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Positions des investisseurs-institutionnels

B. L’importance de la clientèle d’acquéreurs-occupants

Rapporté au prix par mètre carré, il apparaît que les acquéreurs investisseurs achètent généralement plus cher les logements que les acquéreurs occupants. En 2012, le prix de vente moyen aux investisseurs locatifs dans l’aire urbaine de Lyon était de 3 814 €/m², contre 3 692 €/m² pour les acquéreurs occupants47 (Cecim, 2013, p. 10). Peut-on en conclure que plus il y a d’investisseurs, plus les ressources des promoteurs immobiliers sont grandes ? Les promoteurs immobiliers répondent par la négative à cette question. Ils affirment faire des efforts pour s’adresser aux accédants à la propriété (primo et secundo accédants), et donc pour limiter le nombre d’investisseurs locatifs. Pourtant, il n’est pas évident de maintenir ou de créer une offre spécifique aux acquéreurs occupants, pour deux raisons principales.

Premièrement, les acquéreurs occupants sont généralement plus durs à convaincre car l'acte d'acheter une maison ou un appartement pour y habiter est une décision lourde, aux conséquences qui dépassent le seul plan financier. Ils sont donc plus regardants sur la qualité des biens et sur leur insertion dans leur environnement immédiat :

Je vais vous dire, je pense que jusqu'à juin 2011, c'est pas de la commercialisation qu'on faisait, c'est de la prise de commande, tellement la demande était forte. En fin d'année, quand on nous a annoncé que le Scellier allait disparaître, c'était de la prise de commande. Les commerciaux, ils allaient pas chercher le client. Euh... en revanche, à partir de maintenant le client il faut aller le chercher. […] C’est des clients qu’il va falloir accompagner. Donc la

commercialisation devient un des enjeux forts de notre profession depuis la 1er janvier 2012. (Promoteur immobilier,

entretien 10, 24/02/2012)

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En revanche, l’enveloppe moyenne des investisseurs est plus petite que celle des acquéreurs occupants (193 107 € contre 241 463 € en 2012) (source : CECIM, 2013, p. 10)

Le marché de l'utilisateur est plus compliqué, parce que lui il va venir voir où est l'école, où est le... comment je vis, quelle vue ? Il va être beaucoup plus exigeant. (Promoteur immobilier, entretien 3, 31/01/2012)

Deuxièmement, même si un promoteur immobilier arrive à baisser ses prix de sortie pour s’adresser à un primo-accédant, rien n’empêche un investisseur locatif d’acheter l’appartement et de bénéficier de l’aide à l’investissement locatif. Les promoteurs immobiliers, tout comme les collectivités, n’ont aucun droit de regard sur ce que fait un propriétaire de son bien. Rien n’interdit ce dernier à mettre son bien en location s’il le souhaite. En revanche, s’il touche des aides publiques pour cela, la collectivité peut décider d’imposer certaines conditions, comme des niveaux de loyers, de conforts, etc. (ce que l’Etat fait avec le dispositif Duflot par exemple).

Pourquoi les promoteurs immobiliers affirment-ils vouloir garder une clientèle d’acquéreurs occupants alors que ces derniers ne restent pas propriétaire des logements (contrairement aux bailleurs sociaux), que cette clientèle dépense généralement moins d’argent au mètre carré que les investisseurs (en particulier car ils achètent en moyenne des logements plus grands) et qu’elle est plus difficile à mobiliser ?

La réponse réside dans un aspect temporel. Les occupants constituent une ressource moins cyclique que les investisseurs :

La constante que l'on a relevé quand même, depuis plusieurs années, c'est le niveau des utilisateurs. Des achats fait

par des utilisateurs, il est presque stable.(Promoteur immobilier, entretien 3, 31/01/2012)

La stabilité des ventes aux acquéreurs occupants est confirmée par les chiffres, qui restent relativement stables d’une année sur l’autre (la chute des ventes suite à la crise financière de 2007 – 2008 est toutefois sensible), voire sont en légère augmentation même dans les périodes de tension sur les marchés, comme ce fut le cas en 2013 :

Figure 10 : Nombre et part de logements vendus à des acquéreurs occupants dans les logements collectifs neufs (source : Grand Lyon, Cecim)

Nous savons avec Erhard Friedberg que « dans un contexte peu structuré où la libre

interchangeabilité constitue la règle du jeu, celui qui est capable d’introduire une certaine stabilité dans ses interactions avec ses partenaires tirera un avantage d’autant plus considérable que cela ne

correspond pas à la règle du jeu majoritaire » (Friedberg, 1993, p. 132). Ceci explique pourquoi très

peu de promoteurs réalisent des opérations qui s’adressent exclusivement aux d'investisseurs locatifs (bien sûr, rien n'empêche non plus une personne d'acheter un logement conçu pour optimiser un avantage fiscale non pas pour le mettre en location mais pour y habiter). A l’inverse, quand un système est stabilisé et structuré, ceux qui sont en capacité de réintroduire de la concurrence, donc de rendre ses partenaires interchangeables, retrouvent du pouvoir. C’est le cas des investisseurs locatifs lorsqu’ils sont soutenus par des dispositifs qui permettent une grosse baisse d’impôt.

Notons que plusieurs promoteurs immobiliers rencontrés nous ont affirmé que bon nombre de leurs confrères se sont engouffrés dans l'opportunité offerte par le Scellier pour faire des logements qui optimisent à la fois le rendement locatif et son pouvoir défiscalisateur. Ils ont globalement critiqué ces pratiques qu’ils jugent court-termistes et aucun ne nous a affirmé lui-même pousser cette logique à l’extrême, comme s’il s’agissait d’une honte, ou de pratiques réservées à des promoteurs immobiliers bien particuliers, spécialisés dans l’investissement locatif, mais globalement peu présents dans l’agglomération lyonnaise. Patrice Vergriete avait constaté ce même discours très critique des promoteurs immobiliers traditionnels envers les promoteurs immobiliers défiscalisateurs (Vergriete, 2013, p 159).

Notons également qu’au sein de la clientèle d’acquéreurs-occupants, certains promoteurs immobiliers cherchent à maintenir une offre accessible aux primo-accédants. Là encore, ce marché est perçu comme peu sensible aux fluctuations conjoncturelles :

Pour moi, le primo-accédant sur les grandes villes, il faut qu'on soit en dessous de 3 400 euros du m². Là on cible les taux zéro, les couples qui travaillent avec enfants ou sans enfant, on arrive à les financer. Si on dépasse les 3 300, 3 400 €/m² on n'y arrive plus et là c'est de la revente, c'est plus du primo-accédant, et c'est de la clientèle entre guillemets haut de gamme, pas forcément mais c'est des gens qui gagnent 4 000 € et qui sont dans les 10 % de la population française. Donc on réduit vraiment notre cible de prospect et dès que le marché se retourne, à ce moment là, on ne vend plus rien, parce que ces gens là n'achètent pas, ils ont pas besoin de devenir propriétaire, et donc on réduit un volume... je dis une bêtise, si nous, on doit vendre 300 logements par an sur Lyon, si le marché se retourne et qu'on a que cette clientèle là, on va faire 50 ventes et on va se retrouver avec 250 logements sur les bras. (Promoteur immobilier, entretien 13, 07/06/2012)

Ce promoteur immobilier affirme également maintenir une offre sous les 2 400 €/m², pour s’adresser aux locataires en logement social48. Ces promoteurs agissent de la sorte car ils savent également que ces clients sont soutenus par l’Etat et par les collectivités locales. Les objectifs politiques souvent

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Notons que l’offre de logement neuf vendu sous 2 800 €/m² est passée de 34 % de la production dans le Grand Lyon en 2009 à 18 % en 2012, avant de remonter légèrement à 20 % en 2013. Malgré une légère baisse des prix qui s’amorce en 2013, les agents du Grand Lyon se demandent toutefois si cette offre à moins de 2 800 €/m² peut se maintenir, car elles se concentraient largement dans les zones de TVA réduite autour des secteurs de renouvellement urbain, dont le périmètre a été réduit en 2014.

répétés de soutien à la primo accession et les outils mis en place (différents types de « Prêt à taux zéro », Plan 3A dans le Grand Lyon) montrent qu’ils le resteront encore à court et moyen termes.

Sous forme d’aparté, notons que ce soutien à la primo-accession par l’autorité publique prend des formes différentes et est évoquée en des termes différents selon les périodes et les acteurs. Le terme « d’accession sociale à propriété » semble de moins en moins usité durant les années 2010, qui sont marquées par une focalisation (en tout cas aux niveaux de l’Etat et du Grand Lyon) sur l’offre (le prix auquel est vendu le logement) plutôt que sur la demande (le niveau de ressources du ménage qui occupe le logement). Ainsi, le PTZ (Prêt à taux zéro) a été recentré en 2012 sur le logement neuf, le Grand Lyon a mis en place en 2013 le plan 3A pour favoriser la construction de « logements abordables » (voir note de bas de page p. 62), tandis que l’ordonnance du 20 février 2014 établit le statut de « logement intermédiaire », qui désigne « des logements dont le loyer ou le prix sont

maîtrisés et qui sont destinés à être occupés par des ménages aux ressources moyennes »49

(Ministère du logement et de l’égalité des territoires, 2014).

Notons enfin que pour les promoteurs immobiliers, construire plus de logements « familiaux » a un autre avantage, évoqué par Grégory Gaume (Directeur de l’agence Rhône de Promogim) lors de la conférence annuelle d’Adéquation en 2011, celui de faire baisser les coûts de construction du fait qu’il y a moins de logements à réaliser, donc moins de stationnements également, comme nous le voyons dans l’exemple suivant (dans cet exemple, pour atteindre les 14 % d’économie, encore faut-il que le promoteur soit autorisé à réaliser 30 % de parkings en aérien) :

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Ce terme de « logement intermédiaire » est ambigu puisque dans les années 2000, notamment suite à la loi SRU et aux objectifs de limitation de l’artificialisation des sols, nombre d’architectes et d’urbanistes se sont mis à promouvoir le logement (ou l’habitat) dit « intermédiaire ». Dans ce cas, il désigne une forme intermédiaire d’habitat entre le logement collectif et le logement individuel, avec des logements superposés, mais disposant d’un accès individuel et d’un espace extérieur privatif (absence de parties communes telles qu’elles existent en copropriété). La zone UD du PLU du Grand Lyon vise à promouvoir ce type de développement, en étant « une

zone d’habitat mixte assurant une transition entre les quartiers centraux (UA, UB, UC) et les secteurs de plus faibles densités (UE et UV)» (règlement du PLU du Grand Lyon, consulté après révision simplifiée n°13, 2013).

Figure 11 : économies réalisées sur les coûts de construction en augmentant la surface moyenne des logements d'un programme (source, Adéquation, 2012, p. 31)

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