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La conception des logements neufs

A. La capacité à revoir un programme en cours de route

Lorsqu’il devient difficile de mobiliser leur ressource clientèle, est-il aisé pour un promoteur immobilier de prendre la décision de ne pas réaliser une opération pour laquelle il apparaît compliqué de mobiliser assez d’acquéreurs ? Les promoteurs immobiliers ont tendance à ralentir très rapidement le nombre d’opérations qu’ils réalisent lors des périodes où la ressource clientèle devient difficilement mobilisable. Ce comportement est facilité grâce au principe de la VEFA (Vente en état futur d’achèvement). Nous avons déjà évoqué le fait qu’il n’est pas toujours évident pour un promoteur immobilier d’anticiper les aspirations et surtout les moyens financiers de sa clientèle à l’échéance de la fin des opérations. Il se peut donc que les ventes sur plan, donc la pré-commercialisation, se passent mal. Si c’est le cas, le promoteur immobilier peut alors décider de ne pas réaliser l’opération. Si la commercialisation est plus largement engagée, il peut aussi décider de modifier l’opération afin de mieux faire correspondre l’opération aux aspirations et aux moyens financiers de ses clients :

Oui, adapter un projet, c'est une intelligence ordinaire. Et c'est encore plus vrai quand on a une opération qu'on réalise en deux phases. Lors de la deuxième phase, on fait une répartition qui est conforme à la demande qu'on a réellement constatée dans le bureau de vente lors de la première phase. [...] On constate parfois une demande qu'on n'avait même pas identifiée, c'est à dire une typologie de produits qui n'était même pas réalisée, ben on se met à la réaliser, ou une typologie qui vraiment ne rencontre pas ses clients. Ca veut dire qu'il ne faut pas reproduire ça, qu'il faut trouver autre chose. (Promoteur immobilier, entretien 3, 31/01/2012)

Int : Il n'est pas rare que, en cours de programme, on re-divise les appartements ou on en rassemble pour les remettre dans une configuration adaptée à la clientèle qui a changée ou qui n'était pas intéressée par le programme mais le devient parce que tout à coup il y a une loi ou quelque chose qui leur permet d'être plus intéressée sur l'achat immobilier.

RM : Ca arrive régulièrement d'avoir à revoir la typologie des logements ?

Int : Oui oui, tout à fait. Enfin... régulièrement, je dirais pas régulièrement, mais on est attentif à ça, notamment en fin d'opérations, où on se pose la question, de se dire : voilà, est-ce qu'on continue à les vendre alors que ça fait un an qu'on les a toujours pas vendu ? Est-ce qu'on les revoit, on les rechange ? Ou on les change pas mais on baisse les prix ? (Promoteur immobilier, entretien 11, 27/02/2012)

Les promoteurs immobiliers ont donc globalement les capacités de revoir la typologie des logements qu’ils vendent, même lorsque l’opération est lancée. Toutefois, il est bien entendu beaucoup plus aisé d’agir ainsi lorsque le promoteur est seulement en phase de pré-commercialisation, donc quand la construction n’a pas encore débutée (et que tous les marchés travaux ne sont pas encore passés ou peuvent encore être modifiés) :

J'ai jamais modifié un programme en cours de route, parce que si vous voulez moi j'ai un spectre large. Donc c'est à dire que je vais jamais faire un immeuble, studios, T1, T2. Et je vais jamais faire non plus un immeuble T4, T5. Je ferai jamais ça. Je ferai toujours un immeuble mixte, où j'aurai euh... en moyenne, T2, T3, T4. Donc je veux viser le... on va dire le centre de la demande moyenne et euh... quand on me demande un T5, je peux éventuellement rajouter... abouter deux appartements. Par contre, si je le sais après commercialisation, si c'est en cours de route c'est quasiment impossible. (Promoteur immobilier, entretien 1, 23/01/2012)

Un autre élément majeur et déterminant de la possibilité ou non de modifier une opération en cours de route est l’obtention du permis de construire purgé de tous recours :

Après sur des échecs de commercialisation, on peut être amené à redéfinir le projet, souvent effectivement dans des volumétries équivalentes parce qu'on veut pas prendre de risque supplémentaire par rapport au permis de construire. Euh... je l'ai pas trop... je l'ai pas trop vécu. (Promoteur immobilier, entretien 6, 16/02/2012)

Ainsi, avec les deux extraits précédents, nous retrouvons les deux éléments ressources clefs pour un promoteur immobilier. Il s’agit pour lui de maîtriser au mieux, d’une part l’évolution des attentes de la clientèle et les moyens financiers dont elle dispose, d’autre part le niveau effectif des droits à bâtir.

Lorsque la commercialisation d’une opération immobilière se passe vraiment mal (en phase de pré-commercialisation), ce n’est parfois pas une simple adaptation de la typologie des logements qui changera les choses. Le promoteur cherche alors à baisser ses prix de sortie en tentant de baisser son prix de revient global d’opération. Pour cela, il commence par chercher à renégocier le prix d’achat du foncier :

La programmation, elle change pas tellement. En 200858, on s'est posé la question de... parfois, quand vous achetez

[un terrain]... que vous pensez vendre à 3 500 €... le marché s'effondre, et puis vous faites des études et vous savez que pour vendre il faut être à 2 800, voire 3 000 euros maximum, bah votre bilan, si vous regardez, vous perdez de l'argent. Donc euh... parfois il faut savoir faire le pour et le contre.

Soit on va voir les propriétaires, on leur dit, bah voilà, aujourd'hui faut qu'on renégocie le terrain.

Soit, si on est sous promesse, on peut leur dire, bah voilà promesse de vente, on peut sortir de la promesse si on vous laisse une indemnité d'immobilisation. Donc euh... on a cette possibilité là. Nous on l'a jamais fait. On a toujours renégocié dans le but de pouvoir sortir les opérations. Mais certains abandonnent les opérations en laissant l'indemnité d'immobilisation. (Promoteur immobilier, entretien 12, 21/03/2012)

Tant que le promoteur immobilier est sous conditions suspensives de vente avec le propriétaire foncier (donc en phase de pré-commercialisation des logements et d’instruction du permis de construire), nous voyons qu’en cas de mévente d’un programme, la renégociation des prix d’achat du foncier apparaît comme la solution de dernier recours pour réussir à lancer l’opération. Si le promoteur n’y arrive pas, il se retire alors de l’opération. Nous retrouverons, en deuxième partie de thèse, un comportement similaire des promoteurs immobiliers en cas d’obtention de droits à bâtir inférieurs à ce qu’espère initialement le promoteur (voir en particulier le chapitre 8).

Lorsque la construction est lancée, donc que le promoteur immobilier ne peut ni revenir sur la composition typologique de son opération, ni sur l’achat du foncier, le promoteur risque de se retrouver avec des « queues de programme » invendues. Dans ce cas, d’autres techniques peuvent être mobilisées pour que les programmes ne soient pas totalement « plantés » en pleine construction, comme nous l’a évoqué ce banquier en évoquant la crise financière et le début de crise immobilière de 2008 :

Y'a eu déjà à cette époque [lors de la crise de 2008]… y’a une faculté d'anticipation, de maturité, encore une fois c'est un mot que j'aime bien parce que ça montre que ce marché là il... il est responsable. Et ils sont venus nous voir en disant, de toutes façons, aujourd'hui, y'a deux solutions. Soit on fait comme Kaufman et Broad, on met la Mercedes classe A dans le garage, vous vous en souvenez peut-être... euh... c'est à dire que vous achetez un appart' et on vous offre la Mercedes classe A dans le garage. Et on continue sur cette voie là, et on vend à perte. Et un certain nombre de locaux nous ont dit, nous on n'a pas envie de vendre à perte donc on veut, on va prendre en patrimoine les logements restants, invendus. On les mettra en location, car par chance on avait un marché locatif qui est resté très tendu, donc actif, et on les revendra quand le marché sera revenu à meilleur... Et donc, on avait à plusieurs reprises, avec plusieurs promoteurs, envisagés de faire des foncières dans lequel ils amenaient entre 30 et 40 % de fonds propres, et nous on prêtait le reste, pour qu'ils prennent en patrimoine les appartements invendus.

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Dans aucun cas on a mis ce système en place puisque derrière y'a eu Scellier, et que Scellier a permis d'écouler tout le stock. Mais ça veut dire que les gens avaient pris la précaution de venir pour pas qu'on se retrouve dans un système à l'espagnol où tout est construit et puis ça reste là. (Banquier, entretien 2, 22/05/2012)

Ainsi, les promoteurs immobiliers peuvent garder les logements invendus en patrimoine, temporairement, le temps de laisser passer une crise économique, ou dans une optique d’investissement : « nombre de promoteurs forment ou complètent leur patrimoine personnel à partir

des invendus des programmes qu’ils initient. Dans la majorité des cas, les biens concernés sont des maisons témoins, des appartements en rez-de-chaussée d’immeuble ou des locaux commerciaux en pas de- porte. Ils se rachètent via des SCI ces biens « marginalisés », au regard de leur situation et d’une faible demande, et les louent afin de récupérer une partie de la marge commerciale perdue dans l’opération et des frais budgétisés ab initio. » (Ruz, 2005, p. 239). Cette pratique nous semble

toutefois moins répandue que Sébastien Ruz ne le laisse à penser. Les promoteurs immobiliers rencontrés ont surtout tenu à dire que leur principale crainte est celle de se retrouver avec des logements invendus en fin de programme et qu’ils ne souhaitent pas les garder en gestion afin de ne pas générer de frais de portage et de gestion.

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