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La formation du droit international pénal

pénale internationale

B. La formation du droit international pénal

Pour bien comprendre d’où vient le droit international pénal que nous venons de définir, il convient de nous pencher sur sa formation, qui trouve des racines plus anciennes que l’histoire cinquantenaire des juridictions pénales internationales modernes, issues de la seconde guerre mondiale, des conflits yougoslaves et du génocide Rwandais.

Nous avons placé immédiatement au sein du droit international public la branche du droit international pénal. Force est de relever que sa genèse se trouve non pas dans l’action des Etats mais dans celle de personnalités de la doctrine et d’institutions ou sociétés savantes regroupant d’éminents juristes, qui s’efforcèrent de diffuser le droit pénal dans l’ordre international, dès la fin du XIXème siècle.

C’est Vespasien V. Pella, pénaliste, professeur à l’université de Bucarest, qui apparaît comme le partisan le plus déterminé et le principal artisan de ce qu’il appelait Le droit pénal de l’avenir, qui, selon lui, « aura pour objet principal la réglementation de l’exercice de la répression des actions illicites qui peuvent être commises par les Etats dans leurs rapports réciproques » 6. C’est donc une conception interétatique du droit, qui conservait son qualificatif de pénal parce qu’il pouvait ne pas se limiter aux actes collectifs illicites commis par les Etats, pour concerner également les actes individuels, commis par les personnes privées.

4 Antonio Cassese,Interna ional Criminal Lawt , p. 19.

5 Voirinfra chapitre 2.

6 Vespasien V. Pella,Le droit pénal de l’avenir, p. 168, N°103.

Il faut ici également mentionner les travaux de l’Association internationale de droit pénal, fondée sur l’Union du même nom, elle-même fondée en 1889, sur proposition des grands pénalistes que furent Quintiliano Saldana et Henri Donnedieu de Vabres 7. Dès 1929, l’Association prépara l’élaboration d’un statut pénal international. Fondée en 1889, par deux parlementaires lauréats du Prix Nobel, le britannique Randal Cremer et le français Frédéric Passy, l’Union interparlementaire apporta également sa pierre à l’édifice, en décidant d’élaborer, en 1925, un code répressif des nations. L’International Law Association avait également entrepris des travaux dans ce domaine.

Le champ de la discipline a fait l’objet de certaines controverses chez ces éminents juristes, fondateurs en la matière. Vespasien Pella soutenait que si le droit pénal de l’avenir devait appréhender en priorité, du fait de leur gravité pour l’ordre international, la guerre d’agression et les crimes de guerre, il ne devait pas se limiter à ces infractions. Il souhaitait y inclure également les crimes de droit des gens commis par les particuliers, qui, soumis à la répression universelle, ne relevaient plus, de ce fait, du droit pénal privé mais du nouveau droit international pénal. Cette conception se heurta, en particulier, à l’opposition ferme de Henri Donnedieu de Vabres, qui, bien qu’acquis à l’idée d’un développement du droit pénal dans l’ordre interétatique, exprima les plus extrêmes réserves sur la doctrine du délit de droit des gens. Partisan de la possibilité de tenir l’Etat, en qualité de personne morale, pour pénalement responsable, Vespasien Pella verra sur ce point se cristalliser une seconde opposition à ses thèses, la majorité de la doctrine restant attachée aux principes issus du droit romain et à l’adage societas delinquere non potest. Dans l’entre-deux-guerres, le droit pénal de l’avenir de Vespasien Pella constitua l’effort doctrinal le plus complet pour conforter le droit international public par le droit pénal et assurer ainsi la paix internationale 8.

C’est, historiquement, le recours à la guerre qui fit, le premier, l’objet d’une incrimination internationale. Grotius posa le principe de la répression universelle en soulignant la nécessité, pour le maintien de la paix, de l’union de toutes les forces contre les coupables 9, principe repris par Vattel, qui affirma que « toutes les nations sont en droit de réprimer par la force celle qui viole ouvertement les lois que la société de la nature a établies entre elles, ou qui attaquent directement le bien et le salut de cette société » 10. Au-delà des questions de guerre juste, celle-ci apparaît comme un moyen de lutte contre l’impunité, inadmissible pour ceux qui violent le droit des gens.

Plus récemment, ce fut par l’extension des procédures de règlement pacifique des conflits internationaux, avec les Conventions de La Haye de 1899 et de 1907, et, à l’issue de la première guerre mondiale, avec le Traité de Versailles qui condamna les guerres d’agression, que le moyen de réduire l’usage de la force fut tout d’abord recherché. Le mouvement se poursuivit, tentant de développer et de raffermir le système de sécurité établi par le Pacte de la Société des Nations. Dans cette perspective, le Projet Cecil-Raquin de Traité d’assistance mutuelle, de 1923, condamna la guerre d’agression comme un crime international, ce que confirmèrent le Protocole de Genève du 2 octobre 1924 de la Société des Nations pour le règlement

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7 Voir Henri Donnedieu de Vabres,Les principes modernes du droit pénal international.

8 Voir Sandra Szurek,Historique La formation du droit interna ional pénal,in Ascensio, Decaux, Pellet, Droit interna ional pénal, pp. 8-12.

9 Voir Hugo Grotius,De Jure Belli ac Pacis(1625), t. I, Livre I, Chap. V.

10 Emmerich de Vattel,Le droit des gens ou principes de la loi naturelle appliquée à la conduite et aux affaires des nations et des souverains(1758), Préliminaires, p. 22.

pacifique des différends internationaux et, finalement, le Pacte Briand-Kellog de 1928.

Ce fut ensuite le développement de l’incrimination des comportements dans la guerre, lejus in bello. Il existe, dès les civilisations les plus anciennes, des règles relatives au comportement des combattants. En occident, la question fut abordée dès 1260 par Saint Thomas d’Aquin dans sa Summa Theologiqua, avant que Vitoria, Ayala, Suarez, Gentili ou Grotius ne posassent les fondements doctrinaux de la réglementation des guerres. C’est ainsi que Grotius dénonça ceux qui, pendant la guerre, se croyaient autorisés à fouler aux pieds « tout droit humain et divin et à commettre toutes sortes de crimes sans retenue » 11. Pour Vattel, le châtiment du coupable, le refus qu’on lui fait de la vie, ne devait pas être tenu pour une suite de la guerre mais pour une punition de son crime12. Fénelon l’affirma encore, en 1711, dansL’examen de conscience sur les devoirs de la Royauté : « Il y a les lois de la guerre qu’il ne faut pas regarder moins religieusement que celles de la paix, autrement la guerre ne serait plus qu’un brigandage inhumain, qu’une série perpétuelle d’assassinats, d’abominations et de barbaries». Ainsi, la conviction que l’action des belligérants doit connaître des limites et que l’excuse de la guerre ne doit pas être avancée pour justifier la commission de crimes de droit commun, tels que meurtres et viols, s’établit progressivement.

C’est là le fondement d’un droit coutumier de la guerre, que les Etats incorporèrent progressivement dans leurs législations militaires, des Articles sur les lois militaires devant être observées en temps de guerre proclamés par Gustave Adolphe de Suède en 1621, au Code de Francis Lieber, dont on considère généralement qu’il marque la naissance de l’incrimination des crimes de guerre comme violation grave des lois de la guerre, proclamé par le Président Lincoln le 24 avril 1863. Au XIXème siècle se développèrent toujours d’importantes contributions doctrinales, dont, l’une des plus remarquables, le Manuel d’Oxford, adopté en 1884 par l’Institut de droit international, dispose notamment que « les violations des lois de la guerre sont passibles des châtiments spécifiés dans la loi pénale ».

Parallèlement, se mit en place une œuvre conventionnelle visant à la réglementation de la guerre et des conflits armés et l’affirmation d’un droit international humanitaire dans le cadre d’accords internationaux, sous l’impulsion déterminante, notamment, de Henry Dunant et du Comité international de la Croix-Rouge. Toutefois, cette réglementation ne s’accompagna d’aucune détermination de sanctions pénales applicables et la répression fut laissée à la discrétion des lois nationales. Ce n’est qu’en 1949, avec l’adoption des Conventions de Genève, que l’on a vraiment abordé la question de la punition des criminels de guerre et des sanctions pénales à leur appliquer.

Enfin, il existait une dernière source du droit international pénal, avant que n’éclatât le second conflit mondial. Les crimes du droit des gens visèrent les comportements attribués à des particuliers, qui portaient atteinte aux Etats, tels que la piraterie, la traite des blanches, qui deviendra celle des femmes et des enfants, ou le faux monnayage. Ces crimes accédèrent ainsi à l’ordre international par la convergence des législations pénales, qui incriminaient unanimement des comportements considérés comme contraires à la morale universelle et particulièrement dangereux pour les intérêts de la communauté des Etats ou même de l’humanité comme telle, ce qui permit de parler de delicta juris gentium.

11 Hugo Grotius, De Jure Belli ac Pacis, Discours préliminaire, pp. XXVI-XXIX.

12 Emmerich de Vattel,Le droit des gens, Livre III, Chapitre VIII, N°141.

Le volet complémentaire indispensable au droit international pénal se trouve dans la mise en œuvre de la sanction pénale à l’égard de l’individu comme seul sujet de l’infraction internationale, à l’exclusion de l’Etat. C’est à Naples, en 1268, qu’eut lieu le premier procès pour déclenchement d’une guerre injuste, qui aboutit à la condamnation à mort de Conradin von Hohenstaufen. A l’issue de la première guerre mondiale, la décision prise à Aix-la-Chapelle en 1810 de détenir Napoléon pour avoir engagé des guerres qui brisèrent la paix mondiale, fut considérée comme le précédent du cas le plus célèbre, celui de l’Empereur Guillaume II, dont le Traité de Versailles exigea le jugement par un tribunal international, qui ne vit jamais le jour.

De la même manière, une pratique très ancienne offre quelques exemples de condamnation d’un individu pour crimes de guerre, comme par exemple, le procès intenté contre Peter von Hagenbach à Breisach, en 1474. Un tribunal de vingt-huit juges des Etats alliés du Saint Empire le condamna pour des meurtres et autres crimes contre « les lois de Dieu et des hommes» pendant une occupation militaire. Le Comte Rosen fut également condamné par le roi Jacques II d’Angleterre en 1689, pour avoir mené contre Londonderry un siège cruel, au cours duquel des civils innocents furent assassinés. Puis la révolution américaine et la guerre de sécession, la guerre hispano-américaine et l’occupation des Philippines allaient être également l’occasion de nombreux procès pour crimes de guerre.

Tout ceci démontre que la formation du droit international pénal restait dépourvue d’une juridiction internationale, la répression des crimes demeurant à la charge des ordres internes nationaux. Plusieurs projets de juridiction internationale virent pourtant le jour, dont l’idée semble remonter à la guerre de 1870.

Gustave Moynier en développa le projet comme le plus sûr moyen de prévenir et de réprimer les infractions à la Convention de Genève de 1864, relative à la protection des malades et blessés, se heurtant toutefois au refus catégorique des Etats. L’échec de l’application de l’article 227 du Traité de Versailles à l’issue de la première guerre mondiale conduira la doctrine à en reprendre et développer l’idée 13. Cette idée va permettre la mise en place des juridictions internationales de Nuremberg et de Tokyo, puis, plus récemment encore, celle des deux Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda. C’est ainsi que fut pavée lavia romana menant à la Cour pénale internationale.

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