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L’obsolescence programmée

Symptomatique de la production industrielle, l’obsolescence programmée est un ensemble de techniques qui réduisent la durée de vie ou d’utilisation d’un produit favorisant ainsi son taux de remplacement ou de renouvellement. Également appelée « désuétude planifiée », l’obsolescence programmée a la particularité d’entraîner une diminution de la valeur d’usage d’un bien de manière décorrélée par rapport à l’usure de ce bien. Elle participe ainsi à un vieillissement précoce des choses (Elgozy, 1968). Parmi les facteurs source d’obsolescence programmée figure le design et la publicité. L’un des premiers cas dans ce domaine est venu avec General Motors qui, pour concurrencer la Ford T, connue pour sa fiabilité et sa solidité, avait établi une stratégie basée sur une production régulière de nouveaux modèles qui rendaient les modèles précédentes désuets et obsolètes. General Motors pu alors se distinguer du modèle Fordiste basé sur une standardisation absolue et des économies d’échelles. La Ford T qui n’avait que très peu évolué au cours de ses 19 ans de production (1908 – 1927) devint

ainsi obsolète malgré le fait qu’elle demeurait extrêmement fiable et abordable. L’obsolescence programmée se voit par conséquent légitiment accusée de pousser à la consommation. En effet, en incitant au renouvellement des biens et produits, l’obsolescence programme accroît la pression sur les ressources naturelles. Aujourd’hui, un européen consomme près de 16 tonnes de matériaux par an et produit plus de 6 tonnes de déchets dont la moitié est enfouie dans le sol sans être recyclée ou revalorisée. Ces ressources en grande partie non renouvelables, deviennent de ce fait de plus en plus rares, notamment sur le sol européen, et par conséquent de plus en plus chères. Le commissaire européen à l’environnement, Janez Potocnik, parle même de croissance « noire »155. Selon lui, elles participent au déficit commercial et accroîssent la dépendance énergétique et en matières premières des pays européen (CE, 2011)156. Une étude de la Commission européenne estime même qu’un point de gain de productivité issue de l’optimisation des ressources génèrerait 23 milliards d’euros d’économie pour les entreprises européennes et créerait près de 150.000 emplois157.

Les industriels se voient dès lors accablés de tous les maux environnementaux en concevant des produits qui s’usent prématurément. L’obsolescence programmée est ainsi devenue le symbole de la cupidité des industriels qui ne cherchent qu’à vendre toujours plus afin d’accroître leurs profits. Cette critique des processus industriels ne prend cependant pas en compte l’optimisation permanente des ressources qui s’est développée au cours de ces dernières décennies. Le concept d’obsolescence programmée s’oppose ainsi aux démarches de qualité totale et de zéro défauts mises en place par les industriels afin d’augmenter leur productivité. Car ce gaspillage de matières premières et de ressources, avant de venir de processus inefficient, est surtout né de la baisse spectaculaire des prix des produits et biens industriels qui ont participé au développement d’une consommation de masse. Cette accessibilité a facilité le renouvellement des biens de consommation. La durée de vie des produits et leur fiabilité va, quant à elle, dépendre de l’usage dont ils feront l’objet. En effet, des machines à laver professionnelles sont conçues pour être beaucoup plus robustes que les machines des particuliers, mais se retrouvent également être plus chères que ces dernières.

155 http://www.novethic.mobi/developpement-durable/article_in_extenso.php?id=139542

156 http://ec.europa.eu/environment/resource_efficiency/documents/factsheet_fr.pdf

Les biens sont donc conçus pour atteindre la durée de vie pour laquelle ils ont été fabriqués. Les industriels adaptent ainsi la qualité des produits, leur durabilité, fiabilité et leur prix en fonction du cahier des charges auquel ils doivent répondre. Ce sont les consommateurs qui font l’arbitrage entre le niveau de qualité attendu et le niveau de prix qu’ils sont prêts à y consacrer. Les chauffeurs de taxi étaient ainsi prêt à payer un peu plus cher certain modèles ou marques en raison de leur fiabilité plus élevé. Les différences d’usage d’un bien entre un professionnel et un particulier les conduisent ainsi à privilégier certains critères par rapport à d’autres.

Les outils de contrôle et de test à la disposition des industriels leur permettent ainsi d’adapter le niveau qualité et de fiabilité de leurs produits aux différents niveaux d’exigences de leurs clients. Mais pour atteindre ce rapport qualité/prix des produits, les industriels se doivent d’optimiser toutes les étapes de production prenant ainsi la forme d’une obsolescence programmée. En effet, l’optimisation à outrance amène les industriels à éliminer tout surdimensionnement du produit. Ils procèdent pour cela à une analyse de la valeur à toutes les étapes pour en supprimer le superflu et atteindre les performances et la durée de vie escomptées. Par conséquent, l’optimisation générée dans les processus industriels par le modèle capitaliste s’avère extrêmement efficace pour éviter les surplus et rendre les produits optimums dans un cadre de durabilité et de performance définies. Parallèlement, en voulant développer les ventes et répondre aux exigences d’optimisation du capital, les industriels incitent leurs clients à renouveler leurs achats par des phénomènes de mode illustrée précédemment par la stratégie mise en place par General Motors pour concurrencer Ford. Dans les cas les plus extrêmes, les produits se voient remplacés avant même d’être usés. Ce renouvellement accéléré ne serait cependant pas possible sans les progrès réalisés en termes de productivité qui permettent ces importantes baisses de prix. Ces prix sont maintenus artificiellement bas par un dumping social permis par l’importation de produits en provenance de pays émergents, dans lesquels les coûts de main-d’œuvre sont extrêmement bas et dont les conditions de travail ou les contraintes environnementales restent largement en dessous des standards appliqués dans les pays développés. Dans le même temps, les coûts salariaux élevés dans les pays développés rendent également les réparations top couteuses en comparaison du prix d’un produit neuf, plus moderne, plus fiable avec des performances similaires, voir supérieures. De plus, les appareils, dans un souci d’optimisation, peuvent être conçus de manière à ne pas être réparables afin de les rendre moins vulnérables et accroître leur durabilité selon les critères de prix et de durée de vie établis dans les cahiers des charges. Le

Sénat français envisage à ce titre à allonger la durée de garantie légale des produits. En Australie, pour se conformer à la législation, les produits de la marque Apple sont ainsi garantis deux ans contre un an dans les autres pays dans le monde158. En fabriquant des produits non réparables, les industriels économisent également sur la mise en place d’un réseau de réparateurs et de distribution de pièces détachées. Cette optimisation économique et financière du système productif ne prend malheureusement pas en compte les critères sociaux ou environnementaux comme le bien-être ou la raréfaction des ressources naturelles et toutes les autres externalités négatives issues des processus industriels.

L’obsolescence programmée ne vient donc pas d’un défaut de l’appareil industriel mais d’un modèle d’optimisation qui ne prend pas en compte les enjeux sociaux et environnementaux. Le système capitaliste et le processus de destruction créatrice concourent donc au renforcement de la dynamique de renouvellement des biens et produits, au détriment de l’environnement et des hommes. Pour limiter les externalités négatives de ce système, celui-ci doit parvenir à fermer la boucle industrielle et instaurer une économie circulaire avec des processus de recyclage optimum dans lesquels les produits obsolètes deviendraient alors de nouveaux produits.