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Les banques, comme n’importe quel autre acteur du système du logement neuf, utilisent leurs ressources de la manière qui leur paraît la plus pertinente pour atteindre leurs objectifs. Ces objectifs sont largement dictés par des logiques financières, c'est-à-dire par des rentabilités minimales à atteindre sur chaque euro investi. Pour cela, elles adoptent des stratégies plus ou moins risquées.

Les banques ont la possibilité de fournir plus ou moins de crédits à leurs clients, c'est-à-dire de fabriquer plus ou moins d’argent. Pour limiter le risque de voir la quantité d’argent en circulation démesurément plus élevée que ce que les acteurs financiers sont en capacité d’assurer, les banques elles-mêmes, les Etats et/ou les Banques centrales (selon que ces dernières soient indépendantes ou non du pouvoir politique), peuvent tenter de limiter la quantité de crédits bancaires en circulation de trois manières. Premièrement, ils peuvent encadrer règlementairement le crédit (ce qui n’est plus le cas en France depuis 1985). Deuxièmement, ils peuvent faire varier le montant de réserves obligatoires que les banques sont tenues d’effectuer auprès de la Banque centrale, qui se calcule en proportion de l’importance de leur activité. Enfin, ils peuvent faire varier le taux monétaire, ce qui influe sur le coût du crédit, donc, normalement, augmente ou diminue la demande en crédits (Clerc, 2007, p 156-157).

Avec la crise financière démarrée en 2007, les banques, au niveau mondial, ont montré leur quasi-incapacité à limiter d’elles-mêmes leurs prises de risque financier (nous avons vu qu’en France ce ne fut pas le cas en matière de financement de la promotion immobilière, ce qui ne veut pas dire qu’elles ont eu le même comportement dans tous les domaines d’investissements). Les accords de Bâle 3 ont alors eu pour objectif de renforcer les règles prudentielles en augmentant et en redéfinissant le ratio entre les liquidités disponibles et l’argent prêté ou investi dans des activités spéculatives. Ils ont débouché en juin 2013 sur la directive européenne dite « CRD IV »75, appliquée dans la législation française par l’ordonnance n° 2014-158 du 20 févrie r 2014. Ces règles soumettent les établissements bancaires à une exigence supplémentaire en termes de fonds propres « durs » (les plus mobilisables », qui doivent passer de 2 % à 7 %, avec des modalités de calculs redéfinis) et de ratio de liquidité qui vise à permettre aux banques de mieux résister aux crises financières.

Nous n’entrerons pas ici dans les débats sur les effets macroéconomiques de ces accords, sur l’influence ou non de la monnaie dans les relations sociales, ou encore sur le pouvoir conféré aux banques du fait de leur capacité à créer de la monnaie. Nous constatons simplement que l’ensemble des banquiers et plusieurs promoteurs immobiliers rencontrés ont tenu à nous signaler que les

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Directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE.

accords internationaux de Bâle 3 obligent les banques à revoir leur politique d’octroi des crédits aux particuliers et aux entreprises, ce qui s’est traduit par un resserrement du crédit76 :

Il fut un temps où les banques demandaient un taux de précommercialisation de 30%, vous avez vendu un tiers, je

vous finance. Compte-tenu des difficultés du marché, des anxiétés sur l'environnement économique... tout ce qu'on connaît par cœur, on entend ça tous les jours.... les taux de précommercialisation sont montés dans l'ensemble de la

pré-commercialisation à 40% il y a à peu près 9 mois, il est maintenant assez régulièrement de 50 %. Certains

acteurs nationaux, comme nous par exemple, avons des accords avec les banques, qui... euh... n'imposent pas des taux de pré-commercialisation forts, et on continue à fonctionner avec des taux de pré-commercialisation de l'ordre

de 40%. Certains acteurs régionaux, plus petits, des acteurs indépendants, des gens que les banques ne

ressentent pas comme des structures solides financièrement, peuvent imposer des taux de pré-commercialisation

bien plus importants. Un confrère me disait qu'on lui avait demandé 65%. Un autre, on lui a demandé de mettre une

masse de fonds propres beaucoup plus importante. Il pensait mettre 1 million de fonds propres dans l'opération, on lui en a demandé 2, parce que les banques veulent limiter le risque. (Promoteur immobilier, entretien 5, 10/02/2012)

L’offre et la demande de capitaux et de monnaies, donc l’état des marchés monétaires et interbancaires, est un des éléments régulateur des dynamiques de promotion, à la fois parce qu’ils sont liés aux rendements relatifs des différents placements (donc au choix de placer son argent dans l’immobilier, le foncier ou sur d’autres marchés tels que les marchés d’actions ou et les marchés obligataires) et surtout car ils influent sur les taux d’emprunt. Ces derniers jouent sur la capacité des promoteurs de logements à mobiliser la ressource financière nécessaire au financement des opérations.

Toutefois, il apparaît difficile, en se basant uniquement sur le ressenti des acteurs concernés, de mesurer le changement de comportement des banques et de voir s’il y a eu une réelle contraction des crédits accordés aux promoteurs immobiliers. Quoi qu’il en soit, nous avons vu qu’avant la crise financière de 2008, les banques considéraient déjà le secteur du financement de la promotion immobilière comme « à risque » et que, même durant la période du « boom immobilier » des années 2000, les banques n’avaient pas particulièrement changé cette politique. Quant aux crédits aux particuliers, la crise financière démarrée en 2007 a bien mis en avant les pratiques souvent risquées des banques. Ce fut particulièrement vrai aux Etats-Unis où, pour rappel, la « crise économique » dans laquelle la France est plongée depuis 2008 trouve son origine. C’est en effet dans ce pays qu’une hausse des taux d’intérêts engendra des défauts de paiement en cascade des « subprime

mortgages loans ». Ces derniers sont, aux Etats-Unis, des crédits hypothécaires délivrés par les

banques à des emprunteurs particuliers peu solvables (en comparaison des emprunteurs jugés fiables, bénéficiant des conditions d’emprunt dites prime). Les prêts subprime étaient individuellement risqués, mais perçus comme globalement sûrs par les créanciers. Toutefois, cette perception reposait, d’une part, sur l’augmentation des prix immobiliers qui donnait l’illusion d’une garantie suffisante pour rembourser le prêt en cas de saisie du bien hypothéqué, d’autre part, sur leur titrisation. Cette pratique

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Ce qui est précisément le but recherché par ces accords, afin de limiter la quantité d’argent en circulation, donc le risque de développement de « bulles financières ».

consiste à transformer les créances en titres négociables puis à les vendre à d’autres investisseurs, notamment d’autres banques. Au niveau microéconomique, la titrisation « dilue » le risque entre de multiples établissements financiers, mais elle augmente aussi le risque d’une crise globale de refinancement en cas de crise financière majeure, plus personne ne voulant alors acheter ces actifs dits « toxiques ».

Si les banques françaises ont été touchées par la crise des subprimes, elles n’ont en revanche pas multiplié la quantité de crédits immobiliers distribués aux particuliers durant les années 2000 (comme ce fut le cas aux Etats-Unis). Cette situation s’explique par le fait qu’en France, un peu plus de la moitié des crédits sont garantis non pas par une hypothèque, mais par un autre organisme financier qui se porte caution (banque, assurance…). La caution y est une alternative à l’hypothèque. Aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni des mécanismes d’assurance existent bien, mais ils complètent l’hypothèque, ils ne s’y substituent pas. Tous les prêts immobiliers y sont donc, à proprement parlé, des mortgage loans (prêts hypothécaires), ce qui n’est pas le cas en France. Pour ces raisons, lorsque les banques françaises étudient un dossier de demande de crédits, elles restent plus attachées aux revenus des ménages et à leur apport initial plutôt qu’à l’état haussier ou baissier des marchés immobiliers. En revanche, cela ne les empêche en rien d’acheter des actifs titrisés adossés à des crédits hypothécaires subprime.

Signalons également que les taux d’intérêts aux particuliers influent aussi sur l’activité des promoteurs immobiliers car ils modifient les enveloppes financières des acheteurs et ont aussi un impact psychologique important. La presse généraliste est fort encline à relayer toute baisse de taux d’emprunt immobilier, voyant cela comme le signe que « oui, il est vraiment temps d’acheter » :

« Taux bas à Toulouse : c’est le moment d’acheter » (La Dépêche du midi, 21/09/2011), « Les taux d’intérêt sont historiquement bas : ça profite aux acheteurs » (La Voix du Nord, 29/06/2013), « Immobilier, c’est le moment d’acheter. Rien ne sert d’attendre une baisse des prix, une hausse des taux d’intérêt se profile » (site internet d’Europe 1, publié le 30/01/2014). Ainsi, chaque évolutions des

taux d’intérêt et des conditions d’emprunt aux particuliers sont ressenties par les promoteurs immobiliers. Elles facilitent ou contraignent la mobilisation de leur ressource clientèle :

Nous travaillons toujours comme avant [avec les banques] pour financer nos opérations. Y'a pas de demandes spécifiques aujourd'hui, particulières, de la part de nos banquiers.

En revanche, on sent depuis quelques mois, au niveau du crédit acquisition pour nos clients, que c'est beaucoup plus dur. On a des refus de prêts pour nos clients et surtout les banques, elles ne le demandaient pas avant, demandent des fonds propres à nos clients qui, selon leurs niveaux de rémunération, peut monter jusqu'à 30 %. (Promoteur immobilier, entretien 10, 24/02/2012)

Ainsi, pour ce promoteur immobilier, le resserrement du crédit se fait surtout sentir pour les acquéreurs plus que pour les promoteurs immobiliers, pour lesquels les banques avaient déjà des politiques très prudentes avant la crise financière de 2008.

D. Le financement des opérations de logements sociaux

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