• Aucun résultat trouvé

Coûts de construction… et de déconstruction

E. La question des coûts globaux

4.1. Choix de localisation des opérations de logements neufs

Nous avons déjà évoqué le fait que les biens fonciers sont localisés et immobiles, ce qui signifie qu’ils sont non-fongibles. Deux logements ont beau être physiquement identiques en tout point, ils n’auront jamais exactement la même valeur d’usage et d’échange du fait de leur différence de distance à des services (culturels, commerciaux, de transport…), à leur exposition, à la vue qu’ils offrent, à la pollution visuelle et sonore auxquels ils sont exposés, etc. Dans tous les cas, ce n’est pas parce qu’un terrain est cher que les logements qui s’y trouvent sont chers. C’est parce que des acquéreurs sont

prêts à payer chers pour acquérir des logements à tel ou tel endroit que les prix des terrains y sont chers87 et que par conséquent, des promoteurs vont chercher à y localiser leurs opérations.

De plus, nous avons également déjà évoqué dans le premier chapitre le fait que la matérialisation des droits à bâtir est le moment-clef du processus de promotion immobilière. Il s’agit donc d’un préalable aux choix de localisation fait par les promoteurs :

Quand on chiffre le coût d'un terrain il faut savoir le coût de la démolition et de la dépollution, parce que ça fait parti du prix du foncier quelque part, parce que le prix de construction c'est autre chose, et le prix de vente, et la marge, on connaît tout ça. Donc l'aléa il est sur le foncier.

Donc on fait attention, mais ce qu'on regarde avant tout, c'est, est-ce qu'on peut faire notre métier ? Est-ce que c'est constructible ? Si c'est constructible, après on s'interroge. Si on a un doute, on travaille suffisamment en partenariat avec nos boites pour emmener un spécialiste de la pollution, un spécialiste de la démolition pour qu'il nous fasse la visite des locaux et un pré-chiffrage. Mais normalement on est capable de la faire. (Promoteur immobilier, entretien 9, 24/02/2012)

Sachant tout cela, où les promoteurs de logements localisent-ils leurs opérations ? Est-ce de la pure opportunité, selon les appels d'offre publics et les opportunités foncières qui leur arrivent (par des prospecteurs fonciers ou directement par un propriétaire vendeur), ou bien les promoteurs ont-ils des stratégies pré-programmées d'action dans l'agglomération ?

Les promoteurs immobiliers n’ont pas tous les mêmes capacités et les mêmes stratégies en matière de mobilisation de leur ressource foncière. Il apparaît que les promoteurs immobiliers, s’ils veulent accéder au foncier, ont peu d’autres choix que de s’aligner sur les prix de sorties pratiqués par les promoteurs que nous avons qualifiés de « financiers ». Toutefois, l’élément principal qui explique la capacité à construire en centre-ville ou en périphérie (ou en zones plus ou moins tendues) n’est pas le caractère « entrepreneur » ou « financier » du promoteur, mais surtout son niveau de trésorerie. En effet, le niveau de fonds propres investi dans une opération peut toujours constituer une ressource mobilisable pour compenser les autres contraintes, et notamment pour convaincre les propriétaires fonciers de céder leur parcelle :

Lorsqu'il y a des charges foncières qui se libèrent sur Lyon, ou qu'il y a des compromis qui peuvent se signer, et qu'il faut aligner plusieurs millions d'euros, les promoteurs nationaux sont forcément plus forts que les locaux. D'abord ils sont plus forts financièrement. Ensuite, ils ont un système de fonctionnement qui fait qu'ils sont obligés de sortir des programmes pour couvrir les charges fixes d'une structure importante, donc il est hors de question qu'ils passent à côté de programmes importants, donc ils savent mettre les moyens. Et ils ont l'avantage pour eux d'un nom. Quand vous êtes propriétaire foncier et que vous négociez avec Vinci, avec Bouygues, avec Kaufman, c'est pas pareil que si vous négociez avec des petits. Parce que... on n'a pas, dans l'esprit de vendeur de terrain... il se sent plus en sécurité avec le national qu'avec le régional, parce qu'il pense que le national va le payer. Or, si le national a envie de casser son compromis, il le cassera aussi bien qu'un régional. Voila pourquoi sur l'agglomération lyonnaise, les programmes sur Lyon intramuros sont quasiment tous trustés par les nationaux. Et c'est pas du tout une question, ni

87

Pour rappel, nous parlons ici d’immobilier, mais l’usage qui valorise le plus fortement un terrain peut également être agricole ou paysagé.

de PLU, ni de relation avec les élus, même si le patron, l'adjoint à l'urbanisme de Lyon connaît certainement mieux... euh... le patron de Kaufman et Broad et celui de Bouygues, que celui de chez untel ou de chez untel. (Banquier, entretien 2, 22/05/2012)

Les promoteurs immobiliers nationaux, de par l’ampleur de leur activité, sont souvent les mieux dotés financièrement. C’est pourquoi, comme l’avait constaté une étude de Stratis Conseil et de l’Agence d’urbanisme pour le développement de l’agglomération lyonnaise88, ce sont eux que l’on retrouve principalement dans la promotion immobilière privée dans le Grand Lyon89. Ils sont rapidement beaucoup moins présents dans les marchés des agglomérations périphériques (territoires des SCOT de Villefranche sur Saône et de Vienne) et parfois complètement absents des territoires du « rurbain » (nord Dauphiné, Dombes) :

Figure 25 : Parts de marché de la promotion immobilière par profils d'opérateurs et par territoires (source : Stratis conseil, Agence d'urbanisme de Lyon, 2007, p.19)

De plus, les prises de risque sur le foncier sont, pour les groupes nationaux, arbitrées à leur siège social, donc le plus souvent à Paris. Vues de la capitale, les opérations sur les communes de Lyon ou de Villeurbanne paraissent plus sûres commercialement qu’une opération dans une ville périurbaine comme Bourgoin-Jallieu ou Vienne, ou que dans des communes telles que Saint-Priest ou Vénissieux, encore considérées comme moyennement attractives. Une adresse centrale dans l’agglomération reste bien plus rassurante qu’une adresse à Vaulx-en-Velin.

88

Dans la suite du travail, nous évoquons cette entité sous le terme « d’Agence d’urbanisme de Lyon ».

89

Notons aussi que la production de logements sur la période 2004 – 2006 est réalisée à 62 % par des promoteurs immobiliers dans le SCOT de l’agglomération lyonnaise, alors qu’elle oscille entre 27 % (SCOT Haut-Rhône Dauphinois) et 49 % (SCOT Nord Isère) dans les autres SCOT. Le SCOT Sud-Loire (Saint-Etienne) se situe à 31 % et le SCOT des Rives du Rhône (Vienne) à 32 % (Stratis Conseil, Agence d’urbanisme de Lyon, 2007, p. 4)

Plusieurs promoteurs immobiliers rencontrés nous ont aussi présenté le fait d’intervenir préférentiellement en périphérie, non pas uniquement comme une contrainte financière, mais aussi comme un choix délibéré. Ils affirment alors désirer agir en « défricheur », en promoteurs qui ont les capacités de réaliser des programmes là où personne d’autre n’est encore allé. Ces promoteurs mettent alors en avant leur parfaite connaissance des contextes locaux. Toutefois, il est difficile de mesurer en quoi ces discours constituent également une façon de s’accommoder du fait d’être repoussés vers les marchés les moins tendus :

Int : J'ai mes habitudes. Le secteur de la côtière, c'est à dire Miribel euh... Saint Maurice de Beynost, Montluel, c'est un secteur où j'ai beaucoup travaillé, où j'ai réalisé presque 200 logements maintenant, donc euh... bon ben voilà, j'ai l'habitude. J'ai des secteurs qui me réussissent on va dire. (Promoteur immobilier, entretien 1, 23/01/2012)

C'est une société familiale et euh... qui a la volonté de rester une petite entité, une petite structure, d'accompagner ses produits d'un bout à l'autre, de se positionner sur des marchés euh... moins accessibles pour les autres : plus petites opérations, plus de distances, donc ça n'intéresse pas forcément les gros opérateurs. C'est une façon aussi de se différencier par rapport à la concurrence, d'avoir son propre positionnement. (Promoteur immobilier, entretien 3, 31/01/2012)

Pour un promoteur immobilier, implanter ses opérations principalement dans des communes où il y a peu de constructions neuves peut donc relever d’une politique interne. Cela ne signifie pas pour autant que les plus gros promoteurs immobiliers restent uniquement dans les communes centrales de l’agglomération. Avec l’augmentation des prix immobilier et les efforts réalisés par les collectivités locales pour améliorer le cadre de vie de communes de première couronne autrefois « hors-marché » pour la promotion immobilière, presque tous les promoteurs immobiliers ont fini par s’y intéresser :

On a investi l'est de l'agglomération, toute la profession. Y'a 5, 7 ans, 8 ans, y'avait pas un acteur qui voulait aller à Vaulx-en-Velin, et puis Vaulx-en-Velin aujourd'hui est devenu une commune où les gens n'ont plus aucune réserve pour aller, parce qu'il y a une mutation de la ville, une mutation de sa desserte, une mutation de son image. Aujourd'hui Vaulx-en-Velin est une ville dans laquelle on fait énormément d'activité, au même titre que Vénissieux. Vénissieux était une ville bannie il y a 10 ans. (Promoteur immobilier, entretien 5, 10/02/2012)

Quand la société est née, on était sur certains secteurs qui sont maintenant plus... mieux servis par des opérateurs récurrents. Mais on était sur des secteurs où une bonne partie des opérations se faisaient par un architecte local, une agence immobilière, un notaire qui mettait un peu tout ce monde d'accord. Ca se faisait euh... au bistrot du coin j'exagère un peu, mais pas bien loin, c'était fait par des opérateurs occasionnels qui, sentant qu'il y a une demande, se lançaient pour faire une opération. C'est plus difficile aujourd'hui de s'improviser comme ça, il y a de plus en plus d'opérateurs euh... réguliers, récurrents, qui s'intéressent à des secteurs éloignés du centre-ville. Mais y'a 20 ans, c'était quasiment pas le cas. (Promoteur immobilier, entretien 3, 31/01/2012)

Toutefois, notons que si l’activité des promoteurs immobiliers privés s’est étendue, dans les années 2000, à des communes de première couronne (Vaulx-en-Velin, Vénissieux, Saint-Fons, etc.), les

promoteurs rencontrés ont quasiment tous tenus à préciser que les frontières administratives du Grand Lyon constituent des limites importantes, que beaucoup ne franchissent pas :

On a un territoire qui s'arrête, entre guillemets, à l'est lyonnais. (Promoteur immobilier, entretien 11, 27/02/2012)

Clairement, moi ma volonté c'est le Grand Lyon. Pourquoi ? Parce que je considère c'est ici que se trouve le marché. Ca veut pas dire que c'est le seul marché, bien sûr qu'il y a des marchés périphériques. Mais c'est le seul marché dans lequel je pense pouvoir défendre mes valeurs principales. Notamment la valeur principale qui est la localisation du projet qui doit être une localisation pertinente par rapport aux besoins de la population. Aujourd'hui je pense qu'il est incontournable d'être à côté des transports en commun... euh... voilà, je pense qu'il faut être très vigilant à ça. C'est plus simple de la développer dans l'agglomération. [...] On a été très présent à Lyon et Villeurbanne, qui représentent à peu près 70 % de notre activité. Donc on a une très forte activité, que j'appelle intramuros ou on peut appeler ça de la ville-centre euh... on a une très forte parce que, on l'a vu aussi en 2008 quand ça a été très difficile, les gens ont envie d'habiter en ville, les gens ont envie d'habiter en centre-ville euh... la plupart du temps. Parfois ils ne le font pas faute de moyens.

Le cœur du marché, moi je pense qu'il sera toujours là. Donc, je préfère éviter les marchés de report. Parce qu'un marché de report il existe tant que ça surchauffe au cœur du marché mais quand ça se calme au cœur du marché, le marché de report n'existe plus. (Promoteur immobilier, entretien 6, 16/02/2012)

Ainsi, les promoteurs immobiliers intègrent les limites du Grand Lyon comme une réelle frontière pour leur activité. La plupart évoquent l'extérieur du Grand Lyon non plus comme le marché lyonnais, ni même comme un marché de report de la commune-centre vers les communes périphériques (comme c’est le cas dans les communes de première couronne comme Vaulx-en-Velin, Rillieux-la-Pape, Vénissieux, etc.), mais comme des marchés aux logiques différentes, des territoires aux logiques économiques qui leur sont donc en partie inconnues :

Int : On essaye d'intervenir le plus possible dans le centre de Lyon, mais c'est de plus en plus difficile de trouver des terrains... euh... et donc euh... on va dans le Grand Lyon de plus en plus oui.

RM : Vous sortez du Grand Lyon ? Vous allez jusqu'à Bourgoin, Villefranche... ?

Int : Non non non, ça on ne sait pas faire, on change de marchés. J'ai vu pas mal de mes confrères mourir d'avoir fait ça à un moment et puis d'être pris dans une crise. (Promoteur immobilier, entretien 7, 17/02/2012)

Sur ces marchés périphériques, on trouve effectivement beaucoup plus de régionaux, comme à Villefranche, qu'à Lyon. Lyon je suis pas sûr qu'il y ait beaucoup de Bouygues, Nexity, Kaufman, qui aillent se développer à Villefranche maintenant. A Saint-Etienne, ils sont complètement partis. A Saint-Etienne, y'a eu une période d'euphorie, en se disant, c'est un marché de report, tous les lyonnais vont aller habiter à Saint-Etienne, c'est pas aussi simple ! C'est pas aussi simple. (Expert / observateur, entretien 1, 17/10/2012)

Certains pôles secondaires, périphériques au Grand Lyon ont donc pu apparaître comme attractifs pendant une certaine période. Ce fut particulièrement le cas de Villefranche-sur-Saône et de Saint-Etienne. Toutefois, comme l’a montré Patrice Vergriete dans sa thèse, ces villes ont connu une certaine euphorie de construction grâce à leur classement dans des zones intéressantes pour

bénéficier d’une importante défiscalisation (particulièrement lors du « Périssol » et lors du « Robien »). Cette augmentation de la demande dans ces bassins d’emplois secondaires (par rapport au pôle lyonnais) est subvenue dans une période qui a correspondu à la hausse généralisée des prix immobiliers. Elle a donc pu apparaître comme la preuve d’une extension du marché lyonnais aux autres agglomérations alentours, facilement accessibles en transports en commun et par la route. Or, comme l’a démontré Vergriete, cette demande correspondait à un « fiscal timing », afin de profiter d’une politique de défiscalisation particulièrement intéressante.

Outline

Documents relatifs