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Principes de l’économie de fonctionnalité

L’économie de fonctionnalité ou « service economy » consiste à vendre l’usage d’un bien plutôt que le bien lui-même. L’expression d’économie de fonctionnalité a été employée pour la première fois en 1986 par Walter Stahel et Orio Giarini (1990) sous son équivalent anglais « service economy » que l’on pourrait traduire littéralement par « économie de service ». Ainsi, l’économie de fonctionnalité consiste à vendre un service. Mais contrairement à la vente de prestations de services, caractérisées par la présence d’un individu, l’économie de fonctionnalité vend le service que procure la consommation du bien. « Dans une économie de fonctionnalité, les producteurs deviennent fournisseurs de valeur et des clients utilisateurs de valeur » (Mont, 2004). L’économie de fonctionnalité consiste donc à vendre la fonction d’utilité d’un bien. Elle substitue ainsi la vente d’un bien par la vente de l’usage de ce bien. L’économie de fonctionnalité se distingue néanmoins de la location ou du leasing162 qui consistent à mettre à disposition un bien pour une durée donnée dans la mesure où « l’unité de transaction est la fonction délivrée par un produit » (Lindahl et Ölundh, 2001). Dans le cas de la location, un locataire bénéficie de la jouissance d’un bien mobilier ou immobilier en contrepartie d’une rémunération sous la forme d’un loyer. La relation entre le locataire (appelé preneur) et le loueur (appelé bailleur) est contractualisée sous la forme d’un bail qui en indique les modalités (montant du loyer, durée, etc.). La location met ainsi à disposition un

bien détenu par une personne au profit d’une autre. La notion d’usage n’est donc pas présente dans cette relation contractuelle. En effet, le bénéficiaire en fait l’usage qu’il veut. Dans l’économie de fonctionnalité, l’usage est au contraire au cœur de la relation contractuelle. Dans le cas du leasing, une société financière (le crédit-bailleur) met un bien d’équipement à la disposition d’un tiers pour une période déterminée contre le paiement d’une redevance périodique. Au terme du contrat, le bénéficiaire du bien peut soit restituer le bien, soit en faire l’acquisition pour un montant préalablement défini lors de la conclusion du contrat de crédit-bail, soit renouveler le contrat selon de nouvelles conditions. Si la notion d’usage est beaucoup plus prégnante dans le crédit-bail avec les notions d’amortissement, le leasing reste avant tout une forme de financement ou de location d’achat qui la différencie de la prestation de service fournie par l’économie de fonctionnalité.

Ce concept qui vise à offrir un ensemble intégré de produits et de services s’est développé au milieu des années 1990 sous le terme de Product-Service Systems (PSS) (Goedkoop, van Halen et al., 1999). Il existe plusieurs types de PSS selon Hockerts (1999) qui en distingue trois :

- PSS orienté produit : fournis un service additionnel au produit vendu (financement, maintenance, reprise en fin de vie, formation, etc.)

- PSS orienté usage : l’usage du produit est vendu, non le produit lui-même (location, leasing, mutualisation et partage)

- PSS orienté résultat : le producteur garantit la satisfaction des besoins du consommateur, sans tenir compte des produits matériels (Least Cost Planning, Facility

Management Services)

Les principes d’économie de fonctionnalité que l’on retrouve sous d’autres termes dans la littérature tels que : « product service combinations » (Manzini et Vezzoli, 2002), « product of

service » (McDonough et Braungart, 2002), « servicizing » (White, Stoughton et Feng, 1999),

tendent tous à répondre aux nouveaux enjeux portés par le développement durable. Pour cela, l’économie de fonctionnalité cherche à dématérialiser la production par la vente de service. En effet, ce nouveau modèle économique tente de remédier à la pression exercée par la consommation de masse sur l’environnement et les écosystèmes, en substituant la vente d’un bien par l’usage de celui-ci. De plus, l’économie de fonctionnalité bouleverse la responsabilité de l’entreprise. En effet, en restant propriétaire des biens qu’elle met à disposition de ses

clients, l’entreprise conserve la responsabilité du produit puisque celle-ci n’est pas transférée lors de la vente. Elle assume ainsi l’impact de ses produits tout au long de leur cycle de vie, puisqu’au terme du cycle d’usage le produit lui reviendra. Cette responsabilité élargie de l’entreprise l’oblige donc à mieux prendre en compte toutes les étapes du cycle de vie du produit. Les coûts de fin de vie, d’élimination, de revalorisation ou de recyclage sont ainsi mieux intégrés par l’entreprise au moment de la conception du produit. L’économie de fonctionnalité favorise donc l’intégration de l’éco-conception au sein des entreprises pour des raisons économiques (Bourg et Buclet, 2005). Ceci afin d’en minimiser les coûts de gestion des déchets ou de recyclage qui tendent à se renforcer au cours des évolutions réglementaires à l’image du principe de pollueur payeur français que l’on retrouve également au niveau européen dans la politique de responsabilité étendue du producteur.

L’une des principales critiques formulées à l’égard de l’économie de fonctionnalité est la relation établie entre le chiffre d’affaires de l’entreprise et l’usage du bien fourni. En effet, en restant propriétaire des biens qu’elle met à disposition de ses clients, le chiffre d’affaires devient conditionné à l’usage qu’en fait le client. Par conséquent, pour accroître son chiffre d’affaires, l’entreprise va chercher à accroître l’usage qu’en fait le client, allant contre les principes de décroissance ou de réduction des consommations prônées par le développement durable. L’autre critique souvent formulée à l’encontre de l’économie de fonctionnalité tient au non-transfert de propriété et de responsabilité. En effet, en ne devenant pas propriétaire du bien, l’usager n’aura pas le même soin à l’égard de ce bien que s’il en était propriétaire. Ce manque de soin peut par conséquent accroître l’usure du bien. A contrario, si cette accélération de l’usure n’est pas prise en compte lors de la conception initiale du produit, elle le sera progressivement lors du renouvellement du produit par son propriétaire. Autrement dit, le propriétaire sera contraint d’améliorer la résistance et la durabilité de ses produits afin de les adapter à l’usage auxquels ils sont soumis. L’exemple du niveau de dégradation des « Vélib’ », un service de vélo partagé parisien proposé par le groupe de mobilier urbain JCDecaux, ou des « Autolib’ », un service de voiture partagé proposé par le groupe Bolloré, illustre bien cette problématique. Leurs propriétaires avaient à cet égard sous-estimé leur détérioration au cours de leur usage. En effet, « lorsqu’un particulier utilise un véhicule sans avoir à prendre en charge son état d’entretien, le risque est élevé qu’il ne se souci plus d’en préserver la durabilité » (Bourg et Buclet, 2005, page 36). Pour résoudre cette détérioration accélérée, Autolib’ a mis en place un système d’alerte dans le cas où le niveau de saleté avérée serait très élevé. L’entreprise fait alors un geste commercial pour les clients lésés en

leur offrant des unités d’usage en dédommagement. Dans le cas du Vélib, les usagers indélicats sont quant à eux sanctionnés en cas de vandalisme répété et volontaire, par une incapacité à bénéficier de nouveau du système, par la suspension de leur abonnement au service. La CNIL163 a en effet autorisé JCDecaux à créer une liste d’utilisateurs indélicats. Enfin, l’une des critiques de l’économie de fonctionnalité et pas des moindres, porte sur son modèle. En sous-traitant la prestation de service, l’entreprise optimise et rationalise son organisation en supprimant les structures externalisées. Elle devient ainsi captive de l’entreprise prestataire. Or, l’économie de marché, pour être pleinement efficace, suppose une multitude de prestataires pour faire jouer la concurrence et abaisser le coût des prestations. Cela n’est cependant pas le cas dans le domaine de l’économie puisque peu d’entreprises proposent aujourd’hui ce type de prestation. Enfin, l’économie de fonctionnalité peut être perçue comme de la vente groupée ou offre de bouquet (P. Maoti M. Rauvier, R. Sury, 2006) avec la vente de services et prestations additionnels qui peuvent venir renchérir le prix de la prestation sans que le client en ait forcément l’usage.