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La dynamique concurrentielle

Théorie évolutionniste

1.2.3. La dynamique concurrentielle

Pour Schumpeter, les pratiques restrictives constituent donc un frein au processus de création d’innovation et au système capitaliste. Les situations oligopolistiques sont ainsi selon lui contraires au processus d’évolution économique.

En effet, « l’espace économique […] s’étant rétréci, les commerçants […] vont s’efforcer d’améliorer leur sort en rehaussant leurs prix par voie d’accord tacite » (Schumpeter, 1998, page 119). De cette situation va naitre les premières situations d’entente entre les entreprises et amener à la formation de cartel ou à la création de situations oligopolistiques. Pour Schumpeter, dans son analyse du capitalisme, la concentration du marché sur quelques

entreprises nuit au processus de création d’innovation et au système capitalisme. En effet, pour lui, lorsque les « entreprises »14 sont contrôlées par un petit nombre de grandes sociétés, l’innovation et les progrès tendent à s’automatiser, se planifier et à se ralentir en raison d’un manque d’entrepreneuriat de la part des dirigeants de l’entreprise. Ce manque d’innovation généré par les situations oligopolistiques risque ainsi de remettre en cause le système capitaliste lui-même en raison de sa dépendance vis-à-vis de l’initiative entrepreneuriale. « Les motivations et normes capitalistiques se sont presque complètement flétries » (Schumpeter, 1998, page 293). En effet, pour Schumpeter l’entrepreneur est porté par d’autres considérations que le profit à l’image de Steve Job qui renonça à tout salaire15 (Annexe 1 – Steve Job – Génie technologique). Cette thèse s’oppose ainsi à l’affirmation de Milton Friedman (1970) selon laquelle la seule responsabilité sociale de l’entreprise est d’augmenter ses profits. Pour Schumpeter, la recherche de profit est avant tout un moyen au service de l’« entreprise »16, avant d’être une finalité à l’initiative entrepreneuriale. Pour lui, « la propriété et la gestion des entreprises se sont dépersonnalisées – l’appropriation ayant dégénérée en détention d’actions et d’obligations, et les fondés de pouvoir ayant acquis une mentalité analogue à celles des fonctionnaires » (Schumpeter, 1998, page 293). Les entreprises installées dans des situations oligopolistiques, en s’efforçant d’améliorer uniquement les profits de la classe dirigeante au détriment de l’innovation, sont vouées à dépérir par manque d’innovations selon Schumpeter. À son retour à la direction d’Apple en 1995, Steve Job s’était ainsi opposé à tout versement de dividendes aux actionnaires17 pour ne pas gager le futur du groupe et compromettre sa capacité de développement, privilégiant une stratégie de croissance du cours et d’innovations technologiques.

L’intrapreneur

14 On entend ici le terme d’ « entreprises » au sens Schumpetérien, c’est à dire « l’action d’entreprendre ».

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Depuis son retour à la tête d’Apple en 1997, Steve Jobs ne recevait qu’un dollar symbolique à titre de salaire. Il recevait cependant des stock-options. En 2000, elle s’élevait à 10 millions de dollars.

16 On entend ici « entreprise » au sens schumpeterien du terme à savoir « action d’entreprendre » ou la capacité d’un entrepreneur à exécuter de nouvelles combinaisons.

17 Cette politique a été abandonnée en 2012 par son successeur, Tim Cook, qui s’est engagé à verser 45 milliards de dollars sur trois ans à ses actionnaires, sur les 98 milliards de dollars de trésorerie, sous forme de dividendes trimestriels et de rachats d'actions.

Le secteur informatique, à l’origine du dernier cycle économique et dont les cycles d’innovations sont extrêmement rapides, est aujourd’hui confronté à un ralentissement des innovations en raison d’un manque d’entrepreneuriat de la part de ses dirigeants. En effet, avec le développement de l’informatique, ces petites entreprises autrefois dynamiques sont progressivement devenues de grands groupes incapables d’innover et de faire face à la concurrence, en raison du poids de leurs structures hiérarchiques et décisionnaires. Gérées dans l’intérêt des actionnaires, les dirigeants de ces entreprises ont acquis, selon Schumpeter, une mentalité analogue à celles des fonctionnaires, « la propriété et la gestion des entreprises se sont dépersonnalisées – l’appropriation ayant dégénérée en détention d’actions et d’obligations » (Schumpeter, 1998, page 293). Pour Schumpeter, avec la disparition de l’initiative entrepreneuriale des dirigeants « les motivations et normes capitalistiques se sont presque complètement flétries » (Schumpeter, 1998, page 293). Ce manque d’initiative entrepreneuriale est dû à l’incapacité des entreprises à faire émerger des « intrapreneurs ». Développé par Finch (1985) dans Intrapreneurism: New hope for new business, l’intrapreneur est une nouvelle forme d’entrepreneur salarié. Défini comme un entrepreneur interne à l’entreprise, l’intrapreneur dispose des mêmes qualités que l’entrepreneur Schumpetérien. Comme ce dernier, il n’est pas porté par le profit. Il est généralement mû par un désir de reconnaissance et d’estime dans un environnement d’hyper-compétition. Ainsi, l’intrapreneur cherche à gagner en responsabilité et en autonomie en étant force de propositions. Même s’il peut être qualifié d’opportuniste, la récompense financière n’est pas son principal facteur de motivation puisque son statut de salarié limite ce facteur de motivation. Ce statut de salarié dénote également d’une certaine prudence de la part de l’intrapreneur, ce qui permet de le distinguer de l’entrepreneur. Il se situe ainsi aux frontières du salarié et du chef d’entreprise. L’intrapreneur émerge bien souvent au sein d’une entreprise par une réflexion de la part du salarié sur son activité, en vue de l’améliorer. Ainsi, ces idées nouvelles développées en interne peuvent alors être source de nouvelles opportunités d’affaires pour l’entreprise et participer à son développement et à l’amélioration de ses performances. Ainsi, l’intrapreneuriat participe au processus de création d’innovation. Cependant, le contrôle de l’entreprise sur son salarié peut également être un frein en cas de lourdeur des structures hiérarchiques et entrainer une démotivation ou une fuite de ses compétences entrepreneuriales. Le décès de Steve Job en 2011 à l’âge de 56 ans a suscité de nombreuses

incertitudes quant à l’avenir du groupe Apple et sa capacité à innover. Ainsi, dès l’annonce de sa mort, le cours du titre Apple à la bourse de New-York a chuté de 5 % tant le succès de l’entreprise paraissait lié à son patron. L’annonce de son successeur18 en la personne de Tim Cook a donc été suivie de nombreuses déclarations rassurantes sur la capacité d’innovation du groupe afin de calmer les inquiétudes des investisseurs. Si Steve Jobs avait été l’architecte d’Apple, Timothy Donald Cook dit « Tim Cook », en avait été le maître d’œuvre. Timothy Donald Cook, ancien salarié de chez IBM et vice-président chargé de la production et de l’approvisionnement chez Compaq, avait été débauché en 1998 par Steve Jobs avant de se voir confier les fonctions de directeur général du groupe Apple suite aux absences répétées de Steve Job en 2009, avant d’être officiellement nommé directeur général par Steve Jobs dans sa lettre de démission19 en août 2011. Il avait ainsi restauré la rentabilité du groupe et lui avait donné les moyens d’innover et de lancer de nouveaux produits. Il avait pour cela restructuré le système de production d’Apple et toute la chaîne opérationnelle pour maintenir des coûts concurrentiels. Il avait ainsi regroupé les lignes de productions, délocalisé les usines, renégocié les contrats avec les fournisseurs et limité le nombre de lignes de produits. Tim Cook s’est également attelé à l’optimisation du système de distribution et de vente d’Apple. Pour cela, il a réorganisé toute la chaîne logistique du groupe en réduisant au maximum le nombre de distributeurs. Il a aussi travaillé à la refonte du réseau de distribution et crée les boutiques « Apple stores » pour en maitriser toutes les étapes de commercialisation des produits. La marge brute d’Apple est ainsi passée sous sa direction opérationnelle de 27,5 % à 35 % en 2010, avec un pic à près de 40 % en 2009. S’il ne possède pas le charisme et le génie créatif de son prédécesseur, Tim Cook en « cost killer » a cependant donné à Apple, avec 75,8 milliards de dollars de trésorerie, la capacité de poursuivre le développement de nouveaux produits et créer de nouvelles opportunités. Ainsi, si Steve Jobs a choisi Tim Cook pour lui succéder à la tête du groupe Apple, c’est néanmoins Jonathan Ive, responsable du design de la marque, qu’il désigne comme son « héritier spirituel » dans sa biographie officielle (Isaacson, 2011). En effet, pour Steve Jobs, Jonathan Ive « n’est pas seulement un designer », il était bien plus que cela. « Si j’avais un partenaire spirituel chez Apple, ce serait Jony ». Jonathan Ive est en effet à l’origine de la majorité des produits d’Apple depuis le retour de Jobs en 1997. Il a notamment contribué au succès de l’iMac en lui donnant ses lignes fluides et ses

18 http://www.apple.com/pr/library/2011/08/24Steve-Jobs-Resigns-as-CEO-of-Apple.html

couleurs acidulées et translucides, ainsi qu’au design de l’iPod, iPhone et iPad auxquels il a apporté cette sobriété caractéristique des produits Apple. Mais si le talent stylistique de Jonathan Ive est reconnu par Steve Jobs dans sa biographie officielle, « Jony et moi sommes à l’origine de la plupart des produits », l’incarnation de l’entreprise et de ses produits par son fondateur a fait naître une certaine amertume chez Ive. « Cela fait mal quand quelqu’un s’approprie un de vos designs ». D’ailleurs, Steve Jobs se considère dans sa biographie comme le co-inventeur dans près de 212 brevets d’Apple. Si le talent de Jonathan Ive est reconnu par le monde de l’art en étant primé à de nombreuses reprises, la concentration des pouvoirs caractéristiques des entrepreneurs laisse néanmoins peu de place à d’autres talents. Ainsi, comme le confirme Lauren Powell, l’épouse de Steve Jobs, si la plupart des gens dans la vie sont remplaçables, ce n’est pas le cas Jonathan Ive. Son départ se révèlerait donc catastrophique pour la marque tant il a imprégné ses produits. De plus, son souci du détail et du design réputé aussi exigent que celui de Steve Jobs ferait défaut à la création de produits soignés. Steve Jobs lui a ainsi accordé un statut unique et un pouvoir opérationnel extrêmement important afin qu’il puisse jouir d’une grande liberté créative et de manière à ce que personne ne puisse lui dire ce qu’il doit faire. Ainsi au-delà de son génie créatif, la véritable qualité entrepreneuriale de Steve Jobs est d’avoir su bien s’entourer de talents avec Tim Cook au management, de Jonathan Ive au design ou encore de Scott Forstall aux logiciels et de Phil Schiller au marketing produit, et qui ont contribués au succès de la marque. Cependant, en incarnant l’entreprise et ses produits en tant que fondateur de celle-ci, Steve Jobs a étroitement lié le destin de celle-ci avec sa personne. Son décès fait donc légitimement naître des craintes quant à son avenir, notamment en matière de créativité et d’innovation. Un défi que devront relever ses successeurs désignés et spirituels, afin de maintenir la dynamique innovatrice pour faire face à la concurrence sur ce secteur extrêmement compétitif.

L’histoire de Steve Jobs ou encore de Georges Eastman20 illustrent de la difficulté des entreprises à faire émerger des « intrapreneurs », capables de créer, d’innover ou de réaliser de nouvelles combinaisons pour leur permettre de se renouveler. Elles révèlent également des difficultés des entreprises et de leurs dirigeants à s’extraire de la routine et à faire face aux inerties sociales et structurelles. Face à leurs difficultés à créer de nouvelles combinaisons, les groupes informatiques ont donc été amenés à rappeler leurs fondateurs, à l’image de Steve Job

chez Apple, Jerry Yang chez Yahoo ou encore Bill Gates chez Microsoft, seuls capables de disposer de la légitimité et de la force nécessaire à insuffler les changements et les évolutions nécessaires pour faire face à la concurrence de nouveaux acteurs comme Google ou Facebook. Malgré leurs tentatives de conserver des structures dynamiques capables de répondre aux évolutions sectorielles, Yahoo n’a pu empêcher le moteur de recherche de Google de supplanter son système d’indexation de sites internet. De même, ces groupes informatiques n’ont pas su faire face à l’émergence des réseaux sociaux et du web 2.0 comme Facebook, par maque de réactivité et d’innovations.