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Performance et éthique de l’ISR

Cette distinction de l’ISR selon son niveau d’impact sur la performance économique et financière d’une part et sociale et environnementale d’autre part n’est pas nouvelle. De Brito, Desmartin, Lucas-Leclin et Perrin (2004) distinguent ISR éthique, dans laquelle l’investisseur cherche à accorder ses convictions éthiques, morales ou religieuses et ses choix

d’investissements, et ISR de performance qui cherche à atteindre un niveau de performance financière sous contrainte ESG. Cette recherche de performance, mais « pas à n’importe quel prix » est caractéristique de l’ISR et consiste à intégrer des critères sociaux, environnementaux et de gouvernance aux côtés de critères financiers. Ces investissements renvoient aux enjeux et problématiques liés au développement durable. De Brito, Desmartin, Lucas-Leclin et Perrin (2004) différencient deux catégories de clients ISR : « ceux qui mettent leur éthique avant la performance financière et ceux qui recherchent une performance respectueuse de leurs critères extra-financiers ». Cette distinction, qui va dans le sens d’un ISR actif et passif, qualifie cependant le profil de l’investisseur socialement responsable et non l’investissement socialement responsable lui-même. La performance escomptée par l’investisseur éthique n’est nullement étudiée par Brito, Desmartin, Lucas-Leclin et Perrin (2004) dans leur analyse. Pour Roux (2005), Perthuis et Petit (2005), ce type d’investisseurs n’agit pas selon une rationalité économique, mais selon des convictions éthiques. L’investisseur « éthique » peut ainsi adopter des comportements irrationnels sur les marchés du point de vue de l’investisseur traditionnel en acceptant une contre-performance ou sous-performance financière par conviction. Dans le cas de l’ISR de sous-performance, l’investisseur socialement responsable souhaite également aligner ses convictions, mais par l’intégration de critères extra-financiers dans ses choix d’investissements. Comme chez l’investisseur « éthique », ces critères peuvent être éthiques, moraux ou religieux, mais sont le plus souvent objectivés avec des critères environnementaux, sociaux et/ou de gouvernance (ESG) quantitatifs. Dans ce cas, l’investisseur espère maximiser son profit financier au côté du social et/ou de l’environnemental. de Brito, Desmartin, Lucas-Leclin, et Perrin (2004) parlent de gestion sous contrainte sociale et/ou environnementale. Pour l’investisseur, la meilleure analyse des risques extra-financiers contribue positivement à la performance financière. L’ISR de performance utilise donc les critères extra-financiers comme des modèles d’évaluation et d’analyse au service du contrôle du risque sur le long terme dans un objectif financier.

Au-delà de cette approche par l’investisseur, de Brito, Desmartin, Lucas-Leclin, et Perrin appréhendent l’ISR éthique et l’ISR de performance comme une gestion sous contrainte. En effet, si la gestion financière arbitre en permanence entre le rendement escompté et le niveau de risque encouru, la gestion ISR arbitre entre performance financière et performance éthique. Si la performance financière est facilement appréhendable par les méthodes d’analyses financières classiques, la performance éthique est beaucoup plus difficile à appréhender et à

évaluer. Comme pour l’ISR actif et l’ISR passif, la performance éthique est vue sous l’angle économique par la maximisation du profit pour l’investisseur socialement responsable. Selon eux « les choix économiques et éthiques peuvent se confondre à défaut de converger » (de Brito, Desmartin, Lucas-Leclin et Perrin, 2004, page 104). Les choix d’investissements économiques portent en partie les valeurs éthiques de la société. De fait, les choix économiques et choix éthiques se confondent. Il faut néanmoins avoir à l’esprit que les choix économiques dépendent d’une multitude d’arbitrages et l’absence d’une éthique universelle ne leur permettent pas de parfaitement converger. Cette idée peut être résumée de la manière suivante : si les choix économiques et les choix éthiques s’entendent, ils ne se comprennent pas forcément. Pour illustrer cela, de Brito, Desmartin, Lucas-Leclin, et Perrin font référence à Amyarta Sen (1999) pour qui « le conflit entre une responsabilité sociale intensive et le conservatisme financier classique est un dilemme précisément parce que chacun d’entre eux est basé sur des arguments valides. La question est de trouver un équilibre entre deux types de bien et non de préférer le bien et le mal » (Sen, 1999). Le marché ne peut pas valoriser cette performance extra-financière dans l’état actuel. Il ne peut que sanctionner les déviances. L’ISR éthique et de performance cherchent à trouver un équilibre entre différentes attentes tout comme dans l’ISR passif. A contrario, l’ISR actif cherche à défendre un choix de société et de valeurs. « Le choix éthique ne se pose que là où il existe un degré de liberté d’action : les décisions prises sous une contrainte absolue ne sauraient être évaluées du point de vue éthique » (Mercier, 2004). Par conséquent, en considérant l’ISR de performance et l’ISR éthique comme des gestions sous contraintes, au même titre que l’ISR passif, ceux-ci ne disposent pas de la liberté d’action pour relever d’un choix éthique. Seul l’ISR actif, dont les approches varient selon la finalité attendue dispose d’une liberté d’action pouvant réponde à un choix éthique ou choix social.

Les investissements socialement responsables transposent à la sphère financière les principes et objectifs du développement durable. Ils se chargent de valeurs éthiques, d’objectifs économiques, sociaux et environnementaux, de normes sociales diverses et expriment un choix social. Pour répondre à ces objectifs contrastés, de multiples approches ont été mises en œuvre pour faire converger ces investissements avec ces attentes hétérogènes. Parallèlement, le développement et la généralisation de l’ISR au cours de ces dernières années ont entraîné une multiplication des acteurs et de fonds aux méthodes et approches hétérogènes. Mais s’il existe deux approches historiques dans l’ISR, avec l’approche négative et l’approche positive,

celles-ci tendent à s’entremêler selon les objectifs poursuivis par les gestionnaires de fonds socialement responsable. La multiplicité des méthodes de gestion des fonds socialement responsables concourt dès lors à rendre l’ISR de plus en plus complexe à définir. Face à la profusion des différents modes de gestion, le marché de l’ISR s’est diversifié en une multitude d’approches thématiques ou « best in class ». Cette diversité tend ainsi à complexifier l’ISR au sein de la profession et auprès des investisseurs et a atomiser le marcher. De cette multitude d’approches opaques pour de non-spécialiste, il est néanmoins possible de distinguer d’une part des investissements socialement responsables actifs et militants et d’autre part des investissements socialement responsables passifs et indiciels dans leur mode gestion.

Section 2 - L’investissement socialement responsable un marché en mutation

La prise de conscience des enjeux liés au développement durable a participé à l’essor des investissements socialement responsables et soutenu la croissance de ces encours sous gestion. Comme le souligne l’Eurosif, il n’existe pas de fait un marché homogène de l’ISR. Les pratiques varient fortement d’un continent et d’un pays à l’autre selon les objectifs poursuivis par les investisseurs socialement responsables et les valeurs qu’ils associent à ces investissements. Malgré cette diversité et complexité, le marché de l’ISR est en pleine mutation avec la généralisation de l’analyse extra-financière et la conversion de fonds.

1.2.1. Les pratiques ISR en Europe

Le marché européen de l’ISR est très marqué par les diversités culturelles en Europe et dans le monde rendant impossible un consensus sur une définition unifiée de l’ISR. Pour réaliser une étude du marché européen de l’ISR, l’Eurosif a distingué sept stratégies différentes :

L’approche thématique ESG ;

Les stratégies de Sélection ESG, dont le « Best-in-Class » et ses déclinaisons ;

Les Exclusions normatives ;

Les Exclusions spécifiques (sectorielles ou autres) ;

L’Intégration des facteurs ESG dans l’analyse financière ;

Les pratiques d’Engagement et d’Exercice des droits de vote sur les questions de durabilité ;

Cette typologie permet de distinguer les différentes formes d’investissements socialement responsables selon les stratégies ou processus mis en œuvre, les impacts recherchés ou la profondeur et la qualité de l’analyse extra-financière appliquée.