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La conception des logements neufs

A. Montage juridique d’une opération de promotion immobilière

Il s’agit d’un raccourci de dire que les promoteurs immobiliers sont les promoteurs des opérations immobilières. Dans les fait, ils créent quasi systématiquement, pour chaque opération de construction,

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Ce chapitre a fait l’objet d’une publication : MAURICE Romain, Catégorisation des promoteurs immobiliers autour de la mobilisation de leur ressource financière, p. 159 – 172, dans BELMESSOUS Fatiha, BONNEVAL Loïc, COUDROY DE LILLE Lydia, ORTAR Nathalie, 2014, Logement et politique(s), Un couple encore

une société distincte, qui a le statut de Société civile immobilière de construction vente (SCICV, plus souvent dénommée SCCV). Ce sont quasi systématiquement ces SCCV qui sont juridiquement promoteurs des opérations.

A l’origine de cette procédure juridique se trouve la méthode dite « de Paris »63, qui s’est développée principalement dans l’entre deux-guerres puis s’est rapidement substituée à la « méthode de Grenoble », que nous avons évoquée dans le chapitre précédent (dans laquelle aucune société n’était créée spécifiquement pour devenir maître d’ouvrage d’une opération de construction). Dans la méthode de Paris, le capital des sociétés de construction était constitué par les futurs copropriétaires, donc par les acquéreurs. Le « promoteur immobilier » (qui n’en était donc pas un au sens contemporain du terme, et n’en portait pas encore le nom) n’était donc qu’un simple prestataire de services. Les acheteurs n’étaient pas de simples acquéreurs d’un produit comme c’est le cas aujourd’hui, mais étaient juridiquement considérés comme des associés, détenteurs de parts de capital de la société en charge de réaliser l’immeuble. Ce système a ouvert après-guerre la porte à de nombreux scandales et pratiques malhonnêtes, ternissant jusqu’aujourd’hui la réputation des promoteurs immobiliers. La plus simple des arnaques de ces derniers envers leurs clients consistait à leur vendre des parts de la société chargée de la construction à des sommes qui ne correspondaient pas à l’état réel d’avancement des travaux. Bien sûr, la société de construction finissait par manquer de fonds propres pour finir l’opération, donc les actionnaires se trouvaient alors dans l’obligation de renflouer son capital afin d’achever l’immeuble. En fin de compte, les « actionnaires – acquéreurs » achetaient leurs logements plus chers qu’initialement prévu.

Pour limiter ces pratiques, après l’échec d’une politique de sanctions, un décret du 9 juillet 1963 accorda des avantages fiscaux au cédant de part de société (le promoteur initial de l’opération) qui s’engage à régler les appels de fonds qui dépasseraient ce qui est prévu au contrat de cession initial signé entre le promoteur et les acquéreurs de logement. Pour s’assurer contre ce risque de surcoûts, le cédant (le promoteur) est cautionné par un établissement financier qui garanti le bon achèvement de l’immeuble. Cette pratique, non obligatoire à l’origine, se généralisa et est l’ancêtre de l’actuelle « garantie financière d’achèvement » (la GFA) et des différentes garanties dues par le promoteur aux acquéreurs après la fin des travaux (garantie de parfait achèvement, garantie biennale, garantie décennale). Cette avancée apporta une forte garantie sur la qualité des immeubles bâtis, donc une garantie financière pour les acquéreurs. Toutefois, ces derniers restaient actionnaires des sociétés créées pour construire leur futur lieu d’habitation, ce qui va à l’encontre des pratiques courantes entre un vendeur et un acheteur (les acquéreurs se retrouvaient donc dans un système de financement de type « participatif », mais sans forcément ni le vouloir, ni le savoir). Pour que les acquéreurs soient uniquement des clients, et non pas des « co-promoteurs », deux solutions étaient possibles pour un promoteur immobilier.

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L’historique du montage juridique des opérations de promotion immobilière est en bonne partie tirée de Malinvaud, Jestaz et al., 2004, p 14-22.

- Financer totalement l’opération sur ses fonds propres complétés de fonds bancaires et/ou avec l’association d’autres investisseurs financiers. La vente des logements se fait alors « clefs en main », une fois les travaux achevés. Une telle pratique demande un investissement initial très important et augmente la zone d’incertitude à maîtriser par le promoteur au cas où la commercialisation se passe mal.

- Faire payer les acquéreurs par un versement du montant total du prix d’achat avant même le commencement de l’opération, ou en fonction de l’état d’achèvement des travaux. Une telle pratique revient donc à dire que l’acheteur fait crédit à son vendeur, ce qui va à l’encontre des modalités habituelles de vente, où c’est en règle générale le vendeur qui accepte (parfois) de faire crédit à l’acheteur.

La loi du 3 janvier 1967 reconnaît cette seconde modalité de paiement en créant le contrat de vente à terme et surtout, le contrat de Vente en état futur d’achèvement (VEFA). Dès lors, puisque les acquéreurs ne sont plus actionnaires des sociétés de construction, le rôle du promoteur immobilier se définit d’autant plus facilement et prend son sens actuel, à savoir une personne (le plus souvent une entreprise, donc une personne morale) dont l’activité consiste à faire réaliser des maisons et/ou des immeubles dans le but de les vendre. Pour cela, elle crée quasi systématiquement une société spécifiquement dédiée à cela, une Société civile immobilière de construction vente64, qui est dissoute une fois que tous les appartements ont été vendus65 :

Des sociétés immobilières [sont apparues] à la fin des années 60, début des années 70. Des sociétés qui se sont, au fond, professionnalisées, pour construire finalement un métier qui n'existait pas, et qui d'ailleurs a souffert pendant des décennies d'un amateurisme et d'un non professionnalisme, avec une image que la promotion traîne toujours derrière elle, de gens qui étaient finalement un peu des... des... margoulins quoi, un peu des financiers pas toujours extrêmement sérieux, et la loi est venue encadrer tout le processus de construction, toutes les lois sur la VEFA, toutes les lois sur le protection des acquéreurs, qui ont finalement peu à peu structuré l'activité pour accoucher je dirais, sur une profession qui est réellement aujourd'hui devenue un métier reconnu et qu'il faut exercer avec un professionnalisme extrêmement pointu. (Promoteur immobilier, entretien 5, 10/02/2012)

Ce détour historique et juridique est essentiel pour comprendre les différentes sources de financement d’un projet de promotion immobilière et se rendre compte que l’activité de promoteur immobilier s’est constituée sur des fondements financiers plus que sur des fondements issus du monde du bâtiment :

C'est la loi sur la copropriété qui a commencée à faire évoluer la profession vers une activité qui devenait beaucoup économique, avec une ouverture de cette activité vers des gens qui n'étaient pas issus de la construction, et qui ont développé une activité sur des fondements financiers, de se dire, puisqu'on a la capacité de trouver un terrain, de se

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Les SCCV ont été juridiquement créées dans leur forme actuelle par la loi du 16 juillet 1971, dite loi Chalandon, qui règlemente les « sociétés civiles constituées en vue de la vente d’immeubles » (articles L211-1 et suivants, Code de la construction et de l’habitat).

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Nous avons vu qu’il arrive que des promoteurs immobiliers gardent en patrimoine des « queues de programme » invendues (Ruz, 2005, p 239) ou rachètent à leur propre SCCV une partie des logements, notamment ceux réalisés en PLS.

trouver des clients, dans le cadre de la copropriété et de ce qui a été l'organisation juridique de la vente en VEFA... Finalement, les choses se sont organisées en vue d'une activité financiarisée, qui est sortie je dirais du giron de ce qu'étaient les sociétés de construction, je dirais du temps, de l'entre deux guerres et des années 50. (Promoteur immobilier, entretien 5, 10/02/2012)

Pour résumer, le réel financeur d’une opération immobilière (le promoteur immobilier au sens juridique du terme) est le plus souvent une structure juridique ad hoc, une société spécifiquement dédiée à cette unique opération, qui est le plus souvent une SCCV66. Puisque dans la pratique, les logements sont pour une bonne partie (dans une proportion qui est variable) vendus sur plan en VEFA, les promoteurs disposent d’une partie de la ressource financière avant même le lancement des travaux (ressource qui provient des clients). Au final, c’est bien la ressource clientèle qui couvre l’intégralité des financements nécessaires à l’opération. Toutefois, durant un laps de temps, les appels de fonds (les apports des clients) ne couvrent pas la totalité des frais nécessaires à la mobilisation des autres ressources (construction, foncier, commercialisation) et aux paiements des frais divers (taxes) et des aléas éventuels67. Les promoteurs ont donc besoin de fonds complémentaires qui peuvent provenir :

- des capitaux de la SCCV, qui peuvent eux-mêmes être constitués :

o des fonds propres du promoteur immobilier à l’origine de la création de la société ;

o de fonds apportés par d’autres personnes physiques ou morales qui sont alors actionnaires de la SCCV (pour cela, les promoteurs immobiliers organisent ce qu’ils nomment des « tours de table). Ce type de financement s’effectue donc « en haut de bilan ».

- si les capitaux de la SCCV ne suffisent pas à couvrir l’ensemble des coûts de l’opération, le promoteur recours à des financements complémentaires en « bas de bilan », c'est-à-dire à des crédits bancaires.

Avec cette distinction, nous retrouvons, exprimée dans des termes différents, la distinction que faisait Christian Topalov concernant la collecte de fonds nécessaire « à l’achat de la marchandise

logement », qui proviennent :

- du capital, « qui est une fraction de l’avoir monétaire de la bourgeoisie destiné à être investi et

rémunéré » (Topalov, 1973, p. 40), qui provient du « capital de prêt » (prêts HLM et prêts

bancaires privés aux constructeurs et aux acquéreurs) et du « capital immobilier », qui correspond « aux capitaux propres des sociétés de construction » (Topalov, 1973, p. 22) ;

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Le promoteur immobilier peut également toujours réaliser lui-même l’opération, sans création de structure spécifique, ou passer par une autre forme juridique de société, telle une société en nom collectif (SNC) ou une société anonyme à responsabilité limitée (SARL).

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Ce décalage temporel entre dépenses et recettes est encore plus important dans l’aménagement que dans la promotion immobilière. C’est cela qui explique que très peu de promoteurs de logements sont maîtres d’ouvrage de projets d’aménagement, même si cela leur permettrait d’accéder à du foncier viabilisé et équipé à moindre coût (chapitre 4).

- de l’argent « qui provient de la force de travail et est affecté à la consommation » (Topalov, 1973, p. 40). Ce sont les fonds versés par les acquéreurs. Cet argent ne fonctionne pas comme du capital.

La ressource financière des promoteurs immobiliers provient donc de quatre sources : les appels de fonds auprès des clients (qui en fin de compte, couvre l’ensemble des frais), les fonds propres de la société de promotion, les fonds d'autres personnes physiques ou morales associées au promoteur pour financer l'opération, les crédits fournis par les organismes bancaires. Nous allons voir dans ce chapitre que les promoteurs immobiliers ne font pas appel à leurs financeurs de manières similaires. C’est sur la base de cette catégorisation que Christian Topalov, dans les années 1970, avait conclu qu’il existe différentes catégories de promoteurs immobiliers (les « agences promoteurs », les « outsiders coordinateurs », les « filiales bancaires coordinatrices », les « entrepreneurs promoteurs », les « builders », les « techniciens promoteurs » et les « financiers »). Pour Topalov, l’appartenance à tel ou tel type détermine (le terme est important) des comportements particuliers, donc l’adoption de politiques foncières particulières (entendue comme les stratégies foncières menées par chacun des promoteurs).

Comme l’a fait Topalov dans les années 1970, nous nous interrogerons également dans ce chapitre sur le fait de savoir si le comportement des promoteurs immobiliers est structuré par leur mode de mobilisation de la ressource financière et quelles peuvent être les conséquences de ces structurations sur la qualité et la quantité des logements qu’ils construisent.

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