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Principes de base de l’élément psychologique au sens de l’article 30 du Statut

La commission intentionnelle des crimes contre l’humanité au sens de l’article 30 du

A. Principes de base de l’élément psychologique au sens de l’article 30 du Statut

L’article 30 du Statut de la Cour pénale internationale requiert expressément la présence d’un élément psychologique accompagnant l’élément matériel de chacun des crimes contre l’humanité, même si aucun élément spécifique n’est exigé par la définition du crime elle-même. En effet, « nul n’est pénalement responsable et ne peut être puni à raison d’un crime relevant de la compétence de la Cour que si l’élément matériel du crime est commis avec intention et connaissance » 5.

Cette disposition du Statut relative à la mens rea est ainsi une disposition générale applicable à tous les crimes sur lesquels la Cour peut exercer sa juridiction et indispensable à l’imputation à un individu d’un comportement criminel. Il est en effet nécessaire de pouvoir imputer à l’auteur tant la commission matérielle, objective, du crime, l’actus reus, que sa commission intentionnelle, subjective, la mens rea. Au-delà des éléments matériels constitutifs des crimes contre l’humanité, l’article 30 s’applique également à toutes les formes de commission et de participation à l’infraction telles que l’article 25 du Statut les réglemente 6.

Toutefois, l’exigence générale de l’intention et de la connaissance accompagnant l’élément matériel des crimes contre l’humanité n’est pas absolue mais soumise à la restriction sur laquelle s’ouvre l’article 30 du Statut : « Sauf disposition contraire…». Cette restriction, qui permettrait d’imputer à un individu une conduite criminelle dont l’élément matériel ne serait pas commis avec l’intention ou la connaissance requise, n’est toutefois pas à comprendre trop largement. En effet, considérant le refus clairement exprimé des auteurs du Statut d’y incriminer, de manière générale, le dol éventuel et la négligence 7, la seule exception se trouve à l’article 28 lettre (a), relatif à la responsabilité des chefs militaires, incriminant le dol éventuel, comme nous le verrons plus loin 8.

Il est en tous les cas difficile d’envisager une autremens reaque l’intention et la connaissance dans le cas des crimes contre l’humanité dans le Statut de la Cour

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5 Art. 30 §1 CPI.

6 Voirinfrachapitre 16.

7 Voir Albin Eser, Mental Element – Mistake of Fact and Mis ake of Law,in Cassese, Gaeta, Jones,The Rome Statute, vol. I, pp. 892-898 et Donald K. Piragoff,in Triffterer,Commenta y on the Rome Statute,ad art. 30, pp. 527-528.

8 Voirinfra chapitre 17.

pénale internationale. En effet, ceux-ci sont constitués d’un ou de plusieurs des crimes énumérés, commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile, « en connaissance de cette attaque » 9. Outre l’exigence de la connaissance de l’attaque, son ampleur même n’autorise pas à conclure qu’un individu puisse y participer autrement qu’intentionnellement, ce que confirme l’analyse des différents crimes qui doivent la constituer. La commission de ces crimes est inconcevable autrement qu’intentionnellement : on n’extermine, ne réduit en esclavage, ne déporte, n’emprisonne, ne torture, ne viole, ni ne persécute par négligence, ni même par dol éventuel ; on ne fait pas disparaître de manière forcée des personnes ni n’instaure un régime institutionnalisé d’apartheid par négligence, non plus que par dol éventuel. Seul le meurtre pourrait être commis par dol éventuel, comme il est généralement admis que ce puisse être le cas. Cependant, l’article 7 paragraphe 1 lettre (a) ne comporte aucune dérogation à l’article 30 du Statut ; il faut donc en conclure que, dans ce cas également, le crime contre l’humanité de meurtre dans le Statut de la Cour pénale internationale doit être commis avec intention et connaissance, soit sous la forme du dessein ou du dol direct exclusivement10.

Dans tous les cas, la mens rea de l’auteur ne se présume pas et il appartiendra au Procureur de démontrer que l’accusé agit avec l’intention et la connaissance requises, sinon même avec le dolus specialis, le dol aggravé exigé par certains des crimes contre l’humanité. Il est aujourd’hui reconnu que la preuve de l’intention et de la connaissance de l’auteur peut être déduite des circonstances. C’est ainsi que la Commission préparatoire établit, dans les Eléments des crimes, que l’existence de l’intention et de la connaissance peut être déduite de faits et de circonstances pertinents11. Il n’est toutefois certainement pas aisé d’effectuer, de manière fiable et adéquate, tout en respectant les principes généraux d’un procès équitable, notamment la présomption d’innocence et le fait qu’un doute doive profiter à l’accusé, une telle déduction de faits et circonstances souvent extrêmement confus.

Le Statut de Rome maintient une perception étroite de l’élément psychologique, limité à l’intention et à la connaissance requises. Malgré l’appellation latine de mens rea, dont la traduction serait proche de l’ «intention coupable » (ou

«guilty mind» en anglais), la notion de culpabilité dans le Statut semble se confondre avec celles d’intention et de connaissance. Ceci résulte de l’emploi, dans le Statut comme dans la littérature y relative, des termes « mens rea» et «élément psychologique», comme synonymes. Il n’est donc pas possible de suivre la voie de certains des codes pénaux les plus récents, qui envisagent expressément la notion de culpabilité (« guilt» ou «blameworthiness» en anglais), distinctement des formes de l’intention et de la négligence, introduisant ainsi la reconnaissance d’une appréciation par l’auteur de l’illicéité de son acte, en plus des critères de l’intention ou de la négligence, regroupant le tout sous l’appellation d’élément subjectif 12.

A la première lecture, l’article 30 du Statut semble parfaitement clair. Il requiert, en son premier paragraphe, que la commission des éléments matériels des crimes contre l’humanité s’accompagne de l’intention et de la connaissance, qu’il définit ensuite dans deux paragraphes distincts.

9 Art. 7 §1 in initio CPI.

10 Voirinfra chapitre 5.

11 VoirEléments des crimes, Introduction générale, §3, p. 116.

12 Voir Albin Eser,Mental Element – Mistake of Fact and Mistake of Law,in Cassese, Gaeta, Jones,The Rome Statute, vol. I, pp. 902-904.

Cependant, diverses questions se posent. Les termes « intention » et

«connaissance» sont reliés par la conjonction « et», qui exige donc que toutes deux soient données, sans toutefois porter sur les mêmes références. L’intention est reliée au comportement de l’auteur et à ses conséquences, alors que la connaissance se rapporte à l’existence de certaines circonstances ou à leur survenance dans le cours normal des événements. L’argument principal qui conduisit au choix de la conjonction « et», fut que l’intention est inconcevable sans la connaissance des circonstances dans lesquelles intervient le comportement de l’auteur 13.

L’élément psychologique requis pour la commission des crimes contre l’humanité, à l’article 30 du Statut de la Cour pénale internationale, est clairement à comprendre, restrictivement, comme l’exigence de la commission intentionnelle de ces crimes, conformément à l’exigence posée à l’article 22 paragraphe 2, d’une interprétation stricte de la définition des crimes 14.

Cette intention se compose d’un élément volitif (l’intention) et d’un élément cognitif (la connaissance). En les nommant et définissant tous deux, le Statut accorde à chacun son importance et sa signification propre, comme peut l’illustrer l’article 7 paragraphe 1, lu conjointement avec l’article 30, exigeant, pour les crimes qu’il énumère, l’intention et la connaissance mais simplement la connaissance de l’attaque généralisée ou systématique15.

L’intention et la connaissance sont toutes deux reliées aux éléments matériels des crimes contre l’humanité. La distinction devra être faite, conformément aux définitions que le Statut donne de chacun de ces deux éléments, entre comportement («conduct» en anglais), conséquences et circonstances. Quelle que soit la définition à donner aux termes « éléments matériels» de la définition d’un crime, au sens de l’article 30, ils se comprennent comme la description du comportement de l’auteur et de ses conséquences. Toutefois, alors que l’intention de l’auteur doit porter sur le comportement qu’il adopte, elle ne doit pas forcément inclure les conséquences dudit comportement. Il est en effet suffisant au sens de l’article 30 paragraphe 2 lettre (b) que l’auteur soit conscient que ces conséquences adviendront dans le cours normal des événements 16.

Enfin, en ne mentionnant les circonstances que dans le cadre de la définition qu’il donne de la connaissance, l’article 30 paragraphe 3 du Statut établit logiquement que de telles circonstances ne peuvent pas être voulues par l’auteur, échappant à l’élément volitif du paragraphe 2 ; il importe dès lors que l’auteur en connaisse l’existence. Par contre l’article 30 peut sembler redondant en rattachant la conscience que l’auteur aura de la survenance d’une conséquence dans le cours normal des événements tant à l’intention, qu’à la connaissance17.

13 Voir Donald K. Piragoff,in Triffterer,Commentary on the Rome Statute, p. 530,ad art. 30 CPI.

14 Bruce Broomhall estime que l’exigence d’une interprétation stricte de la définition des crimes imposée par l’article 22 §2 CPI se limite aux art. 6-8, tout en admettant qu’il puisse également s’appliquer aux formes d’exonération de l’article 31 (Bruce Broomhall,in Triffterer,Commentary on the Rome Statute, p. 530,ad art. 30 CPI). On ne voit cependant pas pourquoi l’art. 30 CPI serait exclu du champ d’application de l’art. 22.

En effet, il est évident que le principe de la légalité s’applique à tous les éléments des crimes, tant à l’ «actus reus » qu’à la « mens rea ».

15 Voir Gerhard Werle & Florian Jessberger, « Unless Otherwise Provided », in JICJ vol. 3 N°1, March 2005, pp. 35-55.

16 Voir Albin Eser,Mental Element – Mistake of Fact and Mistake of Law,in Cassese, Gaeta, Jones,The Rome Statute, vol. I, pp. 908-910.

17 Voir Albin Eser,Mental Element – Mistake of Fact and Mistake of Law,in Cassese, Gaeta, Jones,The Rome Statute, vol. I, pp. 904-908.

Toutefois, en reliant ainsi étroitement l’intention à la connaissance, il renforce l’unité de l’élément psychologique requis. En conclusion, nous retiendrons avec Albin Eser que, « Article 30 on the ‘mental element’ (…) provides sufficient building blocks for a meaningful construction of ‘intention’ (as distinct from other states of mind which have not been explicitly regulated) » 18.

B. L’élaboration de l’élément psychologique dans les

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