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L’innovation schumpetérienne

Pour Schumpeter l’innovation « révolutionne incessamment de l’intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs. Ce processus de destruction créatrice constitue la donnée fondamentale du capitalisme » (Schumpeter, 1998, pages 116-117). Il explique ainsi comment les nouvelles combinaisons apparaissent aux côtés des anciennes en se juxtaposant à ces dernières, à l’image du téléphone qui est progressivement venu se substituer au télégraphe ou bien les écrans plats LCD10 aux écrans à tube cathodique. La télévision est ainsi apparue aux côtés de la radio FM avant que les ondes hertziennes ne laissent place à leur tour au numérique et à l’internet comme nouveau moyen de communication. Ce ne sont donc pas uniquement les vieilles combinaisons qui en se transformant deviennent automatiquement de nouvelles combinaisons, mais aussi une succession d’innovations qui permettent l’émergence de nouvelles combinaisons. Le capitalisme est donc un processus dynamique et cyclique qui fluctue au gré de l’apparition d’innovations ou de nouvelles combinaisons. Il est donc vain de parler de ruptures d’innovations dans le système capitaliste puisque c’est « un processus dont chaque élément ne révèle ses véritables caractéristiques et ses effets définitifs qu’à très long terme, il est vain d’essayer d’apprécier le rendement de ce système à un moment donné – mais on doit juger son rendement à travers le temps » (Schumpeter, 1998, page 117). Le temps est donc une variable importante dans l’intégration et l’assimilation des nouvelles combinaisons. En effet, même si ces nouvelles combinaisons apportent des gains de productivités dans le temps, elles doivent également lever les réticences sociales qu’elles suscitent en venant bousculer les situations préétablies. Des innovations technologiques dans le domaine biologique et de la génétique se voient par conséquent rejetées. Nous pouvons citer l’exemple des organismes génétiquement modifiés (OGM) qui posent au-delà des questions techniques, des problèmes éthiques et juridiques sur la possession du vivant. De plus, les différentes

9 Pour Schumpéter, c’est l’action d’entreprendre qui crée l’“entreprise”.

interprétations sur la définition d’un OGM11 entrainent un amalgame qui nuit à d’autres recherches dans le domaine génétique et moléculaire. Ainsi, l’hybridation12 d’espèces végétales qui est pratiquée depuis plusieurs siècles utilise désormais la recherche génétique pour identifier les gènes à la base des propriétés recherchées et accélérer la création de nouvelles variétés. Cependant, si les organismes modifiés génétiquement assistés facilitent le processus d’hybridation, ils se voient malheureusement assimilés aux OGM par le dévoiement de ces techniques à la transgénèse et à la création de nouveaux genres.

Si les biotechnologies tardent à être acceptées socialement et intégrées économiquement, d’autres progrès techniques ou socio-organisationnels sont cependant beaucoup plus facilement assimilés par les acteurs de la vie économique malgré des impacts sociaux ou environnementaux sous-estimés ; ainsi, le taylorisme, le fordisme et plus récemment l’informatique furent rapidement adoptés par les entreprises, en raison de gains de productivités qu’elles généraient. Cette recherche de gains de productivité amène Schumpeter à considérer que chaque mouvement de la stratégie des affaires ne prend son véritable sens que par rapport à ce processus de destruction créatrice. Les entreprises se doivent de prendre en compte les innovations et les facteurs externes capables d’impacter l’activité économique et les facteurs de productions. Ainsi, les stratégies des entreprises s’inscrivent, pour Schumpeter, dans un phénomène plus vaste qui les dépasse et les rend dépendantes des évolutions économiques. Il est donc important selon lui de reconnaître le rôle joué par un tel mouvement au sein de ce qu’il qualifie « d’ouragan perpétuel de destruction créatrice » (Schumpeter, 1998, page 117). En effet, pour Schumpeter « le problème généralement pris en considération est celui d’établir comment le capitalisme gère les structures existantes, alors que le problème qui importe est celui de découvrir comment il crée, puis détruit ces structures. » (Schumpeter, 1998, page 118). Il montre ainsi par ces propos, les limites de l’analyse économique et financière traditionnelle. L’analyse financière tend en effet à s’inscrire dans cette logique puisqu’elle s’intéresse plus aux systèmes de gestion des structures existantes, à savoir comment ces structures maximisent le profit des actionnaires,

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Genetically Modified Organism (GMO)

12 L’hybridation est l’ensemble des techniques qui permettent par processus normal de reproduction sexuée, le croisement de deux individus de deux variétés, sous-espèces (croisement interspécifique), espèces (croisement interspécifique) ou genres (croisement intergénérique) différents.

par l’analyse des bilans, des comptes de résultats, soldes intermédiaires de gestion et autres ratios financiers, plutôt que de s’intéresser aux raisons qui construisent et détruisent ces structures. Ainsi, l’analyse du modèle économique d’une entreprise est souvent reléguée au second plan, derrière l’analyse du rendement et du risque d’un investissement. Cette démarche amène les investisseurs à adopter des comportements mimétiques selon André Orléan (2001). Il distingue trois types de mimétisme : le mimétisme normatif qui s’apparente au conformisme en raison d’une normalisation et d’une standardisation des approches, le mimétisme informationnel qui consiste à imiter les autres en supposant qu’ils sont mieux informés, et le mimétisme autoréférentiel qui tente de prévoir le comportement dominant en raison de la normalisation et de la standardisation des méthodes d’analyses financières.

Le capitalisme est ainsi selon Schumpeter un processus en constante évolution dont l’impulsion est donnée par l’innovation. « L’impulsion fondamentale qui met et maintient en mouvement la machine capitaliste est imprimée par les nouveaux objets de consommation, les nouvelles méthodes de production et de transport, les nouveaux marchés, les nouveaux types d’organisation industrielle – tous les éléments crées par l’initiative capitaliste. » (Schumpeter, 1998, page 116). Les cycles économiques qui stimulent le système capitaliste ne sont donc pas uniquement le fruit des innovations technologiques pour Schumpeter. Sa définition de l’innovation comme étant l’« exécution de nouvelles combinaisons » prend ici tout son sens. Schumpeter intègre donc également dans sa définition de l’innovation toutes les innovations de produits, services ou socio-organisationnelles. En effet, « dans la réalité, ce n’est pas cette modalité de concurrence qui compte, mais bien celle inhérente à l’apparition d’un produit, d’une technique, d’une source de ravitaillement, d’un nouveau type d’organisation » (Schumpeter, 1998, page 118). Pour Schumpeter, les innovations immatérielles participent donc aussi au processus de destruction créatrice par leurs impacts sur les facteurs de production et les gains de productivités qu’elles peuvent générer à l’image du Taylorisme et du Fordisme (Annexe I – Biographies, Henri Ford – Le capitaine d’industrie). Ainsi, pour Schumpeter, les innovations socio-organisationnelles sont également source de compétitivité pour les entreprises au même titre que le progrès technique.

Dans son analyse des cycles économiques, Schumpeter ne limite pas l’« entreprise » aux seules innovations technologiques. Il inclut également les nouveaux modèles socio-organisationnels. Ces nouvelles combinaisons portées par l’initiative entrepreneuriale participent à la machine capitaliste et au processus de destruction créatrice.