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Interactions entre promoteurs et entreprises de construction construction

Coûts de construction… et de déconstruction

E. La question des coûts globaux

3.2. Interactions entre promoteurs et entreprises de construction construction

Notons que selon une enquête de la Fédération des promoteurs immobiliers, un tiers des promoteurs immobiliers assure en interne la mobilisation des multiples corps d’état nécessaires à la construction d’un immeuble. Les deux autres tiers prennent une « entreprise générale » (FPI, 2010, p. 117), qui elle-même exerce souvent un ou plusieurs métiers de la construction et qui prend la responsabilité globale de l’ouvrage. Entre les entreprises de construction et le promoteur, le rapport de force est en faveur du promoteur immobilier puisque c’est ce dernier qui détient le carnet de commande et lance les appels d’offre qui permettent aux entreprises du bâtiment de « faire tourner » leur activité :

On fait un appel d'offre, on consulte différentes entreprises. On les connaît plus ou moins (les entreprises de construction) puisque ça fait maintenant plusieurs années qu'on est sur la région. On les connaît, et on essaie quand même de donner des chantiers plus ou moins, à plusieurs entreprises, c'est jamais la même quoi. Et en fonction de ça, en fonction de l'appel d'offre, on essaie de privilégier soit l'une soit l'autre de manière à pouvoir, en fonction de nos opérations, avoir un panel d'entreprises, pas toujours les mêmes quoi. (Promoteur immobilier, entretien 2, 26/01/2012)

Nous voyons dans cet extrait que le promoteur est en position de force, c'est lui qui est en capacité de choisir l’une ou l’autre des entreprises de construction. Cela ne signifie pas pour autant que les relations entre les promoteurs immobiliers et les entreprises de construction sont figées :

Il y a les coûts de construction et des matériaux qui augmentent tous les ans ça c'est indéniable, on n'a pas le choix. Et ce qui s'est passé c'est qu'après, à un moment donné, les entreprises étaient tellement surchargées de travail que après elles faisaient le prix qu'elles voulaient aussi. Donc à un moment donné ça a fait augmenter les coûts de construction. Après par contre c'est l'inverse, on se retrouve avec des prix qui commencent à baisser, parce qu'il y a raréfaction des programmes immobiliers moi je trouve. (Promoteur immobilier, entretien 2, 26/01/2012)

Comme dans tout système, les acteurs qui sont en mesure d’apporter une solution sur une zone d’incertitude (en l’occurrence l’incertitude face aux capacités des autres entreprises de construction à répondre à la demande) voient leur pouvoir augmenter. Cela se répercute sur les prix85 :

RM : Est-ce que les baisses des prix fonciers et des coûts de construction se ressentent rapidement ?

Int : Alors, les fonciers, ça baisse un peu plus doucement, et les travaux un peu plus rapidement. C'est pas compliqué, c'est que le foncier... il y a un propriétaire foncier... euh... il a son bien, il est là, il va pas le brader, il attend. Alors que le chef d'entreprise, il a ses ouvriers, il a ses salaires, ses charges, il faut qu'il ramène du carnet de commande, donc lui... il est plus réactif. (Bailleur social, entretien 6, OPH, 07/06/2012)

Néanmoins, la variation des prix de construction due aux baisses des prix pratiqués par les entreprises de construction lors des périodes dites de « crise immobilière », ne constitue pas un

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La Fédération française du bâtiment insiste pour bien prendre en compte la différence entre les coûts de construction et les prix de construction. Le premier inclut les salaires et charges, les matériaux et les frais d’assurance. Le second comprend les coûts de construction et la marge des entreprises de construction.

facteur susceptible de redonner beaucoup d’autonomie aux promoteurs immobiliers, donc de relancer la production immobilière. Tout d’abord, l’élément premier pour un promoteur immobilier reste de mobiliser la ressource clientèle. Ensuite, si la production de logements ré-augmente, les prix pratiqués par les entreprises de construction ré-augmentent également. Ceci est d’autant plus vrai qu’un entrepreneur attend généralement plus de temps pour créer ou recréer un poste que pour le détruire en cas de période difficile. Afin de maintenir des prix les plus stables possibles, à qualité constante, les promoteurs immobiliers et les bailleurs sociaux établissent le plus possible des relations de confiance avec les entreprises avec lesquelles ils ont l’habitude de travailler. C’est d’autant plus vrai que la défection d’une entreprise lors d’un chantier constitue une contrainte majeure à supporter pour un promoteur immobilier, elle est susceptible d’engendrer des surcoûts très importants. En revanche, puisque la production de logements en maîtrise d’ouvrage par les bailleurs sociaux n’est pas soumise aux mêmes cycles que la production de logements libres, ces derniers sont susceptibles de bénéficier des périodes de baisse générale de la production de logements pour retrouver des marges de manœuvre par rapport aux entreprises de construction, donc pour augmenter leur production :

RM : Est-ce que les coûts de construction sont un poste de dépenses sur lequel il est possible de jouer ? Avez-vous de la marge de manœuvre ?

Int : Alors là, c'est compliqué de répondre à votre question parce que on sent... enfin nous on a l'impression... d'avoir de moins en moins de marges de manœuvre dans la mesure où les règlementations de tous types, créant un empilement tel de contraintes et d'exigences, qu'on fait des produits de plus en plus complexes et de plus en plus chers à produire. Euh... bon... ça c'est un aspect des choses. Donc on n'a pas tant de souplesse que ça sur ce volet là.

Après, bah nous, on est dans le cadre de la règlementation applicable aux organismes bailleurs sociaux, donc on met en concurrence, néanmoins, ça n'empêche pas de négocier avec les entreprises. Donc on a dans nos appels d'offre, on a régulièrement des phases de négociation.

RM : Vous constatez des différences selon les périodes...

Int : Sur les prix ? A bah bien sûr, oui oui oui, y'a des périodes. Mais après, au cours d'une même année, vous pouvez avoir des périodes où c'est assez opportun parce que les maçons n'ont plus beaucoup de boulot... On nous a appelé hier, y'a un maçon qui nous a dit, oh là là, en ce moment, comme c'est un peu... un peu dans la période attentiste, y'a des opérations qui se décalent dans le temps, donc il se trouve qu'ils ont des trous dans leur planning, 2008 - 2009 c'était exactement la même chose. Bon ben y'en a un qui nous a appelé hier en nous disant, bon bah, là si vous avez un chantier qui démarre en septembre, je suis prêt à faire un prix intéressant, qu'est ce que vous allez lancer en consultation ? Bon ben, on lui donne le nom des opérations, et puis on verra bien s'il est réellement moins disant. Voilà, ça se passe comme ça.

Mais... des entreprises qu'on connait, bien sûr qu'il y en a avec qui on aime travailler et d'autres moins, mais ça reste... de toute façon, tout passe par la mise en concurrence. Donc après, s'il nous fait la meilleure offre, ben on travaillera avec lui. (Bailleur social, entretien 3, ESH, 26/04/2012)

Int : Nous on est bien quand y'a la crise. Le logement social il est bien quand on est dans le creux. Car dans le creux il n'y a plus d'activité, c'est là qu'on a les meilleurs prix. Alors c'est vrai que quand on était au pic du Scellier, et bah...

au lieu d'avoir 10 entreprises qui vous téléphonent tous les jours pour vous dire, est-ce que vous avez du boulot ?, c'était nous qui devions appeler et puis fallait dire merci si ils voulaient bien de nous.

Et après... ben après, faut faire comme les promoteurs, et là on a un vrai travail et les mêmes compétences, les mêmes savoirs que le promoteur. Après... faut ouvrir, faut aller chercher, faut négocier... Là après, il faut mouiller la chemise. […]

On a des... d'une opération à l'autre, en fonction de la période euh... vous avez facilement 300€ d'écart au mètre carré, ce qui est énorme... énorme. (Bailleur social, ESH entretien 1, 30/03/2012)

Ainsi, les bailleurs sociaux peuvent bénéficier des périodes de baisse de production de logements neufs par les promoteurs immobiliers pour négocier à la baisser les coûts de construction avec les différentes entreprises impliquées. A l’inverse, dans les périodes dites de « boom immobilier », il arrive même que les bailleurs sociaux ne reçoivent plus aucune réponse aux appels d’offres qu’ils lancent :

Int : Y'a eu une grosse crise immobilière dans les années 90, 92 - 96, et donc là... vraiment... on avait vraiment des prix bas, on aurait du construire beaucoup plus à l'époque, c'est dommage. Et moi, j'avais pour habitude de faire mes appels d'offre, sur les grosses opérations, de les confier à des entreprises générales, tous corps d'état, et les plus petites à des corps d'état séparés. Et puis la reprise économique a eu lieu en 97 - 98, et un jour je me suis retrouvé avec plus aucune réponse à mes appels d'offre d'entreprises générales. Donc je les ai appelé, parce que je les connaissais toutes, et elles m'ont dit, bah écoutez nous... la marché du logement social on connait, vos prix, on les connaît, on sait qu'on ne peut pas aller au delà de ça, bah nous là, le marché reprend, on a des meilleures marges dans le privé, dans le tertiaire, dans l'industriel, donc voilà, on quitte le marché du logement social.

Du coup, on s'est rabattu à 100 % vers du corps d'état séparés... euh... et quand la crise... dans la crise actuelle qui revient, on voit de nouveau des entreprises générales intéressées. Donc ça, c'est un indicateur hein, c'est comme les oiseaux de mauvais augures qui viennent. Et donc ça revient, on sait que les entreprises commencent à rechercher du carnet de commande. (Bailleur social, entretien 6, OPH, 07/06/2012)

Les bailleurs sociaux constatent ainsi très rapidement les coups d’arrêts et de reprises de production immobilière par les promoteurs immobiliers, car lorsque les entreprises de construction (qu’elles soient des entreprises générales du bâtiment ou non) ont leurs carnets de commande remplis par les opérations immobilières privés, ils ont tendance à ne plus répondre du tout aux appels d’offre émis par les bailleurs sociaux. A l’inverse, lors des périodes de « crise immobilière », deux bailleurs sociaux (entretien 1, ESH, 30/03/2012 ; entretien 5, ESH, 25/05/2012) nous ont dit qu’en 2008, puis dès début 2012, les entreprises de construction se sont très rapidement retournées vers eux afin de signaler qu’elles étaient disponibles86.

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En guise d’aparté, signalons que lors de nos entretiens, pour la majorité réalisés en 2012, il ne faisait de doute ni aux promoteurs immobiliers, ni aux bailleurs sociaux, que la production de logements neufs allaient diminuer dans les mois et les années à suivre, à moins de la mise en place d’un dispositif aussi attractif que le « Scellier ». Un tel constat était fait avant l’arrivée de François Hollande à la présidence de la République, la nomination de Cécile Duflot au ministère du logement et le vote de la loi ALUR, trois paramètres ensuite largement présentés par la presse généraliste et par certains organismes professionnels comme les causes principales de la baisse de production de logements neufs en France. Dès début 2012, les promoteurs immobiliers et les bailleurs sociaux

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La mobilisation de la ressource « construction » constitue un paramètre important dans une opération de promotion puisque le métier même de promoteur immobilier s’est développé en intermédiaire entre un ou des acquéreurs d’un côté et des entreprises en capacité de construire tout ou partie des maisons et des immeubles de l’autre. La question des coûts de construction est souvent évoquée comme une des raisons qui explique les prix élevés des logements neufs. Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, ce n’est pourtant largement pas le cas. Si les prix sont élevés, c’est avant tout parce que les acquéreurs des logements (donc la ressource clientèle pour les promoteurs) sont prêts à débourser tel montant pour habiter à tel endroit dans tel type de bâtiment. Un promoteur immobilier laissé totalement libre s’adapte à cette demande et construit le bien qui lui apporte le plus de ressource clientèle, tout en minimisant les coûts de construction. De ce point de vue, nous avons signalé que le type de construction qui optimise le mieux ce rapport entre les coûts de construction et le chiffre d’affaire tiré d’une opération n’est pas toujours le logement collectif. En effet, si ce dernier permet bien de multiplier le nombre de clients, il coûte aussi plus cher à construire. Les logements collectifs ne sont donc rentables à produire que dans les zones où la ressource clientèle est aisément mobilisable en masse, donc dans les zones aux prix immobiliers et fonciers élevés. Il en résulte qu’il ne suffit pas de décréter et de faire accepter la densité pour qu’elle se réalise puisqu’à surface de logement équivalente, le moyen le plus économique d’accéder à la propriété est l’achat d’une maison individuelle dans des espaces aux frais d’aménagement faibles, donc « en diffus ».

déclaraient que la structuration de la demande n’avait pas fondamentalement changé depuis 2008 – 2009 et que l’illusion d’une reprise ne tenait quasiment qu’à la mise en place d’un dispositif Scellier très attractif.

CHAPITRE 4

MOBILISATION DE LA RESSOURCE FONCIERE

Il est souvent répété par l’ensemble des acteurs des dynamiques de promotion que le foncier est l’élément le plus important pour réaliser une opération de construction puisqu’il constitue en quelque sorte la « matière première » d’une activité par définition immobile, donc localisée à un point précis. Nous avons vu que le marché foncier est un marché d’enchères. Ce ne sont pas les vendeurs, mais les acheteurs qui y sont en concurrence pour faire la meilleure offre. C’est pourquoi, comme l’a dit en ouverture Martin Revel (promoteur immobilier représentant de la FPI Rhône Alpes) lors d’une réunion de concertation avec les acteurs de l’habitat et du logement organisée par le Grand Lyon, « il ne faut

pas compte sur les promoteurs immobiliers pour être raisonnables sur le foncier » (Atelier de

concertation pour l’élaboration du volet habitat du PLUH, réunion 3, Grand Lyon, octobre 2012). Dans un marché porteur tel que celui du Grand Lyon, de telles pratiques ont bien entendu tendance à tirer les prix fonciers vers le haut, ce qui engendre des difficultés pour les bailleurs sociaux, dont nous venons de voir que leurs ressources financières sont limitées par leur modèle économique.

Dans ce chapitre, nous nous intéressons aux éléments qui expliquent les choix de localisation des promoteurs de logements dans une agglomération. Les promoteurs immobiliers ont beau se faire une concurrence acharnée pour être le plus offrant auprès des vendeurs de foncier, recherchent-ils pour autant des parcelles constructibles quel que soit l’endroit dans l’agglomération lyonnaise ? Les marges de négociation pour l’achat du foncier se limitent-elles uniquement au prix proposé, ou les promoteurs immobiliers et les bailleurs sociaux possèdent-ils d’autres ressources pour convaincre les propriétaires fonciers de leur vendre leur terrain ? A priori, ces derniers ont très peu de pouvoir dans le système, puisque nous venons de dire que ce sont leurs potentiels acheteurs qui décident des prix qu’ils sont prêts à proposer. Toutefois, les propriétaires fonciers retrouvent du pouvoir par un autre moyen : ils ont la capacité de ne tout simplement pas vendre leur(s) terrain(s), donc d’utiliser l’arme du chantage auprès des acheteurs (c'est-à-dire auprès des promoteurs de logements).

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