• Aucun résultat trouvé

Le marché de la Base de la Pyramide

Les initiatives en direction du bas de la pyramide se distinguent des initiatives caritatives ou philanthropiques par leur démarche marchande. En effet, ces initiatives sont nées d’un constat d’échec dans le temps des actions caritatives et philanthropiques menées par les entreprises, en raison de l’absence de pérennisation financière de ces initiatives. Cependant, bien qu’elles aient pour finalité la recherche de profit, les initiatives en direction du bas de la pyramide visent un impact social et sociétal, voire environnemental. Ainsi, les initiatives BoP cherchent à la fois, à répondre au développement des capacités d’autonomisation des populations pauvres, mais aussi à atteindre un équilibre budgétaire indispensable pour assurer leur pérennité.

Si la base de la pyramide désigne le groupe socio-économique le plus pauvre de la pyramide économique des revenus, il existe cependant plusieurs seuils de revenus retenus pour définir les populations pauvres. Ainsi, dans The Fortune at the Bottom of the Pyramid, Prahalad et Hart (2002) estiment la base de la pyramide à 4 milliards le nombre de personnes qui vivent avec moins de 1.500 dollars par an en parité de pouvoir d’achat (Purchasing power parity – PPP) et à plus d’un milliard ceux qui vivent avec moins de 1 dollar par jour. La banque mondiale définit de son côté l’extrême pauvreté en dessous de 1,25 dollars par jour et estime à 2,6 milliards le nombre de personnes qui vivent avec moins de 2 dollars en parité de pouvoir d’achat. Parallèlement, l’International Finance Corporation (IFC) et le World Ressources

Institute (WRI), dans leur rapport de 2007 The next 4 billion (Hammond, Kramer, Katz, Tran

et Walker, 2007), prennent comme référence les 4 milliards de personnes gagnant 3.000 dollars par an en parité de pouvoir d’achat. Enfin en 2008, le rapport The Base of the Pyramid

Protocol de l’université de Cornell reprend le seuil 1.500 dollars par an pour la même

Schéma 8 - Pyramide économique des revenus

Source : IFC, WRI, Crédit Agricole Cheuvreux

En dépit d’un faible pouvoir d’achat individuel des populations pauvres, la base de la pyramide constitue le premier marché mondial si l’on tient compte de l’agrégation des pouvoirs d’achat individuels des populations pauvres. L’IFC et le WRI estiment ainsi ce marché à 5.000 milliards de dollars pour 4 milliards de personnes vivant avec moins de 3.000 dollars par an, soit 8 dollars par jour. Ces chiffres soulignent donc l’immense potentiel des marchés BoP pour les grandes entreprises européennes qui peuvent ainsi y trouver de véritables relais de croissance pour leurs produits. De plus, ces populations pauvres se situent principalement dans des zones en forte croissance et développement économique. En effet, selon le PNUD les populations pauvres se trouvent à 72 % en Asie, 12 % en Afrique, 9 % dans la zone Amérique latine et Caraïbe et 6 % en Europe de l’Est.

Tableau 4 - Répartition géographique et perspectives de croissance de la Base de la Pyramide

Malheureusement, la répartition des populations pauvres selon leur niveau de pauvreté est très inégale d’une région à une autre. En effet, avec 2.858 millions de personnes pauvres, l’Asie est le premier marché BoP en nombre de personnes, très loin devant l’Afrique et ses 486 millions de personnes pauvres. L’Afrique reste cependant le continent avec le plus fort niveau de pauvreté, avec 95,1 % de pauvres contre 83,4 % pour l’Asie, et le niveau de besoins insatisfaits le plus important. Ainsi, avec 70,5 % des revenus générés sur le contient africain, le marché du bas de la pyramide est le premier marché africain alors qu’il ne représente que 41,7 % en Asie.

Enfin, si l’on tient compte du fort taux croissance de la population dans les pays émergents (1,45 % contre 0,75 % dans les pays développés), les prochains milliards d’habitants se situeront dans les pays émergents et tout particulièrement sur le bas de la pyramide contribuant ainsi à l’explosion de ce marché.

Graphique 1 — Croissance de la population (milliards)

Source : World Population Prospects, Nations Unies, 2009

Estimée à 5.000 milliards de dollars (Hammond, Kramer et al. 2007), la base de la pyramide constitue donc un véritable relais de croissance pour les entreprises face aux marchés développés arrivés à maturité (Prahalad et Hart, 2002). Selon les statistiques du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), 1 milliard de personnes n’auraient pas accès à de l’eau potable et près de 1,6 milliard n’ont pas accès à l’électricité. En 2010, la FAO (Food and Agriculture Organisation of the United Nations) estimait à 925 millions le nombre

de personnes qui souffrent de la faim dans le monde, notamment en Asie Pacifique (62 %) et en Afrique Sub-saharienne (26 %). L’IFC et le WRI (Hammond, Kramer et al., 2007) estiment ainsi que le principal marché BoP est l’alimentation avec 57,9 % des revenus consacrés à ces besoins, suivi de l’énergie (8,66 %), du logement (6,64 %), de la santé (3,16 %), des transports (3,58 %), des télécommunications (1,02 %), de l’eau (0,4 %) et autres (18,64 %).

Schéma 9 - Estimation du marché BoP par secteur

(milliards $)

Eau 20

Technologies d’information et des

télécommunications 51 Santé 158 Transport 179 Habitation 332 Energie 433 Autres 932 Alimentation 2895 (milliards $) Eau 20

Technologies d’information et des

télécommunications 51 Santé 158 Transport 179 Habitation 332 Energie 433 Autres 932 Alimentation 2895 (milliards $) Eau 20

Technologies d’information et des

télécommunications 51 Santé 158 Transport 179 Habitation 332 Energie 433 Autres 932 Alimentation 2895

Source : IFC, WRI, Crédit Agricole Cheuvreux

Ainsi, comme l’affirment Prahalad et Hart (2002), la base de la pyramide est un marché extrêmement porteur pour les entreprises à la recherche de nouveaux relais de croissance. Cependant, les spécificités des populations pauvres, notamment leur atomisation et leur faible solvabilité, nécessitent des stratégies adaptées de la part des entreprises pour pénétrer ce marché (Simanis, Hart et al., 2008). L’autre spécificité du marché BoP est la multitude de besoins qui le compose. Parmi ceux-ci on retrouve des besoins essentiels comme l’accès à l’eau, à la nutrition, à la santé et à l’hygiène. Vient ensuite, l’accès au logement, à l’électricité et aux sanitaires. Ces besoins indispensables au développement des populations pauvres répondent à des besoins physiologiques et de sécurité, selon la typologie des besoins de Maslow (Schéma 7 – Pyramide des besoins de Maslow, page 81). Enfin, on retrouve des services liés à la protection, aux communications, à la finance et à la mobilité. Ces derniers,

bien que non essentiels, participent au renforcement des capacités d’autonomisation des populations pauvres, également appelé « empowerment ».

Tableau 5 - Synthèse des différents besoins et les secteurs associés.

Source : Notre représentation – Crédit Agricole Cheuvreux

Ainsi, en contribuant à l’empowerment des populations pauvres, les initiatives en direction de la base de la pyramide participent également à l’atteinte des objectifs du millénaire pour le développement (OMD) (Annexe IX — Objectifs du millénaire pour le développement (OMD)) mis en place par l’ONU. Les entreprises engagées dans ces secteurs d’activités ont ainsi été de plus en plus sollicitées par les organisations internationales et les institutions publiques locales pour mettre en œuvre des stratégies spécifiques et aider à l’atteinte de ces objectifs. Parmi ces objectifs, on retrouve essentiellement l’objectif 1 (Eliminer l’extrême pauvreté et la faim), l’objectif 4 (Réduire la mortalité infantile), l’objectif 5 (Améliorer la santé maternelle), l’objectif 6 (Combattre le VIH/SIDA, le paludisme et d’autres maladies) et l’objectif 7 (Préserver l’environnement). Sur l’objectif 1, les industries agroalimentaires et de la distribution ont un rôle important à jouer dans la lutte contre la faim en favorisant l’accès à la nutrition. Mais si l’industrie agroalimentaire dont le métier est de vendre des produits alimentaires à bien compris son intérêt à développer son activité sur ces nouveaux marchés, le secteur de la distribution, par le montant des investissements nécessaires à son développement, est beaucoup moins engagé dans cette démarche. En effet, le secteur de la distribution se contente d’offrir des débouchés aux produits issus de ces pays, au travers de

produits issus du commerce équitable et ne contribue pas à l’accès aux produits alimentaires dans ces pays avec la création de halles marchandes. Elles favoriseraient ainsi le commerce local, à l’image des pavillons édifiés par Baltard sous Napoléon III, consolideraient les circuits de distribution locaux et permettraient la mise en œuvre et le renforcement de normes d’hygiènes. Dans ce domaine, les entreprises d’accès à l’eau et d’assainissements jouent aussi un rôle important en agissant indirectement sur les objectifs 1, 4, 5, 6 et directement sur l’objectif 7 du millénaire en préserver l’environnement. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un milliard de personnes dans le monde n’auraient pas accès à l’eau potable et 2,5 milliards n’ont pas de sanitaires adéquats entrainant de nombreuses maladies hydriques. En offrant des conditions d’hygiènes favorables au développement, le secteur de l’eau et de l’assainissement réduit la mortalité infantile, améliore la santé maternelle, combat certaines maladies par l’accès à une eau salubre. Malheureusement, le coût des infrastructures nécessaires a souvent pesé sur le développement de cette industrie dans les pays émergents. Pour y remédier, des partenariats public-privé (PPP), entre entreprises de l’eau et d’assainissement (fournisseurs et prestataires), États et collectivités locales (donneurs d’ordres), et organisations internationales (Banque mondiale, UNIDO133 ; bailleurs de fonds) ont été mis en œuvre pour financer ces investissements et gérer ces infrastructures indispensables au développement des populations. Enfin, parmi les secteurs les plus sollicités, on retrouve le secteur pharmaceutique dont l’activité participe directement à l’objectif 6 (Combattre le VIH/SIDA, le paludisme et les autres maladies) et 4 (Réduire la mortalité infantile) par la fourniture de traitements et de vaccins. L’impact social des entreprises varie ainsi fortement d’un secteur d’activité à l’autre et selon l’utilité des produits et services qu’ils proposent.

Les populations pauvres ont d’importants besoins insatisfaits. Cependant, malgré le potentiel que représente le marché BoP, les spécificités des populations qui constituent la base de la pyramide rendent ce marché difficile à pénétrer et nécessitent des stratégies adaptées. L’étude

133 United Nations Industrial Development Organization (UNIDO), organisation des nations unis pour le développement industriel (ONUDI) dans les pays en développement. Elle agit pour accélérer la croissance économique, réduire la pauvreté et atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement.

réalisée par Cheuvreux134 sur les initiatives en direction du bas de la pyramide révèle ainsi des motivations différentes d’un secteur à l’autre à l’origine de ces initiatives.