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L’importance de la fiscalité foncière

B. Constituer des réserves foncières pour limiter l’incertitude ?

Nous venons de voir que l’accès à la ressource foncière est à l’origine d’une forte concurrence entre les promoteurs. Elle peut se traduire par des surenchères en termes d’offre financière faite aux propriétaires fonciers. Pour limiter celles-ci, les promoteurs essaient de tisser des relations de confiance sur la longue durée avec les propriétaires afin que ces derniers ne cèdent leur parcelle à personne d’autres. Toutefois, une solution pour limiter beaucoup plus radicalement la concurrence serait, pour un promoteur de logements, d’avoir en quelque sorte à traiter en interne, avec soi-même, pour avoir accès au foncier. Autrement dit, les promoteurs de logements, afin de ne pas se lancer dans une course à la surenchère pour l’achat du foncier, achètent-ils des terrains pour les garder en stock en vue de développements futurs ? Constituent-ils ce que les professionnels nomment de la réserve foncière ? Une telle pratique peut a priori paraître intéressante :

- lors des périodes de hausse des prix, afin d’acheter le foncier avant que son prix n’augmente ; - lors des périodes de baisse des prix immobiliers, où l’achat de foncier est rendu compliqué car

les propriétaires préfèrent généralement attendre une hypothétique remontée des prix plutôt que vendre moins cher qu’ils n’auraient pu le faire six mois ou un an plus tôt. Pour les promoteurs, cela peut donc permettre de continuer d’avoir une activité de construction malgré un marché foncier atone.

Précisons que dans ce chapitre, nous n’évoquons pas la question des réserves foncières constituées par l’Etat, par les collectivités territoriales et par les organismes publics dédiés à cela tels les Etablissements publics fonciers (EPF). Nous y reviendrons dans le chapitre 6.

Du point de vue du promoteur immobilier, la notion de réserve foncière est définie comme suit :

Faire de la réserve foncière, ça veut dire qu'on achète des terrains sans condition suspensive et on décide de les porter. (Promoteur immobilier, entretien 12, 21/03/2012)

On n'en est pas encore à acheter cash des terrains et se dire, bon bah je vais faire le pari. Certains le font, en général ceux qui le font sont rarement... y'a toujours des exceptions puisque c'est ce qu'à fait [un promoteur] sur [une opération], mais dans les groupes c'est pas trop la culture. D'abord les banques détestent ça depuis la crise des années 1990, parce que c'est trop risqué… Donc nous, on essaye justement de trouver le juste milieu entre la

capacité à développer des projets et les risques. Moi je veux bien prendre le risque d'études, ça je peux le faire. Prendre des risques fonciers sur plusieurs hectares… (silence) (Promoteur immobilier, entretien 6, 16/02/2012)

Ce promoteur immobilier accepte de prendre le risque d’études mais pas le risque foncier. C'est-à-dire qu’il accepte de prendre en charge l’incertitude qui existe autour de la mobilisation des ressources clientèle, construction et financière. En revanche, tant qu’il n’est pas sûr qu’il maîtrise bien ces trois ressources, il n’achète pas le foncier. Il accepte seulement d’être en promesse de vente avec le propriétaire. Notons qu’avec ce point de vue de la promotion immobilière, la définition de « réserve foncière » est différente de celle qu’en donne le Grand Lyon :

La réserve foncière, tout le monde n'a pas la même définition. Nous au foncier on a une qui est très simple, la réserve foncière, on sait pas ce qu'on va faire sur le bien qu'on va acheter. Autrement, c'est pas de la réserve foncière. C'est de la réserve foncière opérationnelle, mais c'est pas de la vraie réserve foncière. (Agent public territorial, Grand Lyon, entretien 1, 30/01/2013)

Nous avons évoqué dans le chapitre 2 le fait que les entreprises de promotion immobilière sont généralement peu capitalisées. Les fonds propres dont elles disposent sont en permanence investis dans des opérations. Or, constituer des réserves foncières implique des coûts de portage et surtout immobilise de l’argent. Cela a pour conséquences, soit de limiter le nombre d’opérations réalisées par an, soit d’obliger à une augmentation de capital de l’entreprise afin de retrouver des liquidités disponibles. Presque la totalité des promoteurs immobiliers préfèrent se concentrer sur leur cœur de métier, c'est-à-dire faire travailler leur argent dans des opérations de promotion immobilière. Avoir des réserves foncières reviendrait à constituer un patrimoine à entretenir physiquement mais surtout, à gérer financièrement (faire le choix de le mettre en location, de le revendre ou de le développer). Le promoteur n’est alors plus seulement un producteur de logements mais aussi un gestionnaire de patrimoine. Cela constitue donc un pas vers l’activité d’investisseur, ce que la profession ne souhaite pas.

RM : Vous connaissez des promoteurs immobiliers ou des bailleurs sociaux qui font de la réserve foncière ? Int : Ils ne font pas de réserve foncière. Ca n'existe plus la réserve foncière.

RM : Donc il y en a peu, ou pas, qui prennent position sur... Int : Si, ils prennent tous positions

RM : Mais le terrain reste la propriété du propriétaire ?

Int : Évidemment ! Il n'y a pas un centime qui est mis. […] Dans une société de promotion, il n'y a pas de capitaux, c'est essentiellement de l'emprunt. Personne ne vous finance un terrain s'il n'est pas constructible pour faire bref. Donc on peut tout à fait anticiper la constructibilité d'un terrain dans le cadre d'un contrat, et qui va faire que si la condition suspensive de modification du PLU n'est pas intervenue, vous n'allez pas acheter ce terrain, et forcément… Donc si vous me dites, est-ce qu'il y a des gens qui prennent le risque d'acheter des terrains à bas prix en pensant, en spéculant, pour le futur, la réponse est non. Sauf... sauf des promoteurs qui sont en même temps des investisseurs et qui travaillent en même temps sur le très long terme et qui investissent, mais c'est plus de la promotion au sens classique. Il faut une capacité d'investir. C'est comme... vous vous dites, ces terrains sont

inconstructibles pour le moment, dans 5 ou 6 ans ils le seront, j'ai les moyens d'attendre, je vais le faire. Ca c'est pas une société de promotion qui va faire ça. (Notaire, entretien 4, 31/10/2012)

RM : Vous arrive-t-il de constituer des réserves foncières ?

Int : C'est une... aujourd'hui, l'objectif principal, c'est de faire des opérations et de les vendre, ce n'est pas de faire des réserves foncières, ou de faire des paris sur l'argent puisque finalement c'est un peu ça. Donc pour l'instant non, ce n'est pas exclu, mais euh... (Promoteur immobilier, entretien 3, 31/01/2012)

RM : Cela vous arrive de constituer des réserves foncières ?

Int : Non... non non... Certains autres le font, mais nous on ne le fait pas. C'est à dire qu'aujourd'hui on achète les opérations qu'une fois les autorisations d'urbanisme validées et définitives pour faire des opérations. Nous on n'a pas vocation à acheter en disant, bah voilà, ça c'est pas constructible aujourd'hui ou peu constructible, on l'achète et puis on verra plus tard. Parce que si chaque filiale faisait ça, y'a un moment donné où ça ferait beaucoup d'argent dehors. Et puis on a des banquiers qui ne sont pas là pour financer de la réserve foncière mais qui sont là pour financer des opérations leur permettant de récupérer rapidement leur argent. Il faut qu'il revienne vite chez le banquier, pour qu'on n'ait pas trop de choses à lui demander non plus. Parce que, s'ils nous suivent souvent les banquiers, c'est justement parce qu'on est capables de leur rendre rapidement et de générer tout de suite de la marge. (Promoteur immobilier, entretien 11, 27/02/2012)

On ne fait jamais de réserve foncière. C'est-à-dire qu’on achète pour faire. (Promoteur immobilier, entretien 13, 07/06/2012)

RM : Pour maintenir une activité constante, est-ce que c'est dans la pratique du groupe de faire des réserves foncières ?

Int : Absolument pas ! Ca c'est une très bonne question. Alors là, j'allais dire, malheureusement non. Alors ça, c'est une question de stratégie d'entreprise. […] Non, nous ils ont... alors, je sais que dans le nord ils l'ont un petit fait parce que c'est le marché qu'ils connaissent le mieux. […] Nous on n'en fait pas, parce qu'on n'a pas le droit, notre groupe nous interdit d'en faire. Donc voilà, ça règle la question. Donc nous quand on achète, qu'on vend un foncier, on dépose un permis, on valorise immédiatement le foncier. (Promoteur immobilier, entretien 14, 08/10/2012)

RM : Est-ce que vous connaissez des promoteurs qui font de la réserve foncière ?

Int : Il y a des gens... ceux-là sont... Il y a des forcenés, et ceux-là ils sont très très forts... Nous on avait racheté un petit promoteur euh... Quand [on] s'est installés à Lyon, en gros [on] a racheté plusieurs petits promoteurs. Et un d'entre eux était incroyable. C'était un indépendant et ce type là, il achetait des terrains pas très... pas du tout commercialisable en l'état, avec par exemple plein de copropriétaires, plein de vendeurs différents, avec des contraintes d'urbanisme à lever, des... Et le type il prenait trois ans, quatre ans à lever tous les lièvres, mais après, au bout de cinq ans, il avait acheté son terrain dix fois moins cher que les autres et là, il faisait une opération fantastique.

RM : Mais ça, c'est pas très courant dans le monde de la promotion immobilière ? Int : Bah non, parce que ça immobilise vos fonds propres.

Int : L'argent ne tourne pas et vous n'avez pas votre rentabilité de 25 % attendue, donc c'est pas possible pour un grand groupe... en tout cas pour celui que je connais. C'est une opération financière quasiment. (Promoteur immobilier, entretien 15, 23/07/2013)

Comme nous le voyons dans l’extrait précédent, il existe donc des exceptions. Toutefois, elles sont rares dans l’agglomération lyonnaise et, dans le même temps, elles sont bien connues (plusieurs promoteurs immobiliers ont évoqué un même confrère qui est également gros propriétaire foncier). Les promoteurs immobiliers qui nous ont dit faire des réserves foncières sont quasi-exclusivement des promoteurs locaux :

Int : Notre particularité provient d'un effort que nous avons fait, dans la société qui existe depuis [des décennies], d'un effort que nous avons fait de laisser l'argent dans l'entreprise et de s'en servir pour acheter des terrains. Le promoteur traditionnel, qui est un prestataire de service, distribue tous les ans la quasi-totalité de ses résultats tous les 1er janvier de chaque année…. Voilà, ça vaut pas grand chose un promoteur. Nous, nous avons abordé le métier comme des industriels, et nous avons donc conservé le résultat de la société dans la structure sociale. Ce qui nous a permis dans le temps, de commencer à acheter des terrains, et nous avons donc un stock foncier qui nous permet d'avoir une visibilité qui est beaucoup plus longue, et qui nous permet entre temps de nous consacrer à des opérations longues aussi. Donc on a peu à peu agrandi notre champ de vision au fil du temps.

RM : Est-ce que ce stock foncier peut être assimilé comme des fonds propres aussi, qui garantissent les opérations ?

Int : Absolument... absolument. C'est à dire qu'aujourd'hui le stock foncier est financé par nos fonds propres, et donc bien évidemment ça rassure les banques quand on veut emprunter sur telle ou telle opération... Absolument. (Promoteur immobilier, entretien 7, 17/02/2012)

RM : Est-ce que vous constituez des réserves foncières ?

Int : Ils nous arrivent de faire des réserves foncières, bien évidemment... euh... Là aussi, ça se calcule en termes de risques, mais actuellement nous en avons. C’est quelque chose qui ne se pratique pas dans les grands groupes, ou quasiment pas, la réserve foncière. C'est plutôt des gens comme nous, qui sommes, on va dire, des vrais promoteurs mais bon... qui prenons des risques. Donc actuellement, nous avons des risques [dans une commune], des risques qui sont quand même calculés hein. On a des rentabilités, avec des locataires par exemple. On a aussi des risques sur des terrains nus, mais quand nous prenons ce risque, ça veut dire qu'on achète le terrain moins cher que le prix du marché hein. Si on prend un risque, il faut qu'il y ait un avantage financier. Donc euh... si le terrain sans risque vaut 200, vous avec un risque, vous l'achetez 100. C’est normal.

RM : Donc vous arrivez à garder du foncier un certain nombre d'années ?

Int : Oui oui. A [une commune de première couronne au sein du Grand Lyon], je crois qu'on a gardé six ans du foncier avant de pouvoir sortir l'opération. Là, le foncier qu'on a acheté à [commune centrale d’une autre agglomération], on va le garder trois ans ou quatre ans. Mais on le fait pas systématiquement. Ca nous arrive, mais on ne le fait pas systématiquement. (Promoteur immobilier, entretien 10, 24/02/2012)

Nous voyons donc avec ces extraits que la constitution de réserves foncières implique de développer un savoir-faire et des stratégies d’investisseur ainsi que de faire de gros efforts pour constituer

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