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L’importance de la fiscalité foncière

A. Les conditions suspensives d’achat du foncier

En précisant que les marchés fonciers sont des marchés d’enchères nous avons jusque-là donné l’impression que l’acheteur, s’il n’est pas le plus offrant, n’a aucune chance de convaincre le propriétaire foncier privé de lui vendre son terrain. Ce fait est à nuancer. Les promoteurs de logements ne sont pas dépourvus de ressources pour convaincre les propriétaires de vendre leur parcelle à un prix inférieur à ce que proposent les autres promoteurs. Pour cela, ces derniers introduisent un élément majeur dans la négociation, qui ne porte pas sur le prix proprement dit: le nombre et le type de conditions suspensives au compromis de vente du foncier.

Nous avons évoqué le fait qu’en cas de mévente en phase de précommercialisation, les promoteurs immobiliers peuvent chercher à renégocier le prix d’achat du foncier. Ils peuvent agir ainsi car les promoteurs de logements n'achètent que très rarement le foncier au comptant, ils signent avec le propriétaire initial du terrain une promesse de vente dans laquelle apparaît un montant financier pour l'achat du terrain, une clause de dédit en cas de retrait du promoteur et un certain nombre de

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Par exemple, la loi ENL (Engagement National pour le Logement) de 2006 a introduit la possibilité de majorer la taxe foncière sur les terrains nus constructibles.

conditions suspensives du compromis. Le promoteur achète de façon définitive le terrain quand il est certain que les conditions susceptibles de suspendre la transaction n'existent pas ou plus dans les faits (une pollution des sols, des fouilles archéologiques importantes, la présence d’amiante…) ou sont levées (obtention du crédit bancaire, atteinte d’un niveau de pré-commercialisation, obtention du permis de construire purgé de tout recours…).

Soit on veut baiser le client, c'est facile. Si vous voulez, quand on achète trop cher les terrains, ce qui est le cas de nos confrères, pour certains. [...] Si vous voulez, quand on s'engage, chez [nous], on tient nos paroles. C'est à dire, si je dis, je vais acheter 100 balles. Dans deux ans, si c'est la crise, je vais acheter 100 balles. Il arrive assez souvent que des confrères, mêmes des gros, bloquent les terrains. Y'a tellement de concurrence, ils achètent 300 balles plus cher que tout le monde, et ils savent dès le départ qu'ils vont renégocier le prix, parce que le client dans deux ans, avec un peu de chance, il a même racheté une maison, il a déjà dépensé l'argent au moins fictif. A ce moment là il faut mettre des clauses de sorties dans les promesses de vente, et très souvent... Si vous voulez, moi ma promesse de vente, j'ai 5 conditions suspensives, j'ai la DIA, le machin. J'en ai qu'une en fait, c'est le PC. J'en ai vu, pour les citer, [un promoteur], qui sont des gens sérieux mais qui ont un effet de volume et de masse qui sont très importants,

ils ont une promesse de vente où y'a... ça va du petit "a", au petit « u ». Y'a 22 conditions suspensives ! J'en parle

parce que j'ai eu très récemment, le mec c'est pas de chance parce que c'est un ami de ma famille. J'étais en négociation sur le terrain et je lui avais dit, écoute, moi ton terrain je le prends à 350 euros du mètre carré de SHON. Il m'appelle, il me dit [ce promoteur] est à 550. Je lui dis, c'est pas possible. Il me dit, je t'assure, [ce promoteur] est à 550. Je vais le voir il me sort la promesse. Et il avait une condition en petit « u », c'était marqué « condition suspensive : termites ». C'est à dire qu’on achète une maison qu'on va démolir, dont on se fout, on y habitera jamais. On est au dessus de Valence, donc on n'est pas obligé de chercher des termites ou des machins. Donc aujourd'hui t'as un mec qui te dit, qui te promet, qu'il va t'acheter 2 millions ton terrain, et qui te dit, par contre, dans un an et demi, parce que faut lire hein ! , si jamais il trouve une bestiole, dans une maison dont il se branle royalement, qu'il va démolir, il va venir te voir en te disant, je peux plus acheter. Par contre si, je peux acheter mais c'est pas 2 millions, c'est 1,3, mais t'es pas obligé de vendre ! Mais comme t'as attendu depuis deux ans et que t'as pas le temps de repartir avec un autre promoteur sur deux ans.... Parce que c'est ça en fait ce qui se passe. Le gars il attend depuis un an et demi. Il a le droit de partir si le gars lui achète moins cher, mais ça veut dire qu'il va repartir avec un autre promoteur, dans sa tête, il se dit : de toutes façons, tous les promoteurs sont véreux, donc le prochain va me faire pareil. Donc finalement, 3 fois sur 4, le mec il va réussir à renégocier son prix. Ca c'est une culture, c'est différent. Et pour ça, il faut qu'il se trouve des portes de sorties, faut pas qu'il soit obligé d'acheter. Et ça, les portes

de sorties, c'est de « a » jusqu'à « u». (Promoteur immobilier, entretien 13, 07/06/2012)

Ce promoteur essaie donc d’utiliser comme argument auprès du propriétaire foncier le fait qu’il limite fortement le report d’incertitude vers ce dernier. Cela se traduit par une impression de franchise et surtout par la certitude du montant final touché par le propriétaire. Cet autre extrait, lors du même entretien, va dans le même sens :

Int : La particularité de [notre entreprise], c'est d'acheter sur fonds propres et pas de faire ce qu'on appelle des conditions de pré-commercialisation. C'est à dire que nos confrères, comme c'est un métier à risque, ils achètent et puis ils disent, Monsieur, ok, mais sous condition que j'ai vendu 30 % de mes immeubles dans deux ans. Et après, donc ils vont voir un client, ils bloquent le terrain, un an et demi après ils vont vendre à 4 000 euros du mètre carré,

le marché est à 3 000 mais ils essayent de vendre, ils y arrivent pas ! Et on retourne voir le client pour dire, c'est pas possible, faut qu'on baisse les prix, parce que faut que je vende moins cher.

Nous, on est très atypique, c'est qu'on achète sur fonds propres. C'est à dire que notre patron nous dit, on connaît notre métier, c'est à nous de maîtriser nos risques. […] Depuis que je suis chez [nous], ça fait 10 ans, j'ai jamais eu à renégocier un terrain. (Promoteur immobilier, entretien 13, 07/06/2012)

Cette stratégie peut permettre de convaincre des propriétaires immobiliers de vendre leur terrain légèrement moins cher que ce que proposent les autres promoteurs immobiliers. Pour le propriétaire foncier, il s’agit donc d’un compromis entre le prix de vente et la sécurité. Toutefois, notons que ce promoteur immobilier a un discours atypique par rapport aux autres promoteurs immobiliers que nous avons rencontrés. D’une part cette stratégie ne peut pas s’appliquer dans toutes les transactions et d’autre part elle est plus opportune lors des périodes de hausse des prix immobiliers.

[Ce discours], on l'a très bien fait passé en période de crise parce qu'en 2008 - 2009, tous les promoteurs se désengageaient. Donc là, les propriétaires buvaient nos paroles, s'excusaient de pas avoir signés avec nous. Et puis, en période de Scellier... le problème, faut être clair, 9 fois sur 10 il regarde ce qu'il y a en bas à droite.

Quand on a à faire à des professionnels, c'est super. Quand je rachète à un électricien, un machin... à un mec qui est dans les affaires, là j'ai une vraie valeur ajoutée, parce que mon discours il le comprend. [...] Là, neuf fois sur dix je passe parce qu'on apporte des garanties que le propriétaire peut entendre. Mais le petit vieux lambda, [...] il regarde ce qui se passe en bas à droite, il comprend pas ce qui se passe au milieu et il s'en fout. J'ai beau lui dire, faites gaffe, ce qui compte c'est pas ce qu'on vous promet, c'est ce qu'on vous donne. Ben ce discours il passe très mal aujourd'hui. Mais dans 6 mois il passera très bien. (Promoteur immobilier, entretien 13, 07/06/2012)

Notons que la négociation entre le promoteur et le propriétaire foncier ne porte pas uniquement sur le nombre de conditions suspensives. En effet, il existe deux formes de promesse de vente. Elles engagent différemment les deux parties impliquées.

RM : Quelle est la différence entre la promesse unilatérale et la promesse synallagmatique ? Int : Ah bah, c'est fondamentale ça. C'est essentiel. Si vous parlez de ça, il faut vraiment en parler.

La promesse unilatérale, […] vous vous engagez à acheter... le promoteur s'engage à acheter si les conditions suspensives sont levées. Ca, c'est unilatérale, c'est à dire qu'il y a une seule personne qui est engagée.

Synallagmatique, les deux personnes sont engagées. C'est à dire que l'autre il s'engage à le vendre et nous on s'engage à l'acheter en tant que promoteur. Donc c'est très contraint. C'est à dire que vous signer une promesse synallagmatique, avec une condition suspensive de permis de construire. Entre temps, retournement de marché, votre terrain vous le payer donc 30 % plus cher que ce qu'il vaut au moment de la levée de la condition. Et vous n'avez pas le choix, sinon vous allez en procédure et le vendeur il gagne.

RM : Donc il vaut mieux, pour le promoteur... Int : Unilatérale, systématiquement.

RM : Les promoteurs arrivent à avoir essentiellement des promesses de vente unilatérales ?

Int : Ca dépend, ça peut forcer la décision. Si jamais vous êtes au coude à coude avec des confrères, vous allez dire, bah moi je vous signe une synallagmatique et comme ça le propriétaire il est vraiment serein. (Promoteur immobilier, entretien 15, 23/07/2013)

Ainsi, la promesse synallagmatique de vente (ou « compromis de vente ») engage beaucoup plus fortement le promoteur, ce qui est un gage de sécurité pour le propriétaire. Plutôt que de diminuer le nombre de conditions suspensives ou de proposer une nouvelle offre encore plus élevée, le promoteur peut faire le choix de passer en promesse synallagmatique de vente.

Outre les différentes stratégies adoptées par les promoteurs pour convaincre les propriétaires fonciers, nos différents entretiens ont montré que la condition suspensive incluse quasiment sans exception dans les promesses de vente est celle liée à l'obtention du permis de construire purgé de tout recours, c'est-à-dire une condition qui porte sur l’obtention des droits à bâtir. Aucun promoteur immobilier ne nous a affirmé avoir définitivement acheté du foncier avant l’obtention du permis purgé de tout recours. En revanche, l’un d’eux nous a dit que certains de ses concurrents peuvent parfois le faire. Là encore, il s’agit d’un argument pour convaincre le propriétaire foncier.

Il y a des gens... et ça, c'est plutôt les indépendants et les risqueurs, qui achètent sans conditions suspensives d'obtention du permis de construire. Ca, c'est majeur pour forcer la décision aussi. La personne prend le risque que le permis de construire qu'il dépose ne soit pas accepté et qu'il doive réduire sa constructibilité ou etc., des choses comme ça. Donc ça c'est un... c'est très important aussi... ce que ne fait jamais [notre société]. Chez nous, pas le droit de le faire. (Promoteur immobilier, entretien 15, 23/07/2013)

Un bailleur social nous a dit agir ainsi. Il confirme que c’est un argument de poids dans la négociation avec les propriétaires fonciers mais qui nécessite de pouvoir mobiliser une autre ressource, en l’occurrence la ressource financière.

RM : Dans l'achat du foncier, entre la promesse de vente et... Enfin, quand se fait l'achat effectif du foncier ? Est-ce qu'il y a une promesse de vente d'abord et vous attendez d'avoir le permis purgé de tous ses recours, et vous achetez effectivement le foncier ? Ou bien […] vous achetez le foncier et après vous faites une demande de permis de construire ?

Int : Oui

RM : D'accord. Donc il n'y a pas de temps en promesse de vente ?

Int : Non, on ne pourrait pas parce que vous vous rendez-compte qu'un délai de développement euh... sur un projet... euh... c'est beaucoup trop long. Le temps qu'on arrive au permis il y a quand même euh... il y a 18 mois de travail hein. Non non, on achète les terrains et puis après... Bon, on s'assure quand même des droits à construire hein. On les vérifie, on a une grande prudence par rapport à ça. Si on a acheté, on va pas se faire rouler sur les droits à construire.

RM : Parce que les promoteurs immobiliers s'assurent pour ça en achetant effectivement le foncier seulement dans un deuxième temps.

Int : Cela peut faire la différence en effet, mais on ne prend pas pour autant de risques inconsidérés. Mais ça peut faire la différence sur les conditions suspensives bien sûr. Ca nous est d'ailleurs... ça peut nous être reprochés mais c'est pas de notre faute si on a la confiance de nos banquiers. (Bailleur social, OPH, entretien 2, 17/04/2012)

C'est de la négociation [avec le propriétaire foncier], mais avec une mise en concurrence avec d'autres opérateurs. Donc on négocie. Nous ça nous est arrivé d'être vraiment en concurrence avec un de nos confrères, qui a mis des conditions d'achat du terrain sans condition suspensive de permis, des choses que nous on ne fait pas quoi. Et donc

ils ont acheté un terrain... euh... Ils étaient au même prix dans leur proposition, mais ils ont accepté de ne pas mettre de condition suspensive d’obtention de permis. Nous, c'est un truc qu'on fera jamais. (Bailleur social, entretien 3, ESH, 26/04/2012)

Parmi les multiples conditions suspensives possibles, nos entretiens révèlent que deux sont essentielles dans une opération immobilière pour passer de la promesse d'achat à l'achat effectif :

- L'obtention du permis de construire et la purge de tous les recours : cela revient à introduire le fait que les promoteurs n’achètent pas de la surface de terrains mais des droits à bâtir.

- L’atteinte d’un niveau de pré-commercialisation (pour les promoteurs immobiliers, car les bailleurs sociaux n’ont pas à maîtriser cette incertitude).

Cela confirme que ces deux éléments constituent des zones d'incertitude fortes, susceptibles d'obliger à revoir tout un bilan d'opération. Pourtant, concernant les droits à bâtir, la tradition juridique française implique que lorsqu'une règle est édictée, elle est la même pour tous et tout acte doit être jugé en fonction de son caractère légal ou illégal, sans discussion possible (si litige, c'est au juge d'en décider). En matière d’urbanisme, l’introduction d’une condition suspensive sur l’obtention du permis de construire avec une surface de plancher minimale est la preuve que cela ne se passe pas de la sorte, donc qu’il existe ce que Pierre Lascoumes nomme des « normes secondaires d’application » (Lascoumes, 1992, p 61). Le terme secondaire signifie non pas que certaines normes sont moins importantes mais qu’il existe très souvent, voire toujours, un second niveau d’application des règles de droit qui se négocie entre les acteurs concernés par cette application. Pour compenser cette zone d’incertitude, le promoteur doit donc mobiliser d’autres ressources. Or, il est difficile de renégocier à la baisse les coûts de construction, d’augmenter les prix de vente des logements (car les clients ont souvent des enveloppes déterminées) ou de trouver d’autres modes de financement (qu’ils soient en haut ou en bas de bilan). La solution qu’il reste est donc celle de renégocier le prix d’achat du foncier. Nous revenons spécifiquement sur ce sujet et sur ses conséquences sur la régulation des dynamiques de promotion dans les chapitre 8.

Notons également que les collectivités locales sont amenées à acquérir du foncier, donc à négocier cette acquisition avec les propriétaires fonciers (en revanche, l’achat de foncier par l’Etat est aujourd’hui très rare). Pour cela, les communes et le Grand Lyon disposent du droit de préemption. Il leur permet d’acquérir les biens immobiliers et fonciers en priorité (autour de 1% des déclarations d’intention d’aliéner présentée au Grand Lyon sont préemptées par an). Toutefois, les collectivités préfèrent acheter à l’amiable lorsque cela est possible (80% des acquisitions foncières et immobilières du Grand Lyon sont réalisées à l’amiable) pour plusieurs raisons :

- cet achat ne peut alors pas être assimilé à une limitation de la liberté de vendre à qui l’on souhaite et il n’évince pas un acquéreur qui était prêt à acheter ;

- cet achat ne peut pas faire l’objet de recours en justice sur le fait que la préemption n’est pas motivée par un réel projet d’intérêt général.

Ainsi, en achetant à l’amiable, le Grand Lyon se retrouve contraint aux mêmes logiques de marché que les promoteurs de logements. Pour ne pas avoir à trop surenchérir sur les prix, l’absence de conditions suspensives peut alors être un argument de poids pour convaincre un vendeur de terrain.

Il y a aussi des gens qui me disent, moi, ah ben... je vends mon bâtiment, vous êtes intéressés la mairie ? Pourquoi ils font ça ? Parce qu'en fait... euh... le gros avantage d'une collectivité, c'est qu'elle paye tout de suite. On paye à 45 jours, on n'a pas de condition suspensive.

Un promoteur, quand il arrive, il dit, ouh là, moi je ne suis pas sûr d'avoir mon permis, je sais pas si je vais avoir... et du coup il met des conditions, et le gars, il est même pas sûr d'être payé au bout de deux ans, parce qu'on sait bien que les opérations ne se montent pas en trois minutes hein.

Donc du coup, on a des gens qui viennent nous voir en disant, moi je veux vous vendre. (Agent public territorial, commune, entretien 7, 24/04/2013)

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