquéreurs de logements, nous nous concentrons de nouveau spécifiquement sur l’immobilier résidentiel. Dans un premier temps, nous remettons en perspective ce que représente l’achat de logements neufs par les acquéreurs par rapport à l’achat de logements anciens, avant de nous intéresser aux évolutions des caractéristiques et des attentes de la clientèle.

Un acheteur potentiel de logement décide en règle générale d’acheter un logement sur la base d’une enveloppe financière initiale. Ce montant dépend de ses revenus, des montants et des taux d’emprunts auxquels il a accès et de l’apport initial qu’il est en mesure de fournir. Cela signifie que, pour un promoteur immobilier, la mobilisation de la ressource clientèle ne dépend pas uniquement des revenus des populations résidente et de celles qui désirent venir s’installer dans une agglomération, mais également des conditions d’emprunts du moment pour les particuliers, donc du taux directeur fixé par les banques centrales, de l’état des marchés interbancaires et du capital disponible pour leur client. Ainsi, une personne aux revenus modestes mais qui est déjà propriétaire ou dispose d’un capital important peut constituer une clientèle plus sûre pour les promoteurs immobiliers qu’un ménage aux revenus plus élevés mais sans capital financier initial. C’est particulièrement le cas lorsque les prix immobiliers augmentent :

Avant l'appartement un peu type c'était le 3 pièces, et on se rend compte aujourd'hui que dans Lyon un 3 pièces c'est au dessus de 200 000 €, et que la plupart des financements des clients ne leur permettent pas. Donc certains vont sur du 160 000, 170 000 €, qui est le 2 pièces. Et on voit pour les 4 pièces, qui dépassent les 200 000 €, là on n'a plus du tout la clientèle de primo-accédant, qui ne peut plus du tout financer ce genre d'acquisition, puisque 200 000, même avec 10 ou 15 000 € d'apports, sur un emprunt sur 30 ans, ça fait pas loin de 900 à 950 euros de charges de remboursement. Ce qui fait qu'il faut gagner au moins 3 000 € par mois pour pouvoir y prétendre. 3 000 € par mois ça commence à être des revenus au delà de la moyenne nationale. (Promoteur immobilier, entretien 11, 27/02/2012)

Si dans des marchés tels que celui de l’automobile les clients peuvent relativement facilement revoir leurs prétentions à la baisse et se tourner vers une voiture plus petite ou d’une qualité moindre, il existe dans l’immobilier des contraintes d’usage du logement qui font qu’un acquéreur qui recherche un T4 ne se reporte pas souvent sur un T3 s’il manque de moyens financiers :

RM : Est-ce que les personnes reportent leur achat vers un type inférieur ?

Int : Non parce qu'aujourd'hui quand les gens sont dans une démarche d'acheter un appartement, ils le font en fonction de leurs besoins. Donc le type qui a besoin d'un T3 il n'a pas besoin d'un T2, ou il est déjà dans un T2. (Promoteur immobilier, entretien 12, 21/03/2012)

Si un acquéreur ne peut pas mobiliser des fonds suffisants pour un appartement, il ne va bien souvent pas augmenter son enveloppe initiale (la banque n’accepterait probablement pas), mais va plus plutôt s’orienter sur une autre offre, vers un bien qui peut être :

- localisé à un autre endroit ;

- associé à un mode de construction plus économique (maison individuelle plutôt que logements collectifs44)

- d’une qualité moindre, par exemple en reportant son achat du neuf vers l’ancien45.

Ce dernier point signifie que les marchés immobiliers du neuf et de l’ancien sont interconnectés, donc que les modalités d’application des aides publiques au logement, en jouant sur la solvabilisation des acquéreurs, peuvent orienter la destination des achats immobiliers (donc augmenter ou diminuer la ressource clientèle mobilisable par les promoteurs immobiliers). Par exemple, « en 2005, l’ouverture

du PTZ dans l’ancien (sans quotité de travaux) a par exemple nettement bénéficié aux pôles urbains (+21%) : augmentation d’achat d’appartements et recul des acquisitions de l’habitat individuel dans les couronnes périurbaines (-9%). Ce dispositif a ainsi favorisé un retour des accédants modestes dans les centres-villes » (CERTU, 2013, p. 3).

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